Je la verrai



 
« Je la verrai : l’air est serein,
« Le ciel est pur et sans nuage ;
« Sous les tilleuls de ce jardin
« Elle viendra chercher l’ombrage.
« De loin mes regards la suivront
« Parmi la foule murmurante ;
« Nos yeux muets se parleront,
« Et j’oublierai ma longue attente.


« Je ne la verrai pas ! non, non !
« Le lilas tremble sur sa tige ;
« Le ciel se couvre à l’horizon,
« La poussière, en tournant, voltige ;
« Le soleil quitte le gazon,
« La pluie inonde le feuillage ;
« Je ne la verrai pas ! non, non !
« Adieu l’espoir ; voici l’orage !

« Mais le vent change ! Sur l’étang,
« Les gouttes d’eau tombent plus lentes ;
« Le cygne au soleil renaissant
« Ouvre ses ailes frémissantes.
« Un coin du ciel s’est épuré ;
« L’Iris brillante se déploie ;
« Je la verrai ! je la verrai !
« L’orage a fui : vive la joie ! »

Ainsi des cieux, à mon réveil,
Je regardais passer les teintes,

Et vingt fois, comme le soleil,
Revenaient ou fuyaient mes craintes.
L’âme inquiète d’un amant
Est comme une eau mobile et claire,
Qui, tour à tour, d’un ciel changeant
Réfléchit l’ombre ou la lumière.

Heureux, du moins, puisque jamais
Son cœur n’est seul avec lui-même !
Absent, présent, de loin, de près,
Tout plein de la beauté qu’il aime,
Il vit d’effroi, comme d’espoir,
Et son âme est toujours émue,
Ou de l’attente de la voir,
Ou du bonheur de l’avoir vue.

Le temps a fui ! Sous d’autres cieux,
Mon sort s’écoule solitaire ;
Mon cœur sans but n’a dans ces lieux
Plus rien qu’il craigne ou qu’il espère.

Le vent peut changer à son gré,
L’air être sombre ou sans nuage,
Je ne dis plus : « Je la verrai ! »
Que me fait le calme ou l’orage ?