Spéculations/« T’en as un œil » et « m’as-tu vu ? »

« T’EN AS UN ŒIL » ET « M’AS-TU VU ? »

La fonction créant l’organe, voici comment l’organe de la vision est né dans le monde des théâtres.

Les gens de qui la profession est de se donner en spectacle — de se louer plutôt, il y a le cachet — répétèrent tant de fois depuis Thespis, la question connue que peu à peu se développa le système oculaire permettant de les voir.

Mieux : à cette évolution se rattache l’invention des lorgnettes, lorgnons, face-à-main et autres jumelles.

Satisfaits alors seulement un peu, après deux mille ans d’attente les Cabotins, au vingtième siècle, daignent remercier le spectateur professionnel et empressé par la formule de politesse :

« T’en as un œil ! »

Avoir un œil, c’est là une assez belle récompense de si longs efforts vers la vision.

Il est remarquable que ladite formule : « T’en as un œil » ne varie point, même si le spectateur se sert d’une jumelle.

Dans l’esprit du cabot, l’œil destiné à l’admirer n’est jamais assez grand.



Il n’est pas certain que le Cabot soit doué, de son côté, de l’organe de la vision.

Il est généralement privé de divers attributs essentiels : nous voulons dire du moins qu’il ne possède aucune espèce de barbe.

Aussi, de même que le coucou pond dans le nid d’autrui, le cabot se pare-t-il de villosités étrangères propres à remédier à l’insuffisance de son pelage.

Il est rare qu’il porte ces fourrures dérobées un très grand nombre de soirées de suite. Ajoutons qu’outre les barbes artificielles, il s’emmitoufle aussi de vêtements empruntés.

Le Cabot ne sortant de sa bauge ou de sa loge que pendant l’hiver et à des heures tardives de la nuit, il n’est pas étonnant qu’il soit frileux.

Il projette devant lui à ces heures-là, à l’instar du ver-luisant, une lumière qui l’éclaire par en bas. De même aussi que chez le lampyre, ce sont les femelles qui donnent le plus d’éclat.

Cette lumière pâle, de nature électrique, rayonne peu de chaleur. Aussi certains cabots de la grosse espèce, industrieusement, se chauffent-ils au moyen de troncs d’arbre fendus dans leur longueur et divisés en voliges.

C’est ce que le Cabot appelle, en son gazouillis, brûler les planches.