Orgueil et Préjugé (Paschoud)/3/3

Traduction par anonyme.
J. J. Paschoud (3p. 25-31).

CHAPITRE III.

Le samedi matin, Mr. Collins, se trouvant avec Elisabeth dans la salle du déjeuner quelques momens avant les autres, saisit cette occasion pour lui faire sur son départ les complimens qu’il jugeoit indispensablement nécessaires.

— Je ne sais pas, Miss Elisabeth, si Mistriss Collins vous a exprimé toute notre reconnoissance de la bonté que vous avez eue de venir nous voir, mais je suis bien sûr que vous ne partirez pas sans qu’elle vous ait fait ses remercîmens. Nous avons bien apprécié, je vous assure, toute l’étendue de la faveur que vous nous avez faite ; nous savons que notre humble demeure ne doit avoir d’attrait pour personne. La simplicité de notre genre de vie, la petitesse de nos chambres, le petit nombre de nos domestiques et le peu de monde que nous voyons, doivent rendre Hunsford un fort triste séjour pour une jeune dame comme vous ; mais j’espère que vous nous croyez reconnoissans de votre condescendance, et que vous êtes persuadée que nous avons fait tout ce qui étoit en notre pouvoir pour que vous passassiez votre temps le moins désagréablement possible.

Elisabeth lui fit mille remercîmens, elle l’assura qu’elle venoit de passer six semaines fort agréables, et que le plaisir d’être avec Charlotte et toutes les attentions qu’on avoit eues pour elle, devoient lui laisser un souvenir très-doux d’Hunsford. M. Collins parut fort satisfait, et lui répondit avec une solennité plus grande encore :

— J’éprouve le plus grand plaisir à entendre ce témoignage de votre propre bouche. Nous avons assurément fait tous nos efforts pour vous bien recevoir, et il étoit heureusement en notre pouvoir de vous présenter dans une société supérieure. Nos rapports avec Rosing nous donnant les moyens de varier les scènes de notre humble demeure, j’espère que votre séjour à Hunsford n’aura pas été dépourvu d’agrémens. Notre position, relativement à Lady Catherine, est en vérité un avantage extraordinaire et un bonheur dont nous ne pouvons trop nous vanter ! Vous voyez sur quel pied nous sommes avec elle ! Elle nous invite constamment !… Je dois avouer qu’aucun des désavantages que peut avoir cet humble presbytère, ne sera un sujet de plainte pour moi, tant que nous jouirons de cette intimité avec les habitans de Rosing.

Les phrases ne lui suffisant plus pour exprimer tout son bonheur, il se promenoit à grands pas autour de la chambre, tandis qu’Elisabeth s’efforçoit de ne pas rire, en lui répondant quelques mots de politesse.

— Vous pouvez au moins rendre un compte très-favorable de nous, dans le Hertfordshire, ma chère cousine, ajouta Mr. Collins, et j’espère que vous le ferez. Vous avez été témoin journellement des extrêmes attentions de Lady Catherine pour Mistriss Collins, et je pense que vous n’avez pas trouvé que votre amie eût l’air d’être malheureuse. Mais il vaut mieux garder le silence sur ce sujet. Permettez-moi, ma chère Miss Elisabeth, de vous souhaiter cordialement autant de félicité dans le mariage. Ma chère Charlotte et moi nous n’avons qu’une manière de voir et de penser ; il y a une ressemblance parfaite entre nos caractères et nos idées ; il semble que nous ayons été formés l’un pour l’autre.

Elisabeth ne fut pas fâchée de voir la conversation interrompue par l’arrivée de Mistriss Collins. Pauvre Charlotte ! Il étoit triste de la laisser dans une pareille société ! Mais elle l’avoit choisie de plein gré, et quoiqu’elle parût très-fâchée du départ de ses hôtes, cependant elle ne croyoit point être à plaindre ; sa maison, son ménage, sa basse-cour, sa paroisse et tout ce qui y avoit rapport, n’avoient point encore perdu de leurs charmes pour elle.

Enfin, la chaise de poste arriva, on chargea les malles, on plaça les paquets dans l’intérieur, et l’on annonça que tout étoit prêt pour le départ. Après avoir fait de très-tendres adieux à son amie, Elisabeth fut accompagnée jusqu’à la voiture par Mr. Collins. En traversant le jardin, il la pria de présenter ses respects à toute la famille de Longbourn, n’oubliant point de renouveler ses remiercîmens pour toutes les bontés qu’on avoit eues pour lui l’automne dernier, et ses complimens pour Mr. et Mistriss Gardiner, quoiqu’il ne les connût pas. Il l’aida alors à monter en voiture et rendit ensuite le même service à Maria. Il alloit fermer la portière, lorsqu’il leur rappela tout à coup, d’un air consterné, qu’elles avoient oublié de laisser quelques commissions pour les dames de Rosing. Mais, ajouta-t-il, vous voulez sûrement qu’on leur présente vos humbles respects et vos sincères remercîmens pour toute la bonté qu’elles vous ont témoignée pendant votre séjour ici ?

Elisabeth ne s’y opposant point, il permit alors qu’on fermât la portière, et la voiture partit.

— Bon Dieu ! s’écria Maria après quelques instans de silence, il semble qu’il n’y a que bien peu de jours que nous arrivions ici, et cependant que de choses se sont passées !

— Oui, en vérité, dit sa compagne en soupirant.

— Nous avons dîné neuf fois à Rosing, et nous y avons passé deux soirées ! Que de choses j’aurai à raconter !

— Que de choses j’aurai à cacher ! pensa Elisabeth.

Leur voyage se fit sans accident, et quatre heures après avoir quitté Hunsford, elles arrivèrent chez Mr. Gardiner, où elles passèrent quelques jours.