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SIMON.

49 I

Ma conscience, répondit Fiamma sans hésiter,
m’ordonne de rester ici, et de vous offrir ce fauteuil
comme une marque de respect qui vous est due. »
Jeanne Féline s’attendait si peu à cette réponse, qu’elle
resta stii|>éfaite.

Mademoiselle de Fougères n’était pas une personne
que l’on pût accuser, comme son père, de courtiser la
popularité. On lui reprochait le défaut contraire, et
Jeanne n’avait pas compris pourquoi elle était restée
mêlée à la foule depuis le commencement de la cérémonie.
Enfin son visage s’adoucit et, résistant à Fiamma qui
voulait la conduire au fauleuil, elle lui dit :

« Non pas moi il me siérait mal de prendre une place
d’hon neur devant Dieu qui connaît le fond du cœur et ses
misères. Mais voyez l la doyenne du village, celle qui a
vu quatre générations, et qui d’ordinaire a une chaise,
est ici par terre. On l’a oubliée à cause de vous aujourd’hui.
»

Mademoiselle de Fougères suivit la direction du geste
de Jeanne, et vit une femme centenaire à laquelle de
jeunes filles avaient fait une sorte de coussin avec leurs
capes de futaine. Elle s’approcha d’elle, et, avec l’aide
de madame Féline, elle l’aida à se relever et à s’installer
sur le fauteuil. La doyenne se laissa faire, ne comprenant
rien à ce qui se passait, et remerciant d’un signe
de sa tête tremblante. Mademoiselle de Fougères
se mit à genoux sur le pavé auprès de Jeanne de manière
à être entièrement cachée par le dossier du grand
fauteuil sur lequel la doyenne, qui ne remplissait plus
ses devoirs de piété que par habitude, s’assoupit doucement
au bout de quelques minutes.

Cependant le ciré, qui n’avait pas la vue très-bonne et
qui savait d’ailleurs que le regard baissé convient à la
ferveur de l’officiant, aperçut confusément une femme
coiffée de blanc sur le fauteuil. Il pensa que sa négociation
avait réussi et se mit à officier tranquillement mais
lorsqu’au moment réservé à l’explosion de son vaste
projet, après avoir descendu les trois marches de l’autel
et s’être mis à genoux pour encenser le saint-sacrement,
il se releva. traversa le chœur et s’avança vers le fautuuil
jiour rendre le même honneur à mademoiselle de
Fougèn.’S, selon les us et coutumes de l’ancicnne féodalité,
il s aperçut de sa méprise, et son bras resta suspendu
entre le ciel et la terre, tandis que toute la congrégation
des fidèles, l’œil ouvert et la bouche béante, se demandait
la cause des honneurs insolites rendus à la mèie
Matlmrin.

Le jeune curé ne perdit point la tète et, voyant que
mademoiselle de Fougères avait mis un peu d’obstination
et de malice dans cette aventure, il lui prouva
qu’elle n’aurait pas le dernier mot ; car il se retourna
vivement de l’autre côté et se mit à encenser la tribune
seigneuriale, comme pour rend, e à cette place vide les
honneurs dus au titre plus qu’à la personne. Tuut le
village resta ébahi, et il fallut plus de six mois pour
faire adopter la véritable version de cet événement aux
commentateurs exténués de recherches et de discussions.
Les parents de la mère doyenne ne manquèrent pas de
dire qu’elle avait été bénie en vertu d’un ancien usage
qui décernait cette préférence aux centenaires, et que
M. lo curé avait trouvé dans les archives de la commune.
Quant à elle, comme elle était à peu pi es aveugle et dormait
plus qu’à demi pendant qu’on lui rendait cet honneur
comme son oreille avait le bonheur d’être fermée
pour jamais à toutes les paroles humaines et à tous les
bruits de la terre, elle mourut sans savoir qu’elle avait
été encensée.

Depuis cette aventure, Jeanne Féline conçut une
haute estime pour mademoiselle de Fougères ; et, au lieu
d’éviter de parler d’elle comme elle avait fait jusqu’alors,
elle questionna mademoiselle Bonne avec intérêt
sur le caractère de sa noble amie. Bonne avait tant de
respect pour la sagesse et la prudence de sa voisine,
qu’elle se crut dispensée avec elle du secret que Fiamma
lui avait imposé. Elle lui confia tes sentiments généreux
et les vertus vraiment libérales de cette jeune fille et lui
dit le désir qu’elle avait témoigné de la connaître. Malgré

le plaisir que la bonne Féline ressentit de cet réponses,
elle se défendit de faire connaissance avec la châtelaine.
«Comment voulez-vous que cela se fasse ? répondit-elle.
Son père trouverait mauvais sans doute au fond du cœur
qu’elle vînt me voir ; et quant a moi, je ne saurais aller
demander à ses domestiques la permission de l’approcher.
J’attendrai l’occasion ; et, si je la rencontre, je lui
dirai ma satisfaction de sa conduite à l’église. Sans la
sagesse de cette enfant, M. le curé, qui est vraiment
trop léger pour un ministre du Seigneur, eût offensé la
majesté de Dieu par un vérita€Iè"scandale. »
Madame Féline étant dans ces dispositions, l’occasion
ne se fit pas attendre. Un matin que mademoiselle de
Fougères passait devant sa cabane pour aller voir mademoiselle
Parquet, elle vit Jeanne penchée sur sa petite
fenêtre à hauteur d’appui, qu’encadrait le pampre rustique.
La bonne dame était occupée à faire manger dans
sa main le milan royal.

« Bonjour, ltalia !» dit Fiamma en passant.

Malame Féline releva la tète, et, charmée de voir la
jeune fille, elle lia conversation avec elle. L’éducation et
la santé de l’oiseau étaient un sujet tout trouvé.
«Comment se fait-il que vous sachiez son nom ? demanda
Jeanne. Je ne l’ai dit à personne, car ie ne pouvais
pas m’en souvenir mais, quand vous 1 avez prononcé,
j’ai bien reconnu celui que mon fils lui donnait ;
car c’est mon fils qui l’a rapporté de la montagne.
Et qui l’a pris dans la gorge aux Hérissons, reprit
Fiamma.

Vraiment1, vous le savez ? s’écria Jeanne. Vous
l’avez donc rencontré à la chasse ?

-Et j’ai même chassé avec lui ce jour-là, répondit
mademoiselle de Fougères. J’ai encore sur les mains les
marques de courage de monsieur, ajouta-t-elle en donnant
une petite tape à l’oiseau ; et c’est M. Simon qui
nous a servi de chirurgien a tous deux.

En vérité ! Oh ! à présent, (lit madame Félino
en secouant la tète avec un sourire, je comprends l’amitié
qu’il portait à ce gourmand, et pourquoi il m’a
tant recommandé en partant d’en avoir soin. Allons l
maintenant j’en prendrai plus de souci encore ; car, si
vous êtes telle que vous semblez être je vous aime, vous
Vous ne pouvez pas me dire une chose plus agréablé,
» répondit Fiamma en portant, vivcm nt a ses lèvres
la main ridée que lui tendait Jeanne. Puis, comme si
ce mouvement impétueux eût trahi quelque secrète
pensée de son cœur, elle rougit et garda le silence. Féline
ne pouvait interpréter cette émotion elle se mit
tout de suite à lui parler du curé-et de la doyenne, de
la république et de la monarchie, de la religion, de tout
ce qui l’intéressait, et par-dessus tout de son fils. Mademoiselle
de Fougères fut étonnée du sens profond et
même de la grâce spirituelle et naïve de cet esprit supérieur,
vierge de toute corruption sociale. Elle n’avait pas
cru qu’il fùt possible de joindre si peu de culture à tant
de fonds. Ce fut pour elle un sujet d’admiration et bientôt
d’enthousiasme ; car autant Fiamma était indomptable
dans ses antipathies, autant elle était passionnée dans ses
amitiés. C’est en effet un magnifique spectacle pour une
âme tourmentée de l’amour du beau et contristée par la
vue du laid, que celui d’une organisation assez riche
pour se passer d embellissement factice et pour recevoir
tout de Dieu et a’eile-même. En peu de jours une affection
profonde, une sympathie comp.ète s établit entre Jeanne
et Fiamma. Mettant de côté l’une et l’autre les entraves
de ces considérations sociales faites pour le vulgaire,
elles se lièrent étroitement et Jeanne passa autant d’heures
dans la chambre et dans l’oratoiré de Fiamma que
celle-ci en passa dans la cabane et dans le potager rustique
de Jeanne. Mademoiselle Parquet se joignit souvent
à leurs entretiens, et sa jeune amie lui apprit à connaître
madame Féline. Jusque-là Bonne n’avait respecté en elle
qu’une solide vertu, une admirable bonté ; elle ignorait
qu’il y eùt aussi à admirer une haute intelligence, Elle
s’étonna d’abord de voir que Fiamma, avec toutes ses
lectures et toutes ses connaissances, ne s’ennuyait pas
un instant dans la compagnie d’une femme qui n’avait