« Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, 1854.djvu/144 » : différence entre les versions

Suppr. des retours à la ligne
 
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
Sicile, résolu d’y passer quelques jours chez des affiliés de sa bande, afin de laisser écouler le temps des enquêtes et des recherches autour de Catane. Il connaissait les allures de la police du pays : ardentes et farouches au premier moment, craintives et fourbes au second, ennuyées et paresseuses au troisième.
Sicile, résolu
d’y passer quelques jours chez des affiliés de sa bande, afin de laisser
écouler le temps des enquêtes et des recherches autour de Catane. Il
connaissait les allures de la police du pays : ardentes et farouches au
premier moment, craintives et fourbes au second, ennuyées et paresseuses
au troisième.


Mais l’affaire de la croix du ''Destatore'' avait ému le pouvoir plus qu’un assassinat ordinaire. Celui-là avait un caractère politique et se trouvait lié à la nouvelle du moment, la déclaration d’Agathe et l’apparition de son fils sur la scène du monde. Des ordres rapides et sévères avaient été donnés sur tous les points. Carmelo ne se trouva point en sûreté dans les montagnes, d’autant plus que son acolyte, le faux Piccinino, l’y avait rejoint, et attirait sur lui tout le danger des poursuites. Carmelo ne voulait point abandonner cet homme farouche et sanguinaire, qui lui avait donné des preuves d’un dévouement sans bornes, d’une soumission aveugle, et qui consentait à jouer son rôle jusqu’au bout avec une audace pleine d’orgueil et de persévérance.
Mais l’affaire de la croix du ''Destatore'' avait ému le pouvoir plus
qu’un assassinat ordinaire. Celui-là avait un caractère politique et se
trouvait lié à la nouvelle du moment, la déclaration d’Agathe et
l’apparition de son fils sur la scène du monde. Des ordres rapides et
sévères avaient été donnés sur tous les points. Carmelo ne se trouva
point en sûreté dans les montagnes, d’autant plus que son acolyte, le
faux Piccinino, l’y avait rejoint, et attirait sur lui tout le danger
des poursuites. Carmelo ne voulait point abandonner cet homme farouche
et sanguinaire, qui lui avait donné des preuves d’un dévouement sans
bornes, d’une soumission aveugle, et qui consentait à jouer son rôle
jusqu’au bout avec une audace pleine d’orgueil et de persévérance.


Il résolut donc de le faire évader avant de songer à sa propre sûreté. Le faux Piccinino, dont le vrai nom était ''Massari'', dit ''Verbum-Caro'', parce qu’il était natif du village de ce nom, avait une bravoure à toute épreuve, mais aussi peu d’habileté qu’un buffle en fureur. Carmelo gagna la mer avec lui, et s’occupa de trouver une barque pour le faire passer en Sardaigne. Mais, malgré la prudence qu’il apporta dans cette tentative, le pilote les trahit et les livra comme contrebandiers aux douaniers de la côte. Verbum-Caro se défendit comme un lion, et ne tomba qu’à moitié mort dans les mains de ses ennemis. Carmelo fut assez légèrement blessé, et tous deux furent conduits au premier fort pour être confiés à une brigade de ''campieri'', parmi lesquels se trouvèrent deux hommes qui reconnurent le faux Piccinino pour l’avoir vu dans un engagement sur un autre point de l’île. Ils firent leur déclaration au magistrat de Céfalù, et l’on se réjouit d’avoir mis la main sur le fameux chef de la bande redoutée. Le vrai Piccinino ne passa que pour un de ses complices, bien que Verbum-Caro protestât qu’il ne le connaissait que depuis trois jours, et que c’était un jeune pêcheur qui voulait passer avec lui en Sardaigne pour ses affaires.
Il résolut donc de le faire évader avant de songer à sa propre sûreté.
Le faux Piccinino, dont le vrai nom était ''Massari'', dit ''Verbum-Caro'',
parce qu’il était natif du village de ce nom, avait une bravoure à toute
épreuve, mais aussi peu d’habileté qu’un buffle en fureur. Carmelo gagna
la mer avec lui, et s’occupa de trouver une barque pour le faire passer
en Sardaigne. Mais, malgré la prudence qu’il apporta dans cette
tentative, le pilote les trahit et les livra comme contrebandiers aux
douaniers de la côte. Verbum-Caro se défendit comme un lion, et ne tomba
qu’à moitié mort dans les mains de ses ennemis. Carmelo fut assez
légèrement blessé, et tous deux furent conduits au premier fort pour
être confiés à une brigade de ''campieri'', parmi lesquels se trouvèrent
deux hommes qui reconnurent le faux Piccinino pour l’avoir vu dans un
engagement sur un autre point de l’île. Ils firent leur déclaration au
magistrat de Céfalù, et l’on se réjouit d’avoir mis la main sur le
fameux chef de la bande redoutée. Le vrai Piccinino ne passa que pour un
de ses complices, bien que Verbum-Caro protestât qu’il ne le connaissait
que depuis trois jours, et que c’était un jeune pêcheur qui voulait
passer avec lui en Sardaigne pour ses affaires.


Carmelo répondit avec une présence d’esprit et un talent d’imposture qui l’eussent fait relâcher dans tout autre moment ; mais les esprits étaient en émoi : on décida qu’il serait envoyé à Catane avec son dangereux compagnon pour voir son affaire éclaircie, et on les confia à une brigade de gendarmerie qui leur fit prendre la route de Catane en descendant par l’intérieur des montagnes jusqu’à la route du centre, qu’on jugeait plus sûre.
Carmelo répondit avec une présence d’esprit et un talent d’imposture qui
l’eussent fait relâcher dans tout autre moment ; mais les esprits étaient
en émoi : on décida qu’il serait envoyé à Catane avec son dangereux
compagnon pour voir son affaire éclaircie, et on les confia à une
brigade de gendarmerie qui leur fit prendre la route de Catane en
descendant par l’intérieur des montagnes jusqu’à la route du centre,
qu’on jugeait plus sûre.


Cependant, les campieri furent attaqués aux environs de Sperlinga par quelques bandits qui avaient déjà appris l’arrestation des deux Piccinino ; mais, au moment où les prisonniers allaient être délivrés, un renfort imprévu vint à l’aide des campieri, et mit les bandits en fuite. Ce fut pendant cette action que le Piccinino eut l’adresse de faire tomber à quelque distance un papier roulé autour d’un caillou qu’il tenait prêt pour la première occasion. Malacarne, qu’il avait reconnu parmi ses libérateurs, était un homme actif, intelligent et dévoué, un ancien brave de son père et un fidèle ami de Fra-Angelo. Le billet fut ramassé et porté à son adresse avec des renseignements précieux.
Cependant, les campieri furent attaqués aux environs de Sperlinga par
quelques bandits qui avaient déjà appris l’arrestation des deux
Piccinino ; mais, au moment où les prisonniers allaient être délivrés, un
renfort imprévu vint à l’aide des campieri, et mit les bandits en fuite.
Ce fut pendant cette action que le Piccinino eut l’adresse de faire
tomber à quelque distance un papier roulé autour d’un caillou qu’il
tenait prêt pour la première occasion. Malacarne, qu’il avait reconnu
parmi ses libérateurs, était un homme actif, intelligent et dévoué, un
ancien brave de son père et un fidèle ami de Fra-Angelo. Le billet fut
ramassé et porté à son adresse avec des renseignements précieux.


Dans la crainte bien fondée, comme l’on voit, d’une attaque dans les monts Nébrodes, pour la délivrance du Piccinino, les autorités de Céfalù avaient essayé de cacher l’importance de cette capture, et l’escorte des prisonniers ne s’en était pas vantée en partant. Mais ces mêmes autorités avaient dépêché un exprès à Catane pour demander qu’on envoyât un détachement de soldats suisses au-devant de l’escorte jusqu’à Sperlinga, où l’on s’arrêterait pour les attendre. Les bandits de la montagne, qui étaient aux aguets, avaient assassiné le courrier ; et, s’étant assurés, par l’examen de ses dépêches, que le prisonnier était bien leur chef, ils avaient essayé, comme on l’a vu, de l’arracher des mains de l’escorte.
Dans la crainte bien fondée, comme l’on voit, d’une attaque dans les
monts Nébrodes, pour la délivrance du Piccinino, les autorités de Céfalù
avaient essayé de cacher l’importance de cette capture, et l’escorte des
prisonniers ne s’en était pas vantée en partant. Mais ces mêmes
autorités avaient dépêché un exprès à Catane pour demander qu’on envoyât
un détachement de soldats suisses au-devant de l’escorte jusqu’à
Sperlinga, où l’on s’arrêterait pour les attendre. Les bandits de la
montagne, qui étaient aux aguets, avaient assassiné le courrier ; et,
s’étant assurés, par l’examen de ses dépêches, que le prisonnier était
bien leur chef, ils avaient essayé, comme on l’a vu, de l’arracher des
mains de l’escorte.


Le mauvais succès de cette tentative ne les avait pas rebutés. Carmelo était l’âme de leur destinée. Sa direction intelligente, son activité, l’esprit de justice tantôt sauvage, tantôt chevaleresque qui présidait à ses décisions envers eux, et un prestige énorme attaché à son nom et à sa personne, le leur rendaient aussi sacré que nécessaire. C’était l’avis unanime parmi eux, et parmi un grand nombre de montagnards, qui, sans le connaître, et sans le servir immédiatement, se trouvaient fort bien d’un échange de services avec lui et les siens, que le Piccinino mort, la profession de bandit n’était plus soutenable, et qu’il ne restait plus aux héros d’aventures qu’à se faire mendiants.
Le mauvais succès de cette tentative ne les avait pas rebutés. Carmelo
était l’âme de leur destinée. Sa direction intelligente, son activité,
l’esprit de justice tantôt sauvage, tantôt chevaleresque qui présidait à
ses décisions envers eux, et un prestige énorme attaché à son nom et à
sa personne, le leur rendaient aussi sacré que nécessaire. C’était
l’avis unanime parmi eux, et parmi un grand nombre de montagnards, qui,
sans le connaître, et sans le servir immédiatement, se trouvaient fort
bien d’un échange de services avec lui et les siens, que le Piccinino
mort, la profession de bandit n’était plus soutenable, et qu’il ne
restait plus aux héros d’aventures qu’à se faire mendiants.


Malacarne rassembla donc quelques-uns de ses compagnons près de Sperlinga, et fit parvenir aux deux Piccinino l’avis qu’ils eussent à se faire bien malades, afin de rester là le plus possible, ce qui n’était pas difficile, car Verbum-Caro était dangereusement blessé, et, dans les efforts désespérés qu’il avait faits pour rompre ses liens, au moment de l’engagement dans la montagne, il avait rouvert sa plaie et perdu encore tant de sang, qu’il avait fallu le porter jusqu’à Sperlinga. En outre, les ''campieri'' savaient qu’il était de la plus grande importance de l’amener vivant, afin qu’on pût tenter de lui arracher des révélations sur le meurtre de Ninfo et l’existence de sa bande.
Malacarne rassembla donc quelques-uns de ses compagnons près de
Sperlinga, et fit parvenir aux deux Piccinino l’avis qu’ils eussent à se
faire bien malades, afin de rester là le plus possible, ce qui n’était
pas difficile, car Verbum-Caro était dangereusement blessé, et, dans les
efforts désespérés qu’il avait faits pour rompre ses liens, au moment de
l’engagement dans la montagne, il avait rouvert sa plaie et perdu encore
tant de sang, qu’il avait fallu le porter jusqu’à Sperlinga. En outre,
les ''campieri'' savaient qu’il était de la plus grande importance de
l’amener vivant, afin qu’on pût tenter de lui arracher des révélations
sur le meurtre de Ninfo et l’existence de sa bande.


Aussitôt que Malacarne eut pris ses dispositions, il dit à ses compagnons, qui n’étaient encore qu’au nombre de huit, de se tenir prêts, et, montant sur le cheval du courrier assassiné, après l’avoir rasé de manière à le rendre méconnaissable, il traversa le pays en ligne droite, jusqu’à Bel-Passo, avertissant sur son passage tous ceux sur lesquels il pouvait compter, de s’armer également et de l’attendre au retour. Secondé par Fra-Angelo, il passa six heures sur l’Etna à rassembler d’autres bandits, et, enfin, la seconde nuit après l’arrivée des prisonniers à Sperlinga, une vingtaine d’hommes résolus et exercés à ces sortes de coups de main, se trouvaient en marche vers la forteresse ou cantonnés au pied du rocher sur lequel elle est assise.
Aussitôt que Malacarne eut pris ses dispositions, il dit à ses
compagnons, qui n’étaient encore qu’au nombre de huit, de se tenir
prêts, et, montant sur le cheval du courrier assassiné, après l’avoir
rasé de manière à le rendre méconnaissable, il traversa le pays en ligne
droite, jusqu’à Bel-Passo, avertissant sur son passage tous ceux sur
lesquels il pouvait compter, de s’armer également et de l’attendre au
retour. Secondé par Fra-Angelo, il passa six heures sur l’Etna à
rassembler d’autres bandits, et, enfin, la seconde nuit après l’arrivée
des prisonniers à Sperlinga, une vingtaine d’hommes résolus et exercés à
ces sortes de coups de main, se trouvaient en marche vers la forteresse
ou cantonnés au pied du rocher sur lequel elle est assise.


Fra-Angelo, le jeune prince de Castro-Reale et le fidèle Magnani venaient, en outre, pour diriger l’expédition, le premier en qualité de chef, car il connaissait le pays et la localité mieux que personne, ayant déjà enlevé cette bicoque en de meilleurs jours avec le ''Destatore'' ; les deux autres en qualité de lieutenants, jeunes seigneurs du bon parti, forcés de garder l’anonyme, mais riches et puissants. Ainsi parlait Fra-Angelo, qui savait bien qu’il faut à la fois du positif et de la poésie pour stimuler des hommes qui combattent contre les lois.
Fra-Angelo, le jeune prince de Castro-Reale et le fidèle Magnani
venaient, en outre, pour diriger l’expédition, le premier en qualité de
chef, car il connaissait le pays et la localité mieux que personne,
ayant déjà enlevé cette bicoque en de meilleurs jours avec le
''Destatore'' ; les deux autres en qualité de lieutenants, jeunes seigneurs
du bon parti, forcés de garder l’anonyme, mais riches et puissants.
Ainsi parlait Fra-Angelo, qui savait bien qu’il faut à la fois du
positif et de la poésie pour stimuler des hommes qui combattent contre
les lois.


Quand Fra-Angelo et ses amis quittèrent leurs montures pour s’enfoncer dans les âpres rochers de Sperlinga, ils purent compter leurs hommes, et ils apprirent qu’une vingtaine de paysans se tenaient épars à peu de distance, auxiliaires prudents qui les seconderaient aussitôt qu’ils verraient la chance se montrer favorable ; hommes vindicatifs et sanguinaires, d’ailleurs, qui avaient bien des souffrances à faire expier à l’ennemi, et qui savaient faire prompte et terrible justice quand il n’y avait pas trop de danger à courir.
Quand Fra-Angelo et ses amis quittèrent leurs montures pour s’enfoncer
dans les âpres rochers de Sperlinga, ils purent compter leurs hommes, et
ils apprirent qu’une vingtaine de paysans se tenaient épars à peu de
distance, auxiliaires prudents qui les seconderaient aussitôt qu’ils
verraient la chance se montrer favorable ; hommes vindicatifs et
sanguinaires, d’ailleurs, qui avaient bien des souffrances à faire
expier à l’ennemi, et qui savaient faire prompte et terrible justice
quand il n’y avait pas trop de danger à courir.


Néanmoins, une partie de la bande commençait à se démoraliser lorsque le moine arriva. Le lieutenant des ''campieri'', qui gardait les prisonniers, avait envoyé demander dans la journée, à ''Castro-Giovanni'', un nouveau renfort, qui devait arriver avec le jour. Cet officier s’inquiétait de ne pas voir arriver les Suisses, qu’il attendait avec impatience. L’esprit de la population ne le rassurait point. Peut-être s’était-il aperçu de quelque mouvement des bandits dans la montagne et de leurs accointances avec certaines gens de la ville. Enfin, il avait peur, ce que le moine regardait comme un gage de la victoire, et il avait donné l’ordre du départ pour le jour même, aimant mieux voir, disait-il, un misérable comme le Piccinino rendre son âme au diable sur le grand chemin, que d’exposer de braves soldats à être égorgés dans une forteresse sans porte et sans murailles.
Néanmoins, une partie de la bande commençait à se démoraliser lorsque le
moine arriva. Le lieutenant des ''campieri'', qui gardait les prisonniers,
avait envoyé demander dans la journée, à ''Castro-Giovanni'', un nouveau
renfort, qui devait arriver avec le jour. Cet officier s’inquiétait de
ne pas voir arriver les Suisses, qu’il attendait avec impatience.
L’esprit de la population ne le rassurait point. Peut-être s’était-il
aperçu de quelque mouvement des bandits dans la montagne et de leurs
accointances avec certaines gens de la ville. Enfin, il avait peur, ce
que le moine regardait comme un gage de la victoire, et il avait donné
l’ordre du départ pour le jour même, aimant mieux voir, disait-il, un
misérable comme le Piccinino rendre son âme au diable sur le grand
chemin, que d’exposer de braves soldats à être égorgés dans une
forteresse sans porte et sans murailles.


Peut-être cet officier savait-il assez de latin pour avoir
Peut-être cet officier savait-il assez de latin pour avoir