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{{tiret2|remar|quables.}} Sa main était longue et sèche,
{{tiret2|remar|quables.}} Sa main était longue et sèche, mais blanche comme l’albâtre, et chargée de bagues de tous les pays du monde. Elle possédait une certaine grâce qui imposait à beaucoup de gens. Enfin, elle avait ce qu’on peut appeler une beauté artificielle.
mais blanche comme l’albâtre, et chargée de bagues de tous les pays du
monde. Elle possédait une certaine grâce qui imposait à beaucoup de
gens. Enfin, elle avait ce qu’on peut appeler une beauté artificielle.


La vicomtesse de Chailly n’avait jamais eu d’esprit ; mais elle voulait absolument en avoir, et elle faisait croire qu’elle en avait. Elle disait le dernier des lieux communs avec une distinction parfaite, et le plus absurde des paradoxes avec un calme stupéfiant. Et puis elle avait un procédé infaillible pour s’emparer de l’admiration et des hommages : elle était d’une flagornerie impudente avec tous ceux qu’elle voulait s’attacher, d’une causticité impitoyable pour tous ceux qu’elle voulait leur sacrifier. Froide et moqueuse, elle jouait l’enthousiasme et la sympathie avec assez d’art pour captiver de bons esprits accessibles à un peu de vanité. Elle se piquait de savoir, d’érudition et d’excentricité. Elle avait lu un peu de tout, même de la politique et de la philosophie ; et vraiment c’était curieux de l’entendre répéter, comme venant d’elle, à des ignorants ce qu’elle avait appris le matin dans un livre ou entendu dire la veille à quelque homme grave. Enfin, elle avait ce qu’on peut appeler une intelligence artificielle.
La vicomtesse de Chailly n’avait jamais eu d’esprit ; mais elle voulait
absolument en avoir, et elle faisait croire qu’elle en avait. Elle
disait le dernier des lieux communs avec une distinction parfaite, et le
plus absurde des paradoxes avec un calme stupéfiant. Et puis elle avait
un procédé infaillible pour s’emparer de l’admiration et des hommages :
elle était d’une flagornerie impudente avec tous ceux qu’elle voulait
s’attacher, d’une causticité impitoyable pour tous ceux qu’elle voulait
leur sacrifier. Froide et moqueuse, elle jouait l’enthousiasme et la
sympathie avec assez d’art pour captiver de bons esprits accessibles
à un peu de vanité. Elle se piquait de savoir, d’érudition et
d’excentricité. Elle avait lu un peu de tout, même de la politique et de
la philosophie ; et vraiment c’était curieux de l’entendre répéter, comme
venant d’elle, à des ignorants ce qu’elle avait appris le matin dans un
livre ou entendu dire la veille à quelque homme grave. Enfin, elle avait
ce qu’on peut appeler une intelligence artificielle.


La vicomtesse de Chailly était issue d’une famille de financiers qui avait acheté ses titres sous la régence ; mais elle voulait passer pour bien née, et portait des couronnes et des écussons jusque sur le manche de ses éventails. Elle était d’une morgue insupportable avec les jeunes femmes, et ne pardonnait pas à ses amis de faire des mariages d’argent. Du reste, elle accueillait assez bien les jeunes gens de lettres et les artistes. Elle tranchait avec eux de la patricienne tout à son aise, affectant devant eux seulement de ne faire cas que du mérite. Enfin, elle avait une noblesse artificielle, comme tout le reste, comme ses dents, comme son sein, et comme son cœur.
La vicomtesse de Chailly était issue d’une famille de financiers qui
avait acheté ses titres sous la régence ; mais elle voulait passer pour
bien née, et portait des couronnes et des écussons jusque sur le manche
de ses éventails. Elle était d’une morgue insupportable avec les jeunes
femmes, et ne pardonnait pas à ses amis de faire des mariages d’argent.
Du reste, elle accueillait assez bien les jeunes gens de lettres et les
artistes. Elle tranchait avec eux de la patricienne tout à son aise,
affectant devant eux seulement de ne faire cas que du mérite. Enfin,
elle avait une noblesse artificielle, comme tout le reste, comme ses
dents, comme son sein, et comme son cœur.


Ces femmes-là sont plus nombreuses qu’on ne pense dans le monde, et
Ces femmes-là sont plus nombreuses qu’on ne pense dans le monde, et qui en a vu une les a toutes vues. Horace joignait au plaisir de la nouveauté une ingénuité si complète, qu’il prit au sérieux la vicomtesse à la première parole, et que la tête lui en tourna.
qui on a vu une les a toutes vues. Horace joignait au plaisir de la
nouveauté une ingénuité si complète, qu’il prit au sérieux la vicomtesse
à la première parole, et que la tête lui en tourna.


« Mon cher, c’est une femme adorable ! me disait-il en revenant le soir dans les longues rues désertes du faubourg Saint-Germain ; c’est un esprit, une grâce, un je ne sais quoi qui n’a pas de nom pour moi, mais qui me pénètre comme un parfum. Quel bijou précieux qu’une femme ainsi travaillée, ainsi façonnée à plaire par de longues études ! Tu appelles cela de la coquetterie ? Soit ! va pour la coquetterie ! C’est bien beau et bien aimable, dans tous les cas. C’est toute une science, cela, et une science au profit des autres. Je ne sais vraiment pas pourquoi l’on médit des coquettes : une femme qui est occupée d’un autre soin que celui de plaire n’est plus une femme à mes yeux. Certainement, voici la première femme véritable que je rencontre.
« Mon cher, c’est une femme adorable ! me disait-il en revenant le soir
dans les longues rues désertes du faubourg Saint-Germain ; c’est un
esprit, une grâce, un je ne sais quoi qui n’a pas de nom pour moi, mais
qui me pénètre comme un parfum. Quel bijou précieux qu’une femme ainsi
travaillée, ainsi façonnée à plaire par de longues études ! Tu appelles
cela de la coquetterie ? Soit ! va pour la coquetterie ! C’est bien beau et
bien aimable, dans tous les cas. C’est toute une science, cela, et une
science au profit des autres. Je ne sais vraiment pas pourquoi l’on
médit des coquettes : une femme qui est occupée d’un autre soin que
celui de plaire n’est plus une femme à mes yeux. Certainement, voici la
première femme véritable que je rencontre.


— Il y a pourtant des hommes à qui la vicomtesse déplaît, et, pour mon
— Il y a pourtant des hommes à qui la vicomtesse déplaît, et, pour mon compte…
compte…


— C’est qu’elle veut déplaire à ces hommes-là : elle ne les trouve pas
— C’est qu’elle veut déplaire à ces hommes-là : elle ne les trouve pas dignes de la moindre attention. Elle a du discernement.
dignes de la moindre attention. Elle a du discernement.


— Grand merci de l’application, » repris-je. Il ne m’entendit même pas ;
— Grand merci de l’application, » repris-je. Il ne m’entendit même pas ; il avait la cervelle remplie de la vicomtesse. Il ne se gêna pas pour en parler devant Marthe le lendemain, et dit contre les femmes simples et sévères des choses si dures, qu’elle en fut offensée et alla travailler dans une autre chambre.
il avait la cervelle remplie de la vicomtesse. Il ne se gêna pas pour en
parler devant Marthe le lendemain, et dit contre les femmes simples et
sévères des choses si dures, qu’elle en fut offensée et alla travailler
dans une autre chambre.


« Cela marche à merveille, me dit tout bas Eugénie ; l’épreuve a réussi
« Cela marche à merveille, me dit tout bas Eugénie ; l’épreuve a réussi mieux que je n’espérais. Il a pris feu comme un brin de paille ; j’espère que Marthe est guérie. »
mieux que je n’espérais. Il a pris feu comme un brin de paille ; j’espère
que Marthe est guérie. »


Arsène vint, et trouva Marthe plus affectueuse et plus gaie que de
Arsène vint, et trouva Marthe plus affectueuse et plus gaie que de coutume, quoiqu’elle souffrît horriblement. Il nous annonça que sa présence au café Poisson n’étant plus nécessaire, il changeait de condition.
coutume, quoiqu’elle souffrît horriblement. Il nous annonça que sa
présence au café Poisson n’étant plus nécessaire, il changeait de
condition.


« Ah ! ah ! lui dit Horace, vous allez reprendre la peinture ?
« Ah ! ah ! lui dit Horace, vous allez reprendre la peinture ?


— Peut-être le ferai-je plus tard, répondit le Masaccio ; mais pas maintenant. Mes sœurs n’ont pas encore assez d’ouvrage assuré pour l’année. Est-ce que vous ne pourriez pas me faire placer quelque part comme employé, pour tenir une comptabilité quelconque ? dans une régie de théâtre, dans une administration d’omnibus, que sais-je ? Vous avez des connaissances, vous autres !
— Peut-être le ferai-je plus tard, répondit le Masaccio ; mais pas
maintenant. Mes sœurs n’ont pas encore assez d’ouvrage assuré pour
l’année. Est-ce que vous ne pourriez pas me faire placer quelque part
comme employé, pour tenir une comptabilité quelconque ? dans une régie de
théâtre, dans une administration d’omnibus, que sais-je ? Vous avez des
connaissances, vous autres !


— Mon cher, dit Horace, vous n’écrivez ni assez bien ni assez vite. Et
— Mon cher, dit Horace, vous n’écrivez ni assez bien ni assez vite. Et puis, savez-vous la tenue des livres ?
puis, savez-vous la tenue des livres ?


— J’apprendrai, dit Arsène.
— J’apprendrai, dit Arsène.


— Il ne doute de rien, dit Horace. Moi, si j’ai un conseil à vous donner, c’est de persévérer dans la condition que vous venez d’essayer ; vous vous en acquittez fort bien. Seulement vous avez un peu de fatigue. Servez dans une bonne maison, au lieu de servir dans un café ; vous gagnerez beaucoup, et vous ne travaillerez guère. Si Théophile le veut, il peut vous placer chez quelque grand seigneur, ou seulement chez quelque brave dame du faubourg Saint-Germain. Est-ce que la comtesse ne le prendrait pas pour domestique, si tu le lui recommandais ? Réponds donc, Théophile !
— Il ne doute de rien, dit Horace. Moi, si j’ai un conseil à vous
donner, c’est de persévérer dans la condition que vous venez d’essayer ;
vous vous en acquittez fort bien. Seulement vous avez un peu de fatigue.
Servez dans une bonne maison, au lieu de servir dans un café ; vous
gagnerez beaucoup, et vous ne travaillerez guère. Si Théophile le veut,
il peut vous placer chez quelque grand seigneur, ou seulement chez
quelque brave dame du faubourg Saint-Germain. Est-ce que la comtesse ne
le prendrait pas pour domestique, si tu le lui recommandais ? Réponds
donc, Théophile !


— C’est assez de domesticité comme cela, répondit Arsène, qui comprenait
— C’est assez de domesticité comme cela, répondit Arsène, qui comprenait fort bien l’intention qu’avait Horace de le rabaisser aux yeux de Marthe ; j’y reviendrai si je ne puis trouver mieux. Mais puisque c’est un état qu’on méprise…
fort bien l’intention qu’avait Horace de le rabaisser aux yeux de
Marthe ; j’y reviendrai si je ne puis trouver mieux. Mais puisque c’est
un état qu’on méprise…


— Qu’est-ce qui se permet de le mépriser ? s’écria Louison tout en feu,
— Qu’est-ce qui se permet de le mépriser ? s’écria Louison tout en feu, en suivant la direction involontaire qu’avait prise le regard de Paul ; est-ce que c’est vous, Marton, qui méprisez mon frère ?
en suivant la direction involontaire qu’avait prise le regard de Paul ;
est-ce que c’est vous, Marton, qui méprisez mon frère ?


— Cousez donc ! dit le Masaccio à Louison d’un ton sévère, pour faire
— Cousez donc ! dit le Masaccio à Louison d’un ton sévère, pour faire baisser ses yeux menaçants levés sur Marthe.
baisser ses yeux menaçants levés sur Marthe.


— Mais enfin, reprit-elle, je trouve un peu drôle qu’on te méprise :
— Mais enfin, reprit-elle, je trouve un peu drôle qu’on te méprise : je ne sais pas où on prend ce droit-là, et je ne vois pas en quoi mademoiselle Marton… »
je ne sais pas où on prend ce droit-là, et je ne vois pas en quoi
mademoiselle Marton… »


Marthe regarda Arsène d’un air triste, et lui tendit la main pour
Marthe regarda Arsène d’un air triste, et lui tendit la main pour l’apaiser. Il était prêt à éclater contre sa sœur.
l’apaiser. Il était prêt à éclater contre sa sœur.


« Elle est folle, » dit-il en haussant les épaules, et il s’assit auprès
« Elle est folle, » dit-il en haussant les épaules, et il s’assit auprès de Marthe en tournant le dos à Louison, dont les yeux se remplirent de larmes.
de Marthe en tournant le dos à Louison, dont les yeux se remplirent de
larmes.


« C’est qu’aussi c’est indigne ! s’écria-t-elle aussitôt qu’il fut parti.
« C’est qu’aussi c’est indigne ! s’écria-t-elle aussitôt qu’il fut parti. Voyez-vous, monsieur Théophile, je ne peux pas supporter cela de sang-froid. Mademoiselle Marthe et M. Horace, qui s’entendent fort bien, je vous assure, ne font pas autre chose que de ''déconsidérer'' mon frère.
Voyez-vous, monsieur Théophile, je ne peux pas supporter cela de
sang-froid. Mademoiselle Marthe et M. Horace, qui s’entendent fort bien,
je vous assure, ne font pas autre chose que de ''déconsidérer'' mon frère.


— Vous êtes folle, répliqua Eugénie, et votre frère, qui vous l’a dit,
— Vous êtes folle, répliqua Eugénie, et votre frère, qui vous l’a dit, vous connaît bien. Jamais Marthe n’a dit un mot de Paul qui ne fût à son honneur et à sa louange.
vous connaît bien. Jamais Marthe n’a dit un mot de Paul qui ne fût à son
honneur et à sa louange.


— Je ne suis pas folle, s’écria Louison en sanglotant, et je veux que vous me jugiez tous. Je ne l’aurais pas dit devant lui, de crainte d’amener une querelle ; mais puisqu’il n’est plus là, et que voici les coupables (elle désignait alternativement Marthe, qui l’écoutait avec une pitié douloureuse, et Horace, qui, le dos étendu sur la commode et les jambes sur le dossier d’une chaise, ne daignait pas l’interrompre), je dirai ce que j’ai entendu, pas plus tard qu’avant-hier, lorsque ''monsieur'' et ''madame'' causaient en tête-à-tête, comme ça leur arrive assez souvent, Dieu merci ! elle dans une chambre, nous dans l’autre ; avec ça que c’est commode pour s’entendre sur l’ouvrage ! On va, on vient, ça promène ; et, comme dit cet autre, les amoureux ont du temps à perdre.
— Je ne suis pas folle, s’écria Louison en sanglotant, et je veux que
vous me jugiez tous. Je ne l’aurais pas dit devant lui, de crainte
d’amener une querelle ; mais puisqu’il n’est plus là, et que voici les
coupables (elle désignait alternativement Marthe, qui l’écoutait avec
une pitié douloureuse, et Horace, qui, le dos étendu sur la commode et
les jambes sur le dossier d’une chaise, ne daignait pas l’interrompre),
je dirai ce que j’ai entendu, pas plus tard qu’avant-hier, lorsque
''monsieur'' et ''madame'' causaient en tête-à-tête, comme ça leur arrive
assez souvent, Dieu merci ! elle dans une chambre, nous dans l’autre ;
avec ça que c’est commode pour s’entendre sur l’ouvrage ! On va, on
vient, ça promène ; et, comme dit cet autre, les amoureux ont du temps à
perdre.


— Charmant ! charmant ! dit Horace en se soulevant sur son coude et en
— Charmant ! charmant ! dit Horace en se soulevant sur son coude et en la regardant avec un calme plein de mépris : eh bien, poursuivez, fille d’Hérodias ! Je verrai ensuite à vous donner ma tête sur un plat pour votre souper. Qu’ai-je dit ? voyons, parlez donc, puisque vous écoutez aux portes.
la regardant avec un calme plein de mépris : eh bien, poursuivez, fille
d’Hérodias ! Je verrai ensuite à vous donner ma tête sur un plat pour
votre souper. Qu’ai-je dit ? voyons, parlez donc, puisque vous écoutez
aux portes.


— Oui, que j’écoute aux portes quand j’entends le nom de mon frère ! Et
— Oui, que j’écoute aux portes quand j’entends le nom de mon frère ! Et vous disiez comme cela que c’était bien dommage qu’il se fût fait valet, et qu’il était perdu. Et mademoiselle Marton, au lieu de vous traiter comme
vous disiez comme cela que c’était bien dommage qu’il se fût fait valet,
et qu’il était perdu. Et mademoiselle Marton, au lieu de vous
traiter comme