« Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 4, 1853.djvu/110 » : différence entre les versions

mAucun résumé des modifications
 
État de la page (Qualité des pages)État de la page (Qualité des pages)
-
Page non corrigée
+
Page corrigée
En-tête (noinclude) :En-tête (noinclude) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{nr||CORA.|107|b=<hr/>}}
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance envers le ciel.
insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance envers le ciel.


Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j’eus honte de la joie que je venais d’éprouver ; car, après les ferventes prières que j’avais adressées à Dieu et au médecin pour être délivré de la vie, c’était une inconséquence sans pareille que d’en accepter le retour sans colère et sans amertume. Je me mis donc à répandre des larmes. La jeunesse est si riche en émotions de tout genre, qu’il lui est possible de se torturer elle-même en dépit de la force de l’espoir, de la poésie, de tous les bienfaits dont l’a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d’avoir été plus sage que moi, et de n avoir pas permis qu’un amour bizarre et presque imaginaire me conduisît au tombeau. Puis je me résignai et j’acceptai la volonté de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait à jouir encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de l’affection de mes proches.
Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j’eus honte de la joie que je venais d’éprouver ; car, après les ferventes prières que j’avais adressées à Dieu et au médecin pour être délivré de la vie, c’était une inconséquence sans pareille que d’en accepter le retour sans colère et sans amertume. Je me mis donc à répandre des larmes. La jeunesse est si riche en émotions de tout genre, qu’il lui est possible de se torturer elle-même en dépit de la force de l’espoir, de la poésie, de tous les bienfaits dont l’a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d’avoir été plus sage que moi, et de n’avoir pas permis qu’un amour bizarre et presque imaginaire me conduisît au tombeau. Puis je me résignai et j’acceptai la volonté de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait à jouir encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de l’affection de mes proches.


Quand je fus assez fort pour me lever, je m’approchai de la fenêtre avec un inexprimable serrement de cœur. Cora était là ; elle lisait. Elle était toujours belle, toujours pâle, toujours seule. J’eus un sentiment de joie. Elle m’était donc rendue, ma fée aux yeux verts ; ma belle rêveuse solitaire ! Je pourrais la contempler encore et nourrir en secret cette passion extatique que le regard d’un rival m’avait forcé de refouler si longtemps ! Tout à coup elle releva sa tête brune, et ses yeux, errant au hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu’elle allait fuir comme à l’ordinaire. Mais, ô transport ! elle ne s’enfuit point. Au contraire, elle m’adressa un salut plein de politesse et de douceur, puis elle reporta son attention sur son livre, et resta sous mes yeux absolument indifférente à l’assiduité de mes regards ; mais du moins elle resta.
Quand je fus assez fort pour me lever, je m’approchai de la fenêtre avec un inexprimable serrement de cœur. Cora était là ; elle lisait. Elle était toujours belle, toujours pâle, toujours seule. J’eus un sentiment de joie. Elle m’était donc rendue, ma fée aux yeux verts ; ma belle rêveuse solitaire ! Je pourrais la contempler encore et nourrir en secret cette passion extatique que le regard d’un rival m’avait forcé de refouler si longtemps ! Tout à coup elle releva sa tête brune, et ses yeux, errant au hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu’elle allait fuir comme à l’ordinaire. Mais, ô transport ! elle ne s’enfuit point. Au contraire, elle m’adressa un salut plein de politesse et de douceur, puis elle reporta son attention sur son livre, et resta sous mes yeux absolument indifférente à l’assiduité de mes regards ; mais du moins elle resta.
Ligne 11 : Ligne 11 :
Troublé, palpitant, plein d’espoir et de terreur, je restais le front caché dans mes mains, n’osant plus montrer mon visage, lorsqu’une voix s’éleva dans le silence de la rue, et, montant vers moi, m’adressa ces douces paroles :
Troublé, palpitant, plein d’espoir et de terreur, je restais le front caché dans mes mains, n’osant plus montrer mon visage, lorsqu’une voix s’éleva dans le silence de la rue, et, montant vers moi, m’adressa ces douces paroles :


— Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure ?
— Il paraît, Monsieur, que votre santé est meilleure ?


Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains ; je regardai Cora, je ne pouvais en croire mes oreilles, d’autant plus que la voix était un peu rude, un peu mâle, et que je m’étais toujours imaginé la voix de Cora plus douce que celle de la brise d’avril caressant les fleurs naissantes. Mais comme je la contemplais d’un air éperdu, elle réitéra sa question dans des termes dont la douceur me fit oublier l’accent un peu indigène et le timbre un peu vigoureux de sa voix.
Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains ; je regardai Cora, je ne pouvais en croire mes oreilles, d’autant plus que la voix était un peu rude, un peu mâle, et que je m’étais toujours imaginé la voix de Cora plus douce que celle de la brise d’avril caressant les fleurs naissantes. Mais comme je la contemplais d’un air éperdu, elle réitéra sa question dans des termes dont la douceur me fit oublier l’accent un peu indigène et le timbre un peu vigoureux de sa voix.
Ligne 39 : Ligne 39 :
Puis, comme j’insistais sur l’avantage d’avoir la façade de son logis exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel et par la beauté de son âme, dit à son père :
Puis, comme j’insistais sur l’avantage d’avoir la façade de son logis exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel et par la beauté de son âme, dit à son père :


— Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord doit encore être assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être, si vous lui proposiez de venir s’asseoir une heure ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir le soleil en face ?
— Au fait, la chambre de {{M.|Georges}} exposée au nord doit encore être assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être, si vous lui proposiez de venir s’asseoir une heure ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir le soleil en face ?


Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas quelques mots qui semblèrent frapper vivement l’épicier.
Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas quelques mots qui semblèrent frapper vivement l’épicier.


— C’est bien, ma fille, s’écria-t-il d’un ton jovial Vous plairait-il, monsieur Georges, d’accepter une chaise à côté de ma Cora ?
— C’est bien, ma fille, s’écria-t-il d’un ton jovial. Vous plairait-il, monsieur Georges, d’accepter une chaise à côté de ma Cora ?


— Ô mon Dieu ! pensai-je, si c’est un rêve, faites que je ne m’éveille point.
— Ô mon Dieu ! pensai-je, si c’est un rêve, faites que je ne m’éveille point.
Ligne 51 : Ligne 51 :
Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour aider son père à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là je me sentais la force d’aller vers elle ; mais dès qu’elle toucha mon bras, dès que sa main longue et blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je perdis le sentiment de mon bonheur pour l’avoir senti trop vivement.
Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour aider son père à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là je me sentais la force d’aller vers elle ; mais dès qu’elle toucha mon bras, dès que sa main longue et blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je perdis le sentiment de mon bonheur pour l’avoir senti trop vivement.


Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous dorés, qui, depuis cinquante ans, servait de trône au patriarcal épicier. Sa digne compagne me frottait les tempes avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora, tenait sous mes narines son mouchoir imbibé d’alcool. Je faillis m’évanouir de nouveau ; je voulus remercier, mais je n’avais pas d’expressions pour peindre ma gratitude ; pourtant, dans un moment où l’épicier, me voyant mieux, se retirait, et ou sa femme passait dans l’arrière-boutique pour me chercher un verre d’eau de réglisse, je dis à Cora en levant sur elle mon œil languissant :
Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous dorés, qui, depuis cinquante ans, servait de trône au patriarcal épicier. Sa digne compagne me frottait les tempes avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora, tenait sous mes narines son mouchoir imbibé d’alcool. Je faillis m’évanouir de nouveau ; je voulus remercier, mais je n’avais pas d’expressions pour peindre ma gratitude ; pourtant, dans un moment où l’épicier, me voyant mieux, se retirait, et sa femme passait dans l’arrière-boutique pour me chercher un verre d’eau de réglisse, je dis à Cora en levant sur elle mon œil languissant :