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— Oui, mon ami, le mien.
— Oui, mon ami, le mien.


— Mais n’est-ce pas un peu de votre faute ? Pourquoi ordonniez-vous à ce
— Mais n’est-ce pas un peu de votre faute ? Pourquoi ordonniez-vous à ce pauvre jeune homme de rester un an sans entendre parler de vous ?
pauvre jeune homme de rester un an sans entendre parler de vous ?


— Comment ! il vous a donc fait lire ma lettre ?
— Comment ! il vous a donc fait lire ma lettre ?


— Oh ! non ! il est assez méfiant et cachottier, allez ! Mais je l’ai tant
— Oh ! non ! il est assez méfiant et cachottier, allez ! Mais je l’ai tant questionné, tant obsédé, tant deviné, qu’il a été forcé de m’avouer que je ne me trompais guère. Ah dame ! voyez-vous, madame Marcelle, je suis très-curieux des secrets de ceux que j’aime, moi, parce que, tant qu’on ne sait pas ce qu’ils pensent, on ne sait pas comment les servir. Ai-je tort ?
questionné, tant obsédé, tant deviné, qu’il a été forcé de m’avouer que
je ne me trompais guère. Ah dame ! voyez-vous, madame Marcelle, je suis
très-curieux des secrets de ceux que j’aime, moi, parce que, tant qu’on
ne sait pas ce qu’ils pensent, on ne sait pas comment les servir. Ai-je
tort ?


— Non, ami, je suis bien aise que vous ayez mes secrets comme j’ai les
— Non, ami, je suis bien aise que vous ayez mes secrets comme j’ai les vôtres. Mais, hélas ! quelle que soit ici votre bonne volonté et votre bon cœur, vous ne pouvez rien pour moi. Répondez-moi, pourtant. Ce jeune homme ne vous a-t-il transmis aucune réponse ni par écrit, ni verbalement ?
vôtres. Mais, hélas ! quelle que soit ici votre bonne volonté et votre
bon cœur, vous ne pouvez rien pour moi. Répondez-moi, pourtant. Ce
jeune homme ne vous a-t-il transmis aucune réponse ni par écrit, ni
verbalement ?


— Il vous a écrit ce matin un tas de billevesées dont je n’ai pas voulu
— Il vous a écrit ce matin un tas de billevesées dont je n’ai pas voulu me charger.
me charger.


— Vous m’avez rendu un mauvais service ! Ainsi, je ne puis savoir ses
— Vous m’avez rendu un mauvais service ! Ainsi, je ne puis savoir ses intentions ?
intentions ?


— Il n’a su me dire que ceci : « Je l’aime, ''mais'' j’ai du courage ! »
— Il n’a su me dire que ceci : « Je l’aime, ''mais'' j’ai du courage ! »
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— Ce matin, dites-vous ? Vous n’avez donc quitté la ville que ce matin ?
— Ce matin, dites-vous ? Vous n’avez donc quitté la ville que ce matin ?


— J’ai voulu dire hier soir. Il était tard, et nous prenons, nous
— J’ai voulu dire hier soir. Il était tard, et nous prenons, nous autres, le matin dès minuit.
autres, le matin dès minuit.


— Mon Dieu ! qu’est-ce à dire ? Pourquoi pas de lettre ? Vous avez donc vu
— Mon Dieu ! qu’est-ce à dire ? Pourquoi pas de lettre ? Vous avez donc vu celle qu’il m’écrivait ?
celle qu’il m’écrivait ?


— Un peu ! il en a déchiré quatre.
— Un peu ! il en a déchiré quatre.
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— Mais que disaient ces lettres ? Il était donc bien irrésolu ?
— Mais que disaient ces lettres ? Il était donc bien irrésolu ?


— Tantôt il vous disait qu’il ne pouvait jamais vous revoir, tantôt
— Tantôt il vous disait qu’il ne pouvait jamais vous revoir, tantôt qu’il allait venir vous voir tout de suite.
qu’il allait venir vous voir tout de suite.


— Et il a résisté à cette dernière tentation ? Il a bien du courage, en
— Et il a résisté à cette dernière tentation ? Il a bien du courage, en effet !
effet !


— Ah ! écoutez donc ! il a été tenté plus que saint Antoine ; mais, d’une
— Ah ! écoutez donc ! il a été tenté plus que saint Antoine ; mais, d’une part, je l’en détournais ; de l’autre, il craignait de vous désobéir ?
part, je l’en détournais ; de l’autre, il craignait de vous désobéir ?


— Et que pensez-vous d’un amant qui ne sait pas désobéir ?
— Et que pensez-vous d’un amant qui ne sait pas désobéir ?
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— Je pense qu’il aime trop, et qu’on ne lui en saura aucun gré.
— Je pense qu’il aime trop, et qu’on ne lui en saura aucun gré.


— Je suis injuste, n’est-ce pas, mon cher Grand-Louis ? je suis trop
— Je suis injuste, n’est-ce pas, mon cher Grand-Louis ? je suis trop émue, je ne sais ce que je dis. Mais pourquoi, vous, ami, l’avez-vous détourné de vous suivre ? Car il en a eu la pensée ?
émue, je ne sais ce que je dis. Mais pourquoi, vous, ami, l’avez-vous
détourné de vous suivre ? Car il en a eu la pensée ?


— Oh ! je crois bien ! Il a même fait un bout de chemin sur ma charrette.
— Oh ! je crois bien ! Il a même fait un bout de chemin sur ma charrette. Mais moi, excusez ! j’avais trop peur de vous mécontenter.
Mais moi, excusez ! j’avais trop peur de vous mécontenter.


— Vous aimez, et vous croyez les autres si sévères ?
— Vous aimez, et vous croyez les autres si sévères ?


— Dame ! qu’auriez-vous dit si je l’avais amené dans la Vallée-Noire ? Par
— Dame ! qu’auriez-vous dit si je l’avais amené dans la Vallée-Noire ? Par exemple, dans ce moment-ci… si je vous disais que je l’ai engagé à se cacher dans mon moulin ! Ah ! pour le coup, vous me traiteriez comme je le mériterais !
exemple, dans ce moment-ci… si je vous disais que je l’ai engagé à se
cacher dans mon moulin ! Ah ! pour le coup, vous me traiteriez comme je le
mériterais !


— Louis ! dit Marcelle en se levant d’un air de résolution exaltée, il
— Louis ! dit Marcelle en se levant d’un air de résolution exaltée, il est ici. Vous en convenez !
est ici. Vous en convenez !


— Non pas, Madame ; c’est vous qui me faites dire cela.
— Non pas, Madame ; c’est vous qui me faites dire cela.


— Mon ami, reprit-elle en lui prenant la main avec effusion, dites-moi
— Mon ami, reprit-elle en lui prenant la main avec effusion, dites-moi où il est, et je vous pardonne.
où il est, et je vous pardonne.


— Et si cela était, dit le meunier un peu effrayé de la spontanéité de
— Et si cela était, dit le meunier un peu effrayé de la spontanéité de Marcelle, mais enthousiasmé de sa franchise, vous ne craindriez donc pas de faire jaser sur votre compte ?
Marcelle, mais enthousiasmé de sa franchise, vous ne craindriez donc pas
de faire jaser sur votre compte ?


— Quand il me quittait volontairement et que j’avais l’esprit abattu,
— Quand il me quittait volontairement et que j’avais l’esprit abattu, je pouvais songer au monde, prévoir des dangers, me créer des devoirs rigides, exagérés peut-être ; mais quand il revient vers moi, quand il est si près d’ici, à quoi voulez-vous que je songe, et que voulez-vous que je craigne ?
je pouvais songer au monde, prévoir des dangers, me créer des devoirs
rigides, exagérés peut-être ; mais quand il revient vers moi, quand il
est si près d’ici, à quoi voulez-vous que je songe, et que voulez-vous
que je craigne ?


— Il faut pourtant craindre que quelque imprudence ne rende vos projets
— Il faut pourtant craindre que quelque imprudence ne rende vos projets plus malaisés à exécuter, dit Grand-Louis en faisant un geste pour indiquer à Marcelle la fenêtre au-dessus de sa tête.
plus malaisés à exécuter, dit Grand-Louis en faisant un geste pour
indiquer à Marcelle la fenêtre au-dessus de sa tête.


Marcelle leva les yeux et rencontra ceux de Lémor, qui, palpitant et
Marcelle leva les yeux et rencontra ceux de Lémor, qui, palpitant et penché vers elle, était prêt à sauter du haut du toit pour abréger la distance.
penché vers elle, était prêt à sauter du haut du toit pour abréger la
distance.


Mais le meunier toussa de toute sa force, et d’un autre geste, indiquant
Mais le meunier toussa de toute sa force, et d’un autre geste, indiquant aux deux amants Rose qui s’approchait avec la meunière et le petit Édouard :
aux deux amants Rose qui s’approchait avec la meunière et le petit
Édouard :


— Oui, Madame, dit-il en élevant la voix, un moulin comme ça rapporte
— Oui, Madame, dit-il en élevant la voix, un moulin comme ça rapporte peu ; mais si je pouvais tant seulement y établir une grande meule que j’ai dans la tête, il me rapporterait bien… huit cents bons francs par an !…<section end="xxii" /><section begin="xxiii" />
peu ; mais si je pouvais tant seulement y établir une grande meule que
j’ai dans la tête, il me rapporterait bien… huit cents bons francs par
an !…


{{T2|XXIII.}}


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Le regard des deux amants avait été brûlant et rapide. Un calme souverain succéda à cette commotion. Ils s’aimaient, ils étaient sûrs l’un de l’autre. Ils s’étaient tout dit, tout expliqué, tout persuadé mutuellement dans le choc électrique de ce regard. Lémor se jeta au fond du grenier, et Marcelle, maîtresse d’elle-même parce qu’elle se sentait heureuse, accueillit Rose sans trouble et sans regret. Elle se laissa emmener dans le délicieux taillis voisin, et après une heure de promenade elle remonta à cheval avec sa compagne, et reprit le chemin de Blanchemont, après avoir dit tout bas au meunier :

{{T3|CADOCHE.|XXIII.}}



Le regard des deux amants avait été brûlant et rapide. Un calme
souverain succéda à cette commotion. Ils s’aimaient, ils étaient sûrs
l’un de l’autre. Ils s’étaient tout dit, tout expliqué, tout persuadé
mutuellement dans le choc électrique de ce regard. Lémor se jeta au fond
du grenier, et Marcelle, maîtresse d’elle-même parce qu’elle se sentait
heureuse, accueillit Rose sans trouble et sans regret. Elle se laissa
emmener dans le délicieux taillis voisin, et après une heure de
promenade elle remonta à cheval avec sa compagne, et reprit le chemin de
Blanchemont, après avoir dit tout bas au meunier :


— Cachez-le bien, je reviendrai.
— Cachez-le bien, je reviendrai.


— Non, non, pas trop tôt, avait répondu Grand-Louis. J’arrangerai une
— Non, non, pas trop tôt, avait répondu Grand-Louis. J’arrangerai une entrevue sans dangers ; mais laissez-moi prendre mes mesures. Je vous reconduirai votre fils ce soir, et je vous parlerai encore si je peux.
entrevue sans dangers ; mais laissez-moi prendre mes mesures. Je vous
reconduirai votre fils ce soir, et je vous parlerai encore si je peux.


Quand Marcelle fut partie, Lémor sortit de sa cachette, où la joie et
Quand Marcelle fut partie, Lémor sortit de sa cachette, où la joie et l’émotion, plus que l’odeur enivrante du foin, commençaient à lui donner des vertiges.
l’émotion, plus que l’odeur enivrante du foin, commençaient à lui donner
des vertiges.


— Ami, dit-il gaiement au meunier, je suis votre garçon de moulin, et
— Ami, dit-il gaiement au meunier, je suis votre garçon de moulin, et je ne prétends pas être à votre charge sans travailler pour vous. Donnez-moi de l’ouvrage, et vous verrez que le Parisien a d’assez bons bras, malgré son peu d’apparence.
je ne prétends pas être à votre charge sans travailler pour vous.
Donnez-moi de l’ouvrage, et vous verrez que le Parisien a d’assez bons
bras, malgré son peu d’apparence.


— Oui, répondit Grand-Louis, quand le cœur est content, les bras sont assez souples. Vos affaires vont mieux que les miennes, mon garçon, et quand nous causerons ce soir, ce sera à votre tour de me donner du courage. Mais, à cette heure, vous l’avez dit, il faut s’occuper. Je ne puis pas passer mon temps à parler d’amour, et vous pourriez devenir fou de contentement si vous restiez oisif. Le travail est salutaire à tous, il entretient la joie et distrait de la peine ; ce qui veut peut-être dire qu’il est fait pour tous dans les idées du bon Dieu. Allons, vous allez m’aider à lever ma pelle et à mettre la ''Grand’-Louise'' en danse. Sa chanson a la vertu de me remettre l’esprit quand je me détraque.
— Oui, répondit Grand-Louis, quand le cœur est content, les bras sont
assez souples. Vos affaires vont mieux que les miennes, mon garçon,
et quand nous causerons ce soir, ce sera à votre tour de me donner du
courage. Mais, à cette heure, vous l’avez dit, il faut s’occuper. Je ne
puis pas passer mon temps à parler d’amour, et vous pourriez devenir fou
de contentement si vous restiez oisif. Le travail est salutaire à tous,
il entretient la joie et distrait de la peine ; ce qui veut peut-être
dire qu’il est fait pour tous dans les idées du bon Dieu. Allons, vous
allez m’aider à lever ma pelle et à mettre la ''Grand’Louise'' en danse.
Sa chanson a la vertu de me remettre l’esprit quand je me détraque.


— Ah ! mon Dieu ! cet enfant va me reconnaître ! dit Lémor en apercevant
— Ah ! mon Dieu ! cet enfant va me reconnaître ! dit Lémor en apercevant Édouard qui s’était échappé des bras de la meunière, et qui montait avec les pieds et les mains l’escalier rapide du moulin.
Édouard qui s’était échappé des bras de la meunière, et qui montait avec
les pieds et les mains l’escalier rapide du moulin.


— Il vous a déjà vu, répondit le meunier ; ne vous cachez pas et ne
— Il vous a déjà vu, répondit le meunier ; ne vous cachez pas et ne faites semblant de rien. Il n’est pas sûr qu’il vous reconnaisse, affublé comme vous voilà.
faites semblant de rien. Il n’est pas sûr qu’il vous reconnaisse,
affublé comme vous voilà.


En effet, Édouard s’arrêta incertain et interdit. Depuis un mois que Marcelle avait brusquement quitté Montmorency pour se rendre auprès de son mari expirant, son fils n’avait pas revu Lémor, et un mois est un siècle dans la mémoire d’un si jeune enfant. Celui-là était pourtant exceptionnel par le développement précoce de ses facultés ; mais Lémor sans barbe, le visage barbouillé de farine, et affublé d’une blouse de paysan, était assez peu reconnaissable. Édouard resta comme pétrifié devant lui pendant une minute ; mais ayant rencontré le regard sévère et indifférent de l’ami qui d’ordinaire courait à lui les bras ouverts, il baissa les yeux avec une sorte {{tiret|d’em|barras}}
En effet, Édouard s’arrêta incertain et interdit. Depuis un mois que
Marcelle avait brusquement quitté Montmorency pour se rendre auprès de
son mari expirant, son fils n’avait pas revu Lémor, et un mois est un
siècle dans la mémoire d’un si jeune enfant. Celui-là était pourtant
exceptionnel par le développement précoce de ses facultés ; mais Lémor
sans barbe, le visage barbouillé de farine, et affublé d’une blouse de
paysan, était assez peu reconnaissable. Édouard resta comme pétrifié
devant lui pendant une minute ; mais ayant rencontré le regard sévère et
indifférent de l’ami qui d’ordinaire courait à lui les bras ouverts, il
baissa les yeux avec une sorte {{tiret|d’em|barras}}