« Un Mariage à Mondorf/04 » : différence entre les versions

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Imprimerie de la Société St-Paul (p. 50-65).


IV


Entre la gare et l’établissement des bains, sur la route qui mène de l’une à l’autre, est situé l’élégant et confortable Hôtel du Grand Chef, où M. Dubreuil avait fait expédier ses bagages. Dans le gracieux jardin qui l’entoure, et qu’il fallait traverser pour accéder au perron, les voyageurs rencontrèrent des groupes qui les dévisageaient en chuchotant. Des baigneurs, les premiers arrivés, dont la préoccupation constante était de se trouver au débarqué des nouveaux venus, pour y trouver quelque figure sympathique qui donnât, pour la suite, la promesse d’agréables relations.

Car c’est là le caractère bien particulier de la vie à Mondorf, qu’on y va pour y faire une moisson de connaissances charmantes, avec l’espoir secret d’y découvrir une amitié solide. L’expérience des intimités qui s’y sont nouées, a fait à la station balnéaire luxembourgeoise cette réputation originale.

M. Dubreuil rendit poliment tous les saluts qui allaient à lui comme de muets compliments de bienvenue, et entra à l’hôtel. Vite il y eut fait choix d’un appartement : il en restait un, au premier étage, qui lui convenait de tous points, sauf peut-être l’ennui d’y avoir, dans le fond du corridor donnant sur l’établissement des bains, un inconnu pour voisin. Cette circonstance produisait une communauté de passage qui pourrait, à la longue, devenir déplaisante.

Mais il n’était pas possible d’y apporter remède : l’appartement contigu était occupé, depuis la veille, par une personne malade qu’on ne pouvait à ce point déranger…

— Alors, tant pis, dit M. Dubreuil pour conclure. Nous n’aurons d’autre ressource que de lier connaissance avec notre voisin, et de nous en faire un ami. Qu’en penses-tu, Raymonde ?

— Que c’est le parti le plus sage, père… puisqu’il n’y en a point d’autre.

On descendit aussitôt à la salle à manger. Le voyage sur la plate-forme du tramway, dans la fraîche haleine du vent, avait donné à tout le monde un appétit qu’il était nécessaire de satisfaire avant toute autre chose.

— Et qu’allez-vous nous donner à déjeûner ? demanda M. Dubreuil à la maîtresse d’hôtel, qui attendait un ordre.

— À déjeûner ?… Mais, monsieur, l’heure est passée et déjà tout le monde à l’hôtel a dîné.

Avant que Marcelle, prise d’une folle envie de rire, eût pu placer un mot, M. Dubreuil avait eu le temps de comprendre et d’intervenir.

— Bien, bien, dit-il. En changeant de pays, nous devons apprendre à changer d’usages. Veuillez nous servir à dîner, madame…

Le repas d’abord fut silencieux. Mais au dessert, M. Dubreuil annonça qu’on allait aussitôt s’informer du docteur et lui faire visite.

— Je crois notre empressement indispensable, dit-il. Et surtout, Marcelle, songe bien à l’importance de cette première visite. Quand le docteur t’interrogera, dis-lui, dans tous les détails, ce que tu ressens, ce que tu souffres… De l’exactitude des renseignements que tu lui donneras, doit dépendre en grande partie l’opinion qu’il se fera de ton mal et le succès de la médication qu’il lui faudra t’ordonner.

Un garçon de l’hôtel entrant en ce moment dans la salle, M. Dubreuil s’informa des heures où le directeur médical de l’établissement des bains recevait et donnait ses consultations. Puis il fit passer sa carte et annoncer sa visite.

On n’avait que le temps de donner un coup d’œil à la situation générale de l’établissement, tout proche voisin de l’hôtel.

C’est un vaste bâtiment rectangulaire, sans architecture ni ornements d’aucune sorte, mais auquel son badigeon blanc, formant contraste avec le fouillis de verdure dans lequel il est posé, donne un air de coquetterie joyeuse. Tout autour, sous des tentes de toile abaissées, des chaises de jardin sont alignées, dans une ordonnance symétrique qui décèle le peu de services qu’elles ont rendues jusqu’ici. En face, un second bâtiment étale sa façade aux larges portes vitrées, précédée d’une vérandah qui sert de refuge aux promeneurs, les jours de mauvais temps. Puis ce sont des jardins, à cette heure en pleine végétation, et un parc superbe dont une partie s’étage en bosquet jusqu’au sommet de la colline, tandis que l’autre, tout en pelouses encadrées d’allées discrètes, descend à la berge d’un ruisselet au cours sinueux et pittoresque.

Au milieu des pelouses, une potence de trapèze se dresse là-bas à côté de la série ordinaire des appareils de gymnastique ; ici se dessinent les enceintes réservées aux jeux de société, au crocket, au foot-ball, au lawn-tennis. Le ruisselet forme plus loin un petit étang sur lequel des barques, des nacelles se balancent insouciantes.

La situation d’ailleurs est charmante, et l’air qu’on respire d’une extraordinaire pureté. Un rapide coup d’œil donné à toutes choses a laissé à M. Dubreuil et à Raymonde une excellente impression : ils devinent qu’ils vont vivre ici quelques semaines dans une atmosphère de paix sereine, où il fera bon oublier les angoisses d’autrefois. Quant à Marcelle, elle est tout simplement ravie. Le grand air, l’espace, les jeux qui étalent là leurs tentations, mais c’est presque Beautaillis retrouvé, avec ses joyeuses escapades de jadis, les bonnes journées pleines de saines fatigues, et les nuits durant à peine le temps de fermer les yeux et de les rouvrir.

— Oh ! petit père, que nous serons bien ici ! s’écrie Marcelle en battant des mains. Pourvu que le docteur soit gentil et qu’il me permette de jouer toute la journée…

Quelques instants plus tard, M. Dubreuil était assis dans le cabinet du médecin.

— Monsieur le docteur, dit-il, nous sommes arrivés à Mondorf d’aujourd’hui seulement, mais je n’ai pas voulu laisser passer cette première journée sans vous faire ma visite. Envoyé dans l’établissement que vous dirigez par mon médecin de Paris, votre ami, il m’a paru utile avant toute autre chose de vous amener notre petite malade, et de vous prier de vous intéresser à sa guérison…

M. Petit s’inclina gracieusement, puis tout aussitôt se mit à examiner Marcelle, à l’interroger, à se rendre compte de l’état de la maladie dont elle était atteinte.

Au fur et à mesure du progrès de son examen et tandis qu’on voyait sa conviction se former, il répétait à demi-voix, paraissant oublier qu’il y avait là des témoins intéressés à l’entendre :

— C’est singulier !… Étrange coïncidence !…

Et l’examen continuait, et l’interrogatoire s’achevait, ramenant dans sa bouche les mêmes observations étonnées. Si bien que M. Dubreuil, n’y pouvant tenir davantage, demanda de quelle coïncidence il s’agissait…

— Oh ! rien, dit le docteur, subitement revenu à lui… Un malade que j’ai examiné hier à cette même heure, et qui est atteint d’une affection absolument identique à celle dont souffre cette charmante petite. Rien de grave, au surplus, dans le cas qui nous occupe.

Votre enfant, Monsieur, a été excellemment soignée, le mal déjà est enrayé, et il suffira, pour le faire à jamais disparaître, d’une saison passée ici.

— J’ai trop d’estime pour votre talent, M. le docteur, pour ne pas m’en remettre entièrement à votre pronostic. Puisse un prochain avenir le justifier pleinement !…

Et alors le docteur indiqua le régime à suivre, l’heure des consultations, celle des médications. Puis quand il se retrouva seul, il tourna le feuillet d’un registre où il annotait le diagnostic des maladies qu’il avait reconnues, et y retrouva, parmi ceux inscrits la veille, celui auquel il avait tout à l’heure fait allusion.

— En vérité, se dit-il, en relisant ces quelques indication, la coïncidence est aussi frappante que la similitude des symptômes. Ce serait à jurer qu’il existe, chez les deux malades, une intime consanguinité… Et cependant il n’en est rien. Ces gens ne se connaissent pas… Ils ne sont pas venus ensemble…

— Bah ! fit-il en conclusion, quelque méchant tour du hasard !…

Le malade venu la veille et dont le médecin venait de relire le diagnostic, n’était autre que le jeune homme qui avait fait, de compagnie avec les Dubreuil, le voyage de Reims à Luxembourg, Fernand Darcier.

En proie depuis sa plus tendre enfance à une maladie de poitrine qu’il avait héritée de sa mère, privé à dix ans des soins de celle-ci, morte dans la fleur de l’âge, puis brusquement séparé, quelques semaines plus tard, de son père subitement frappé de folie, Fernand avait mené depuis dix ans la plus misérable existence. Envoyé de médecin en médecin, de ville d’eaux en ville d’eaux, finalement abandonné de tous et déclaré incurable, il était à la fin de l’hiver rentré chez lui, où habitait le tuteur chargé du soin des intérêts de son importante maison.

Il y végétait depuis deux longues semaines quand un prospectus, envoyé par hasard, lui tomba sous les yeux. C’était, imprimée autour d’un paysage où se profilaient quelques bâtiments, la modeste réclame faite par l’État luxembourgeois dans l’intérêt de sa propriété balnéaire.

Fernand lut le prospectus : alléché par la curiosité de connaître un pays qu’il avait à peine entendu nommer jusqu’alors, il dit à son tuteur l’envie qui lui venait de partir pour Mondorf et d’y passer la saison. Son tuteur, à qui ne souriait pas la perspective de devoir tenir compagnie à un malade tout l’été, l’encouragea vivement dans son dessein.

— Vous n’avez jamais été, dit-il, que là où vous envoyaient les médecins : malgré leurs promesses, on ne vous y a point guéri. Cette fois, le hasard seul vous aura dicté votre résolution : on ne sait point… le hasard est quelquefois bien puissant….

— Il adviendra ce qu’il plaira à Dieu, avait répondu Fernand.

Et, aussitôt, le départ avait été décidé pour la semaine suivante. Dans le train, Fernand avait dès l’abord remarqué l’air de commisération sympathique que sa faiblesse inspirait à la fille aînée de son compagnon de voyage. Et pour tout dire, il en avait été vivement touché. Dans ce siècle égoïste et grincheux, un malade en voyage inspire à ses voisins peu de compassion, d’ordinaire : on le plaint à peine, ayant trop à faire déjà de se plaindre de l’ennui causé par son voisinage.

Puis, de l’invitation faite le lendemain à Nancy par M. Dubreuil, Fernand avait encore gardé une vive reconnaissance. En lui offrant une place dans son compartiment, cet étranger lui avait prouvé qu’il y a encore ici-bas des gens de cœur. Et le pauvre garçon était si déshabitué de le penser ; on l’avait tant traité en paria, en maudit ! Il avait si souvent eu l’occasion de constater qu’il inspirait de l’aversion, et qu’on le considérait comme un être gênant, encombrant, dont la misère offusque !…

Aussi la discrétion qu’il s’était imposée vis-à-vis de M, Dubreuil lui avait-elle été excessivement pénible. Il eût beaucoup donné pour oser se permettre quelques questions, savoir qui étaient ses compagnons de voyage et leur témoigner sa reconnaissance. Mais la chose n’avait pas été possible : on l’eût pris pour un indiscret, peut-être pour un mal élevé. L’idée même lui vint d’envoyer son domestique aux renseignements : mais elle lui parut impraticable. Comment en effet s’informer de gens qu’il eût fallut montrer au doigt pour les faire reconnaître dans la foule indifférente des voyageurs du chemin de fer ?… Quand, en gare de Luxembourg, Fernand eut salué ses connaissances d’un jour avec le sentiment que jamais plus il ne les retrouverait, il fut envahi d’un grand malaise et la pensée de son isolement lui fut plus amère que jamais. Installé le même jour à Mondorf, il avait renvoyé son fidèle Jacques à Reims en le prévenant qu’il lui ferait connaître ses intentions quand le moment serait venu de partir, et qu’il se tînt en conséquence prêt à se mettre en route d’un jour à l’autre.

Puis, épuisé, il s’était mis au lit et avait fait prier le directeur de l’établissement des bains de le venir visiter. M. Petit s’était rendu sans retard à cette invitation. Au cours de cette première visite, l’aimable docteur s’était véritablement dépensé en paroles charmantes, en encouragements de toute sorte. C’est qu’un premier examen l’avait édifié sur le peu d’espoir qui lui était laissé de sauver le pauvre garçon, qu’il voyait atteint d’une pneumonie déjà à son extrême période. Et il trouvait cruel de lui laisser soupçonner une vérité aussi atroce, et de lui montrer la mort impitoyable faisant les derniers efforts pour achever son œuvre hideuse.

Il se fit donc aussi affable que possible, recommanda au jeune homme de suivre avec une exactitude mathématique les prescriptions de son traitement, qui commencerait le lendemain matin, et, en se retirant, laissa Fernand sous le charme.

Ce n’était point là l’accueil qu’il était accoutumé de se voir faire à son arrivée dans les autres établissements. Dès leur première visite, les médecins l’abandonnaient à son malheureux sort, lui mentant avec brutalité, l’assurant que le temps suffirait à le guérir, lui recommandant des promenades qu’il était incapable de faire et des exercices auxquels se refusait son corps débile et épuisé. Puis, la saison passée à souffrir sans soulagement, on lui conseillait le séjour dans une autre station, où le même accueil lui était fait.

Mais voici qu’à Mondorf, le médecin paraissait vouloir adopter à son égard une tout autre ligne de conduite. Il lui faisait entrevoir une guérison prochaine, amenée par l’effet bienfaisant d’un traitement qui commençait le lendemain. Une révolution complète s’opéra à cette pensée dans l’esprit de Fernand. Alors qu’il était en proie, le matin même, au plus sombre désespoir, il se trouva tout ragaillardi, discutant avec lui-même les chances qu’il avait d’être rétabli complètement et sans délai. Il fit son examen de conscience, déclara que le mal dont il souffrait était, somme toute, peu douloureux et que, si l’on avait tant de peine à en triompher, c’est qu’il s’y mêlait une terrible dose d’abattement moral. À force de voir l’indifférence dont il était partout entouré, il était devenu indifférent lui-même, se laissant aller, abdiquant toute énergie, résigné à son misérable destin.

Or, tout cela allait finir. Puisque le docteur promettait de faire quelque chose, on verrait bien ce dont lui, Fernand, serait capable pour aider et rendre efficace son action bienfaisante. Et tout d’abord, on lui avait recommandé une obéissance exacte aux prescriptions de son traitement : eh bien, il se jurait de s’y conformer avec une ponctualité dont on n’aurait encore jamais trouvé l’exemple chez un malade. Lui ordonnât-on la promenade à pied et dût-il vingt fois tomber sur le grand chemin, il se promènerait, oui, fût-il pour cela nécessaire de se traîner dans la poussière sur ses genoux ensanglantés.

Car il fallait guérir, il le fallait absolument. Ce désespoir et cette résignation, absurde dans sa molle passivité, avaient duré trop longtemps déjà. Aide-toi, le ciel t’aidera, ainsi que dit la sagesse des nations…

Ces préoccupations et ces résolutions énergiques firent sembler courte au malade la première journée qu’il passa à l’hôtel. Même, cette extraordinaire activité de son imagination lui avait, le soir, donné un peu d’appétit : il mangea légèrement, puis, après une heure passée dans son fauteuil, contre la croisée ouverte par où lui arrivaient les senteurs embaumées des prairies, il se recoucha et dormit jusqu’au matin.

Il était éveillé à peine lorsqu’on le vint prendre pour le conduire à la source.

C’est, sur la colline à laquelle est adossé le Casino, un petit pavillon aménagé en buvette. Au milieu du carrelage qui recouvre le sol, un grand trou carré entouré d’un grillage, à l’orifice, duquel l’eau saline, chaude encore, vient bouillonner avec un bruit sourd. Des exhalaisons propres à cette eau s’en échappent, et saturent l’atmosphère du pavillon, désagréables d’abord à l’odorat, puis peu à peu imperceptibles, grâce à la force de l’habitude.

Au comptoir établi tout contre la source, les baigneurs défilent chaque matin pour prendre leur verre et le remplir des tièdes bouillons du flot. Et tout le monde boit sa verrée, d’aucuns revenant une fois, deux fois à la charge. Non sans grimace, d’habitude : l’eau de Mondorf est tiède, salée, âcre, et on ne l’absorbe pas, les premiers jours, sans se sentir le cœur soulevé de dégoût.

Fernand même, à la première tentative, faillit se décourager. La faiblesse de son estomac répugnait à l’absorption de la verrée d’eau qu’on lui avait présentée, et il tenta d’ajourner l’écœurante expérience. Mais les baigneurs qui l’entouraient ne le lui permirent pas. Ce n’était, disaient-ils, qu’une nausée à risquer et, comme en toute chose, il n’y avait que le premier pas qui coûtât. L’un de ces messieurs racontait qu’il avait eu, le jour de la première absorption, une difficulté inouïe et que, dès le lendemain, l’eau lui paraissait toujours fade, à la vérité, mais plus du tout désagréable. Et Fernand, se laissant convaincre, ferma tout à coup les yeux et vida le gobelet jusqu’à la dernière goutte. Son visage pâlit affreusement et se contracta dans un rictus de dégoût ; un frisson lui courut par tout le corps….

Mais ce fut tout. L’eau ne laissant aucun arrière-goût à la bouche, il comprit que la difficulté n’était pas insurmontable, et il salua en souriant, pour les remercier, ceux qui l’avaient encouragé et qui applaudissaient à son intrépidité.

Pour intrépide, manifestement il avait dû l’être. Et les baigneurs, en sortant du pavillon, se communiquaient l’impression que leur avait faite le pauvre garçon. D’une pâleur mate, estompée seulement par le grand cercle de bistre qui soulignait les yeux et les poils follets d’une moustache naissante, on eût dit d’une statue de cire qu’un mécanisme ingénieux avait pour un moment animée, et qui allait être rendue à l’immobilité.

— Pauvre garçon, dit quelqu’un. Il ne fera pas de vieux os.

— Il ne passera point l’automne, ajouta une vieille dame.

— Hé ! hé ! survint un baigneur habitué aux prodiges accomplis depuis de longues années par la vertu de l’eau de Mondorf, vous allez peut-être un peu vite en besogne. Certainement ce jeune homme est bien bas : mais j’en ai vu revenir déjà de plus loin. Je parierais bien que le docteur ne pense pas comme vous et qu’il garde de l’espoir…

Le peu d’exercice que s’était donné Fernand pour venir à la source, l’avait épuisé : il avisa un fauteuil, placé contre la fenêtre devant une table où l’on avait étalé, à l’usage des malades, quelques albums d’illustrations. Il se mit à feuilleter distraitement, attiré curieusement par le va et vient des baigneurs, se succédant par groupes au comptoir de la source….

Il était assis depuis quelques minutes quand le docteur entra. Fernand demeura presque ébahi. Jamais, au grand jamais, dans aucun des établissements de bains où il avait séjourné, il n’avait vu cette chose inouïe : le médecin occupé d’aussi bonne heure du soin de ses clients. Il fallait décidément admettre que d’autres règles étaient en vigueur à Mondorf : ce simple fait fit grande impression sur le jeune malade, et lui inspira sur le coup une profonde sympathie pour le docteur. Avec la sympathie naquit la confiance, et une grande consolation inondait le cœur du pauvre garçon quand M. Petit s’approcha de lui.

— Eh ! bonjour, mon ami, disait-il. Comment avez-vous passé votre première nuit dans notre pays ?

— Fort bien, M. le docteur, je vous remercie, répondit Fernand. Votre promesse de me faire, dès aujourd’hui, commencer le traitement de ma maladie, m’avait enlevé un grand souci, celui de vous voir m’abandonner à mon malheureux sort, comme tout le monde avait fait jusqu’ici. Le calme de l’esprit m’a permis de goûter une nuit de bon sommeil, et j’en suis tout réconforté : j’en ai si peu l’habitude !

— Nous remettrons tout cela dans l’ordre, cher monsieur. Mais, je vous le répète, il faudra être bien obéissant, savoir être patient aussi : à cette condition, la santé vous sera bientôt revenue.

— Ah ! docteur, puis-je espérer ?…

— Tout : les eaux de cette source sont merveilleuses, et je ne doute pas que l’usage, combiné avec une active médication, que nous vous en ferons faire, ne vous rende bientôt toutes les forces perdues.

Vous avez tâté déjà le goût de cette eau, sans doute ?…

— Oui, docteur, j’en ai tantôt bu un plein verre. Non sans dégoût, je l’avoue, mais on assure que l’habitude est vite prise.

— Oh ! ceci, c’est l’affaire de deux jours, conclut M. Petit.

Alors, prenant le malade sous le bras, il descendit doucement avec lui vers l’établissement hydrothérapique.

Une heure plus tard, Fernand rentrait à l’hôtel, le cœur inondé d’une joie sincère. Sans qu’il pût trouver un motif bien précis à cet élan de lui-même, il se prenait d’une profonde amitié pour le docteur, le premier homme qui eût su, depuis longtemps, lui parler le langage d’une douce compassion et d’une joyeuse espérance.

Ah ! si de son côté, le médecin voulait condescendre quelque jour à remarquer cette amitié et à y répondre, Fernand se croirait au comble de la félicité. Il ne serait plus seul, enfin, dans cette misérable vallée des larmes, il aurait un confident, un être qui prendrait part à ses chagrins, qui l’écouterait, qui le consolerait.

Car il n’avait personne, le pauvre garçon ! Sa mère morte, son père mort, pas de proches, pas un frère, pas une sœur….

Une sœur !… Il en avait eu une, autrefois, dont il se rappelait vaguement les traits, car il était bien jeune et elle était au berceau, la pauvrette… Mais elle avait disparu, un jour…

Fernand se passa subitement la main sur les paupières, comme pour secouer l’accès de ce rêve désolant. Il s’interdisait maintenant de penser à ces choses tristes, et il ne voulait plus penser aux morts qu’à l’heure de la prière, pour les recommander à la bonté de Dieu. Le docteur lui avait formellement prescrit l’obligation de distraire son esprit des idées noires dont il avait avoué qu’il était souvent assailli : il voulait obéir.

Il ouvrit un livre qu’il s’était fait apporter : Le Grand-Duché de Luxembourg historique et pittoresque, et se mit à voyager en compagnie de l’auteur.

À cette heure même, M. Dubreuil et ses filles entraient à l’hôtel, arrêtaient l’appartement contigu et disaient de Fernand, qu’ils étaient à cent lieues de supposer leur voisin : « Nous nous en ferons un ami. »

C’est le lendemain seulement qu’eut lieu entre eux la première rencontre. Comme la veille, Fernand était assis dans le pavillon de la source, regardant le défilé des baigneurs, quand il vit, tout à coup, la petite Marcelle faire son entrée suivie de M. Dubreuil et de Raymonde.

Cette apparition le stupéfia. Il s’attendait si peu même à retrouver, en cet endroit et à cette heure, les compagnons de voyage qu’il avait quittés l’avant-veille, qu’il ne trouva qu’un salut plein de gaucherie pour répondre aux politesses de M. Dubreuil.

— Vous ici, Monsieur, s’était écrié le député. Quelle surprise ? Quand êtes-vous arrivé ? Où habitez-vous ?

— Mais ici près, répondit Fernand, à l’Hôtel du Grand Chef…

— À quel étage ? demanda vivement Raymonde.

— Au premier, mademoiselle : j’y ai loué deux chambres prenant vue sur les prairies qui longent le ruisseau.

— En ce cas, nous sommes voisins, repartit la jeune fille.

— Et si vous voulez bien ne pas me démentir, Monsieur, intervint M. Dubreuil, nous serons bientôt amis. Je me suis engagé à gagner l’amitié du voisin inconnu dont le hasard nous gratifiait : vous nous ferez le plus grand honneur en me permettant de tenir parole.