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Eh bien donc, voici la chose. Tu sauras, Andreusse,
Eh bien donc, voici la chose. Tu sauras, Andreusse,
que j’étais allé à l’Anse des Harengs,
que j’étais allé à l’''Anse des Harengs'',
tout exprès pour finir la Pèche miraculeuse.
tout exprès pour finir ''la Pêche miraculeuse''.
Malheureusement, la mort m’a surpris avant
Malheureusement, la mort m’a surpris avant
que j’aie pu mettre dernière main à cet ouvrage.
que j’aie pu mettre la dernière main à cet ouvrage…
.. Gambrinus l’a suspendu comme un
Gambrinus l’a suspendu comme un
trophée, au fond de sa taverne : cela me remplit
trophée, au fond de sa taverne : cela me remplit
d’amertume... Je ne serai content que
d’amertume… Je ne serai content que
lorsqu’il sera terminé, et je viens te prier de le
lorsqu’il sera terminé, et je viens te prier de le
finir. Tu me promets, n’est-ce pas, Cappelmans ?
finir. Tu me promets, n’est-ce pas, Cappelmans ?

—Sois tranquille, Jan, c’est une affaire entendue.
« — Sois tranquille, Jan, c’est une affaire entendue.
« —Alors, bonsoir !

« — Alors, bonsoir ! »

« Et là-dessus, mon coq bat de l’aile, et traverse
« Et là-dessus, mon coq bat de l’aile, et traverse
l’une de mes vitres, avec un bruit sec,
l’une de mes vitres, avec un bruit sec,
sans faire le moindre éclat. »
sans faire le moindre éclat. »

Après avoir terminé ce récit bizarre, Cappelmans
Après avoir terminé ce récit bizarre, Cappelmans
déposa sa pipe sur le bord de la fenêire
déposa sa pipe sur le bord de la fenêtre
et vida sa chope d’un trait.
et vida sa chope d’un trait.


Nous restâmes longtemps silencieux, nous
Nous restâmes longtemps silencieux, nous
regardant l’un l’autre.
regardant l’un l’autre.

Et vous croyez que ce coq noir était réellement
« Et vous croyez que ce coq noir était réellement
l’âme de Van Mariusî dis-je enfin au
l’âme de Van Marius ? dis-je enfin au
brave homme.
brave homme.

—Si je le crois ! fit-il. C’est-à-dire que j’en
—Si je le crois ! fit-il. C’est-à-dire que j’en
suis sûr.
suis sûr.

—Mais alors que pensez-vous faire, maître
—Mais alors que pensez-vous faire, maître
Andreusse ?
Andreusse ?

—C’est bien simple ; je vais partir pour
— C’est bien simple ; je vais partir pour
Osterhaffen. Un honnête homme n’a qu’une
Osterhaffen. Un honnête homme n’a qu’une
parole : j’ai promis à Van Marius de terminer
parole : j’ai promis à Van Marius de terminer
la Pêche miraculeuse, et je la terminerai coûte
''la Pêche miraculeuse'', et je la terminerai coûte
que coûte. Dans une heure, Van Eyckle borgne
que coûte. Dans une heure, Van Eyckle borgne
doit venir me prendre avec sa charrette. »
doit venir me prendre avec sa charrette. »

Puis s’arrêtant et me regardant d’un œil fixe :
Puis s’arrêtant et me regardant d’un œil fixe :

« Eh ! fit-il, j’y songe... tu devrais m’accompagner,
« Eh ! fit-il, j’y songe… tu devrais m’accompagner,
Christian ; c’est une magnifique occasion
Christian ; c’est une magnifique occasion
de voir l’Arwe des Harengs. Et puis, on ne
de voir l’''Anse des Harengs''. Et puis, on ne
sait ce qui peut arriver ; je serais content de
sait ce qui peut arriver ; je serais content de
t’avoir près de moi.
t’avoir près de moi.

—Je le voudrais bien, maître Andreusse ;
— Je le voudrais bien, maître Andreusse ;
mais vous connaissez ma tante Catherine, elle
mais vous connaissez ma tante Catherine, elle
ne consentira jamais.
ne consentira jamais.

—Ta tante Catherine... je vais lui signifier
— Ta tante Catherine… je vais lui signifier
qu’il est indispensable pour ton instruction de
qu’il est indispensable pour ton instruction de
voir un peu la côte. Qu’est-ce qu’un peintre de
voir un peu la côte. Qu’est-ce qu’un peintre de
marines qui ne quitte jamais les environs de
marines qui ne quitte jamais les environs de
Leyde, qui ne connaît que le petit port de
Leyde, qui ne connaît que le petit port de
Kalwyk ? Allons donc, c’est absurde !:.. Tu
Kalwyk ? Allons donc, c’est absurde ! Tu
viens avec moi, Christian, c’est entendu ! *
viens avec moi, Christian, c’est entendu ! »

Tout en parlant de la sorte, le digne homme
Tout en parlant de la sorte, le digne homme
passait sa large casaque rouge, et, méprenant
passait sa large casaque rouge, et, me prenant
ensuite par le bras, il m’emmena gravement
ensuite par le bras, il m’emmena gravement
chez ma tante.
chez ma tante.

Je ne vous raconterai pas tous les pourparlers,
Je ne vous raconterai pas tous les pourparlers,
toutes les objections, toutes les répliques
toutes les objections, toutes les répliques
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Catherine à me laisser partir avec lui. Le fait
Catherine à me laisser partir avec lui. Le fait
est qu’il finit par l’emporter, et que deux heures
est qu’il finit par l’emporter, et que deux heures
plus tard nous roulions vers Osterbafien.
plus tard nous roulions vers Osterhaffen.

«

II
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Notre carriole, attelée d’un petit cheval du
Notre carriole, attelée d’un petit cheval du
Zuyderzéeà grosse tête, les jambes courtes et
Zuyderzée à grosse tête, les jambes courtes et
poilues, le dos couvert d’une vieille peau de
poilues, le dos couvert d’une vieille peau de
chien, courait depuis trois heures, de Leyde à
chien, courait depuis trois heures, de Leyde à
l’Arwedes Harengs, sans paraître avoir avancé
l’''Anse des Harengs'', sans paraître avoir avancé
d’un pouce.
d’un pouce.

Le soleil couchant projetait sur la plaine
Le soleil couchant projetait sur la plaine
humide d’immenses reflets pourpres ; les mares .
humide d’immenses reflets pourpres ; les mares .
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noir les joncs, les roseaux et les prêles qui
noir les joncs, les roseaux et les prêles qui
croissaient sur leurs rives.
croissaient sur leurs rives.

Bientôt le jour disparut, et Cappelmans, sortant
Bientôt le jour disparut, et Cappelmans, sortant
de ses rêveries, s’écria :
de ses rêveries, s’écria :

Christian, enveloppe-toi bien de ta casaque,
« Christian, enveloppe-toi bien de ta casaque,
rabats les bords de ton feutre, et fourre
rabats les bords de ton feutre, et fourre
tes pieds sous la paille. — Hue... Barabas...
tes pieds sous la paille. — Hue... Barabas...
hue donc ! nous marchons comme des escargots.
hue donc ! nous marchons comme des escargots. »

En mêmé temps il donnait l’accolade à sa
En même temps il donnait l’accolade à sa
cruche de skidam ; puis s’essuyant les lèvres
cruche de ''skidam'' ; puis s’essuyant les lèvres
du revers de la main, il me la présentait,
du revers de la main, il me la présentait,
disant :
disant :

« Bois un coup, de peur que le brouillard ne
« Bois un coup, de peur que le brouillard ne
t’entre dans l’estomac. C’est un brouillard salé,
t’entre dans l’estomac. C’est un brouillard salé,
tout ce qu’il y a de pire au monde.
tout ce qu’il y a de pire au monde. »

Je crus devoir suivre l’avis de Cappelmans, et
Je crus devoir suivre l’avis de Cappelmans, et
cette liqueur bienfaisante me mit aussitôt de
cette liqueur bienfaisante me mit aussitôt de
bonne humeur.
bonne humeur.

« Cher Christian , reprit le vieux maître
« Cher Christian , reprit le vieux maître
après un instant de silence , puisque nous
après un instant de silence , puisque nous
voilà pour cinq ou six heures dans les brouillards,
voilà pour cinq ou six heures dans les brouillards,
sans autre distraction que de fuiner des
sans autre distraction que de fumer des
pipes et d’entendre crier la charrette, causons
pipes et d’entendre crier la charrette, causons
d Osterhaffen. »
d Osterhaffen. »

Alors le brave homme se mit à me faire la
Alors le brave homme se mit à me faire la
description de la taverne du Pot de Tabac, la
description de la taverne du ''Pot de Tabac'', la
plus riche en bières fortes et en liqueurs spiritueuses
plus riche en bières fortes et en liqueurs spiritueuses
de toute la Hollande.
de toute la Hollande.
« C’est dans la ruelle des Trois-Sabots qu’elle
« C’est dans la ruelle des'''Trois-Sabots'' qu’elle
se trouve, me dit-il. On la reconnaît de loin à
se trouve, me dit-il. On la reconnaît de loin à
sa large toiture plate ; ses petites fenêtres carrées,
sa large toiture plate ; ses petites fenêtres carrées,
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mousse, et derrière, dans la basse-cour, vivent
mousse, et derrière, dans la basse-cour, vivent
pêle-mêle des centaines d’oie., de poules, de
pêle-mêle des centaines d’oie., de poules, de
| dindons et de canards, dont les cris perçants
dindons et de canards, dont les cris perçants
forment un concert tout à fait réjouissant.
forment un concert tout à fait réjouissant.
« Quant à la grande salle de la taverne, elle
« Quant à la grande salle de la taverne, elle
n’a rien d’exlraordina’re ; mais là, sous les
n’a rien d’extraordinaire ; mais là, sous les