« Fantasio (Charpentier, 1888) » : différence entre les versions
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:''Entrent Elsbeth et
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ELSBETH, seule.
:''Elle s'avance vers un tertre.''
FANTASIO, ''assis, vêtu en bouffon, avec une bosse et une perruque''
Je suis un brave cueilleur de fleurs, qui souhaite le bonjour à vos beaux yeux.
ELSBETH
Que signifie cet accoutrement ? qui êtes-vous pour venir parodier sous cette large perruque un homme que j'ai aimé ? Êtes-vous écolier en bouffonnerie ?
FANTASIO
Plaise à Votre Altesse Sérénissime, je suis le nouveau bouffon du roi ; le majordome m'a reçu favorablement ; je suis présenté au valet de chambre ; les marmitons me protègent depuis hier au soir, et je cueille modestement des fleurs en attendant qu'il me vienne de l'esprit.
ELSBETH
Cela me paraît douteux, que vous cueilliez jamais cette fleur-là.
FANTASIO
Pourquoi ? l'esprit peut venir à un homme vieux, tout comme à une jeune fille. Cela est si difficile quelquefois de distinguer un trait spirituel d'une grosse sottise ! Beaucoup parler, voilà l'important ; le plus mauvais tireur de pistolet peut attraper la mouche, s'il tire sept cent quatre-vingts coups à la minute, tout aussi bien que le plus habile homme qui n'en tire qu'un ou deux bien ajustés. Je ne demande qu'à être nourri convenablement pour la grosseur de mon ventre, et je regarderai mon ombre au soleil pour voir si ma perruque pousse.
ELSBETH
En sorte que vous voilà revêtu des dépouilles de Saint-Jean ? Vous avez raison de parler de votre ombre ; tant que vous aurez ce costume, elle lui ressemblera toujours, je crois, plus que vous.
FANTASIO
Je fais en ce moment une élégie qui décidera de mon sort.
ELSBETH
En quelle façon ?
FANTASIO
Elle prouvera clairement que je suis le premier homme du monde, ou bien elle ne vaudra rien du tout. Je suis en train de bouleverser l'univers pour le mettre en acrostiche ; la lune, le soleil et les étoiles se battent pour entrer dans mes rimes, comme des écoliers à la porte d'un théâtre de mélodrames.
ELSBETH
Pauvre homme ! quel métier tu entreprends ! faire de l'esprit à tant par heure ! N'as-tu ni bras ni jambes, et ne ferais-tu pas mieux de labourer la terre que ta propre cervelle ?
FANTASIO
Pauvre petite ! quel métier vous entreprenez ! épouser un sot que vous n'avez jamais vu ! - N'avez-vous ni coeur ni tête, et ne feriez-vous pas mieux de vendre vos robes que votre corps ?
ELSBETH
Voilà qui est hardi, monsieur le nouveau venu !
FANTASIO
Comment appelez-vous cette fleur-là, s'il vous plaît ?
ELSBETH
Une tulipe. Que veux-tu prouver ?
FANTASIO
Une tulipe rouge, ou une tulipe bleue ?
ELSBETH
Bleue, à ce qu'il me semble.
FANTASIO
Point du tout, c'est une tulipe rouge.
ELSBETH
Veux-tu mettre un habit neuf à une vieille sentence ? tu n'en as pas besoin pour dire que des goûts et des couleurs il n'en faut pas disputer.
FANTASIO
Je ne dispute pas ; je vous dis que cette tulipe est une tulipe rouge, et cependant je conviens qu'elle est bleue.
ELSBETH
Comment arranges-tu cela ?
FANTASIO
Comme votre contrat de mariage. Qui peut savoir sous le soleil s'il est né bleu ou rouge ? Les tulipes elles-mêmes n'en savent rien. Les jardiniers et les notaires font des greffes si extraordinaires, que les pommes deviennent des citrouilles, et que les chardons sortent de la mâchoire de l'âne pour s'inonder de sauce dans le plat d'argent d'un évêque. Cette tulipe que voilà s'attendait bien à être rouge ; mais on l'a mariée, elle est tout étonnée d'être bleue ; c'est ainsi que le monde entier se métamorphose sous les mains de l'homme ; et la pauvre dame Nature doit se rire parfois au nez de bon coeur, quand elle mire dans ses lacs et dans ses mers son éternelle mascarade. Croyez-vous que ça sentît la rose dans le paradis de Moïse ? ça ne sentait que le foin vert. La rose est fille de la civilisation ; c'est une marquise comme vous et moi.
ELSBETH
La pâle fleur de l'aubépine peut devenir une rose, et un chardon peut devenir un artichaut ; mais une fleur ne peut en devenir une autre : ainsi qu'importe à la nature ? on ne la change pas, on l'embellit ou on la tue. La plus chétive violette mourrait plutôt que de céder si l'on voulait, par des moyens artificiels, altérer sa forme d'une étamine.
FANTASIO
C'est pourquoi je fais plus de cas d'une violette que d'une fille de roi.
ELSBETH
Il y a de certaines choses que les bouffons eux-mêmes n'ont pas le droit de railler ; fais-y attention. Si tu as écouté ma conversation avec ma gouvernante, prends garde à tes oreilles.
FANTASIO
Non pas à mes oreilles, mais à ma langue. Vous vous trompez de sens ; il y a une erreur de sens dans vos paroles.
ELSBETH
Ne me fais pas de calembour, si tu veux gagner ton argent, et ne me compare pas à des tulipes, si tu ne veux gagner autre chose.
FANTASIO
Qui sait ? Un calembour console de bien des chagrins ; et jouer avec les mots est un moyen comme un autre de jouer avec les pensées, les actions et les êtres. Tout est calembour ici-bas, et il est aussi difficile de comprendre le regard d'un enfant de quatre ans, que le galimatias de trois drames modernes.
ELSBETH
Tu me fais l'effet de regarder le monde à travers un prisme tant soit peu changeant.
FANTASIO
Chacun a ses lunettes ; mais personne ne sait au juste de quelle couleur en sont les verres. Qui est-ce qui pourra me dire au juste si je suis heureux ou malheureux, bon ou mauvais, triste ou gai, bête ou spirituel ?
ELSBETH
Tu es laid, du moins ; cela est certain.
FANTASIO
Pas plus certain que votre beauté. Voilà votre père qui vient avec votre futur mari. Qui est-ce qui peut savoir si vous l'épouserez ?
:''Il sort.''
ELSBETH
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