« Beaumarchais, sa vie, ses écrits et son temps » : différence entre les versions

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«Cela nous parut si gai, que le lendemain nous l'écrivîmes à M. de Sartines qu'elle connaissait beaucoup; nous lui envoyâmes d'assez drôles d'épigrammes que nous faisions ensemble sur mon affaire. Ce n'était ni à ce ministre, ni à son ami le lieutenant de police, que nous voulions céler ni ma conduite, ni ma retraite, et nous continuâmes notre petit commerce clandestin tout le temps que je demeurai séquestré.
 
« Beaumarchais, de retour à Paris, apprit mon aventure, niil ressentit un juste, courroux, vint me prendre et m'emmena chez lui. « Soyez, sûr, me dit-il, qu'ils ne vous feront arrêter ni dans ma voiture ni dans ma maison. »
 
« Il fut trouver M. de Maurepas et lui dit que j'allais porter plainte au parlement contre le grand conseil, et que mon affaire, compromettant l'un avec l'autre ces deux grands tribunaux, ferait encore plus de bruit que la sienne. - Ce n'est pas cela qu'il faut faire, lui répartit le comte de Maurepas; que votre ami présente une requête au conseil, et nous anéantirons bientôt ce décret rendu ''ab irato''. »
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« Vous dirais-je, monsieur, que je ressens pour vous une confiance qui n'est pas ordinaire? Vous ne sauriez vous en offenser, mon cœur me dit de suivre ce qu'il m'inspire. Il me dit que vous ne me refuserez pas votre secours. Oui, vous m'aiderez, vous soutiendrez l'innocence opprimée; c'est à vous qu'appartient cette gloire. Je suis délaissée par un homme à qui je me suis sacrifiée; je me trouve victime de la séduction sans m'y être abandonnée. J'avoue en pleurant, et non en rougissant, que j'ai cédé à l'amour, au sentiment, mais non pas au vice et au libertinage, qui est si commun dans ce siècle dépravé. J'ai déploré, même dans les bras de mon amant, la perte que je faisais. Plus je versais de larmes sur ce douloureux sacrifice, plus je croyais avoir de mérite à le consommer. Oui, j'ose le dire, dans le sein même de l'amour, J'ai conservé la pureté de mon cœur. »
 
iciIci la jeune fille en question se livre, avec des détails trop vifs pour pouvoir être reproduits, au développement d'un sophisme imité de Rousseau, qui consiste à démontrer qu'elle est d'autant plus vertueuse d'intention qu'elle a été moins vertueuse en fait. « J'ai longtemps combattu, dit-elle, je n'ai pu me vaincre. La cruelle privation qui m'était imposée durait depuis trop longtemps. Etre cinq ans sans voir un homme que l'on adore, ah! ''ce n’est pas dans la nature''. » Mais l'obéissance aux ''lois de la nature'' a produit un résultat social des plus fâcheux.
 
« Je jouissais de quelque considération, ajoute-t-elle; il me l'a enlevée. Je n'ai que dix-sept ans, je suis déjà perdue de réputation. Avec un cœur pur et des inclinations honnêtes, je vais être méprisée de chacun. Je ne puis me faire à cette idée, elle m'accable et me désespère. Non, je ne veux pas être la victime d'un fourbe qui fut assez lâche pour abuser de tant d'amour. L'ingrat! depuis l'âge de douze ans je lui avais engagé mes plus tendres affections,. Je l'adorais. J'aurais répandu jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour assurer sa félicité. Hélas! Je sens qu'il m'est toujours plus cher. Je ne puis vivre sans lui. Il doit être mon époux, il le sera. Si jetais libre, je serais dans cet instant au pied du trône. Ma jeunesse, mes malheurs, ma figure, qui n'est point désagréable, tout intéresserait pour moi ; mais, prisonnière, pour ainsi dire, d'un père et d'une mère qui ne me perdent jamais de vue, je ne puis rien entreprendre, sans leur consentement. Dieu préserve (7) qu'ils sussent mon aventure! Je serais perdue. Et d'ailleurs ils s'opposeraient à mes desseins, Que deviendrais-je? Ah! monsieur, prêtez-moi votre secours, tendez-moi votre généreuse main, faites renaître les consolations et l'espérance dans mon âme oppressée! Je ne veux pas faire de la peine à mon perfide ; non, je l'aime trop. C'est au pied du trône que je désirerais porter ma plainte. SI vous daignez m’aider, je me promets tout. Vous avez des protections, monsieur; vous connaissez le ministre, il vous considère. Eh! qui pourrait vous refuser la considération qui vous est due à si juste titre? Dites-lui, monsieur, qu'une jeune personne qui implore votre secours implore sa protection, qu'elle gémit et soupire nuit et jour; elle ne demande que la justice... Comme je désire que mes parens ne soient pas instruits de mes desseins, je ne vois qu'une chose qui put me réussir, ce serait d'obtenir une lettre de cachet pour me conduire à Versailles seule, avec la permission seulement, si cette grâce m'était accordée, de mener une femme de chambre. Je vais bien vite, direz-vous; mais, quand on aime, on appréhende tout. J'entends parler de mariage. S'il se marie, que deviendrai-je? Je n'ai rien à opposer; je n'ai à faire valoir que mon amour. Il n'y parait pas assez sensible pour espérer de le toucher. Je crois cependant pouvoir dire, sans présomption que je ne suis pas indigne de sa tendresse. Il doit dans le fond me rendre justice. Il m’oppose à mon bonheur que ma fortune, qui n'est pas assez considérable pour arranger ses affaires, qui ne sont pas trop en ordre, il n'a aucune aversion pour moi. Je n'ai rien qui puisse en inspirer. Le seul crime dont je sois coupable envers lui est de le trop aimer. Ne m'abandonnez pas, monsieur; je remets ma destinée entre vos mains! Daignez prononcer mon arrêt, daignez me rendre à la vie. Vous seul pouvez, me faire chérir une existence que mes douleurs me font détester. Si vous me faites la grâce de me répondre, vous aurez la bonté d'adresser votre lettre à M. V...., rue du Grand-Horologe, à Aix, et sur mon adresse, simplement: A Mlle Ninon. Vous voudrez bien me pardonner, monsieur, si je vous tais encore mon nom. Ne l'attribuez pas, je vous en conjure, à mon peu de confiance. Votre probité m'est connue. Je sais, oui, je sais qu'avec vous je n'ai rien à craindre; mais une crainte, une certaine crainte que je ne puis vaincre, que je ne saurais définir, me retient encore. Vous avez des relations dans Aix ; j'y suis très connue. Dans les petites villes, on sait tout; vous savez combien on y est méchant. Je vous en prie, que personne ne soit admis dans la confidence que j'ai pris la liberté de vous faire.