« La Dame aux camélias (théâtre)/Acte II » : différence entre les versions

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==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/92]]==
<nowiki/>
 
<pages index="Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu" from=92 to=120 />
 
{{acte|II}}
 
{{didascalie|Chambre à coucher de Marguerite. — Une porte au fond. — À droite, une porte dérobée, masquée par un tableau. — Sur le premier plan, toujours du même côté, une élégante toilette, style Pompadour. — À gauche, une croisée, et, sur le premier plan, une cheminée. — Fauteuils et chaises.}}
 
 
{{scène|I}}
 
{{Acteurs|MARGUERITE, NANINE, PRUDENCE.|n}}
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Bonsoir, chère amie, avez-vous vu le duc ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Oui.
 
{{Personnage|Marguerite.|c}}
 
Il vous a donné ?
 
{{personnageD|prudence|c|remettant à Marguerite des billets de banque.}}
 
Voici. Pouvez-vous me prêter trois ou quatre cents fr. ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Les voici. Vous avez dit au duc que j’avais l’intention d’aller
à la campagne ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Oui.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qu’a-t-il répondu ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Que vous aviez raison, que cela ne pouvait vous faire que
du bien…Et que vous irez ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je l’espère ; J’ai encore été voir la maison aujourd’hui.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/93]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Combien veut-on la louer ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Deux mille francs.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Ah ça ! c’est de l’amour, ma chère.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
J’en ai peur ; c’est peut-être une passion ; ce n’est peut-être
qu’un caprice ; tout ce que je sais, c’est que c’est quelque
chose.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Il est venu hier ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous le demandez ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Et il revient ce soir ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il va venir.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Je le sais bien ! il est resté trois ou quatre heures à la maison.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il vous a parlé de moi ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Il n’a fait que cela.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Que vous a-t-il dit ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Qu’il vous aimait comme un fou.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il y a longtemps que vous le connaissez ?
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/94]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Oui.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
L’avez-vous vu amoureux quelquefois ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Jamais.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Votre parole !
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Sérieusement.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Si vous saviez quel bon cœur il a, comme il parle de sa mère et de sa sœur !
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Quel malheur que des gens comme ceux-là n’aient pas cent mille livres de rente !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Quel bonheur, au contraire ! au moins ils sont sûrs que c’est eux seuls qu’on aime.
{{didascalie|Prenant la main de Prudence et la mettant sur sa poitrine.}}
Tenez !
 
{{personnage|Prudence.|c}}
Quoi ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
Eh bien ! le cœur me bat, vous ne sentez pas ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Pourquoi le cœur vous bat-il ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Parce qu’il est dix heures et qu’il va venir.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
C’est à ce point-là ? je me sauve. Vous êtes dangereuse à
connaître ; si cela se gagnait !
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/95]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Va ouvrir, Nanine.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
On n’a pas sonné.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je te dis que si.
 
 
{{scène|II}}
 
{{Acteurs|PRUDENCE, MARGUERITE.|n}}
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Ma chère, je vais prier pour vous.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Parce que ?…
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Parce que vous êtes en danger.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Peut-être bien.
 
 
{{scène|III}}
 
{{Acteurs|{{sc|Les mêmes}}, ARMAND.|n}}
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je savais bien, moi, qu’il avait sonné.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Vous ne me dites pas bonsoir, ingrat !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Pardon, ma chère Prudence ; vous allez bien ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Oui, mes enfants. Je vous laisse, j’ai quelqu’un qui m’attend chez moi. — Adieu !
 
{{didascalie|Elle sort}}
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/96]]==
<nowiki/>
 
 
{{scène|IV}}
 
{{Acteurs|ARMAND, MARGUERITE.|n}}
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Venez vous mettre là.
 
{{personnageD|Armand|c|se mettant à ses genoux}}
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Allons, venez vous mettre là.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
M’y voici,
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous m’aimez toujours autant ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Oh ! non !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Comment ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Je vous aime mille fois plus.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qu’avez-vous fait, aujourd’hui ?…
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
J’ai été voir Prudence, Gustave et Nichette ; j’ai été partout où l’on pouvait parler de Marguerite.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et ce soir ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Mon père m’avait écrit qu’il m’attendait à Tours, je lui ai répondu qu’il pouvait cesser de m’attendre. Est-ce que je suis en train d’aller à Tours ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Cependant, il ne faut pas vous brouiller avec votre père.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Il n’y a pas de danger. Et vous, qu’avez-vous fait, ma
dame ?…
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/97]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Moi, j’ai pensé à vous.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Bien vrai ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Bien vrai ! j’ai fait de beaux projets.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Vraiment ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Contez-moi cela.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Plus tard !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Pourquoi pas tout de suite ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous ne m’aimez peut-être pas encore assez ; quand ils seront réalisés, il sera temps de vous le dire ; sachez seulement
que c’est de vous que je m’occupe.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
De moi ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui, de vous que j’aime trop.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Voyons, qu’est-ce que c’est ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
À quoi bon ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Je vous en supplie.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Est-ce que je puis avoir des secrets pour toi ?
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/98]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
J’écoute.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
J’ai trouvé une combinaison.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Quelle combinaison ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je ne puis pas te la dire ; je ne puis te dire que les résultats
qu’elle aura.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Et quels résultats aura-t-elle ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Serais-tu heureux de passer l’été à la campagne avec moi ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Tu le demandes !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Eh bien ! si ma combinaison réussit, et elle réussira, dans
quinze jours d’ici je serai libre ; je ne devrai plus rien, et
nous irons ensemble passer l’été à la campagne.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Et tu ne peux pas me dire par quel moyen ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non ; seulement aime-moi comme je t’aime, et tout sera pour
le mieux.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Et c’est vous seule qui avez trouvé cette combinaison, Marguerite ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Comme tu me dis cela !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Répondez-moi.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Eh bien ! oui, c’est moi seule.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/99]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
Et c’est vous seule qui l’exécuterez ?
 
{{personnageD|Marguerite|c|avec hésitation.}}
 
Moi seule.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Avez-vous lu Manon Lescaut, Marguerite ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui, le volume est là dans le salon.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Estimez-vous Des Grieux ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Pourquoi cette question ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
C’est qu’il y a un moment où Manon, elle aussi, a trouvé une
combinaison, qui est de se faire donner de l’argent par {{M.|de}}
B***, et de le dépenser avec Des Grieux ; Marguerite, vous avez
plus de cœur qu’elle, et moi j’ai plus de loyauté que lui !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ce qui veut dire ?…
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Que si votre combinaison est dans le genre de la sienne, je
ne l’accepte pas.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est bien, mon ami, n’en parlons plus… Il a fait bien beau
aujourd’hui, n’est-ce pas ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Oui, bien beau.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il y avait beaucoup de monde aux Champs-Élysées.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Beaucoup.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/100]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ce sera comme ça jusqu’à la fin de la lune, n’est-ce pas ?…
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Eh ! que m’importe la lune !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et de quoi voulez-vous que je vous parle ?… Quand je vous
dis que je vous aime, quand je vous en donne la preuve, vous
devenez maussade ; alors, je vous parle de la lune.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Que voulez-vous, Marguerite, je suis jaloux de la moindre
de vos pensées ! ce que vous m’avez proposé tout à l’heure…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oh ! nous y revenons !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Eh ! mon Dieu oui, nous y revenons… Eh bien ! ce que vous
m’avez proposé me rendrait fou de joie ; mais le mystère qui
précède l’exécution de ce projet ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Voyons, raisonnons un peu… tu m’aimes et tu voudrais
passer deux ou trois mois avec moi, dans quelque coin qui ne
fût pas cet affreux Paris.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Oui, je le voudrais.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Moi aussi je t’aime et j’en désire autant ; mais pour cela, il
faut ce que je n’ai pas. Tu n’es pas jaloux du duc, tu sais
quels sentiments purs l’unissent à moi, laisse-moi donc faire.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Cependant…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je t’aime, voyons, est-ce convenu ?…
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/101]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Mais…
 
{{personnageD|Marguerite|c|l’interrompant.}}
 
Est-ce convenu, voyons ?…
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Pas encore.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}.
 
Alors, tu reviendras me voir demain, et nous en reparlerons.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Comment ! je reviendrai te voir demain ? tu me renvoies déjà ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non, je ne te renvoie pas, tu peux rester encore un peu.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Encore un peu ! tu attends quelqu’un ?
 
{{personnage|maguerite|c}}
 
Allons ! Voilà que tu vas recommencer !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Marguerite, tu me trompes.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Combien y a-t-il de temps que je te connais ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Quatre jours !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qu’est-ce qui me forçait à te recevoir ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Rien.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Si je ne t’aimais pas, aurais-je le droit de te mettre à la porte,
comme j’y mets Varville et tant d’autres ?
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/102]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Certainement.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Alors, mon ami, laisse-toi aimer, et ne te plains pas.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Pardon, mille fois pardon !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Si cela continue, je passerai ma vie à pardonner, avec toi.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Non, c’est la dernière fois. Tiens ! je m’en vais.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
À la bonne heure. Demain, à midi, viens, nous déjeunerons
ensemble.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
À demain, alors.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
À demain.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
À midi !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
À midi.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Tu me jures ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Quoi ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Que tu n’attends personne ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Encore ! je te jure que je t’aime, et que je n’aime que toi.
Cela te suffit-il ?…
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Adieu !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Adieu, grand enfant !
 
{{didascalie|Il hésite un instant et sort.}}
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/103]]==
<nowiki/>
 
 
{{scène|V}}
 
{{Acteurs|MARGUERITE, seule à la même place.}}
 
Quelle chose bizarre que la vie ! Qui m’eût dit, il y a huit jours, que cet homme, que je ne connaissais pas, occuperait à ce point, et si vite, mon cœur et ma pensée ? Qui sait ce que cela va devenir ? Un amour sérieux pour moi serait probablement un malheur. M’aime-t-il d’ailleurs, sais-je seulement si je l’aime, moi qui n’ai jamais aimé ? Pourquoi sacrifier une joie ?.. On en a si peu ! Pourquoi ne pas se laisser aller aux caprices de son cœur ?… Que suis-je ? une créature du hasard ! Laissons donc le hasard faire de moi ce qu’il voudra. C’est égal, il me semble que je suis plus heureuse que je ne l’ai encore été. C’est peut-être d’un mauvais augure ; nous, nous prévoyons toujours qu’on nous aimera ; jamais que nous aimerons : si bien qu’aux premières atteintes de ce mal imprévu, nous ne savons plus où nous en sommes.
 
 
{{scène|VI}}
 
{{Acteurs|MARGUERITE, NANINE, LE COMTE.|n}}
 
{{personnageD|Nanine|c|annonçant.}}
 
{{M.|le}} comte.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Bonsoir, comte…
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Bonsoir, chère amie. Comment va-t-on ce soir ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Bien.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Il fait un froid du diable ! Vous m’avez écrit de venir à dix
heures et demie. Vous voyez que je suis exact.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/104]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Nous avons à causer, mon cher comte.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Avez-vous soupé ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui, pourquoi ?…
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Parce que nous aurions été souper, et nous aurions causé en soupant.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous avez faim ?
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
On a toujours assez faim pour souper. J’ai si mal dîné au club.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qu’est-ce qu’on y a fait ?…
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
On jouait quand je suis parti.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Saint-Gaudens perdait-il ?…
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Il perdait vingt-cinq louis, il criait pour mille écus.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il a soupé l’autre soir ici avec Olympe.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Et puis, qui encore ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Gaston de Rieux, vous le connaissez ?…
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Oui.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
{{M.|Armand}} Duval.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Qu’est-ce que c’est que {{M.|Armand}} Duval ?
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/105]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est un ami de Gaston. Prudence et moi… Voilà le souper… On a beaucoup ri.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Si j’avais su, je serais venu. À propos, est-ce qu’il sortait
quelqu’un d’ici tout à l’heure, un peu avant que j’entrasse ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non, personne.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
C’est qu’au moment où je descendais de voiture, quelqu’un
a couru vers moi, comme pour voir qui j’étais, et, après m’avoir vu, s’est éloigné !
 
{{personnageD|Marguerite|c|à part.}}
 
Serait-ce Armand ?
 
{{didascalie|Elle sonne.}}
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Vous avez besoin de quelque chose ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui, il faut que je dise un mot à Nanine.
 
{{didascalie|À Nanine, bas.}}
 
Descends, sors dans la rue, sans faire semblant de rien ; regarde
si {{M.|Armand}} Duval y est, et reviens me le dire.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui, madame.
 
{{didascalie|Elle sort.}}
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Il y a une nouvelle.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Laquelle ?
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Gagouki se marie.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Notre prince Polonais ?
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Lui-même.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/106]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qui épouse-t-il ?
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Devinez !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Est-ce que je sais ?
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Il épouse la petite Adèle.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Elle fait là une fameuse sottise !
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
C’est lui qui en fait une.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Mon cher, quand un homme du monde épouse une fille comme Adèle, ce n’est pas lui qui fait une sottise, c’est elle qui fait une mauvaise affaire. Votre Polonais est ruiné, il a une détestable réputation, et s’il épouse Adèle, c’est pour les douze ou quinze mille livres de rentes que vous lui avez faites les uns après les autres.
 
{{personnageD|Nanine|c|rentrant}}
 
Non, madame.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Maintenant, parlons de choses sérieuses, mon cher comte…
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
De choses sérieuses, j’aimerais mieux parler de choses gaies.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Nous verrons plus tard, si vous prenez la chose gaiement
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
J’écoute.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Le prix du papier timbré a joliment diminué.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Bah !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui, et c’est le vrai moment… Avez-vous de l’argent comptant ?
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
De quoi ?
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/107]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
De souscrire.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
On a donc besoin d’argent ici ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Hélas ! il faut quinze mille francs !
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Diable ! c’est un joli denier, et pourquoi faut-il quinze mille francs ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Parce que je dois.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Vous payez donc vos créanciers ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il le faut bien.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Il le faut absolument ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Alors… c’est dit.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Madame, un commissionnaire vient d’apporter cette lettre,en disant qu’on vous la remît tout de suite.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/108]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qui peut m’écrire à cette heure ?
 
{{didascalie|Lisant.}}
 
Armand !
 
Qu’est-ce que cela signifie ?…
 
« Je n’aime pas jouer de rôle ridicule, même auprès de la femme que j’aime… Au moment où je sortais de chez vous, {{M.|le}} comte de Giray y entrait… Je n’ai ni l’âge ni le caractère de Saint-Gaudens ; pardonnez-moi le seul tort que j’aie, celui de ne pas être millionnaire, et oublions tous deux que nous nous sommes connus, et qu’un instant nous avons cru nous aimer… Quand vous recevrez cette lettre, j’aurai déjà quitté Paris. Armand !… »
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Y a-t-il une réponse ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non, c’est bien. Allons, voilà un rêve évanouie. C’est dommage !
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Qu’est-ce que c’est que cette lettre ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ce que c’est, mon cher comte, c’est une bonne nouvelle pour vous.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Comment cela ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous gagnez quinze mille francs, à cette lettre-là !
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Bah ! C’est la première qui m’en rapporte autant.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/109]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
Oui… je n’ai plus besoin de ce que je vous demandais
 
{{personnage|Le comte.|c}}
Vos créanciers vous renvoient leurs notes acquittées ?… Oh ! que c’est gentil de leur part !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non, j’étais amoureuse, mon cher.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Vous ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Moi-même.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Et de qui, bon Dieu !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
D’un homme qui ne m’aimait pas, comme cela arrive souvent ; d’un homme sans fortune, comme cela arrive toujours.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Ah ! oui, c’est avec ces amours-là que vous croyez vous réhabiliter des autres.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et voici ce qu’il m’écrit.
 
{{didascalie|Elle donne la lettre au comte.}}
 
{{personnageD|Le comte|c|riant.}}
 
Ma chère Marguerite… Tiens, tiens, c’est de {{M.|Duval}}. Il est très jaloux ce monsieur… Ah ! je comprends maintenant l’utilité des lettres de change. C’était joli ce que vous faisiez là !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous m’avez offert à souper.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Et je vous l’offre encore. Vous ne mangerez jamais pour quinze mille francs. C’est toujours une économie que je ferai
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/110]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Eh bien ! allons souper, j’ai besoin de prendre l’air.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Il paraît que c’était sérieux ; vous êtes tout agitée, ma chère.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oh ! ce n’est rien.
 
{{didascalie|À Nanine.}}
 
Donne-moi un châle et un chapeau !
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Lequel, madame ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Le chapeau que tu voudras et un châle léger.
 
{{didascalie|Au comte}}
 
Il faut nous prendre comme nous sommes, mon pauvre ami.
 
{{personnage|Le comte.|c}}
 
Oh ! je suis habitué à ces choses-là.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Madame aura froid !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Faudra-t-il attendre madame ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non, couche-toi, peut-être ne rentrerai-je que tard,.. VenezVous, comte ?
 
 
{{scène|VII}}
 
{{Acteurs|NANINE, seule.|n}}
 
Il se passe quelque chose ici, madame est tout émue ; c’est
cette lettre de tout à l’heure qui la met dans cet état, sans
doute… La voilà, cette lettre… Diable ! M. Armand mène rondement les choses…
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/111]]==
Nommé il y a quatre jours, démissionnaire aujourd’hui, il a vécu ce que vivent les hommes d’État…
Tiens ! Madame Duvernoy.
 
 
{{scène|VIII}}
 
{{Acteurs|NANINE, PRUDENCE.|n}}
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Marguerite est sortie ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Elle sort à l’instant.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Où est-elle allée ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Elle est allée souper.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Avec le comte ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Elle a reçu une lettre, tout à l’heure ?…
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
De {{M.|Armand}}.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Qu’est-ce qu’elle a dit ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Rien.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Et elle va rentrer ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui, mais tard, sans doute. Je vous croyais couchée depuis
longtemps.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/112]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Prudence.|c}}
Je l’étais et je dormais, quand j’ai été réveillée par des coups de sonnette redoublés, j’ai été ouvrir…
 
{{didascalie|On frappe.}}
 
{{personnage|Nanine.|c}}
Entrez !
 
{{personnage|Un domestique.|c}}
Madame fait demander une pelisse, elle a froid.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
Madame est en bas ?
 
{{personnage|le domestique|c}}
Oui, madame est en voiture.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
Priez-la de monter, dites-lui que c’est moi qui la demande,
 
{{personnage|le domestique|c}}
Mais madame n’est pas seule, dans la voiture.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
Ça ne fait rien, allez !
 
{{personnageD|Armand|c|en dehors.}}
Prudence !
 
{{personnage|Prudence.|c}}
Allons, bon ! voilà l’autre qui s’impatiente ! Oh ! les amoureux jaloux, ils sont tous les mêmes.
 
{{personnage|Armand.|c}}
Eh bien ?
 
 
{{scène|IX}}
 
{{sc|prudence}}
 
{{didascalie|à la fenêtre.}}
 
Attendez un peu, que diable ! tout à l’heure je vous appellerai.
 
{{sc|les mêmes, marguerite}}
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/113]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Que me voulez-vous, ma chère Prudence ?…
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Armand est chez moi.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qu’est-ce que cela me fait ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Il veut vous voir.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
À quoi bon ? je ne veux pas le recevoir ; et d’ailleurs, je ne le puis, le comte m’attend en bas.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Je me garderai bien de faire une pareille commission. Il irait provoquer le comte. Vous ne vous doutez pas de l’état dans lequel il est.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ah çà ! mais que veut-il ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Est-ce que je sais ? est-ce qu’il le sait lui-même ?… Mais nous savons bien ce que c’est qu’un homme amoureux.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Madame veut-elle sa pelisse ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non, pas encore.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Eh bien ! que décidez-vous ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ce garçon-là me rendra malheureuse, si je le revois.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/114]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Prudence.|c}}
Alors, ne le revoyez plus, ma chère. — Il vaut même mieux
que les choses en restent où elles sont.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est votre avis ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Certainement !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qu’est-ce qu’il vous a dit encore ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Allons, vous voulez le revoir. — Je vais le chercher. — Et le comte ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Le comte, il attendra.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Il vaudrait peut-être mieux le congédier tout à fait.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous avez raison… Nanine, descends dire à {{M.|deGiray}} que décidément je suis malade, et que je n’irai pas souper ; — qu’il m’excuse.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui, madame.
 
{{personnageD|prudence|c|à la fenêtre.}}
 
Armand, allons, venez ! Oh ! il ne se le fera pas dire deux fois.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous resterez ici pendant qu’il y sera.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Non pas. — Comme il viendrait un moment où vous me diriez de m’en aller, j’aime autant m’en aller tout de suite.
 
{{personnageD|Nanine|c|rentrant.}}
 
{{M.|le}} comte est parti, madame.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/115]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
Il n’a rien dit ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Non, mais il n’avait pas l’air content.
 
 
{{scène|X}}
 
{{Acteurs|{{sc|Les mêmes}}, ARMAND.|n}}
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Marguerite, enfin !
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Mes enfants, je vous laisse.
 
 
{{scène|XI}}
 
{{Acteurs|MARGUERITE, ARMAND.|n}}
 
{{personnageD|Armand|c|allant se mettre à genoux aux pieds de Marguerite.}}
 
Marguerite…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Que voulez-vous ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Je veux que vous me pardonniez.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous ne le méritez pas !
 
{{didascalie|Mouvement d’Armand.}}
 
J’admets que vous soyez jaloux
et que vous m’écriviez une lettre irritée,
mais non une lettre ironique et impertinente… Vous m’avez
fait beaucoup de peine et beaucoup de mal.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Et vous, Marguerite, croyez-vous que vous ne m’en ayez
pas fait ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Si je vous en ai fait, c’est bien malgré moi.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/116]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Quand j’ai vu arriver le comte ici, quand je me suis dit que c’était pour lui que vous me renvoyiez, j’ai été comme un fou, j’ai perdu la tête, je vous ai écrit. Mais quand au lieu de recevoir à ma lettre la réponse que j’en attendais, quand, au lieu de vous disculper, vous m’avez froidement fait dire que cela était bien, et que vous n’aviez pas de réponse à me faire, ç’a été bien pis encore… Je me suis demandé ce que j’allais devenir, si je ne vous revoyais plus. — Le vide s’est fait instantanément autour de moi… N’oubliez pas, Marguerite, que si je ne vous connais que depuis quelques jours, je vous aime depuis deux ans.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Eh bien ! mon ami, vous avez pris une sage résolution.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Laquelle ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Celle de partir. — Ne me l’avez-vous pas écrit ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Est-ce que je le pourrais ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il le faut pourtant.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Il le faut ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui. — Non-seulement pour vous, mais pour moi. — Ma position me force à ne plus vous revoir, — et tout me défend de vous aimer.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Vous m’aimez donc un peu Marguerite ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je vous aimais.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Et maintenant ?
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/117]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Maintenant, j’ai réfléchi, et ce que j’avais espéré est impossible.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Si vous m’aviez aimé, d’ailleurs, vous n’auriez pas reçu le
comte, surtout ce soir.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Aussi, est-ce pour cela qu’il vaut mieux que nous n’allions pas plus loin. Je suis jeune, je suis jolie, je vous plaisais, je suis une bonne fille, vous êtes un garçon d’esprit, il fallait prendre de moi ce qu’il y a de bon, laisser ce qu’il y a de mauvais, et ne pas vous occuper du reste.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Ce n’est pas ainsi que vous me parliez tantôt, Marguerite, quand vous me faisiez entrevoir quelques mois à passer avec vous, seule, loin de Paris, loin du monde ; c’est en tombant de cette espérance dans la réalité, que je me suis fait tant de mal.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est vrai… j’avais été plus loin ; je m’étais dit : un peu de
repos me ferait du bien ; il prend intérêt à ma santé, s’il y avait moyen de passer tranquillement l’été avec lui, dans quelque
campagne, au fond de quelque bois, ce serait toujours cela de
pris sur les mauvais jours… Au bout., de trois ou quatre mois,
nous serions revenus à Paris, nous nous serions donné une
bonne poignée de main, et nous nous serions fait une amitié
des restes de notre amour ; car l’amour qu’on peut avoir pour
moi, si violent qu’on le dise, n’a même pas toujours en lui
de quoi faire une amitié plus tard. Tu ne l’as pas voulu ; ton
cœur est un grand seigneur qui ne veut rien accepter… n’en
parlons plus… Tu m’aimes depuis quatre jours, tu as soupé
chez moi, envoie-moi un bijou avec ta carte, nous serons
quittes.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/118]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
Tu es folle, Marguerite ; je t’aime. Cela ne veut pas dire que
tu es jolie et que tu me plairas trois ou quatre mois, tu es toute
mon espérance, toute ma pensée, toute ma vie ; je t’aime,
enfin ! que puis-je te dire de plus ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Alors, tu as raison, il vaut mieux cesser de nous voir dès à
présent !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Naturellement, parce que tu ne m’aimes pas, toi !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Parce que je… tu ne sais pas ce que tu dis, tiens !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Pourquoi alors ?…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Pourquoi ? tu veux le savoir ? Parce qu’il y a des moments où
ce rêve commencé, je le fais jusqu’au bout ; parce qu’il y a des
jours où je suis lassée de la vie que je mène, et que j’en entrevois une autre ; parce qu’au milieu de notre existence bruyante, notre tête, notre vanité, nos sens vivent… mais que notre cœur se gonfle, ne trouvant pas à s’épancher, et nous étouffe. Nous paraissons heureuses, et l’on nous envie… En effet, nous avons des amants qui se ruinent, non pas pour nous,
comme ils le disent, mais pour leur vanité… Nous sommes les
premières dans leur amour-propre, les dernières dans leur estime. Nous avons des amis, des amis comme Prudence, dont
l’amitié va jusqu’à la servitude, jamais jusqu’au désintéressement. Peu leur importe ce que nous faisons, pourvu qu’on les voie dans nos loges, ou qu’elles se carrent dans nos voitures. Ainsi tout autour de nous, vanité, honte et mensonge… Je rêvais donc, par moment, sans oser le dire à personne, de trouver un homme assez supérieur pour ne me demander compte
de rien, et
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/119]]==
pour vouloir bien être l’amant de mes impressions…
Cet homme, je l’avais trouvé dans le duc ; mais la vieillesse
ne protège ni ne console, et mon cœur a d’autres exigences…
Alors, je t’ai rencontré, toi, jeune, ardent, heureux ; les larmes
que je t’ai vu répandre pour moi, l’intérêt que tu as pris à ma
santé, tes visites mystérieuses pendant ma maladie, ta franchise, ton enthousiasme, tout me faisait voir en toi celui que
j’appelais du fond de ma bruyante solitude. En un instant,
comme une folle, j’ai bâti tout mon avenir sur ton amour, j’ai
rêvé campagne et pureté, je me suis souvenue de mon enfance,
car on a toujours eu une enfance, quoi que l’on soit devenue.
C’était souhaiter l’impossible ; un mot de toi me l’a prouvé…
Tu as voulu tout savoir, tu sais tout !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Et tu crois qu’après de pareilles paroles, je vais te quitter ?
quand de tels mots sont sortis de ta bouche ! quand le bonheur
vient à moi, je me sauverais devant lui ! Non, Marguerite, non ;
ton rêve s’accomplira, je te le jure. Ne raisonnons rien, nous
sommes jeunes, nous nous aimons, marchons en suivant
notre amour.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ne me trompe pas, Armand ; songe qu’une émotion violente
peut me tuer ; rappelle-toi bien qui je suis, et ce que je suis.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Tu es un ange, et je t’aime !
 
{{personnageD|Nanine|c|frappant}}
 
Madame…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Quoi ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
On vient d’apporter une lettre !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ah çà ! c’est donc la nuit aux lettres !… De qui est-elle ?
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/120]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
De {{M.|le}} comte.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Demande-t-il une réponse ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui, madame.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Eh bien ! dis qu’il n’y en a pas.