« Annales (Tacite)/Livre XVI » : différence entre les versions

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Passant à Silanus lui-même, Néron l'accusa, comme son oncle Torquatus, "de préluder ambitieusement aux soins de l'empire ; de faire ses affranchis trésoriers, secrétaires, maîtres des requêtes :" imputations aussi fausses que frivoles ; car la crainte tenait Silanus sur ses gardes, et le malheur de son oncle lui avait, par une leçon terrible, enseigné la prudence. Néron fit paraître de prétendus témoins qui chargèrent Lépida, femme de Cassius, tante paternelle de Silanus, d'un inceste avec son neveu et de sacrifices magiques. On lui donnait pour complices Vulcatius Tullinus et Marcellus Cornélius, sénateurs, Calpurnius Fabatus ({{refl|1)}}, chevalier romain. Ceux-ci éludèrent, par un appel au prince, la condamnation qui les menaçait ; et Néron, occupé de forfaits plus importants, négligea de si obscures victimes.
 
:{{refa|1.}} Aïeul de la femme de Pline le Jeune.
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L. Gallus, chevalier romain, intime ami de Fénius, et qui n'avait pas été sans liaisons avec Vétus, fut puni par l'interdiction du feu et de l'eau. L'affranchi et l'accusateur eurent, pour salaire, une place au théâtre parmi les viateurs des tribuns (1){{refl|2}}. Le mois d'avril portait déjà le nom de Néron ; on donna celui de Claudius à mai, celui de Germanicus à juin. Cornélius Orfitus, qui proposa ces changements, protestait que, s'il ne voulait pas qu'un mois s'appelât juin, c'était parce que déjà deux Torquatus, mis à mort pour leurs crimes, avaient rendu sinistre le nom de Junius.
 
1.:{{refa|2}} Les fonctions du viateur consistaient particulièrement à accompagner les tribuns et les édiles.
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===Epidémies et catastrophes===
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Cette année souillée de tant de forfaits, les dieux la signalèrent encore par les tempêtes et les épidémies. La Campanie fut ravagée par un ouragan qui emporta métairies, arbres, moissons. Ce fléau promena sa violence jusqu'aux portes de Rome, tandis qu'au dedans une affreuse contagion étendait ses ravages sur tout ce qui respire. On ne voyait aucun signe de corruption dans l'air, et cependant les maisons se remplissaient de cadavres, les rues de funérailles : ni sexe, ni âge n'échappait au péril ; la multitude, esclave ou libre, était moissonnée avec une égale rapidité ; ils expiraient au milieu des lamentations de leurs femmes et de leurs enfants, qui, frappés à leur chevet, atteints en pleurant leur trépas, étaient souvent brûlés sur le même bûcher. Les morts des chevaliers et des sénateurs, quoique aussi nombreuses, étaient moins déplorables : la mortalité commune semblait les dérober à la cruauté du prince. La même année on fit des levées dans la Gaule narbonnaise, dans l'Asie et dans l'Afrique, afin de recruter les légions d'Illyrie, d'où l'on congédia les soldats fatigués par l'âge où les infirmités. Le prince soulagea le désastre de Lyon par le don de quatre millions de sesterces (1){{refl|3}}, qu'il fit à la ville pour relever ses ruines ; les Lyonnais nous avaient eux-mêmes offert cette somme dans des temps malheureux.
 
1.:{{refa|3}} La colonie de Lugdunum (Lyon) fut fondée par Munatius Plancus, l'an de Rome 711, sur la hauteur de Fourvière, qui n'est aujourd'hui que la moindre partie de cette grande cité. Cent ans après, l'an 811, elle fut entièrement détruite par un incendie, qui fait le sujet de la Lettre XCIe de Sénèque. Il s'était donc écoulé sept ans entre le désastre de cette ville et le moment où Néron vint à son secours. - Quatre millions de sesterces équivalent à 735 239 fr. 20 c.
 
=An 66=
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Dans l'espace de peu de jours, tombèrent coup sut coup Annéus Mella, Cérialis Anicius, Rufius Crispinus et C. Pétronius. Mella et Crispinus étaient deux chevaliers romains de rang sénatorial (1){{refl|4}}. Crispinus, ancien préfet des gardes prétoriennes et décoré des ornements consulaires, venait d'être relégué en Sardaigne, comme complice de Pison. En apprenant l’ordre de sa mort, il se tua lui-même. Mella, né des mêmes parents que Gallion et Sénèque, s'était abstenu de briguer les honneurs ; ambitieux à sa manière, et voulant égaler, simple chevalier romain, le crédit des consulaires : il croyait d'ailleurs que l'administration des biens du prince était, pour aller à la fortune, le chemin le plus court. C'était lui qui avait donné le jour à Lucain, ce qui ajoutait beaucoup à l'éclat de son nom. Après la mort de celui-ci, la recherche exacte et empressée qu'il fit de ses biens lui attira un accusateur, Fabius Romanus, intime ami du poëte. On supposa le père initié par son fils au secret de la conjuration ; et l’on produisit une fausse lettre de Lucain. Néron, après l'avoir lue, ordonna qu'elle fût portée à Mella, dont il convoitait les richesses. Mella choisit, pour mourir, la voie que tout le monde prenait alors : il se coupa les veines, après avoir fait un codicille où il léguait à Tigellin et au gendre de Tigellin, Cossutianus Capito, une grande somme d'argent, afin de sauver le reste. Une phrase fut ajoutée par laquelle on lui faisait dire, comme pour accuser l'injustice de son sort, "qu'il périssait le moins coupable des hommes, tandis que Rufius Crispinus et Anicius Cérialis jouissaient de la vie, quoique ennemis du prince." On crut ce trait forgé contre Crispinus, parce qu'il était mort, contre Cérialis, afin qu'il mourût ; car peu de temps après il mit fin à ses jours, moins plaint toutefois que les autres : on se souvenait qu'il avait livré à Caïus le secret d'une conjuration.
 
1.:{{refa|4}} Chevaliers romains qui avaient le cens nécessaire pour devenir sénateurs et le droit de porter le laticlave.
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===Mort de Pétrone===
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Après avoir massacré tant d'hommes distingués, Néron voulut à la fin exterminer la vertu même, en immolant Pétus Thraséas et Baréa Soranus. Tous deux il les haïssait depuis longtemps ; mais Thraséas avait à sa vengeance des titres particuliers. Il était sorti du sénat, comme je l'ai dit, pendant la délibération qui suivit la mort d'Agrippine. Aux représentations des Juvénales, il n'avait pas fait voir un zèle assez empressé, offense d'autant plus sensible à Néron, que le même Thraséas, étant à Padoue, sa patrie, aux jeux du Ceste institués par le Troyen Anténor (1){{refl|5}}, avait chanté sur la scène en costume tragique. De plus, le jour où le préteur Antistius allait être condamné à mort pour une satire contre le prince, il avait proposé et fait prévaloir un avis plus doux. Enfin, lorsqu'on décerna les honneurs divins à Poppée, il s'était absenté volontairement, et n'avait point paru aux funérailles. C'étaient autant de souvenirs que ne laissait pas tomber Cossutianus Capito, esprit naturellement pervers, et de plus ennemi de Thraséas, dont le suffrage avait entraîné sa condamnation, quand les députés ciliciens vinrent l'accuser de rapines.
 
1.:{{refa|5}} Tout le monde connaît la tradition qui attribuait su Troyen Anténor la fondation de Patavium, ou Padoue. Les jeux qu'on y célébrait se rattachaient donc aux plus anciens souvenirs de la patrie, et avaient quelque chose de national et de religieux à la fois.
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D'autres voulaient qu'il attendît chez lui. ."De son courage, ils n'en doutaient pas ; mais que d'outrages et d'humiliations il aurait à subir ! Ils lui conseillaient de dérober son oreille à l'invective et à l'injure. Marcellus et Capiton n'étaient pas seuls voués au crime ; trop de méchants étaient capables de se jeter sur lui dans leur brutale furie ; et la peur n'entraînait-elle pas jusqu'aux bons ? Ah ! que plutôt il épargnât au sénat, dont il avait été l'ornement, la honte d'un si grand forfait, et qu'il laissât incertain ce qu'auraient décidé les pères conscrits à la vue de Thraséas accusé ! Croire que Néron pût rougir de ses crimes, c'était se flatter d'un chimérique espoir. Combien plus il fallait craindre que la femme de Thraséas, sa famille, tous les objets de sa tendresse, ne périssent à leur tour ! Qu'il finît donc ses jours, sans qu'aucun affront eût profané sa vertu ; et que la gloire des sages dont les exemples et les maximes avaient guidé sa vie éclatât en sa mort." A ce conseil assistait Rusticus Arulénus (1){{refl|6}}, jeune homme ardent, qui, par amour de la gloire, offrit de s'opposer au sénatus-consulte ; car il était tribun du peuple. Thraséas retint son élan généreux, et le détourna d'une entreprise vaine, et qui, sans fruit pour l'accusé, serait fatale au tribun. Il ajouta "que sa carrière était achevée, et qu'il ne pouvait abandonner les principes de toute sa vie ; que Rusticus, au contraire, débutait dans les magistratures, et que tout l'avenir était à lui ; qu'il se consultât longtemps sur la route politique où, dans un tel siècle, il lui convenait d'entrer." Quant à la question s'il devait aller au sénat, il se réserva d'y songer encore.
 
1.:{{refa|6}} Il était préteur lorsque la sanglante querelle entre Vitellius et Vespasien se vida aux portes de Rome et dans le sein même de la ville (Hist., liv. III, ch. LXXX). Il écrivit la vie de Thraséas, qu'il se faisait gloire de prendre pour modèle, et ce courage lui valut la mort : il fut condamné sous Domitien ; et le délateur Régulus, non content d'avoir contribué à sa perte, insulta sa mémoire dans un écrit public, où il le traitait de singe des stoïciens.
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Le même jour vit cependant une action généreuse ; Cassius Asclépiodotus, Bithynien distingué par ses grandes richesses, après avoir honoré la fortune de Soranus, n'abandonna pas sa disgrâce ; trait qui lui valut l'exil et la perte de tous ses biens : ainsi la justice des dieux opposait un bon exemple à un mauvais. Thraséas, Soranus, Servilie, eurent le choix de leur mort. Helvidius et Paconius furent chassés d'Italie. La grâce de Montanus fut accordée à son père, à condition que le jeune homme renoncerait aux honneurs. Les accusateurs Marcellus et Capiton reçurent chacun cinq millions de sesterces (1){{refl|7}}, Ostorius douze cent mille (2){{refl|8}}, avec les insignes de la questure.
 
1.:{{refa|7}} De notre monnaie, 919 049 fr. - 2.
:{{refa|8}} 220 671 fr. 76 c.
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Thraséas était alors dans ses jardins, où le questeur du consul lui fut envoyé sur le déclin du jour. Il avait réuni un cercle nombreux d'hommes et de femmes distingués, et il s'entretenait particulièrement avec Démétrius, philosophe de l'école cynique. A en juger par l'expression de sa figure, et quelques mots prononcés un peu plus haut que le reste, il s'occupait de questions sur la nature de l'âme et sa séparation d'avec le corps ; lorsque Domitius Cécilianus, un de ses intimes amis, arrive et lui expose ce que vient d'ordonner le sénat. A cette nouvelle, tous pleurent, tous gémissent : Thraséas les presse de s'éloigner au plus tôt, et de ne pas lier imprudemment leur fortune à celle d'un condamné. Arria voulait, à l'exemple de sa mère (1){{refl|9}}, partager le destin de son époux : il la conjura de vivre et de ne pas ravir à leur fille son unique soutien.
 
1.:{{refa|9}} Arria, belle-mère de Thraséas, était femme de Pétus Cécina, qui prit part à la révolte de Scribonianus contre Claude, et qui, forcé de mourir, reçut d'elle l'exemple du courage : elle se perça la première, et, lui présentant le poignard qu'elle venait de retirer de son sein : "Pétus, lui dit-elle, cela ne fait pas de mal : Paete, non dolet."
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