« Annales (Tacite)/Livre XIV » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
ColdEel (discussion | contributions)
m {{TextQuality|75%}}
ColdEel (discussion | contributions)
m refl & refa
Ligne 50 :
====4====
</div>
Cette invention fut goûtée, et les circonstances la favorisaient. L'empereur célébrait à Baïes les fêtes de Minerve ; il y attire sa mère, à force de répéter qu'il faut souffrir l'humeur de ses parents, et apaiser les ressentiments de son coeur : discours calculés pour autoriser des bruits de réconciliation, qui seraient reçus d'Agrippine avec cette crédulité de la joie, si naturelle aux femmes. Agrippine venait d'Antium ; il alla au-devant d'elle le long du rivage, lui donna la main, l'embrassa et la conduisit à Baules ({{refl|1)}} ; c'est le nom d'une maison de plaisance, située sur une pointe et baignée par la mer, entre le promontoire de Misène et le lac de Baïes ({{refl|2)}}. Un vaisseau plus orné que les autres attendait la mère du prince, comme si son fils eût voulu lui offrir encore cette distinction ; car elle montait ordinairement une trirème, et se servait des rameurs de la flotte : enfin, un repas où on l'avait invitée donnait le moyen d'envelopper le crime dans les ombres de la nuit. C'est une opinion assez accréditée que le secret fut trahi, et qu'Agrippine, avertie du complot et ne sachant si elle y devait croire, se rendit en litière à Baies. Là, les caresses de son fils dissipèrent ses craintes ; il la combla de prévenances, la fit place, à table au-dessus de lui. Des entretiens variés, où Néron affecta tour à tour la familiarité du jeune âge et toute la gravité d'une confidence auguste, prolongèrent le festin. Il la reconduisit à son départ, couvrant de baisers ses yeux et son sein ; soit qu'il voulût mettre le comble à sa dissimulation, soit que la vue d'une mère qui allait périr attendrit en ce dernier instant cette âme dénaturée.
 
:{{refa|1.}} Baules est une maison de campagne qui avait appartenu à l'orateur Hortensius.
:{{refa|2.}} La face des lieux ayant été changée par l'invasion de la mer, le lac de Baïes ne subsiste plus.
<div style="margin-left:15px;">
===Le navire coule===
Ligne 118 ⟶ 119 :
====15====
</div>
Cependant, pour ne pas se prostituer encore sur un théâtre public, il institua la fête des Juvénales (1){{refl|3}}. C’est ainsi qu'il appela des jeux nouveaux, où les citoyens s'enrôlèrent en foule. Ni la noblesse ni l'âge ne retinrent personne : on vit d'anciens magistrats exercer l'art d'un histrion grec ou latin, se plier à des gestes, moduler des chants indignes de leur sexe. Des femmes même, d'une haute naissance, étudièrent des rôles indécents. Dans le bois qu'Auguste avait planté autour de sa naumachie, furent construites des salles et des boutiques où tout ce qui peut irriter les désirs était à vendre. On y distribuait de l'argent, que chacun dépensait aussitôt, les gens honnêtes par nécessité, les débauchés par vaine gloire. De là une affreuse contagion de crimes et d'infamie ; et jamais plus de séductions qu'il n'en sortit de ce cloaque impur n'assaillirent une société dès longtemps corrompue. Les bons exemples maintiennent à peine les bonnes moeurs ; comment, dans cette publique émulation de vices, eût-on sauvé le moindre sentiment de pudicité, de modestie, d'honneur ? Enfin Néron monta lui-même sur la scène, touchant les cordes d'une lyre, et préludant avec une grâce étudiée. Ses courtisans étaient près de lui, et, avec eux, une cohorte de soldats, les centurions, les tribuns et Burrus, qui gémissaient tout en applaudissant. Alors fut créé ce corps de chevaliers romains qu'on appela les Augustans, tous vigoureux et brillants de jeunesse, attirés les uns par un esprit de licence, les autres par des vues ambitieuses. Le jour entendait leurs acclamations ; ils en faisaient retentir les nuits, cherchant à la voix, et à la beauté du prince des noms parmi les dieux : ils avaient à ce prix ce qu'on mérite par la vertu, les honneurs et l'illustration.
 
1.:{{refa|3}} Suivant Dion, Néron institua ces jeux à l'occasion de la première barbe, dont il consacra les poils à Jupiter Capitolin, après les avoir fait enchâsser dans une boîte d'or.
<div style="margin-left:15px;">
===Néron poète===
Ligne 138 ⟶ 139 :
====18====
</div>
Pédius Blésus perdit aussi le rang de sénateur, accusé par les Cyrénéens d'avoir violé le trésor d'Esculape, et cédé, dans la levée des soldats, à la double corruption de la brigue et de l'or. Le même peuple poursuivait Acilius Strabo ancien préteur, envoyé par Claude pour régler la propriété de plusieurs domaines possédés autrefois par le roi Apion (1){{refl|4}}, et que ce prince avait laissés, avec ses États, au peuple romain. Les propriétaires voisins les avaient envahis, et ils se prévalaient d'une usurpation longtemps tolérée, comme d'un titre légitime. En prononçant contre eux, le juge souleva les esprits contre lui-même. Le sénat répondit aux Cyrénéens qu'il ignorait les ordres de Claude, et qu'il fallait consulter le prince, Néron, approuvant le jugement d'Acilius, écrivit néanmoins que, par égard pour les alliés, il leur faisait don de ce qu'ils avaient usurpé.
 
1.:{{refa|4}} Le roi Apion, descendant des Lagides, dernier souverain d'une partie de la Libye, avait légué ses États au peuple romain l'an de Rome 880. Les principales villes étaient Bérénice Ptolémaïs et Cyrène.
<div style="margin-left:15px;">
===Fin de carrière pour deux maîtres du barreau===
Ligne 158 ⟶ 159 :
====21====
</div>
C'était cette licence même qui plaisait au plus grand nombre, et cependant ils couvraient leur secrète pensée de prétextes honnêtes. "Nos ancêtres, disaient-ils, ne s'étaient pas refusé plus que nous le délassement des spectacles, et ils en avaient de conformes à leur fortune : c'est ainsi que des Étrusques ils avaient pris les histrions, des Thuriens (1){{refl|5}} les courses de chevaux. Maîtres de la Grèce et de l'Asie, ils avaient donné plus de pompe à leurs jeux, sans qu'aucun Romain de naissance honnête se fût abaissé jusqu'aux arts de la scène, pendant les deux siècles écoulés depuis le triomphe de Mummius, qui le premier avait montré à Rome ces spectacles nouveaux. C'était au reste par économie qu'on avait bâti un théâtre fixe et durable, au lieu de ces constructions éphémères que chaque année voyait s'élever à grands frais. Plus de nécessité aux magistrats d'épuiser leur fortune à donner des spectacles grecs, plus de motifs aux cris du peuple pour en obtenir des magistrats, lorsque l'Etat ferait cette dépense. Les victoires des poëtes et des orateurs animeraient les talents et quel juge, enviant à son oreille un plaisir légitime, serait fâché d'assister à ces nobles exercices de l'esprit ? C'était à la joie, bien plus qu'à la licence, que l'on consacrait quelques nuits en cinq ans, nuits éclairées de tant de feux, qu'elles n'auraient plus d'ombres pour cacher le désordre." Il est certain que cette fête passa sans laisser après elle aucune éclatante flétrissure. Le peuple même ne se passionna pas un instant. C'est que les pantomimes, quoique rendus à la scène, n'étaient pas admis dans les jeux sacrés. Personne ne remporta le prix de l'éloquence ; mais Néron fut proclamé vainqueur. L'habillement grec, avec lequel beaucoup de personnes s'étaient montrées pendant la durée des fêtes, fut quitté aussitôt.
 
1.:{{refa|5}} Thurium, bâtie après la destruction de Sybaris et non loin de ses ruines, était située entre les rivières de Crathis et de Sybaris, prés du golfe de Tarente.
<div style="margin-left:15px;">
===A la recherche d'un successeur===
Ligne 166 ⟶ 167 :
====22====
</div>
Il parut dans ce temps une comète, présage, aux yeux du peuple, d'un règne qui va finir. A cette vue, comme si Néron eût été déjà renversé du trône, les pensées se tournèrent vers le choix de son successeur. Toutes les voix proclamaient Rubellius Plautus, qui par sa mère tirait sa noblesse de la famille des Jules. Attaché aux maximes antiques, Plautus avait un extérieur austère ; sa maison était chaste, sa vie retirée ; et plus il s'enveloppait d'une prudente obscurité, plus la renommée le mettait en lumière. Les conjectures non moins vaines auxquelles donna lieu un coup de tonnerre accrurent encore ces rumeurs : comme Néron soupait auprès des lacs Simbruins, dans le lieu nommé Sublaqueum (1){{refl|6}}, les mets furent atteints de la foudre, et la table fracassée ; or, cet événement étant arrivé sur les confins de Tibur, d'où Plautus tirait son origine paternelle, on en conclut que la volonté des dieux le destinait à l'empire. Il eut même des courtisans parmi ces hommes qu'une politique intéressée et souvent trompeuse hasarde les premiers au devant des fortunes naissantes. Néron alarmé écrivit à Plautus "de pourvoir au repos de la ville, et de se dérober à la méchanceté de ses diffamateurs ; qu'il avait en Asie des domaines héréditaires, où, loin des dangers et du trouble, il jouirait en paix de sa jeunesse." Plautus partit avec sa femme Antistia et quelques amis. A la même époque, une recherche indiscrète de plaisir valut à Néron infamie et péril : il avait nagé dans la fontaine d'où l'eau Marcia (2){{refl|7}} est amenée à Rome, et l'on croyait qu'en y plongeant son corps il avait profané une source sacrée, et violé la sainteté du lieu. Une maladie qui vint à la suite parut un témoignage de la colère céleste.
 
1.:{{refa|6}} Tacite, liv. XI, ch. XI, a fait mention des monts Simbruins. Pline parle de trois lacs fort agréables formés par l'Anio, ou Téveron, qui ont donné le nom au lieu appelé Sublaqueum.
2.:{{refa|7}} L'eau Marcia est un des plus célèbres aqueducs de l'ancienne Rome. La source était dans les montagnes des Péligniens. On voit encore, près de Rome, des ruines imposantes de cet aqueduc.
 
==A l'extérieur==
Ligne 177 ⟶ 178 :
====23====
</div>
Cependant Corbulon, qui venait de raser Artaxate, voulut profiter d'une première impression de terreur pour s'emparer de Tigranocerte, afin de redoubler l'effroi des ennemis en détruisant cette ville, ou de s'acquérir, en la conservant, un renom de clémence. Il y marcha donc, mais d'une marche inoffensive, pour ne pas porter le désespoir devant lui, et toutefois sans négliger les soins de la prudence, à cause de l'humeur changeante de ces peuples, lents et craintifs à l'aspect du danger, toujours prêts à l'heure de la trahison. Les barbares, chacun selon son caractère, se présentent en suppliants, ou abandonnent leurs hameaux et fuient loin des routes pratiquées. Il y en eut même qui se cachèrent dans des cavernes avec ce qu'ils avaient de plus cher. Le général romain, ménageant habilement sa conduite, faisait grâce aux prières, poursuivait la fuite avec rapidité. Impitoyable pour ceux qui occupaient des retraites souterraines, il leur ferma toutes les issues avec des sarments et des broussailles, et les brilla dans leurs repaires. Comme il longeait les frontières des Mardes (1){{refl|8}}, cette nation, exercée au brigandage et défendue par des monts inaccessibles, le harcela de ses incursions. Il envoya les Ibériens ravager leur pays, et l'audace de cet ennemi fut punie aux dépens d'un sang étranger.
 
1.:{{refa|8}} Au pied des monts Gordyens.
<div style="margin-left:15px;">
===Prise de Tigranocerte===
Ligne 201 ⟶ 202 :
====27====
</div>
La même année, un tremblement de terre renversa Laodicée (1){{refl|9}} l'une des cités les plus célèbres de l'Asie : elle se releva par elle-même et sans notre concours. En Italie, l'ancienne ville de Pouzzoles obtint de Néron les droits et le surnom de colonie romaine. Des vétérans furent désignés pour habiter Antium et Tarente, et ne remédièrent point à la dépopulation de ces villes : ils se dispersèrent presque tous, et chacun regagna la province où il avait achevé son service. Étrangers d'ailleurs à l'usage de se marier et d'élever des enfants, ils ne laissaient dans leurs maisons désertes aucune postérité. Car ce n'étaient plus ces légions que jadis on établissait tout entières, tribuns, centurions, soldats de mêmes manipules, et qui, unies d'esprit et de coeur, ne tardaient pas à former une cité : c'étaient des hommes inconnus entre eux, tirés de différents corps, sans chef, sans affection mutuelle, qui tous venaient comme d'un autre monde, et dont le soudain assemblage formait une multitude plutôt qu'une colonie.
 
1.:{{refa|9}} Laodicée de Phrygie, dont le nom subsiste encore dans celui de Ladik.
<div style="margin-left:15px;">
===Mesures diverses===
Ligne 219 ⟶ 220 :
====29====
</div>
Sous le consulat de Césonius Pétus et de Pétronius Turpilianus, l’empire essuya en Bretagne un sanglant désastre. J'ai déjà dit que le lieutenant Aulus Didius s'était contenté d'y maintenir nos conquêtes. Véranius, son successeur, fit quelques incursions chez les Silures, et, surpris par la mort, il ne put porter la guerre plus loin. Cet homme, à qui la renommée attribua toute sa vie une austère indépendance, laissa voir, dans les derniers mots de son testament, l'esprit d'un courtisan : il y prodiguait mille flatteries à Néron, ajoutant que, s'il eût vécu encore deux années, il lui aurait soumis la province tout entière. Après lui, les Bretons eurent pour gouverneur Suétonius Paullinus, que ses talents militaires et la voix publique, qui ne laisse jamais le mérite sans rival, donnaient pour émule à Corbulon. Lui-même songeait à l'Arménie reconquise, et brûlait d'égaler un exploit si glorieux en domptant les rebelles. L'île de Mona (1){{refl|10}}, déjà forte par sa population, était encore le repaire des transfuges : il se dispose à l’attaquer, et construit des navires dont la carène fût assez plate pour aborder sur une plage basse et sans rives certaines. Ils servirent à passer les fantassins ; la cavalerie suivit à gué ou à la nage, selon la profondeur des eaux.
 
1.:{{refa|10}} Anglesey.
<div style="margin-left:30px;">
====30====
Ligne 229 ⟶ 230 :
====31====
</div>
Le roi des Icéniens, Prasutagus, célèbre par de longues années d'opulence, avait nommé l’empereur son héritier, conjointement avec ses deux filles. Il croyait que cette déférence mettrait à l'abri de l’injure son royaume et sa maison. Elle eut un effet tout contraire : son royaume, en proie à des centurions, sa maison, livrée à des esclaves, furent ravagés comme une conquête. Pour premier outrage, sa femme Boadicée est battue de verges, ses filles déshonorées : bientôt, comme si tout le pays eût été donné en présent aux ravisseurs, les principaux de la nation sont dépouillés des biens de leurs aïeux, et jusqu'aux parents du roi sont mis en esclavage. Soulevés par ces affronts et par la crainte de maux plus terribles (car ils venaient d'être réduits à l'état de province), les Icéniens courent aux armes et entraînent dans leur révolte les Trinobantes(1){{refl|11}} et d'autres peuples, qui, n'étant pas encore brisés à la servitude, avaient secrètement conjuré de s'en affranchir. L'objet de leur haine la plus violente étaient les vétérans, dont une colonie, récemment conduite à Camulodunum, chassait les habitants de leurs maisons, les dépossédait de leurs terres, en les traitant de captifs et d'esclaves, tandis que les gens de guerre, par une sympathie d'état et l'espoir de la même licence, protégeaient cet abus de la force. Le temple élevé à Claude offensait aussi les regards, comme le siège et la forteresse d'une éternelle domination ; et ce culte nouveau engloutissait la fortune de ceux qu'on choisissait pour en être les ministres. Enfin il ne paraissait pas difficile de détruire une colonie qui n'avait point de remparts, objet auquel nos généraux avaient négligé de pourvoir, occupés qu'ils étaient de l'agréable avant de songer à l'utile.
 
1.:{{refa|11}} Les Trinobantes habitaient entre les Icéniens au nord et la Tamise au sud : maintenant les comtés de Middlesex et d'Essex.
<div style="margin-left:30px;">
====32====
Ligne 239 ⟶ 240 :
====33====
</div>
Mais Suétonius, avec un courage admirable, perce au travers des ennemis, et va droit à Londinium, ville qui, sans être décorée du nom de colonie, était l'abord et le centre d'un commerce immense. Il délibéra s'il choisirait ce lieu pour théâtre de la guerre. Mais, voyant le peu de soldats qui était aux environs et la terrible leçon qu'avait reçue la témérité de Cérialis, il résolut de sacrifier une ville pour sauver la province. En vain les habitants en larmes imploraient sa protection ; inflexible à leurs gémissements, il donne le signal du départ, et emmène avec l’armée ceux qui veulent la suivre. Tout ce que retint la faiblesse du sexe, ou la caducité de l'âge, ou l'attrait du séjour, tout fut massacré par l'ennemi. Le municipe de Vérulam (1){{refl|12}} éprouva le même sort ; car les Bretons laissaient de côté les forts et les postes militaires, courant, dans la joie du pillage et l'oubli de tout le reste, aux lieux qui promettaient les plus riches dépouilles et le moins de résistance. On calcula que soixante-dix mille citoyens ou alliés avaient péri dans les endroits que j'ai nommés. Faire des prisonniers, les vendre, enfin tout trafic de guerre, eût été long pour ces barbares : les gibets, les croix, le fer, le feu, servaient mieux leur fureur ; on eût dit qu'ils s'attendaient à l'expier un jour, et qu'ils vengeaient par avance leurs propres supplices.
 
1.:{{refa|12}} Ancienne ville, dont l'illustration a été renouvelée par le titre de baron de Vérulam, donné au célèbre chancelier Bacon. C'est aujourd'hui Saint-Albans, dans le comté d'Hertford.
<div style="margin-left:30px;">
====34====
Ligne 275 ⟶ 276 :
====40====
</div>
La même année, deux crimes fameux signalèrent à Rome l'audace d'un sénateur et celle d'un esclave. Il y avait un ancien préteur, nommé Domitius Balbus, riche, sans enfants, et qu'une longue vieillesse livrait aux pièges de la cupidité. Un de ses parents, Valérius Fabianus, destiné à la carrière des honneurs, lui supposa un testament, de concert avec Vinicius Rufinus et Térentius Lentinus, chevaliers romains. Ceux-ci mirent dans le complot Antonius Primus (1){{refl|13}} et Asinius Marcellus, le premier d'une audace à tout entreprendre, le second brillant du lustre de son bisaïeul Asinius Pollio, et jusqu'alors estimé pour ses moeurs, si ce n'est qu'il regardait la pauvreté comme le dernier des maux. Fabianus fit sceller l'acte faux par ceux que je viens de dire et par d'autres d'un rang moins élevé, et il en fut convaincu devant le sénat. Lui et Antonius furent condamnés, avec Rufinus et Térentius, aux peines de la loi Cornélia (2){{refl|14}}. Quant à Marcellus, la mémoire de ses ancêtres et les prières de César le sauvèrent du châtiment plutôt que de l'infamie.
 
1.:{{refa|13}} C'est ce même Antonius qui joue un si grand rôle dans la guerre entre Vitellius et Vespasien.
2.:{{refa|14}} Exil, déportation dans une île, ou exclusion du sénat.
<div style="margin-left:15px;">
===Condamnation===
Ligne 284 ⟶ 285 :
====51====
</div>
Le même jour vit frapper aussi Pompéius Élianus, jeune homme qui avait été questeur, et qu'on jugea instruit des bassesses de Fabianus. Le séjour de l'Italie, ainsi que de l'Espagne, où il était né, lui fut interdit. Valérius Ponticus subit la même flétrissure, parce que, afin de soustraire les coupables à la justice du préfet de Rome, il les avait déférés au préteur, couvrant d'un prétendu respect des lois une collusion ménagée pour éluder leur vengeance. Il fut ajouté au sénatus-consulte que quiconque aurait acheté ou vendu de telles connivences serait soumis aux mêmes peines{{refl|15}} que le calomniateur condamné par un jugement public .
 
(1):{{refa|15}} Ces peines étaient l'infamie, le talion, l'exil, la relégation dans une île, ou l'exclusion de l'ordre auquel on appartenait.
<div style="margin-left:15px;">
===Faut-il supplicier tous les esclaves lors d'un crime ? ===
Ligne 300 ⟶ 301 :
====44====
</div>
Veut-on argumenter sur des questions résolues par de plus sages que nous ? Eh ! bien, si nous avions celle-ci à décider pour la première fois, croyez-vous qu'un esclave ait conçu le dessein d'assassiner son maître, sans qu'il lui soit échappé quelque parole menaçante, sans qu'une seule indiscrétion ait trahi sa pensée ? Je veux qu'il l'ait enveloppée de secret, que personne ne l'ait vu aiguiser son poignard : pourra-t-il traverser les gardes de nuit, ouvrir la chambre, y porter de la lumière, consommer le meurtre, à l'insu de tout le monde ? Mille indices toujours précèdent le crime. Si nos esclaves le révèlent, nous pourrons vivre seuls au milieu d'un grand nombre, sûrs de notre vie parmi des gens inquiets pour la leur ; enfin, entourés d'assassins, si nous devons périr, ce ne sera pas sans vengeance. Nos ancêtres redoutèrent toujours l'esprit de l'esclavage, alors même que, né dans le champ ou sous le toit de son maître, l'esclave apprenait à le chérir en recevant le jour. Mais depuis que nous comptons les nôtres par nations (1){{refl|16}}, dont chacune a ses moeurs et ses dieux, non, ce vil et confus assemblage ne sera jamais contenu que par la crainte. Quelques innocents périront. Eh ! lorsqu'on décime une armée qui a fui, le sort ne peut-il pas condamner môme un brave à expirer sous le bâton ? Tout grand exemple est mêlé d'injustice, et le mal de quelques-uns est racheté par l'avantage de tous."
 
1.:{{refa|16}} Les troupes immenses d'esclaves que possédaient quelques Romains étaient divisées selon leur pays, leur couleur, leur âge : c'est-à-dire qu'on mettait respectivement ensemble les Thraces, les Phrygiens, les Africains, etc.
<div style="margin-left:30px;">
====45====
Ligne 332 ⟶ 333 :
====49====
</div>
La liberté de Thraséas arracha les autres à leur asservissement, et, le consul ayant autorisé le partage, tous passèrent du côté de ce grand homme, excepté quelques flatteurs, entre lesquels A. Vitellius (1){{refl|17}} se distingua par l'empressement de sa bassesse, attaquant de ses invectives les plus gens de bien, et, comme font les lâches ; restant muet à la première réponse. Toutefois les consuls, n'osant rédiger le décret du sénat, écrivirent au prince le voeu de cet ordre. Néron balança d'abord entre la honte et la colère : enfin il répondit "que, sans être provoqué par aucune injure, Antistius s'était permis contre le prince les paroles les plus outrageantes ; que vengeance en avait été demandée au sénat ; qu'il eût été juste de proportionner la peine à la grandeur du crime ; mais que, résolu par avance d'arrêter l'effet de la sévérité, il ne s'opposerait pas à la clémence ; qu'ils prononçassent ce qu'ils voudraient ; qu'au nombre de leurs pouvoirs était même celui d'absoudre." Cette lettre, où chaque mot décelait une âme offensée, fut lue sans que les consuls changeassent rien à la délibération, ou que Thraséas renonçât à son avis, ou que les autres désavouassent ce qu'ils avaient approuvé. Les uns craignaient qu'on ne leur prêtât l'intention de rendre le prince odieux ; la plupart se confiaient en leur nombre ; Thraséas ne consultait que la fermeté de son âme et les intérêts de sa gloire.
 
1.:{{refa|17}} Celui même qui fut empereur.
<div style="margin-left:30px;">
====50====
Ligne 354 ⟶ 355 :
====53====
</div>
Sénèque, averti, par quelques hommes encore sensibles à l'honneur, des crimes qu'on lui prêtait, voyant d'ailleurs le prince repousser de plus en plus son intimité, demande un entretien, et, l'ayant obtenu, il parle ainsi : "Il y a quatorze ans, César, que je fus placé auprès du berceau de ta future grandeur ; il y en a huit que tu règnes. Pendant ce temps, tu as accumulé sur moi tant d'honneurs et de richesses, qu'il ne manque rien à ma félicité que d'avoir des bornes. Je citerai de grands exemples, et je les prendrai non dans mon rang, mais dans le tien. Ton trisaïeul Auguste permit que M. Agrippa se retirât à Mitylène, et que Mécène, sans quitter Rome, s'y reposât comme dans une lointaine retraite. L'un, compagnon de ses guerres, l'autre, éprouvé à Rome par des travaux de toute espèce, avaient reçu des récompenses, magnifiques saris doute, mais achetées par d'immenses services. Moi, quels titres ai-je apportés à ta munificence, si ce n'est des études nourries, pour ainsi dire, dans l'ombre, et qui empruntent tout leur éclat de ce que je parais avoir dirigé les essais de ta jeunesse, prix déjà si haut de si faibles talents ? Mais toi, César, tu mas environné d'un crédit sans bornes, de richesses infinies, au point que souvent je me dis à moi-même : Qui ? moi, né simple chevalier, au fond d'une province (1){{refl|18}}, je suis compté parmi les premiers de l'État ! ma nouveauté s'est fait jour entre tant de noms décorés d'une longue illustration ! Où est cette philosophie si bornée dans ses désirs ? est-ce elle qui embellit ces jardins, qui promène son faste dans ces maisons de plaisance, qui possède ces vastes domaines, ces inépuisables revenus ? Une seule excuse se présente : je n'ai pas dû repousser tes bienfaits.
 
1.:{{refa|18}} Sénèque était né à Cordoue, en Espagne, d'une famille de chevaliers.
<div style="margin-left:30px;">
====54====
Ligne 412 ⟶ 413 :
===Mort d'Octavie===
</div>
LXIV. Ainsi une faible femme, dans la vingtième année de son âge, entourée de centurions et de soldats, et déjà retranchée de la vie par le pressentiment de ses maux, ne se reposait pourtant pas encore dans la paix de la mort. Quelques jours s'écoulèrent, et elle reçut l'ordre de mourir. En vain elle s'écrie qu'elle n'est plus qu'une veuve, que la soeur du prince (1){{refl|19}} ; en vain elle atteste les Germanicus, leurs communs aïeul (2){{refl|20}}, et jusqu'au nom d'Agrippine, du vivant de laquelle, épouse malheureuse, elle avait du moins échappé au trépas : on la lie étroitement, et on lui ouvre les veines des bras et des jambes. Comme le sang, glacé par la frayeur, coulait trop lentement, on la mit dans un bain très-chaud, dont la vapeur l'étouffa ; et, par une cruauté plus atroce encore, sa tête ayant été coupée et apportée à Rome, Poppée en soutint la vue. Des offrandes pour les temples furent décrétées à cette occasion ; et je le remarque, afin que ceux qui connaîtront, par mes récits ou par d'autres, l'histoire de ces temps déplorables, sachent d'avance que, autant le prince ordonna d'exils ou d'assassinats, autant de fois on rendit grâce aux dieux, et que ce qui annonçait jadis nos succès signalait alors les malheurs publics. Je ne tairai pas cependant les sénatus-consultes que distinguerait quelque adulation neuve, ou une servilité poussée au dernier terme.
 
1.:{{refa|19}} Octavie était fille de Claude par la nature, Néron fils par l'adoption. Répudiée comme épouse, elle n'était donc plus que la soeur du prince
2.:{{refa|20}} Claude, père d'Octavie, et Drusus, père de Claude, portaient tous deux le surnom de Germanicus. D'un autre côté, Néron était petit-fils, par sa mère Agrippine, du grand Germanicus, qui lui-même était frère de Claude et fils de Drusus. Le premier qui prit le titre de Germanique était donc aïeul d'Octavie et bisaïeul de Néron.
<div style="margin-left:15px;">
===Assassinat de deux affranchis===