« Annales (Tacite)/Livre VI » : différence entre les versions

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Quant à Junius Gallio, qui avait proposé que les prétoriens vétérans eussent le droit de s'asseoir, au théâtre, sur les quatorze rangs de sièges destinés aux chevaliers, il lui fit une violente réprimande, lui demandant, comme s'il eût été devant lui, "ce qu'il avait de commun avec les soldats ; s'il était juste que ceux-ci reçussent les ordres de l'empereur et leurs récompenses d'un autre. Pensait-il donc avoir trouvé dans son génie quelque chose qui eût échappé à la prévoyance d'Auguste ? ou plutôt, complice de Séjan, ne cherchait-il pas une occasion de discorde et de trouble, en soufflant dans des esprits grossiers une ambition qui ruinerait la discipline ? " Voilà ce que valut à Gallion cette recherche de flatterie. Chassé sur-le-champ du sénat, ensuite de l'Italie, on trouva que son exil serait trop doux dans l'île célèbre et agréable de Lesbos, qu'il avait choisie pour retraite ; on l'en tira pour l'emprisonner à Rome, dans les maisons des magistrats ({{refl|1)}}. Par la même lettre, Tibère frappa l'ancien préteur Sextius Paconianus d'une accusation qui remplit de joie le sénat. C'était un homme audacieux, malfaisant, épiant les secrets de toutes les familles, et que Séjan avait choisi pour préparer la ruine de Caïus César. Au récit de cette intrigue, les haines amassées depuis longtemps éclatèrent. On condamnait Paconianus au dernier supplice, s'il n'eût promis une révélation.
 
:{{refa|1.}} Les sénateurs et les citoyens de quelque distinction n’étaient point mis dans la prison publique. On les donnait en garde à un magistrat qui les enfermait chez lui.
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===Latiaris et Hatérius Agrippa===
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Ainsi, lorsque chacun reniait sans pudeur l'amitié de Séjan, un chevalier romain, M. Térentius, accusé d'y avoir eu part, osa s'en faire honneur devant le sénat. "Pères conscrits, dit-il, peut-être conviendrait-il mieux à ma fortune de repousser l'accusation que de la reconnaître. Mais, quel que puisse être le prix de ma franchise, je l'avouerai, je fus l'ami de Séjan, j'aspirai à le devenir ; je fus joyeux d'y avoir réussi. Je l'avais vu commander avec son père les cohortes prétoriennes ; je le voyais remplir à la fois les fonctions civiles et militaires. Ses proches, ses alliés, étaient comblés d'honneurs ; son amitié était le titre le plus puissant à celle de César ; sa haine plongeait dans les alarmes et le désespoir quiconque l'avait encourue. Je ne prends personne pour exemple : je défendrai à mes seuls périls tous ceux qui, comme moi, furent innocents de ses derniers complots. Non, ce n'était pas à Séjan de Vulsinies que s'adressaient nos hommages ; c'était à la maison des Claudes et des Jules, dont une double alliance l'avait rendu membre (1){{refl|2}} ; c'était à ton gendre, César, à ton collègue dans le consulat, au dépositaire de ton autorité. Ce n'est pas à nous, d'examiner qui tu places sur nos têtes, ni quels sont tes motifs. A toi les dieux ont donné la souveraine décision de toutes choses ; obéir est la seule gloire qui nous soit laissée. Or, nos yeux sont frappés de ce qu'ils ont en spectacle ; ils voient à qui tu dispenses les richesses, les honneurs, où se trouve la plus grande puissance de servir ou de nuire. Cette puissance, ces honneurs, on ne peut nier que Séjan ne les ait possédés. Vouloir deviner les secrètes pensées du prince et ses desseins cachés, est illicite, dangereux ; le succès d'ailleurs manquerait à nos recherches. Pères conscrits, ne considérez pas le dernier jour de Séjan ; pensez plutôt à seize ans de sa vie. A cause de lui, Satrius même et Pomponius obtinrent nos respects. Être connu de ses affranchis, des esclaves qui veillaient à sa porte, fut réputé un précieux avantage. Que conclure de ces réflexions ? qu'elles donnent également l'innocence à tous les amis de Séjan ? non, sans doute ; il faut faire une juste distinction : que les complots contre la république et les attentats à la vie du prince soient punis ; mais qu'une amitié qui a fini, César, en même temps que la tienne, nous soit pardonnée comme à toi."
 
1.:{{refa|2}} Allusion à l'union arrêtée anciennement entre la fille de Séjan et le fils de Claude, et à celle que Tibère avait promise à Séjan lui-même avec une femme de sa famille, sans doute avec sa bru Livie.
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===Lèse-majesté===
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Le tribun du peuple Quintilianus soumit ensuite à la délibération du sénat un nouveau livre sibyllin, que le quindécemvir Caninius Gallus voulait faire admettre par un sénatus-consulte. Le décret, rendu au moyen du partage (1){{refl|3}}, fut blâmé par une lettre du prince. Tibère y faisait au tribun une légère réprimande, accusant sa jeunesse d'ignorer les anciens usages. Plus sévère pour Gallus, il s'étonnait qu'un homme vieilli dans la science religieuse eût accueilli l'ouvrage d'un auteur incertain, sans consulter son collège, sans le faire lire et juger, suivant la coutume, par les maîtres des rites, et l’eût proposé aux suffrages d'une assemblée presque déserte. Il rappelait en outre une ordonnance d'Auguste, qui, voyant de prétendus oracles publiés chaque jour sous un nom accrédité, fixa un terme pour les porter chez le préteur de la ville, et défendit que personne en pût garder entre ses mains. Un décret semblable avait été rendu chez nos ancêtres après l’incendie du Capitole, au temps de la guerre sociale. Alors on recueillit à Samos, à Ilium, à Érythrée (2){{refl|4}}, en Afrique même, en Sicile, et dans les villes d'Italie, tous les livres sibyllins (soit qu'il ait existé une ou plusieurs Sibylles), et on chargea les prêtres de reconnaître, autant que des hommes pouvaient le faire, quels étaient les véritables. Celui de Gallus fut également soumis à l'examen des quindécemvirs.
 
1.:{{refa|3}} Si les opinions étaient suffisamment formées, les partisans de la proposition passaient d'un côté de la salle, les adversaires se rangeaient de l'autre. Si la chose était encore douteuse, on demandait les voix individuellement, et chacun prononçait son avis en le motivant. Le premier mode s'appelait ''per discessionem '' le second, ''per exquisitas sententias'', ou encore'' per relationem 2''.
:{{refa|4}} Ville célèbre d'Ionie, vis-à-vis de l'île de Chio, aujourd'hui Eréthri.
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===Nouvelles exécutions===
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Des remboursements qui remuaient à la fois toutes les dettes, et la perte des biens de tant de condamnés, qui accumulait dans le fisc ou dans l'épargne les espèces monnayées, rendirent l'argent rare. Ajoutez un décret du sénat qui enjoignait aux prêteurs de placer en biens-fonds situés dans l'Italie les deux tiers de leurs créances. Or ceux-ci les exigeaient en entier ; et les débiteurs, requis de payer, ne pouvaient sans honte rester au-dessous de leurs engagements. En vain ils courent, ils sollicitent ; le tribunal du préteur retentit bientôt de demandes. Les ventes et les achats, où l'on avait cru trouver un remède, augmentèrent le mal. Plus d'emprunts possibles ; les riches serraient leur argent pour acheter des terres. La multitude des ventes en fit tomber le prix ; et plus on était obéré, plus on avait de peine à trouver des acheteurs. Beaucoup de fortunes étaient renversées, et la perte des biens entraînait celle du rang et de la réputation. Enfin Tibère soulagea cette détresse en faisant un fonds de cent millions de sesterces (1){{refl|5}}, sur lesquels l'État prêtait sans intérêt, pendant trois ans, à condition que le débiteur donnerait une caution en biens-fonds du double de la somme empruntée. Ainsi l’on vit renaître le crédit, et peu à peu les particuliers même prêtèrent. Quant aux achats de biens, on ne s’en tint pas à la rigueur du sénatus-consulte ; et c'est le sort de toutes les réformes, sévères au commencement, à la fin négligées.
 
1.:{{refa|5}} - 19 483 561 F.
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===La terreur===
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Bientôt on retomba dans les anciennes alarmes, en voyant Considius Proculus accusé de lèse-majesté. Il célébrait tranquillement le jour de sa naissance, lorsqu'il fut tout à coup, et dans le même instant, traîné au sénat, condamné, mis à mort. Sancia, sa sœur, fut privée du feu et de l'eau. L'accusateur était Q. Pomponius, esprit turbulent, qui couvrait ses bassesses du désir de gagner les bonnes grâces du prince, afin de sauver son frère Pomponius Sécundus. L'exil fut aussi prononcé contre Pompéia Macrina, dont Tibère avait déjà frappé le mari Argolicus et le beau-père Laco, deux des principaux de l'Achaïe. Son père, chevalier romain du premier rang, et son frère, ancien préteur, menacés d'une condamnation inévitable, se tuèrent eux-mêmes. Un de leurs crimes était l'amitié qui avait uni à Pompée leur bisaïeul Théophane de Mitylène, et les honneurs divins décernés à ce même Théophane par l'adulation des Grecs (1){{refl|6}}.
 
1.:{{refa|6}} Théophane fut l'ami et l'historiographe du grand Pompée, qui, à sa prière, rendit aux Lesbiens la liberté qu'ils avaient perdue pour avoir embrassé le parti de Mithridate. C'est en reconnaissance de ce bienfait que les Lesbiens décernèrent à Théophane les honneurs divins.
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Sous les mêmes consuls, on apprit la mort d'Asinius Gallus. Personne ne doutait qu'elle ne fût l'ouvrage de la faim ; mais on ignora si elle était volontaire ou forcée. Tibère, à qui on demanda la permission de lui rendre les derniers devoirs, ne rougit pas de l'accorder, tout en se plaignant du sort qui enlevait un accusé avant qu'il fût publiquement convaincu : comme si trois ans n'avaient pas suffi pour qu'un vieillard consulaire, et père de tant de consuls, parût devant ses juges ! Drusus (1){{refl|7}} mourut ensuite, réduit à ronger la bourre de son lit, affreuse nourriture, avec laquelle il traîna sa vie jusqu'au neuvième jour. Il était en prison dans le palais. Quelques-uns rapportent que Macron avait ordre de l'en tirer, et de le mettre à la tête du peuple, si Séjan recourait aux armes. Bientôt, le bruit s'étant répandu que Tibère allait se réconcilier avec sa bru et son petit-fils, il aima mieux être cruel que de paraître se repentir.
 
1.:{{refa|7}} - Fils de Germanicus.
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Pendant que toutes ces morts mettaient Rome en deuil, ce fut un surcroît de douleur de voir Julie, fille de Drusus, autrefois épouse de Néron, passer par le mariage dans la maison de Rubellius Blandus, petit-fils d'un homme que plusieurs se souvenaient d'avoir connu à Tibur simple chevalier romain. A la fin de l'année, la mort d'Elius Lamia fut honorée par des funérailles solennelles. Elius, délivré enfin du vain titre de gouverneur de Syrie, avait été préfet de Rome. Sa naissance était distinguée ; sa vieillesse fut pleine de vigueur, et le gouvernement dont on l'avait privé le relevait encore dans l'estime publique. On lut ensuite, à l'occasion de la mort de Pomponius Flaccus, propréteur de Syrie, une lettre de Tibère. Il se plaignait de ce que les hommes les plus illustres et les plus capables de commander les armées refusaient cet emploi ; refus qui le contraignait d'avoir recours aux prières pour déterminer quelques-uns des consulaires à se charger des gouvernements. Il avait oublié que depuis dix ans il empêchait Arruntius de se rendre en Espagne. La même année, mourut M. Lépidus, dont j'ai assez fait connaître la modération et la sagesse dans les livres précédents. Il est inutile de parler longuement de sa noblesse : la maison des Émiles fut toujours féconde en grands citoyens ; et, dans cette famille, ceux même qui n'eurent pas de vertus fournirent encore une carrière brillante (1){{refl|8}}.
 
1.:{{refa|8}} L'auteur fait allusion surtout au triumvir Lépide et au père du triumvir, Emilius Lépidus, qui, étant consul après la mort de Sylla, réunit les débris du parti de Marius, recommença la guerre civile, et fut battu par son collègue Catulus, d'abord sous les murs de Rome, puis en Étrurie.
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===Le phénix===
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Parmi les princes d'Orient, Mithridate, s'adressant le premier à Pharasmane, lui persuade de le seconder par la ruse et par la force. On trouva des corrupteurs, qui, avec beaucoup d'or, poussèrent au crime les serviteurs d'Arsace ; et en même temps les Ibériens, avec des troupes nombreuses, envahirent l'Arménie et s'emparèrent de la ville d'Artaxate. A cette nouvelle, Artaban confie sa vengeance à son fils Orode, lui donne une armée de Parthes, et envoie au dehors acheter des auxiliaires. Pharasmane, de son côté, se ligue avec les Albaniens, et appelle les Sarmates, dont les princes, payés par les deux partis, se vendirent, suivant l'usage de leur nation, aux deux causes opposées. Mais les Ibériens, maîtres du pays, ouvrirent les portes Caspiennes (1){{refl|9}}, et inondèrent l'Arménie de leurs Sarmates. Ceux qui arrivaient aux Parthes étaient au contraire facilement arrêtés : l'ennemi occupait tous les passages ; le seul qui restât entre la mer et les dernières montagnes d'Albanie était impraticable à cause de l'été, car alors les vents étésiens submergent cette côte. C'est en hiver seulement, lorsque le vent du midi refoule les eaux et fait rentrer, la mer dans son lit, que les grèves sont découvertes.
 
1.:{{refa|9}} L'espace qui sépare la mer Caspienne du Pont-Euxin forme une espèce d'isthme au travers duquel le Caucase s'élève comme une muraille immense. Les divers passages de cette montagne ont reçu des anciens le nom de portes : ce sont les portes Caucasiennes, Albaniennes, Ibériennes. Le nom de portes Caspiennes est appliqué vaguement par les Romains à plusieurs de ces défilés, quoiqu'il appartienne proprement à un passage beaucoup plus au sud, dans le mont Caspius, entre la Médie et le pays des Parthes.
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Vitellius, voyant Artaban en fuite et les esprits disposés à un changement de maître, exhorte Tiridate à prendre possession de sa conquête, et mène aux rives de l'Euphrate l'élite des légions et des auxiliaires. Là, suivant l'usage des Romains, il offrait aux dieux un suovétaurile(1){{refl|10}}, et Tiridate immolait un cheval en l'honneur du fleuve. Tout à coup les habitants annoncèrent que, de lui-même et sans la moindre pluie l'Euphrate venait de s'élever outre mesure, et que l'écume blanchissante formait à la surface de l'eau des cercles qui semblaient autant de diadèmes. Ce fut pour les uns l'augure d'un heureux passage ; d'autres, par une interprétation plus subtile, en conclurent que la fortune, favorable d'abord, ne le serait pas longtemps. Selon eux, "les phénomènes du ciel et de la terre parlaient sans doute un langage plus sûr ; mais les fleuves, dans leur éternelle mobilité, ne faisaient que montrer et emporter le présage." Cependant on fit un pont de bateaux, et l'armée passa sur l'autre rive. Ornospade vint le premier s'y joindre avec plusieurs milliers d'hommes à cheval. Exilé jadis, Ornospade se distingua sous Tibère, qui achevait la guerre de Dalmatie, et ses services lui valurent le droit de cité romaine. Depuis, rentré en grâce auprès du roi, et comblé de distinctions, il eut le gouvernement des plaines immenses qui, enfermées entre les deux célèbres fleuves du Tigre et de l’Euphrate, ont reçu le nom de Mésopotamie. Peu après, Sinnacès amena de nouvelles troupes ; et Abdagèse, le soutien de ce parti, livra les trésors et toutes les décorations de la grandeur royale. Vitellius, persuadé qu'il suffisait d'avoir montré les armes romaines, engage Tiridate et les grands, l'un à ne pas oublier qu'il est le petit-fils de Phraate et le nourrisson de César, deux titres si glorieux pour lui, les autres à demeurer toujours soumis à leur roi, respectueux envers nous, fidèles à l'honneur et au devoir. Ensuite il revient en Syrie avec ses légions.
 
1.:{{refa|10}} De sus, ovis, taurus, un porc, un bélier, un taureau.
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===Morts et suicides===
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De semblables trépas finirent les jours de Trébelliénus Rufus et de Sextius Paconianus. Le premier se tua de sa main ; l'autre avait fait dans sa prison des vers contre le prince, il y fut étranglé. Et ce n'était plus de l'autre côté de la mer et par de lointains messages que Tibère recevait ces nouvelles. Établi près de Rome (1){{refl|11}}, et répondant le jour même ou après l'intervalle d'une nuit aux lettres des consuls, il regardait, en quelque sorte, le sang couler à flots dans les maisons, et les bourreaux à l'ouvrage. A la fin de l'année mourut Poppéus Sabinus, d'une naissance médiocre, honoré, par l'amitié des princes, du consulat et des décorations triomphales, et placé vingt-quatre ans à la tête des plus grandes provinces, non qu'il fût doué de qualités éminentes, mais parce que sa capacité suffisait aux affaires, sans s'élever au-dessus.
 
1.:{{refa|11}} Tantôt à Tusculum, tantôt dans le territoire d’Albe.
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Pendant ce même temps, la nation des Clites, soumise au Cappadocien Archélaüs (1){{refl|12}}, et mécontente d'être assujettie, comme nos tributaires, au cens et aux impôts, se retira sur les hauteurs du mont Taurus, où l'avantage des lieux la soutenait contre les troupes mal aguerries du roi. Enfin le lieutenant M. Trébellius y fut envoyé par Vitellius, gouverneur de Syrie, avec quatre mille légionnaires et l'élite des alliés. Les barbares occupaient deux collines, la moins haute nommée Cadra, l'autre Davara. Il les environna d'une circonvallation et tailla en pièces ceux qui hasardèrent des sorties ; la soif obligea les autres à se rendre. Thridace cependant, reconnu volontairement par les Parthes, prit possession de Nicéphorium, d'Anthémusiade (2){{refl|13}} et des autres villes qui, fondées par les Macédoniens, ont reçu des noms grecs ; il prit aussi deux villes parthiques, Artémite et Halus (3){{refl|14}} ; et partout éclatait l'enthousiasme des peuples, qui, détestant pour sa cruauté Artaban, nourri chez les Scythes, espéraient de Tiridate, élève de la civilisation romaine, un caractère plus doux.
 
1.:{{refa|12}} La Cappadoce avait été réduite en province romaine à la mort de son roi Archélaüs sans doute père de celui-ci. Les Clites habitaient la partie montagneuse de la Cilicie. 2.:{{refa|13}} Nicéphorium, ville de Mésopotamie, sur le bord de l'Euphrate, bâtie par ordre d'Alexandre, aujourd'hui Racca. - Anthémusiade, ville de l'Osmène, dans la même contrée, entre l'Euphrate et le Tigre. 3.:{{refa|14}} Halus, ville d'Assyrie, aujourd'hui Galoula, selon d'Anville. D'Anville dit que la position d'Artémite, cette ancienne cité, tombe sur un lieu nommé Dascara et surnommé El-Melik, la Royale, parce que Khosroès II, roi de Perse, y habita vingt-quatre ans ; elle s'appelait alors Dastagerda.
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L'adulation se signala particulièrement à Séleucie (1){{refl|15}}. C'est une ville puissante, environnée de murailles, et qui au milieu de la barbarie, a gardé l'esprit de son fondateur Séleucus. Trois cents citoyens, choisis d'après leur fortune ou leurs lumières, lui composent un sénat. Le peuple a sa part de pouvoir. Quand ces deux ordres sont unis, on ne craint rien du Parthe ; s'ils se divisent, chacun cherche de l'appui contre ses rivaux, et l'étranger, appelé au secours d'un parti, les asservit tous deux. C'est ce qui venait d'avoir lieu sous Artaban, dont la politique livra le peuple à la discrétion des grands ; il savait que le gouvernement populaire est voisin de la liberté, tandis que la domination du petit nombre ressemble davantage au despotisme d'un roi. A l'arrivée de Tiridate, on lui prodigua tous les honneurs dont jouirent les anciens monarques, avec ceux qu'y avait encore ajoutés l'adulation moderne ; et en même temps on maudissait le nom d'Artaban, qui, disait-on, "ne tenait que par sa mère à la famille d'Arsace, et n'était du reste qu'un rejeton bâtard." Tiridate remit le pouvoir aux mains du peuple. Ensuite, comme il délibérait sur le jour où il prendrait solennellement les marques de la royauté, il reçut de Phraate et d'Hiéron, gouverneurs des deux principales provinces, des lettres où ils le priaient de les attendre quelques jours. Il crut devoir cet égard à des hommes si puissants. Dans l'intervalle, il se rendit à Ctésiphon, siège de l'empire. Mais, comme ils demandaient chaque jour un nouveau délai, Suréna, suivant l'usage du pays, et aux acclamations d'un peuple immense, ceignit du bandeau royal le front de Tiridate.
 
1.:{{refa|15}} Séleucie était située sur la rive droite du Tigre, à quelques lieues au-dessous de la position actuelle de Bagdad. Sur la rive opposée du même fleuve, et pour contre-balancer la puissance de Séleucie, les Parthes bâtirent Ctésiphon.
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La même année, un violent incendie éclata dans Rome, et consuma la partie du cirque qui touche au mont Aventin et tout le quartier bâti sur cette colline. Tibère fit tourner ce désastre à sa gloire en payant le prix des maisons détruites. Cent millions de sesterces furent employés à cet acte de munificence dont on lui sut d'autant plus de gré, que pour lui-même il dépensait peu en bâtiments. Du reste, il ne construisit non plus que deux édifices publics, un temple à Auguste et la scène du théâtre de Pompée ; et même, quand ces ouvrages furent achevés, soit mépris des applaudissements, soit vieillesse, il négligea d'en faire la dédicace. L'estimation des pertes causées par l'incendie fut confiée aux quatre gendres de l'empereur (1){{refl|16}}, Cn. Domitius, Cassius Longinus, M. Vinicius et Rubellius Blandus, auxquels fut adjoint, sur le choix des consuls, P. Pétronius, On décerna au prince tous les honneurs que put inventer le génie de l'adulation. On ignore ceux qu'il agréa ou refusa : sa mort suivit de trop près. Ce fut en effet au bout d'assez peu de temps que les derniers consuls du règne de Tibère, Cn. Acerronius et C. Pontius, entrèrent en charge. Déjà Macron jouissait d'un pouvoir excessif. Il n'avait jamais négligé l’amitié de Caïus César, et de jour en jour il la cultivait avec plus d'empressement. Après la mort de Claudia, qui avait été, comme je l'ai dit, mariée à Caïus, Macron fit servir à ses vues sa femme Ennia, que lui-même envoyait auprès du jeune homme avec mission de le séduire, et de l’enchaîner par une promesse de mariage. Celui-ci se prêtait à tout pour arriver au trône ; car, malgré la violence de son caractère, il avait appris, à l’école de son aïeul, les ruses de la dissimulation.
 
1.:{{refa|16}} Les maris de ses petites-filles.
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===Quel successeur? ===
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Le prince le savait ; aussi balança-t-il sur le choix du maître qu'il donnerait à l’empire. De ses deux petits-fils, la tendresse et le sang parlaient pour celui dont Drusus était le père ; mais il n'était pas encore sorti de l'enfance. Le fils de Germanicus, déjà dans la force de l'âge, était chéri du peuple et par conséquent haï de son aïeul. Restait Claude, d'un âge mûr, désirant naturellement le bien, mais faible d'esprit : Tibère n'y songea qu'un instant. De chercher un successeur hors de sa maison, il craignait que ce ne fût livrer la mémoire d'Auguste et le nom des Césars à l'insulte et aux outrages car, si l'opinion contemporaine le touchait peu, l'avenir n'était pas indifférent à sa vanité. Enfin, l'esprit irrésolu, le corps affaissé, il abandonna au destin une délibération dont il n'était pas capable. Toutefois, des paroles tombées de sa bouche témoignèrent qu'il en prévoyait l'issue. Il fit à Macron le reproche clairement allégorique de quitter le couchant pour regarder l'orient. Il prédit à Caïus, qui dans une conversation se moquait de Sylla, qu'il aurait tous les vices de ce dictateur et pas une de ses vertus. Comme il embrassait, en pleurant beaucoup, le plus jeune de ses petits-fils, il surprit à Caïus un regard sinistre : "Tu le tueras (1){{refl|17}}, lui dit-il, et un autre te tuera." Cependant sa santé s'affaiblissait de jour en jour, sans qu'il renonçât à aucune de ses débauches ; patient pour paraître fort, accoutumé d'ailleurs à se railler de la médecine et de ceux qui, passé trente ans, avaient besoin, pour connaître ce qui leur était bon ou mauvais, de conseils étrangers.
 
1.:{{refa|17}} Caïus fit mourir, en effet, le jeune Tibère, dés la première année de son règne.
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===Dernières purges===
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A Rome, on préparait les voies à des assassinats qui devaient avoir leur cours même après Tibère. Lélius Balbus avait accusé de lèse-majesté Acutia, qui avait été femme de P. Vitellius. Acutia condamnée, comme on décernait une récompense à l'accusateur, Junius Otho, tribun du peuple, opposa son intervention. Ce fut entre eux une source de haines, que l'exil d'Otho suivit de près. Une femme décriée par le nombre de ses amants, Albucilla, qui avait eu pour mari Satrius Sécundus, dénonciateur de Séjan, fut déférée comme impie envers le prince. On lui donnait pour complices d'impiété et d'adultères Cn. Domitius (1){{refl|18}}, Vibius Marsus, L. Arruntius. J'ai parlé de l'illustration de Domitius. Marsus joignait aussi à d'anciens honneurs l'éclat des talents. Les pièces envoyées au sénat portaient que Macron avait présidé à l'interrogatoire des témoins et à la torture des esclaves. Le prince d'ailleurs n'ayant point écrit contre les accusés, on soupçonnait Macron d'avoir abusé de son état de faiblesse, et forgé peut-être à son insu la plupart des griefs, en haine d'Arruntius, dont on le savait ennemi.
 
1.:{{refa|18}} Le gendre même de Tibère, le mari d'Agrippine, mère de Néron. Voy. Suétone, Néron, chap. v.
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