« Misère humaine » : différence entre les versions

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{{t3|MISÈRE HUMAINE}}
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Tenez, l’autre jour, avenue de l’Opéra, au milieu du public remuant et joyeux que le soleil de mai grisait, j’ai vu passer soudain un être, un être innommable, une vieille courbée en deux, vêtue de loques qui furent des robes, coiffée d’un chapeau de paille noire, tout dépouillé de ses ornements anciens, rubans et fleurs disparus depuis des temps indéfinis. Et elle allait traînant ses pieds si péniblement que je ressentais au cœur, autant qu’elle-même, plus qu’elle-même, la douleur de tous ses pas. Deux cannes la soutenaient. Elle passait sans voir personne, indifférente à tout, au bruit, aux gens, aux voitures, au soleil ! Où allait-elle ? Vers quel taudis ? Elle portait dans un papier, qui pendait au bout d’une ficelle, quelque chose ? Quoi ? du pain ? oui, sans doute. Personne, aucun voisin n’ayant pu ou voulu faire pour elle cette course, elle avait entrepris, elle, ce voyage horrible, de sa mansarde au boulanger.
==[[Page:Maupassant - Misère humaine (extrait de Gil Blas, édition du 1886-06-08).djvu/6]]==
Deux heures de route, au moins, pour aller et venir. Et quelle route douloureuse ! Quel chemin de la croix plus effroyable que celui du Christ !
 
Je levai les yeux vers les toits des maisons immenses. Elle allait là-haut ! Quand y serait-elle ? Combien de repos haletants sur les marches, dans le petit escalier noir et tortueux ?
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Toute ma « joie de vivre », pour me servir du mot d’un des plus puissants et des plus profonds romanciers de notre pays, Émile Zola, qui a vu, compris et raconté comme personne la misère des infimes, toute ma joie de vivre a disparu, s’est envolée soudain, il y a trois ans à l’automne, un jour de chasse, en Normandie.
 
Il pleuvait, j’allais seul, par la plaine, par les grands labourés de boue grasse qui fondaient et glissaient sous mon pied. De temps
==[[Page:Maupassant - Misère humaine (extrait de Gil Blas, édition du 1886-06-08).djvu/7]]==
en temps une perdrix surprise, blottie contre une motte de terre, s’envolait lourdement sous l’averse. Mon coup de fusil, éteint par la nappe d’eau qui tombait du ciel, claquait à peine comme un coup de fouet, et la bête grise s’abattait avec du sang sur ses plumes
 
Je me sentais triste à pleurer, à pleurer comme les nuages qui pleuraient sur le monde et sur moi, trempé de tristesse jusqu’au cœur, accablé de lassitude à ne plus lever mes jambes engluées d’argile ; et j’allais rentrer quand j’aperçus au milieu des champs le cabriolet du médecin qui suivait un chemin de traverse.
 
Elle passait, la voiture noire et basse couverte de sa capote ronde et traînée par son cheval brun, comme un présage de mort errant dans la campagne par ce jour
==[[Page:Maupassant - Misère humaine (extrait de Gil Blas, édition du 1886-06-08).djvu/8]]==
sinistre. Tout à coup elle s’arrêta ; la tête du médecin apparut, et il cria :
 
« Eh ! monsieur d’Espars ? »
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Le médecin venait de nettoyer la gorge de la mère, et l’avait fait boire; mais l’enfant, affolée par la douleur et par l’angoisse des suffocations, avait enfoncé et caché sa tête dans sa paillasse — sans consentir à se laisser toucher.
 
Le médecin, accoutumé à ces misères, répétait d’une voix triste et résignée:« Je ne peux pourtant poins passer mes journées ches mes malades. Cristi ! celles-la serrent le cœur. Quand on pense qu’elles sont restées vingt-quatre heures sans boire. Le vent chassait la pluie jusqu’à leurs
==[[Page:Maupassant - Misère humaine (extrait de Gil Blas, édition du 1886-06-08).djvu/9]]==
couches. Toutes les poules s’étaient mises à l’abri dans la cheminée. »
 
Nous arrivions à la ferme. Il attacha son cheval à la branche d’un pommier devant la porte ; et nous entrâmes.
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Je la pris par les épaules et le docteur, la forçant à montrer sa gorge en arracha une grande peau blanchâtre, qui me parut sèche comme du cuir.
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Elle respira mieux tout de suite, et but un peu. La mère, soulevée sur un coude, nous regardait. Elle balbutia :
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Et je m’assis, tendant mes jambes vers le foyer.
 
La pluie battait les vitres ; le vent secouait le toit, j’entendais l’haleine courte, dure, sifflante des deux femmes, et le souffle de mon chien qui soupirait de plaisir, roule devant l’âtre clair.
==[[Page:Maupassant - Misère humaine (extrait de Gil Blas, édition du 1886-06-08).djvu/11]]==
devant l’âtre clair.
 
La vie ! la vie ! qu’était-ce que cela ? Ces deux misérables qui avaient toujours dormi sur la paille, mangé du pain noir, travaillé comme des bêtes, souffert toutes les misères de la terre, allaient mourir ! Qu’avaient-elles fait ? Le père était mort, le fils était mort. Ces gueux pourtant passaient pour de bonnes gens qu’on aimait et qu’on estimait, de simples et honnêtes gens !
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« Veux-tu boire ? » lui dis-je.
 
Elle remua la tête pour dire oui, et je lui versai dans la bouche un peu d’eau qui ne passa point.
==[[Page:Maupassant - Misère humaine (extrait de Gil Blas, édition du 1886-06-08).djvu/12]]==
versai dans la bouche un peu d’eau qui ne passa point.
 
La mère, restée plus calme, s’était retournée pour regarder son enfant ; et voilà que soudain une peur me frôla, une peur sinistre qui me glissa sur la peau comme le contact d’un monstre invisible. Où étais-je ? Je ne le savais plus ! Est-ce que je rêvais ? Quel cauchemar m’avait saisi ?
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Au moins j’espérais mourir dans une bonne chambre, moi, avec des médecins autour de mon lit, et des remèdes sur les tables !
=== no match ===
 
 
Et ces femmes étaient restées seules vingt-quatre heures dans cette cabane sans feu ! n’ayant à boire que de l’eau, et râlant sur de la paille !…