« Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/201 » : différence entre les versions

AkBot (discussion | contributions)
Pywikibot touch edit
mAucun résumé des modifications
En-tête (noinclude) :En-tête (noinclude) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{nr||LES MÉMOIRES DE CATT.|195}}
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
margrave le plongea dans un désespoir qu’il eut de la peine à sur¬monter, et dans les mois qui suivirent, il fut tenté de croire « que la nuit du tombeau ne détruit pas l’être qui pense. » Il répétait le mot de Voltaire : « Je ne sais, mais j’ose espérer. » Il parlait du plaisir ravissant qu’il éprouverait à revoir cette morte dans un autre monde. Après quoi le système triomphait des espérances.
margrave le plongea dans un désespoir qu’il eut de la peine à surmonter, et dans les mois qui suivirent, il fut tenté de croire « que la nuit du tombeau ne détruit pas l’être qui pense. » Il répétait le mot de Voltaire : « Je ne sais, mais j’ose espérer. » Il parlait du plaisir ravissant qu’il éprouverait à revoir cette morte dans un autre monde. Après quoi le système triomphait des espérances.


Il prenait plus facilement son parti quand il ne s’agissait que de sa personne, et s’il arrivait que le maréchal Daun, cet habile temporiseur, toujours perché sur ses montagnes, ce Fabius autrichien qu’il traitait de « toque bénite, » le réduisit aux dernières extrémités, c’étaient les vérités tristes qui le consolaient dans ses détresses. Il aimait à se représenter le monde comme un endroit où les souverains et les conquérans ne sont eux-mêmes que des fourmis qu’un invisible passant écrase sous son pied par mégarde. Après un combat malheu¬reux, c’était à Marc Aurèle, c’était au ''De Natura rerum'' qu’il recourait pour rasseoir son âme, pour endormir ses chagrins. — « Vous me voyez avec Lucrèce et avec mes stoïciens, disait-il un soir dans le temps de ses plus cruels revers… Oh ! je le vois bien, vous n’êtes pas pour ces gens-là qui sont si sombres ! Mais, croyez-moi, ils aident beaucoup. » Ce puissant esprit préférait à toutes les autres la médecine des amers, et, raisonnant comme Lucrèce, il était prêt à finir comme lui Durant toute la guerre de sept ans, il porta sous sa chemise une petite boîte d’or, de forme ovale, pendue à son cou par un ruban et qui contenait dix-huit pilules d’opium. Il l’appelait « sa petite boite consolatrice. » C’en était assez, disait-il, pour se tirer d’affaire, pour mettre fin à la tragédie, pour s’en aller vers ces sombres bords d’où personne n’est revenu et pour préserver des affronts d’une humiliante captivité une âme qui n’était point faite pour le déshonneur et les avanies.
Il prenait plus facilement son parti quand il ne s’agissait que de sa personne, et s’il arrivait que le maréchal Daun, cet habile temporiseur, toujours perché sur ses montagnes, ce Fabius autrichien qu’il traitait de « toque bénite, » le réduisit aux dernières extrémités, c’étaient les vérités tristes qui le consolaient dans ses détresses. Il aimait à se représenter le monde comme un endroit où les souverains et les conquérans ne sont eux-mêmes que des fourmis qu’un invisible passant écrase sous son pied par mégarde. Après un combat malheureux, c’était à Marc Aurèle, c’était au ''{{lang|la|De Natura rerum}}'' qu’il recourait pour rasseoir son âme, pour endormir ses chagrins. — « Vous me voyez avec Lucrèce et avec mes stoïciens, disait-il un soir dans le temps de ses plus cruels revers… Oh ! je le vois bien, vous n’êtes pas pour ces gens-là qui sont si sombres ! Mais, croyez-moi, ils aident beaucoup. » Ce puissant esprit préférait à toutes les autres la médecine des amers, et, raisonnant comme Lucrèce, il était prêt à finir comme lui Durant toute la guerre de sept ans, il porta sous sa chemise une petite boîte d’or, de forme ovale, pendue à son cou par un ruban et qui contenait dix-huit pilules d’opium. Il l’appelait « sa petite boite consolatrice. » C’en était assez, disait-il, pour se tirer d’affaire, pour mettre fin à la tragédie, pour s’en aller vers ces sombres bords d’où personne n’est revenu et pour préserver des affronts d’une humiliante captivité une âme qui n’était point faite pour le déshonneur et les avanies.


Catt avait un bon caractère. Bien qu’il semble n’avoir composé ses mémoires qu’après la mort du roi, qui dans les dernières années de sa vie, lui avait retiré sa faveur, l’habitude de l’admiration et le sou¬venir des bontés qu’on avait eues pour lui ont prévalu sur son dépit, sur ses ressentimens. Voltaire disait que le philosophe de Potsdam voulait aller à la gloire par tous les chemins et au meilleur marché possible. Catt eut sans doute à se plaindre de la parcimonie de son maître ; il n’en dit presque rien. Il s’est contenté de nous apprendre qu’en 1758, les bottes de ce conquérant n’étaient pas du plus beau cuir de l’Europe, qu’un habit, déchiré à Schmirshz, avait été raccommodé avec du fil blanc, que son chapeau très fripé allait de pair avec le reste, que tout en lui sentait l’usé et l’antique : « Monsieur, prenez-moi tel que je suis. Une chose pourrait être mieux, c’est mon visage, toujours barbouillé de tabac. Avouez que j’ai l’air un peu cochon. Quand ma bonne mère vivait, j’étais plus propre ou, pour parler plus exactement, moins malpropre. Cette tendre mère me faisait faire chaque année une
Catt avait un bon caractère. Bien qu’il semble n’avoir composé ses mémoires qu’après la mort du roi, qui dans les dernières années de sa vie, lui avait retiré sa faveur, l’habitude de l’admiration et le sou¬venir des bontés qu’on avait eues pour lui ont prévalu sur son dépit, sur ses ressentimens. Voltaire disait que le philosophe de Potsdam voulait aller à la gloire par tous les chemins et au meilleur marché possible. Catt eut sans doute à se plaindre de la parcimonie de son maître ; il n’en dit presque rien. Il s’est contenté de nous apprendre qu’en 1758, les bottes de ce conquérant n’étaient pas du plus beau cuir de l’Europe, qu’un habit, déchiré à Schmirshz, avait été raccommodé avec du fil blanc, que son chapeau très fripé allait de pair avec le reste, que tout en lui sentait l’usé et l’antique : « Monsieur, prenez-moi tel que je suis. Une chose pourrait être mieux, c’est mon visage, toujours barbouillé de tabac. Avouez que j’ai l’air un peu cochon. Quand ma bonne mère vivait, j’étais plus propre ou, pour parler plus exactement, moins malpropre. Cette tendre mère me faisait faire chaque année une