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le comptât « parmi les indévots, qui risquent d’être un jour tant soit peu grillés. » Il priait quelquefois, variant selon les circonstances)a for¬mule de ses oraisons : — « Ô Dieu, s’il y en a un, disait-il, aie pitié, de mon âme, si j’en ai une ! » — Ou bien, s’inspirant de son cher Lucrèce, qui était son bréviaire, sa suprême consolation dans ses jours de mélancolie, il s’écriait : « Puissante Vénus, vous qui tenez entre vos bras le cruel dieu de la guerre, daignez le fléchir ! Que les horreurs de la guerre fassent enfin place aux douceurs de la paix ! Que les Prussiens respirent après tant de calamités ! Que leur chevalier errant puisse tranquillement retourner à son Potsdam, y goûter dans les bras de la philosophie un repos dont il est privé depuis si longtemps ! » Plus souvent encore, il disait en retouchant Racine :
le comptât « parmi les indévots, qui risquent d’être un jour tant soit peu grillés. » Il priait quelquefois, variant selon les circonstances)a for¬mule de ses oraisons : — « Ô Dieu, s’il y en a un, disait-il, aie pitié, de mon âme, si j’en ai une ! » — Ou bien, s’inspirant de son cher Lucrèce, qui était son bréviaire, sa suprême consolation dans ses jours de mélancolie, il s’écriait : « Puissante Vénus, vous qui tenez entre vos bras le cruel dieu de la guerre, daignez le fléchir ! Que les horreurs de la guerre fassent enfin place aux douceurs de la paix ! Que les Prussiens respirent après tant de calamités ! Que leur chevalier errant puisse tranquillement retourner à son Potsdam, y goûter dans les bras de la philosophie un repos dont il est privé depuis si longtemps ! » Plus souvent encore, il disait en retouchant Racine :

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<poem class="verse" style="font-size:90%">
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Daigne, daigne, mon Dieu, sur Kaunitz et sur Elle
Daigne, daigne, mon Dieu, sur Kaunitz et sur
Répandre cet esprit d’imprudence et d’erreur,
Elle Répandre cet esprit d’imprudence et d’erreur,
De la chute des rois funeste avant-coureur.</poem>
De la chute des rois funeste avant-coureur.</poem>

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Il recommandait à Catt de répéter cette prière chaque soir et chaque matin, et Catt le lui promettait. Quand on vit auprès des rois, il faut garder pour soi ses objections.
Il recommandait à Catt de répéter cette prière chaque soir et chaque matin, et Catt le lui promettait. Quand on vit auprès des rois, il faut garder pour soi ses objections.


Catt, qui ne voulait pas désespérer du salut éternel de son maître, tâchait de se persuader qu’il n’était pas aussi mécréant qu’il s’en donnait l’air, qu’il faisait le capitan, le matamore, qu’il blasphémait par bravade, que dans le fond il doutait de ses doutes et cherchait à s’affermir dans son incrédulité. Pendant l’hiver de 1759, il renonça quelque temps à ses lectures favorites, il n’en faisait plus que de graves, il avait toujours en main quelque oraison funèbre de Bossuet, de Fléchier. Catt en tira un heureux augure ; il s’attendait à une conversion, prochaine. Il découvrit avec chagrin que Frédéric s’occupait de com¬poser l’oraison funèbre de Mathieu Reinhart, maître cordonnier, qu’on avait relu Bossuet pour se mettre en haleine : — « C’est là, mon cher, le fruit des lectures qui vous ont étonné. J’ai fait l’éloge d’un pauvre cordonnier qui) par ses talens, par sa vertu et sa piété, méritait plus que des rois et des princes de passer à la postérité la plus reculée, La flatterie, cette indigne flatterie dont on ne peut se défaire lorsqu’on parle de ces illustres ingrats, n’a point souillé ma plume en traçant l’éloge de mon cordonnier… A présent, monsieur, êtes-vous content et croyez-vous que mes sombres lectures m’aient été inutiles ? » Cepen¬dant Catt ne se trompait pas tout à fait ; Frédéric croyait plus fermement au génie de Racine qu’à la certitude de « cette belle métaphysique » dont il aimait tant à discourir : — « Ces messieurs les métaphysiciens, disait-il un jour, sont dans leurs ouvrages ce que sont les Chinois quand ils mangent ensemble. Après un moment de silence,
Catt, qui ne voulait pas désespérer du salut éternel de son maître, tâchait de se persuader qu’il n’était pas aussi mécréant qu’il s’en donnait l’air, qu’il faisait le capitan, le matamore, qu’il blasphémait par bravade, que dans le fond il doutait de ses doutes et cherchait à s’affermir dans son incrédulité. Pendant l’hiver de 1759, il renonça quelque temps à ses lectures favorites, il n’en faisait plus que de graves, il avait toujours en main quelque oraison funèbre de Bossuet, de Fléchier. Catt en tira un heureux augure ; il s’attendait à une conversion, prochaine. Il découvrit avec chagrin que Frédéric s’occupait de com¬poser l’oraison funèbre de Mathieu Reinhart, maître cordonnier, qu’on avait relu Bossuet pour se mettre en haleine:— « C’est là, mon cher, le fruit des lectures qui vous ont étonné. J’ai fait l’éloge d’un pauvre cordonnier qui) par ses talens, par sa vertu et sa piété, méritait plus que des rois et des princes de passer à la postérité la plus reculée, La flatterie, cette indigne flatterie dont on ne peut se défaire lorsqu’on parle de ces illustres ingrats, n’a point souillé ma plume en traçant l’éloge de mon cordonnier… À présent, monsieur, êtes-vous content et croyez-vous que mes sombres lectures m’aient été inutiles ? » Cependant Catt ne se trompait pas tout à fait; Frédéric croyait plus fermement au génie de Racine qu’à la certitude de « cette belle métaphysique » dont il aimait tant à discourir : — « Ces messieurs les métaphysiciens, disait-il un jour, sont dans leurs ouvrages ce que sont les Chinois quand ils mangent ensemble. Après un moment de silence,