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les chevaliers. Le peuple entier suivait, discipliné, admiratif, et
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servilement imitateur. L’élite, les dirigeants servaient de modèles
à tous, et les moindres actions du dernier venu ne prenaient de
valeur à ses yeux que dans la mesure où elles le rapprochaient de
ces modèles.


Les règles de chevalerie dominaient toute la société. Elles ont
La situation est la même pour le commerce. « Il existe une chose
{{corr|aehevé|achevé}} l’âme japonaise, et leur influence est si grande, aujourd’hui
qu’on nomme le commerce ; faites en sorte que vous ne sachiez
encore, qu’il nous paraît utile d’y insister très spécialement.
rien de cette chose-là, » proclamaient autrefois les règles de chevalerie.
Les professions marchandes déconsidérant leurs occupants,
l’élite n’avait aucune idée des questions commerciales au
moment de la Restauration et en acquit de suite uue notion très
fausse — grâce, peut-être, aux fâcheux exemples de quelques
Européens peu scrupuleux. Pour un Japonais, le commerce c’est
l’exploitation d’autrui : il ne peut saisir que deux parties opposées
trouvent avantage dans une opération unique. Cette inexpérience
leur nuit beaucoup. Elle augmente la difficulté des relations
d’affaires avec les étrangers : elle fait commettre aux commerçants
indigènes bien des maladresses qu’on prend chez nous pour de la
mauvaise foi.


La première de ces lois, c’est la piété filiale. On doit à ses père
Le gouvernement japonais l’a parfaitement compris ; il a multiplié
et mère non seulement de les respecter, mais de pourvoir à leurs
les écoles de commerce, et il nous plaît de constater à
besoins. Les enfants sont mis au monde pour nourrir leurs
l’appui de nos affirmations qu’il a placé au premier rang dans
parents, et tous les moyens sont bons pour l’observation de ce
l’enseignement des cours de ''moralité commerciale'' ! Les Japonais
précepte. Les filles, comme les fils, doivent travailler, et si leur
sauront en profiter ; ils sont trop intelligents pour n’avoir pas
travail ne suffit pas, elles se vendent. La plus grande partie des
déjà compris la valeur de l’honnêteté dans le commerce : s’ils se
prostituées japonaises en sont arrivées à cet état par nécessité, par
conduisent mal, si souvent, c’est surtout par incompétence.
devoir, et c’est pourquoi — fait incompréhensible si nous ne
tenons pas compte de ces traditions — leur condition n’est généralement
pas considérée comme humiliante. Elle semble naturelle,
et dans certains cas, même, on admire le courage de celle qui s’y
soumet par amour pour les siens.


De la sorte, on ignore, en fait, le souci de la vie. Grâce aux
Malgré tout, il ne faudrait pas se porter garant de leur bonne
enfants, à la famille ou aux amis, on est sûr de pouvoir vivre :
foi : se sentent-ils inférieurs à nous sur un point quelconque ? Ils
on vit gaiement, au jour le jour, sans penser à l’avenir. L’exagération
se rattrapent en nous trompant. À force de poudre aux yeux, ils
de la piété filiale a donné ainsi naissance au sentiment
ont réussi à se grandir démesurément, à étonner le monde bien
d’imprévoyance. Par exemple, on n’épargne pas ; l’économie est
plus qu’il ne convenait, et à se tromper eux-mêmes. Combien de
une honte ! L’amour du plaisir domine tout, du haut en bas de
fois, par exemple, n’a-t-on pas exalté, chez nous, leur génie inventif !
l’échelle sociale.
Combien de fois d’éminents écrivains se sont-ils laissé abuser
par leurs statistiques erronées concernant les brevets d’invention !
Sans doute les Japonais ont su réaliser quelques découvertes
scientifiques très importantes, sans doute ils savent perfectionner,
par quelque détail ingénieux, nos inventions européennes, et ils
sont fort habiles dans l’application de nos procédés, mais ils
manquent totalement d’initiative et de sens pratique dans leurs
créations propres. Ils se moquent de l’Europe — à la barbe de nos
savants — lorsqu’ils publient les chiffres fabuleux des brevets
d’invention distribués chaque année par leur gouvernement. Vous
allez en juger.


Mais ces dispositions ont à présent des inconvénients graves
Il existe à Tokio, au ministère du commerce et de l’industrie,
qu’elles ne présentaient pas jadis. La vie est devenue beaucoup
un musée qui possède, entre autres, une très vaste salle affectée aux
plus difficile pour les classes inférieures de la société qui vivaient
autrefois aux crochets des seigneurs et qui sont aujourd’hui
livrées à leurs propres moyens. Autrefois l’existence était simple,
et il y avait peu de pauvres ; de nos jours la misère existe, et,
dans les grandes villes, il en est d’épouvantable. Tokio a son
quartier des mendiants. Vous n’imaginez rien de plus triste ni de
plus délabré. Des familles entières s’y entassent dans de misérables
cabanes de bois, à peine fermées, à peine couvertes. Quand
on quitte les splendides boulevards qui entourent le palais du
Mikado, bordés de constructions européennes, sillonnés de tramways
électriques, et qu’on compare ces deux aspects, tous deux