« Poètes modernes de l’Espagne - Le duc de Rivas » : différence entre les versions

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{{journal|[[Revue des Deux Mondes]], tome 13, 1846|[[Charles de Mazade]]|Poètes modernes de l’Espagne – Le duc de Rivas}}
 
 
La sanglante bataille d'Ocaña fut une cruelle et néfaste journée néfaste pour l'Espagne, qui voyait sa fierté trompée, sa résistance vaincue, et pour la France elle-même, qui payait chèrement une victoire douteuse et triste. Ce choc terrible de l'héroïsme guerrier et de l'héroïsme national fut moins encore un combat qu'une grande immolation où l'on vit s'entretuer deux peuples faits pour s'aimer. Parmi les victimes de ce désastre, parmi les blessés restés dans ces plaines funèbres, la fortune se plut à aller relever un jeune officier presque mortellement atteint, et qui déjà ne se pouvait plus mouvoir, pour en faire un des poètes les mieux inspirés de la Péninsule. C'était don Angel de Saavedra, duc de Rivas. Celui qui l'arracha à une mort infaillible était un pauvre soldat du nom de Buendia, dont l'obscur dévouement rappelle celui du Javanais Antonio sauvant Camoëns près de périr sur les mers qui le portaient à Goa, et gardant, sans le savoir, ''les Lusiades'' au monde. Ainsi cette existence poétique s'illuminait, au début, des lueurs du champ de bataille. Depuis, le duc de Rivas a été tour à tour, dans les heures les plus périlleuses, député, ministre, diplomate. Il s'est vu comblé d'honneurs et persécuté. Envoyé aux cortès par sa ville natale en 1822, il était bientôt obligé de se réfugier à Londres, puis condamné à mort par l'audience de Séville. Ministre en 1836 avec MM. Isturitz et Galiano, il n'échappait aux fureurs de la multitude égarée qu'à l'aide d'un déguisement. Aujourd'hui il est ambassadeur à Naples, où le ciel italien lui rend sans doute les douceurs du ciel de l'Andalousie. Comme on voit, c'est l'agitation, le mouvement, la participation à tout ce que l'Espagne a tenté depuis un demi-siècle, c'est-à-dire la vie dans son expression la plus saisissante. En même temps, par un noble effort, le duc de Rivas faisait le ''Moro Exposito (le Bâtard maure''), les ''Romances historiques, don Alvaro ou la force du Destin'', drame étrange, qui fut le premier fruit de la rénovation dramatique espagnole, l'agréable comédie de ''Tanto vales cuanto tienes''. Cette alliance de l'activité extérieure et de l'activité non moins féconde de la pensée, du prestige des aventures romanesques et de l'éclat littéraire, est ce qui distingue beaucoup d'anciens écrivains de la Péninsule. Ercilla, jeune encore, franchissait l'océan pour prendre part aux expéditions d'Amérique, et la nuit, dans l'intervalle de deux combats, il écrivait ces vers de l'''Araucana'', dont la gloire a fait vivre la résistance d'une petite peuplade du Chili. « Aucun pas, disait-il, n'avait été fait sur cette terre qu'il n'en eût mesuré la trace; aucune blessure n'avait été reçue qu'il n'en connût l'auteur. » Garcilasso de la Vega fut un des brillans soldats de Charles-Quint, et, durant ses courses de Vienne à Tunis, comme pour se reposer du fracas des armes, il faisait renaître les pasteurs de Virgile. Avant d'être surpris par la mort dans un assaut, le doux poète avait créé l'églogue espagnole. Hurtado de Mendoza était plus connu comme diplomate, comme gouverneur en Italie, que comme écrivain, et cependant sa plume, tour à tour légère on grave, s'est jouée dans les amusantes intrigues d'un roman picaresque, de ''Lazarille de Tormès'', et a retracé ''l'Histoire des Guerres de Grenade''. Cervantès avait perdu un bras à Lépante; il avait été captif à Alger; il souffrait la pauvreté, et c'est l'ame mûrie par ces revers que, de la main qui lui restait, il écrivit ''Don Quichotte'', ce livre devenu populaire, si attrayant pour la foule, si profond pour le penseur. Race pleine d'énergie active et d'ardeur, qui, dans l'histoire littéraire, forme un contraste naturel avec cette autre famille de grands esprits uniquement voués au travail, sobres d'action, timides même devant les difficultés matérielles, et qui, sans franchir le cercle de leurs coutumes paisibles, devinent, par la méditation, par la profondeur de l'étude, les réalités qu'ils ignorent. Sans aucun doute, ces conditions hasardeuses qu'affrontaient si aisément tant d'hommes célèbres se sont modifiées avec le temps; l'idée qu'on se faisait du rôle de l'écrivain a changé aussi. Au fond cependant, des vicissitudes d'un nouveau genre ont vu se produire les mêmes caractères, la même facilité à se partager entre les exigences d'une vie semée d'agitations et d'embûches et les préoccupations littéraires, à se précipiter dans les plus chaudes mêlées, et à revenir aussitôt aux plus calmes, aux plus délicates recherches de l'art et de la science. Le duc de Rivas n'est point seul, sous ce rapport, en Espagne; il n'est qu'un exemple de plus dans cette génération éprouvée dont Martinez de la Rosa, Toreno, Galiano, Isturitz, ont été les orateurs, les historiens, les publicistes : exemple éclatant, il est vrai, qui fait qu'on peut justement se demander si les souffrances, si les leçons quotidiennes des évènemens, toujours profitables à l'expérience, à la sagesse humaine, servent aussi à faire éclore et à développer les germes de poésie qui sont en nous!