« La Consolation de la philosophie » : différence entre les versions

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Toi qui fais sortir l’effet de la cause, De la terre en pleurs bannis le hasard; Dans le monde l'homme est bien quelque chose, Seigneur ! à ses maux accorde un regard!
Le sort fait à l'homme une rude guerre; Détourne de nous ses coups furieux,
Et que ta sagesse impose à 1ala terre L'inflexible loi qui régit les cieux ! «
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quand ma douleur se fut soulagée tout d'un trait par ce fracas de lamentations, elle, le visage tranquille, et sans paraître 1e moins du monde émue de mes plaintes « Il m'a suffi, dit-elle, de voir ta tristesse et tes larmes pour connaître que tu étais malheureux et exilé. :Mais dans quelles lointaines régions est le lieu de ton exil, si ton discours ne me l’avait appris, je ne l'aurais pas deviné. Pourtant, tu n'as pas été banni de ta patrie; tu t'es égaré hors de ses limites; ou si tu veux en avoir été banni, tu ne l'as été que par toi-même. Il n'est puissance au monde, en effet, qui eût pu t'infliger un pareil traitement. Rappelle-toi quelle patrie a été ton berceau . Elle n'est pas, comme l'ancienne république d'Athènes, soumise au gouvernement de la multitude.
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ta question. Comment pourrais-je v répondre? - Ne disais-je pas bien, reprit-elle, qu'il y a là une lacune qui, pareille à la brèche béante d'un retranchement, a livré l'accès de ton âme à la maladie qui la trouble? Mais dis-­moi encore. Te rappelles-tu quelle est la fin des êtres, et vers quel but tend toute la nature ? - Je le savais, ré­pondis-je, mais le chagrin a émoussé ma mémoire. - Tu sais du moins d'où procède toute chose ?- Je le sais, »
Et j'ajoutai que c'est de Dieu. « Et comment peut-il se faire que, connaissant le principe des choses, tu ignores quelle en est la fin ? Au reste, ce sont là les effets ordinaires des passions. Elles ont assez de force pour ébranler un homme, mais non pour le déraciner et s'en emparer entièrement. Mais je voudrais encore que tu ré­pondisses à ceci : Te souviens-tu que tu es homme ?­Et comment, dis-je, ne m'en souviendrais-je pas ? -- En ce cas, pourrais-tu définir ce que c'est que l'homme ? - Tu me demandes apparemment si je sais que je suis un être vivant, doué de raison, et sujet à la mort ? Je le sais, et je conviens que je suis tout cela. » Mais elle : « Ne sais-tu pas que tu es encore autre chose ? - Non. -- Il suffit, dit­elle. Je connais maintenant une nouvelle cause, la prin­cipale, (lu mal dont tu souffres : ce que tu es toi-même, tu ne le sais plus. Aussi, j'ai trouvé, sans doute possible, avec la cause de ta maladie, le moyen de te rendre la santé. C'est parce que l'oubli de ton être a troublé ton jugement, que tu te plains de ton exil et de la confiscation de tes biens. C'est parce que tu ignores la fin des choses, que tu attribues aux méchants et aux pervers la puis­sance, et le bonheur. C'est parce que tu as oublié les lois qui gouvernent le monde, que les évolutions de la fortune te paraissent indépendantes de toute règle. Voilà des causes redoutables, je ne dis pas seulement de maladie, mais de mort. Mais rends grâces au dispensateur de 1ala santé de ce que tu n'as pas été tout à fait abandonné par
 
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Comme lui chasse l'ombre! Assez longtemps l'erreur T'a courbé sous le joug; renonce à l'esclavage
La liberté peut seule assurer le bonheur.
Alors le regard fixe, et comme retirée dans le sanc­tuaire de ses pensées, elle commença en ces termes : « Tous les hommes, si divers que soient les soucis qui les travaillent, s'efforcent d'arriver, par des routes diffé­rentes, il est vrai, à un seul et même but : la béatitude. J'entends par là ce bien suprême, au delà duquel, une fois qu'on le possède, il n'y a plus rien à désirer. Il re­présente donc la somme de tous les biens et les résume tous ; s'il lui en manquait un seul, il ne serait plus le sou­verain bien, puisqu'en dehors de lui, il y aurait encore matière à désir. Il est donc évident que la béatitude est 1ala perfection du bonheur résultant de la réunion de tous les biens. C'est là le but, comme je l'ai dit, que par di­vers chemins tous les mortels s'efforcent d'atteindre. En effet, par un instinct naturel, tous les hommes aspirent an vrai bonheur; mais ils sont entraînés vers les faux biens par l'erreur qui les fourvoie. Les uns, s'imaginant que le souverain bien consiste à ne manquer de rien, s'évertuent à entasser des trésors; d'autres, persuadés qu'il réside dans ce que les hommes honorent le plus, recherchent les dignités pour s'attirer la vénération de leurs concitoyens. II en est qui placent le souverain bien dans la souveraine puissance ; ceux-là veulent rè­gner eux-mêmes, ou s'efforcent de s'accrocher à ceux qui règnent. Ceux qui le voient dans la célébrité se hâtent
 
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des jouissances à l'âme. Pour en revenir aux préoccupa­tions de l’homme, tout obscurcis que soient ses souvenirs, il veut pourtant rentrer dans le souverain bonheur ; mais comme un passant aviné, il ne reconnaît plus le chemin de sa maison. Et par le fait, crois-tu qu'ils soient dans l'erreur, ceux qui travaillent à ne manquer de rien? Assurément la meilleure condition pour jouir de la béa­titude serait un état où l'on posséderait tous les biens en abondance, où l'on ne manquerait de rien, où, par conséquent, on se suffirait à soi-même. Se trompent-ils encore ceux qui considèrent ce qui est excellent comme l'objet le plus digne de vénération et de respect ? Non, sans doute. Car ce ne peut être une chose vile et mépri­sable que ce souverain bonheur auquel presque tous les mortels s'efforcent d'atteindre. Est-ce qu'au nombre des biens il ne faut pas compter la puissance? Quoi donc! la faiblesse et l'impuissance seraient-elles le partage de ce qui prime incontestablement toutes choses? Ne faut-il faire nulle estime de la gloire? Mais ces deux qualités sont inséparables : ce qui est excellent est nécessairement aussi très-glorieux. Après cela, que la béatitude soit exempte de soucis, de tristesse, de peines et d'afflictions, à quoi bon le dire, puisque dans les choses mêmes les moins importantes, ce que nous voulons, c'est le plaisir de les posséder et d'en jouir? Or ce sont là les avantages que les hommes veulent s'assurer; et s'ils désirent les richesses, les honneurs, 1ala domination, la gloire et les plaisirs, c'est qu'ils croient se procurer par là la satisfac­tion de leurs besoins, la considération, la puissance, la célébrité et la joie. C'est le bonheur évidemment que les hommes recherchent par des voies si différentes; en quoi se manifeste clairement l'énergie invincible de la nature, puisque, si diverses, si contradictoires due soient leurs idées, ils s'accordent néanmoins à poursuivre un même but : le bonheur.
 
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insulteur du sénat, aux Pères vénérables
Il jetait anneaux d'or, consulats et licteurs; Qui bourrait sans rougir se parer des honneurs Que décernent des misérables ?
« La royauté du moins et la faveur des rois peuvent-elles donner 1ala puissance? - Je ne dis pas non, quand leur bon­heur dure jusqu'à la fin de leur vie; mais l'antiquité et notre siècle même fournissent cent exemples de rois dont la féli­cité s'est changée en catastrophes. O la rare puissance qui n'est pas assez puissante pour se conserver elle-même!
« Que si l'autorité royale donne le bonheur, ne faut-il pas admettre que, dès qu'elle s'affaiblit, ce bonheur di­minue, et que l'infortune commence ? Mais si loin que s'étende la domination de chaque roi, la plus grande partie des nations se trouve nécessairement en dehors de son empire. Or, là où s'arrête la puissance qui donne le bonheur, se glisse l'impuissance qui fait le malheur par conséquent, dans la part faite aux rois, c'est fatale­ment la misère qui domine. Un tyran qui avait fait l'épreuve des dangers de sa condition, représentait les terreurs de la royauté par l'image effrayante d'un glaive suspendu au-dessus de sa tête. Qu'est-ce donc qu'un pou­voir qui ne peut se soustraire aux morsures des soucis, ni éviter les dards acérés de la crainte? Certes, les rois eux-mêmes voudraient vivre sans inquiétude, mais ils ne le peuvent pas; et ils sont fiers de leur pouvoir! Le crois-tu puissant l'homme qui veut au delà de ce qu'il peut; qui ne marche qu'entouré de satellites; qui craint
 
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Par ses mensonges enivrants Malheureux l'homme dont la fibre Sous tant de chocs gémit et vibre Fait-il ce qu'il veut? Est-il libre, L'esclave de tant de tyrans?
V
« Vois-tu dans quelle fange se vautre le vice et de quel éclat resplendit 1ala vertu ? En quoi il apparaît qu'elle obtient toujours sa récompense, et que le châtiment ne fait jamais défaut au crime. En effet, la fin qu'on se propose dans une action peut être justement considé­rée comme la récompense de cette même action. C'est ainsi qu'à celui qui court dans le stade s'offre pour ré­compense la couronne en vue de laquelle il court. Mais j'ai fait voir que la béatitude est ce même bien que tous les
 
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