« Le Faux Coupon » : différence entre les versions

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==PREMIÈRE PARTIE==
 
===I===
PREMIÈRE PARTIE
 
F<small>ÉDOR</small> M<small>IKHAÏLOVITCH</small> S<small>MOKOVNIKOFF</small>, président de la Chambre des Domaines, était un homme d’une honorabilité au-dessus de tout soupçon – et il en était fier –, libéral très austère ; et non seulement il était libre penseur, mais il haïssait toute manifestation religieuse, ne voyant dans la religion que des vestiges de superstition.
 
I
 
FÉDOR MIKHAÏLOVITCH SMOKOVNIKOFF, président de la Chambre des Domaines, était un homme d’une honorabilité au-dessus de tout soupçon – et il en était fier –, libéral très austère ; et non seulement il était libre penseur, mais il haïssait toute manifestation religieuse, ne voyant dans la religion que des vestiges de superstition.
 
Fédor Mikhaïlovitch Smokovnikoff était rentré de son bureau de fort méchante humeur : le gouverneur de la province lui avait envoyé un papier très stupide qui, dans un certain sens, pouvait vouloir dire que lui, Fédor Mikhaïlovitch, avait agi malhonnêtement.
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La femme de chambre frappa à la porte. Elle apportait un billet dont on attendait la réponse. Ce billet était ainsi libellé :
 
 
 
Pour la troisième fois je te demande de me rendre les six roubles que tu m’as empruntés ; mais tu te dérobes. Les gens honnêtes n’agissent pas ainsi. Je te prie de me les envoyer immédiatement par le porteur du présent. Ne peux-tu donc pas les trouver ?
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GROUCHETZKY.
 
 
 
« Voilà... Quel cochon !... Il ne peut pas attendre... J’essayerai encore. »
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Mitia prit de la table le coupon et la menue monnaie, mit son pardessus et partit chez Makhine.
 
 
 
===II===
 
Makhine était un lycéen moustachu. Il jouait aux cartes, connaissait des femmes et avait toujours de l’argent. Il habitait chez une tante. Mitia savait que Makhine était un mauvais sujet, mais quand il se trouvait avec lui, malgré soi, il subissait son influence.
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===III===
 
 
III
 
Le timbre de la porte d’entrée du magasin d’objets pour photographie retentit. Les lycéens entrèrent, et parcoururent du regard la boutique déserte avec des rayons pleins de divers accessoires pour photographie et des vitrines sur le comptoir. La porte de l’arrière-boutique livra passage à une femme point jolie, au visage doux, qui vint se placer derrière le comptoir et leur demanda ce qu’ils désiraient.
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===IV===
 
 
IV
 
Une heure après le passage des lycéens, le patron du magasin rentra et se mit à faire sa caisse.
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===V===
 
 
V
 
Chez le professeur de français, un polonais-russe, il y avait un grand thé, avec gâteaux ; et l’on avait installé quelques petites tables, pour jouer au whist.
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===VI===
 
 
VI
 
En effet, Eugène Mikhaïlovitch avait passé le coupon en paiement du bois au paysan Ivan Mironoff.
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L’agent mit le coupon dans son porte-monnaie et emmena au poste Ivan Mironoff avec son attelage.
 
 
 
===VII===
 
Ivan Mironoff passa la nuit au poste en compagnie d’ivrognes et de voleurs. Il était près de midi quand on l’appela devant le commissaire de police. Le commissaire l’interrogea et l’envoya, escorté de l’agent, chez le marchand d’accessoires pour photographie. Ivan Mironoff se rappelait la rue et la maison.
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Une fois dégrisé, Ivan se rappela qu’un ouvrier, avec lequel il avait bu la veille, lui avait conseillé d’aller se plaindre à un avocat. Il résolut de le faire.
 
 
===VIII===
 
VIII
 
L’avocat se chargea de l’affaire, non pour le profit qu’il y avait à en tirer, mais parce qu’il crut Ivan et trouvait révoltante la manière dont on avait trompé ce paysan.
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Après cela il ne trouva plus de place. L’argent filait. Il dut engager ses vêtements, dépensa encore cet argent, et, à la fin des fins, resta avec un seul veston déchiré, un pantalon, et des chaussons de feutre. Sa maîtresse l’avait abandonné. Mais Vassili ne perdit pas sa bonne humeur, et, le printemps venu, il partit chez lui à pied.
 
 
 
===IX===
 
Piotr Nikolaievitch Sventitzky, un homme petit, trapu, portant des lunettes noires (il souffrait des yeux et était menacé de cécité complète), se leva comme à son ordinaire avant l’aube, et, après avoir bu un verre de thé, et endossé sa pelisse à col et parements d’astrakan, il alla à ses affaires.
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===X===
 
 
X
 
Et les chevaux, les trois chevaux volés, avaient reçu chacun leur destination : Machka avait été vendu à des Bohémiens pour 18 roubles ; Piostri avait été échangé contre un autre cheval à un paysan qui habitait à quarante verstes de là. Quant au Beau, on l’avait tellement esquinté qu’il fallut l’abattre, et sa peau fut vendue pour trois roubles.
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Après avoir partagé le butin avec les paysans de Podolsk, Ivan Mironoff, ayant cinq roubles en poche, retourna à la maison. Là, il n’y avait rien à faire ; il n’avait plus de cheval ; et depuis ce moment Ivan Mironoff s’aboucha avec les voleurs de chevaux et les Bohémiens.
 
 
 
===XI===
 
Piotr Nikolaievitch Sventitzky faisait tout son possible pour trouver le voleur. Sans la complicité de quelqu’un de la maison, le coup n’aurait pu se faire. Alors il commença à soupçonner son personnel, et se mit à interroger les domestiques pour savoir qui, cette nuit-là, avait découché. Il apprit que Prochka Nikolaieff n’avait pas couché à la maison. Prochka était un jeune garçon, récemment libéré du service militaire, un beau soldat, habile, que Piotr Nikolaievitch avait gagé pour être cocher.
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===XII===
 
 
XII
 
Depuis qu’il s’était débarrassé du coupon, Eugène Mikhaïlovitch avait cessé d’y penser ; mais sa femme Marie Vassilievna ne pouvait pas se pardonner de s’être laissée rouler ainsi, pas plus qu’elle ne pardonnait à son mari les paroles cruelles qu’il lui avait dites, ni aux deux jeunes gens de l’avoir trompée aussi habilement. À dater du jour où elle avait été ainsi attrapée, elle regarda attentivement tous les lycéens. Une fois elle rencontra Makhine, mais elle ne le reconnut pas, parce que celui-ci, en l’apercevant, avait fait une telle grimace que son visage en avait été tout changé. Mais, deux semaines après l’évènement, elle se rencontra nez à nez, sur le trottoir, avec Mitia Smokovnikoff.
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À la fin de l’année scolaire Wedensky quitta le lycée, devint moine sous le nom de Missaïl et bientôt fut nommé recteur d’un séminaire, dans une ville de la Volga.
 
 
 
===XIII===
 
Vassili le portier cheminait sur la grand-route, se dirigeant vers le Midi. Pendant la journée il marchait, et, la nuit, l’agent de police locale lui remettait un billet de logement. Partout on lui donnait du pain et, parfois, on l’invitait à se mettre à table pour souper.
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Les agents de police le surveillèrent, et il lui restait très peu d’argent quand on l’arrêta et le mit en prison.
 
 
 
===XIV===
 
À dater de cette époque, Ivan Mironoff devint un voleur de chevaux très habile et très audacieux. Afimia, sa femme, qui autrefois l’injuriait pour son manque de savoir-faire, maintenant se montrait heureuse et fière de son mari qui avait une pelisse de peau de mouton, tandis qu’elle-même possédait une demi-pelisse et une pelisse neuve.
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===XV===
 
 
XV
 
On jugea les meurtriers d’Ivan Mironoff, au nombre desquels était Stepan Pelaguschkine. L’accusation pesait plus fortement sur lui parce que tous les témoins étaient d’accord que c’était lui qui avait, d’un coup de pierre, fracassé la tête d’Ivan Mironoff. Stepan ne dissimula rien à ses juges. Il expliqua que la fois qu’on lui avait volé sa dernière paire de chevaux, il était allé le déclarer à la police et qu’il eût été facile alors de retrouver les traces des tziganes, mais que le commissaire n’avait voulu ni l’entendre ni le recevoir et n’avait ordonné aucune recherche.
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Ensuite il alluma la chandelle, prit l’argent de la caisse et s’en alla.
 
 
 
===XVI===
 
Dans un chef-lieu de district vivait, dans une demeure éloignée de toute habitation, un vieillard ivrogne, un ancien fonctionnaire, avec ses deux filles et son gendre. La fille mariée buvait aussi et menait une vie très mauvaise. La fille aînée, une veuve, Marie Sémionovna, était une femme de cinquante ans, maigre, ridée, qui les entretenait tous. Elle avait une pension de deux cent cinquante roubles, et avec cet argent toute la famille vivait. Marie Sémionovna était la seule personne de la maison qui travaillât. Elle soignait le vieux père faible et ivrogne, et l’enfant de sa sœur ; elle faisait la cuisine, lavait le linge, et, comme il arrive toujours, on laissait tout retomber sur elle, et c’était elle que tous trois injuriaient, et même son beau-frère, étant ivre, allait jusqu’à la battre. Elle supportait tout en silence, avec résignation, et aussi, comme il arrive toujours, plus elle avait à faire, plus elle faisait. Elle venait en aide aux pauvres, se privait de tout, donnait ses vêtements, soignait et secourait les malades.
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Le tailleur devint pensif, et quand il reçut son compte, il retourna chez lui toujours pensant à ce qu’il avait vu chez Marie Sémionovna, à ce qu’elle lui avait dit et lui avait lu.
 
 
 
===XVII===
 
Piotr Nikolaievitch était devenu autre envers le peuple, et le peuple était devenu autre envers lui. L’année ne s’était pas écoulée qu’on lui avait coupé vingt-sept chênes et incendié une grange non assurée. Piotr Nikolaievitch décida qu’il était impossible de vivre avec les paysans d’ici.
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Les meurtriers furent jugés par le conseil de guerre et deux d’entre eux étaient condamnés à la pendaison.
 
 
 
===XVIII===
 
Le tailleur était d’un village du gouvernement de Voronèje, dans le district de Zénilansk. Dans ce village cinq riches paysans louaient à un propriétaire, pour onze cents roubles, cent cinq déciatines d’une bonne terre grasse, noire comme du goudron, et la sous-louaient aux paysans, aux uns à raison de dix-huit roubles la déciatine, de quinze roubles à d’autres, mais pas moins de douze roubles. De la sorte ils avaient un bon profit. Les loueurs gardaient pour eux-mêmes cinq déciatines, et cette terre ne leur coûtait rien. Un des cinq compagnons étant venu à mourir, les autres proposèrent au tailleur boiteux de s’adjoindre à eux.
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Il lut cinq chapitres de Matthieu ; puis l’on se mit à discuter. Tous avaient écouté, mais seul Ivan Tchouieff s’était assimilé le texte, et assimilé de telle façon qu’il se mit à vivre en tout selon Dieu. Sa famille commença également à vivre ainsi. Il renonça à toute terre superflue, ne gardant que sa part. Et chez le tailleur comme chez Ivan, des gens commencèrent à venir et à comprendre, et, ayant compris, ils cessaient de fumer, de boire, de s’injurier, et s’entraidaient les uns les autres. Alors ils cessèrent d’aller à l’église, et remirent au pope les icônes. Dix-sept familles vécurent ainsi, en tout soixante-cinq personnes. Le pope, pris de crainte, prévint l’archevêque. Celui-ci, après avoir réfléchi aux mesures à prendre, résolut d’envoyer dans le bourg l’archimandrite Missaïl, ancien aumônier de lycée.
 
 
 
===XIX===
 
L’archevêque, ayant invité Missaïl à s’asseoir près de lui, se mit à lui raconter ce qui venait de se produire dans son diocèse.
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Ses idées étaient occupées non de l’essence de la foi, il la prenait comme un axiome, mais à réfuter les objections faites à ses formes extérieures.
 
 
 
===XX===
 
Le pope du bourg et sa femme reçurent Missaïl avec beaucoup d’éclat, et, le lendemain de son arrivée, ils réunirent le peuple à l’église.
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Quant au père Missaïl, on le récompensa et il fut fait archimandrite.
 
 
 
===XXI===
 
Deux années auparavant, une belle et forte jeune fille, du type oriental, Tourtchaninova, était venue du territoire des Cosaques du Don à Pétersbourg pour suivre les cours de l’Université. Cette jeune fille avait fait connaissance à Pétersbourg de l’étudiant Turine, fils d’un juge de paix du gouvernement de Simbirsk, et l’avait aimé. Mais elle ne l’aimait pas comme aiment ordinairement les femmes, avec le désir de devenir sa femme et la mère de ses enfants ; elle l’aimait en ami, d’un amour nourri principalement par le sentiment de révolte et de haine, non seulement pour l’état de choses existant, mais pour les hommes qui le représentaient, et par celui de leur supériorité intellectuelle et morale sur ces hommes.
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Tourtchaninova s’y rendit après lui et alla à la prison pour le voir. Mais on ne lui accorda pas d’entrevue avec lui en dehors du jour des visites, et elle ne put voir Turine qu’à travers les deux grilles. Ces visites augmentaient encore sa révolte, qui fut portée à son comble après une explication avec un bel officier de gendarmerie, lequel se montra prêt à être indulgent dans le cas où elle accepterait ses propositions. Cela l’amena au dernier degré de l’indignation et de la colère contre toutes les autorités. Elle alla trouver le chef de la police. Celui-ci lui dit la même chose que l’officier de gendarmerie, qu’il ne pouvait rien faire, qu’il fallait pour cela l’ordre du ministre. Elle adressa une requête au ministre, en demandant une entrevue. Elle reçut un refus. Alors elle se résolut à un acte désespéré et acheta un revolver.
 
 
 
===XXII===
 
Le ministre recevait à son heure habituelle. Il faisait le tour de tous les solliciteurs et arriva à une belle jeune femme qui se tenait debout, un papier dans la main gauche. Une petite flamme tendre, lubrique, s’alluma dans les yeux du ministre à la vue de la jolie quémandeuse, mais se rappelant sa situation, le ministre prit un air sérieux.
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===XXIII===
 
 
XXIII
 
Un jour, Marie Sémionovna, qui était allée à la trésorerie toucher sa pension, en revenant chez elle rencontra un maître d’école qu’elle connaissait.
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Il pensait que ce meurtre agirait sur lui comme les précédents ; mais avant d’arriver à une auberge, il ressentit soudain une telle fatigue, qu’il ne pouvait mouvoir un seul membre. Il se coucha dans le fossé et resta là toute la nuit, toute la journée et la nuit suivante.
 
 
 
 
==DEUXIÈME PARTIE==
 
===I===
I
 
COUCHÉC<small>OUCHÉ</small> dans le fossé, Stepan voyait toujours devant lui le visage doux, maigre, effrayé de Marie Sémionovna et entendait le son de sa voix. « Peut-on faire cela ? » lui disait-elle de sa voix particulière, zézayante. Et Stepan revivait tout ce qui s’était passé avec elle, et, saisi d’horreur, il fermait les yeux, secouait sa tête chevelue, pour en chasser toutes ces pensées et tous ces souvenirs. Pour un moment il se délivrait des souvenirs, mais à leur place parut d’abord un spectre noir, et après celui-là, d’autres spectres noirs, avec des yeux rouges, qui tous grimaçaient et lui disaient la même chose : Tu as fini avec elle, finis avec toi-même, autrement nous ne te donnerons pas de repos.
 
Il ouvrait les yeux et de nouveau il la voyait, et entendait sa voix. Il ressentit de la pitié pour elle et du dégoût et de l’horreur pour lui-même. De nouveau il fermait les yeux, et de nouveau se montraient les noires visions.
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– Je ne puis m’étonner assez, répondit le directeur, content que Stepan ait loué la façon dont on le traitait. – C’est le second mois qu’il est ici, et sa conduite est exemplaire. Seulement je crains qu’il ne mijote quelque chose. C’est un homme courageux et d’une force peu commune.
 
 
===II===
 
II
 
Durant tout le premier mois de sa détention dans la prison, Stepan était sans cesse tourmenté par la même vision. Il voyait le mur gris de sa cellule ; il entendait les bruits de la prison, le bourdonnement de la salle commune, située au-dessus de lui, les pas du factionnaire dans le corridor, le tic-tac de la pendule, et, en même temps, il la voyait, elle, avec son regard doux qui l’avait vaincu dès leur rencontre dans la rue ; il voyait son cou maigre, ridé, qu’il avait tranché, et il entendait sa voix attendrissante, plaintive, zézayante : « Tu perdras les âmes des autres et la tienne... Peut-on faire cela ? » Ensuite la voix se taisait et les spectres noirs paraissaient. Ces visions se montraient à lui indifféremment, que ses yeux fussent ouverts ou fermés. Quand il avait les yeux fermés, elles étaient plus nettes. Quand Stepan ouvrait les yeux, elles se confondaient avec la porte, les murs et, peu à peu, disparaissaient. Mais ensuite elles reparaissaient et s’avançaient vers lui de trois côtés en grimaçant et disant : « Finis, finis ! On peut faire un nœud, on peut se brûler. » Et Stepan se mettait à trembler, à réciter les prières qu’il connaissait, l’Avé Maria et le Pater. Au commencement cela semblait le soulager. En récitant ses prières il commençait à se remémorer toute sa vie. Il se rappelait son père, sa mère, son village, le chien, Loup, son grand-père couché sur le poêle, les bancs sur lesquels, enfant, il se roulait. Ensuite il se rappelait les jeunes filles avec leurs chansons, les chevaux qu’on avait volés, et comment on avait rattrapé le voleur et comment il l’avait achevé d’un coup de pierre. Il se rappelait sa première détention, sa sortie de prison, puis le gros cabaretier, sa femme, le charretier, les enfants, et ensuite de nouveau c’était elle qui se présentait à son souvenir. Alors, saisi d’horreur, il laissait tomber de ses épaules sa capote, sautait à bas de sa planche et, comme une bête en cage, se mettait à marcher rapidement d’un bout à l’autre de sa cellule, faisant une brusque volte-face devant le mur humide, souillé. Et de nouveau il récitait ses prières. Mais les prières ne le soulageaient plus.
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De nouveau, comme auparavant, il récitait ses prières, mais, comme auparavant, les prières ne le soulageaient point. Une fois, après ses prières, elle lui apparut de nouveau. Alors il se mit à la prier, à prier son âme, pour qu’elle lui pardonnât, et quand, vers le matin, se laissant tomber sur sa paillasse, il s’endormit d’un profond sommeil, il la vit en rêve, avec son cou maigre, ridé, tranché. – « Eh bien, tu me pardonneras ? » Elle le regardait de ses yeux doux, mais ne répondait rien. « Tu me pardonneras ? » Il l’interrogea ainsi trois fois, sans qu’elle répondit, et il s’éveilla. À dater de ce moment il se sentit mieux. Il semblait en avoir pris le dessus. Il regardait autour de lui, et pour la première fois il commença à se rapprocher de ses compagnons et à causer avec eux.
 
 
 
===III===
 
Dans la salle où était enfermé Stepan se trouvait Vassili, arrêté de nouveau pour vol et qui était condamné à la déportation. Tchouieff, condamné à la déportation, s’y trouvait aussi. Vassili, tout le temps, chantait de sa belle voix, ou racontait aux camarades ses aventures. Tchouieff, lui, ou bien faisait un travail quelconque, raccommodait des habits ou du linge, ou bien lisait l’évangile et les psaumes.
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Et depuis ce temps Stepan devint un tout autre homme.
 
 
 
===IV===
 
Même auparavant, Stepan Pelaguschkine était doux, mais les derniers temps il étonnait le directeur, les surveillants et ses compagnons par le changement qui s’était opéré en lui. Sans en avoir reçu l’ordre, et bien que ce ne fût pas son tour, il se chargeait des travaux les plus pénibles, entre autres, le vidage du cuveau. Malgré cette humilité, ses compagnons le respectaient et le craignaient, car ils connaissaient son courage et sa grande force physique, surtout après une histoire avec deux vagabonds qui l’avaient attaqué et dont il s’était débarrassé après avoir cassé le bras à l’un deux. Ces vagabonds s’étaient entendus pour tricher aux cartes afin de dépouiller un jeune prisonnier qui avait de l’argent. Et, en effet, ils le dépouillèrent. Stepan intervint pour lui et reprit aux vagabonds l’argent qu’ils lui avaient gagné. Les vagabonds se mirent à l’injurier, et ensuite le frappèrent, mais il les terrassa tous les deux. Le directeur ayant ordonné une enquête pour savoir la raison de la querelle, les vagabonds dirent que c’était Pelaguschkine qui, le premier, avait commencé à les frapper. Stepan ne se défendit point et accepta docilement la punition qu’on lui infligea : trois jours de cachot et le transfert dans la cellule.
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Maintenant l’isolement ne lui pesait plus mais le réjouissait, et il fut contrarié quand on le plaça de nouveau dans la salle commune, parce qu’on avait besoin de sa cellule pour des criminels politiques qui venaient d’être amenés.
 
 
===V===
 
V
 
Maintenant ce n’était plus Tchouieff mais Stepan qui, dans la salle, lisait souvent l’évangile. Parmi les prisonniers, les uns chantaient des chansons obscènes, les autres écoutaient sa lecture et ses causeries sur ce qu’il avait lu. Deux, en particulier, l’écoutaient toujours en silence et attentivement : un forçat, un assassin, employé comme bourreau, Makhorkine, et Vassili, pris pour vol, et incarcéré dans la même prison en attendant d’être jugé. Depuis qu’il était en prison, Makhorkine avait deux fois rempli les fonctions de bourreau, et deux fois au loin, car on n’avait trouvé personne pour exécuter les arrêts des juges. Les paysans qui avaient tué Piotr Nikolaievitch avaient été jugés par un conseil de guerre, et deux d’entre eux avaient été condamnés à la peine de mort par pendaison.
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– Quoi ! C’est de Pelaguschkine que tu as appris cela ? Et voilà, tu as trouvé un prophète en prison ! Prends garde !
 
 
===VI===
 
VI
 
Pendant ce temps, Makhine, ce lycéen qui avait enseigné à son camarade à fabriquer un faux coupon, avait terminé ses études au lycée et à la faculté de droit. Grâce à ses succès auprès des femmes, surtout auprès d’une ancienne maîtresse d’un vieillard adjoint au ministre, tout jeune encore, il était nommé juge d’instruction. C’était un homme malhonnête, criblé de dettes, joueur et séducteur de femmes ; mais il était habile, intelligent, actif et savait mener les affaires. Il était juge d’instruction dans l’arrondissement où était jugé Stepan. Dès le premier interrogatoire Stepan l’avait étonné par ses réponses simples, véridiques, calmes. Makhine sentait obscurément que cet homme enchaîné, la tête rasée, qui se trouvait devant lui, amené et surveillé par deux soldats, et que deux soldats reconduiraient pour le mettre sous les verrous, il sentait que cet homme était moralement tout à fait libre et infiniment au-dessus de lui. C’est pourquoi, en l’interrogeant, il se stimulait sans cesse pour ne pas se laisser troubler et ne pas s’embrouiller. Ce qui le frappait surtout, c’est que Stepan parlait de ses crimes comme de choses passées depuis longtemps, et commises, non par lui, mais par un homme quelconque.
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Mais Makhine était surtout frappé de ce qu’il avait appris du directeur concernant l’influence de Pelaguschkine sur le bourreau Makhorkine qui, malgré la menace de punitions, avait renoncé à remplir ses fonctions
 
 
===VII===
 
VII
 
À une soirée chez les Éropkine, il y avait deux jeunes filles, de riches partis, toutes deux courtisées par Makhine. Après qu’on eut chanté, Makhine, qui venait de se distinguer, car il était très musicien et accompagnait au piano et tenait la seconde voix, se mit à narrer très fidèlement et avec force détails – il avait une très bonne mémoire – l’histoire d’un étrange criminel qui avait converti le bourreau. Makhine se souvenait si bien et racontait si bien parce qu’il restait toujours indifférent aux gens avec lesquels il avait affaire. Il ne pénétrait pas et ne savait pas pénétrer l’état d’âme des autres hommes. C’est pourquoi il pouvait se rappeler si bien tout ce qu’ils faisaient et disaient. Mais Pelaguschkine l’intéressait. Il n’était point entré dans l’âme de Stepan, mais, malgré lui, il se posait cette question : que se passe-t-il en lui ? Il ne trouvait pas la réponse, mais il pressentait qu’il s’agissait de quelque chose d’intéressant. À cette soirée il raconta toute l’histoire de la conversion du bourreau, et les récits du directeur sur la conduite bizarre de Pelaguschkine, ses lectures de l’évangile et sa grande influence sur ses camarades.
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Cette nuit-là, de longtemps, Lise ne put s’endormir. Depuis plusieurs mois, en elle se passait la lutte entre la vie mondaine dans laquelle l’entraînait sa sœur, et son amour pour Makhine, uni au désir de le corriger. Maintenant, ce dernier sentiment l’emporta. Elle avait déjà entendu parler de la morte, mais maintenant après cette mort horrible dont Makhine lui avait fait le récit d’après les paroles de Pelaguschkine et tous les détails de l’histoire de Marie Sémionovna, elle était frappée de tout ce qu’elle avait appris d’elle. Lise désirait passionnément lui ressembler. Elle était riche et craignait que Makhine ne lui fît la cour pour son argent. Elle résolut de distribuer tout ce qu’elle possédait, et s’en ouvrit à Makhine. Celui-ci, heureux de l’occasion de montrer son désintéressement, dit à Lise qu’il l’aimait, mais non pour son argent, et cette résolution généreuse, comme il sembla à Lise, le toucha même. Pour Lise commença la lutte avec sa mère qui ne lui permettait pas de donner sa propriété. Makhine prêtait son aide à Lise, et plus il agissait ainsi, plus il comprenait un monde qui lui était demeuré jusqu’alors étranger : le monde des aspirations morales, qu’il voyait en Lise.
 
 
 
===VIII===
 
Le silence régnait dans la salle. Stepan, couché à sa place, ne dormait pas encore. Vassili s’approcha de lui, le tira par la jambe, et lui fit signe de se lever et de venir près de lui. Stepan descendit de sa planche et s’approcha de Vassili.
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À ce moment un prisonnier se souleva sur sa planche, et prêta l’oreille. Stepan et Vassili se séparèrent. Le lendemain Vassili exécuta ce qu’il avait projeté. Il commença à se plaindre de ce que le pain n’était pas cuit. Il excita tous les prisonniers qui demandèrent à voir le directeur pour porter plainte. Le directeur de la prison vint, les injuria tous, et ayant appris que Vassili était l’instigateur de toute cette affaire, il ordonna de le mettre à part, dans une cellule de l’étage supérieur ; ce qu’avait voulu Vassili.
 
 
===IX===
 
IX
 
Vassili connaissait cette cellule où on le transféra. Il eu connaissait bien le plancher, et dès qu’il y fut enfermé, il se mit à disjoindre les planches du parquet. Quand il eut obtenu une ouverture assez large pour y passer, il se fit de même un passage dans le plafond de la salle qui se trouvait en dessous et qui était le dépôt mortuaire. Ce jour, il y avait un cadavre sur la table du dépôt. Dans ce même dépôt se trouvaient des sacs pour le foin. Vassili savait ce détail et avait compté sur ces sacs. Il tira le mentonnet, sortit par la porte et passa dans des latrines en construction. Au bout du couloir, dans ces latrines, il y avait un trou qui allait du troisième étage au sous-sol. En tâtant, Vassili trouva la porte et retourna dans le dépôt mortuaire, enleva le linceul du cadavre déjà refroidi (en soulevant le linceul il avait touché sa main), prit les sacs et les lia les uns au bout des autres pour en faire une corde, puis porta cette corde dans les latrines. Là il attacha la corde à une poutre et descendit. La corde ne touchait pas le sol. S’en fallait-il de beaucoup ou de peu, il l’ignorait, mais il n’y avait rien d’autre à faire. Il s’y suspendit et sauta. Il se fit mal aux jambes, cependant il pouvait marcher.
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Dans le sous-sol il y avait deux fenêtres, assez larges pour qu’on y pût passer, mais elles étaient grillées. Il fallait arracher les barreaux de fer. Mais avec quoi ? Vassili se mit à fouiller le sous-sol. Il y avait là des planches. Il trouva une planche avec un bout pointu, et se mit à disjoindre les briques dans lesquelles étaient scellés les barreaux. Il travailla longtemps. Le coq chantait déjà pour la seconde fois et les barreaux tenaient toujours. Enfin, un côté céda. Vassili enfonça la planche, appuya, la grille se détacha, mais une brique tomba avec bruit. La sentinelle pouvait avoir entendu. Vassili se tint immobile. Tout était tranquille. Il grimpa à travers la fenêtre. Pour s’enfuir, il lui fallait escalader le mur. Dans un coin de la cour se trouvait une bâtisse. Il devait grimper sur cette bâtisse, et de là sur le mur. Pour cela il avait besoin d’un morceau de bois, autrement impossible de grimper sur la bâtisse. Vassili retourna au sous-sol. Il reparut bientôt, une planche à la main, et écouta les pas de la sentinelle. La sentinelle, comme Vassili le pensait, marchait de l’autre côté de la cour. Vassili s’approcha de la bâtisse, s’appuya sur la planche et tenta l’escalade. Mais la planche glissa. Vassili tomba. Il était en chaussettes ; il les enleva pour s’accrocher avec les pieds. De nouveau il s’appuya sur la planche, bondit, et, avec les mains, saisit le chéneau. « Mon Dieu ! Pourvu que ça ne tombe pas ! » Il grimpe le long du chéneau et voilà son genou sur le toit. La sentinelle s’approche. Vassili se couche. La sentinelle ne le voit pas, s’éloigne et Vassili s’élance. La ferraille craque sous ses pieds. Encore un pas, deux, voici le mur. On peut le toucher de la main. Une main, l’autre – se tendent et il est sur le mur. Pourvu qu’il ne se tue pas en descendant. Vassili se suspend par les mains, s’allonge, lâche une main, l’autre... « Ah ! Seigneur Dieu ! » Il est à terre. Et la terre est douce. Ses jambes sont indemnes et il s’enfuit. Dans le faubourg, Mélanie lui ouvre la porte et il se couche sous la couverture chaude faite de petits morceaux.
 
 
 
===X===
X
 
La femme de Piotr Nikolaievitch, grande, belle, calme, grasse comme une vache stérile, avait vu de la fenêtre comment on avait tué son mari et traîné son corps quelque part dans le champ. Le sentiment d’horreur éprouvé par Nathalie Ivanovna (ainsi s’appelait la veuve de Piotr Nikolaievitch) à la vue de ce massacre, était si fort qu’il étouffait en elle, comme il arrive toujours, tout autre sentiment. Mais après que la foule eut disparu derrière la haie du jardin, après que le bourdonnement des voix se fut calmé, et que Mélanie, la jeune fille qui les servait, accourant pieds nus, les yeux écarquillés, eut raconté, comme s’il s’agissait de quelque joyeuse nouvelle, qu’on avait tué Piotr Nikolaievitch et jeté son corps dans le ravin, du premier sentiment commença à se détacher un autre : le sentiment de la joie d’être délivrée d’un despote aux yeux masqués par des lunettes noires, qui, pendant dix-neuf ans, l’avait tourmentée. Elle était horrifiée elle-même de ce sentiment qu’elle n’osait s’avouer et, d’autant plus, confier à quelqu’un.
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L’officier de police envoya lui-même le télégramme ; et dans l’âme de Nathalie Ivanovna revint la joie. Il lui semblait que si elle, la veuve de la victime, pardonnait et demandait grâce, le tzar ne pouvait ne point pardonner.
 
 
 
===XI===
 
Lise Éropkine continuait à vivre dans un état perpétuel d’enthousiasme. Plus elle avançait dans la voie de la vie chrétienne, qui se révélait à elle, plus elle acquérait la certitude que cette voie était la vraie et plus son âme était joyeuse.
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Peu après la visite de Lise, il s’enferma dans sa cellule et n’alla à l’église que trois semaines plus tard. Il écouta la messe, puis, après le service, fit un sermon dans lequel il se dénonçait, dénonçait les péchés du monde et l’appelait au repentir. Il prêchait tous les quinze jours, et à ses sermons accourait une foule de plus en plus grande. Sa gloire comme prédicateur se répandait de plus en plus. Il y avait dans ses sermons quelque chose de particulier, de hardi, de sincère ; c’est pourquoi il avait une si grande influence sur les hommes.
 
 
===XII===
 
XII
 
Entre-temps, Vassili avait fait ce qu’il s’était promis de faire. Avec des camarades, pendant la nuit, il avait pénétré chez un marchand, Krasnopouzoff. Il savait qu’il était avare et débauché. Il avait fracturé la caisse et pris l’argent, 30 000 roubles, qu’il distribuait comme il avait dit. Il avait même cessé de boire, et donnait de l’argent pour les noces de fiancés pauvres, payait des dettes. Lui-même se cachait et n’avait qu’un seul souci : bien distribuer l’argent. Il donnait aussi à la police, et on ne l’inquiétait pas.
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Sa défense était faite également avec bonne humeur, de sorte que les jurés faillirent l’acquitter. Il fut condamné à une peine très légère. Il remercia, et prévint qu’il s’enfuirait.
 
 
 
XIII===
 
Le télégramme de Madame Sventitzky au tzar ne fut suivi d’aucun effet. Dans la Commission des recours en grâce, on avait d’abord résolu de n’en pas même faire mention au tzar. Mais, pendant le déjeuner de l’empereur, la conversation étant venue sur l’affaire Sventitzky, le Président de la Commission des grâces, qui déjeunait précisément chez l’empereur, parla du télégramme de la veuve de la victime.
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Tous se regardaient et tous n’étaient occupés que de l’inconvenance de ce sermon et de l’ennui qu’il devait causer à l’empereur. Mais personne ne le disait. Aussitôt qu’Isidore eut prononcé « Amen », le Métropolite s’approcha de lui et lui demanda de passer le voir. Après son entretien avec le Métropolite et le procureur général du Saint Synode, le vieillard fut aussitôt envoyé au couvent, non au sien, mais au couvent de Sousdal, dont le père Missaïl était supérieur.
 
 
===XIV===
 
XIV
 
Tous faisaient comme s’il n’y avait eu rien de désagréable dans le sermon du père Isidore ; et personne n’en parlait. Il semblait au tzar que les paroles du vieillard n’avaient laissé en lui aucune trace. Mais deux fois durant cette journée, il se rappela l’exécution des paysans pour lesquels Madame Sventitzky avait demandé grâce par télégramme. Dans la journée il y eut une revue militaire, ensuite une promenade, puis la réception des ministres, puis le dîner, et, le soir, spectacle. Comme à l’ordinaire, l’empereur s’endormit aussitôt sa tête posée sur l’oreiller. Pendant la nuit un rêve affreux l’éveilla : des potences se dressaient dans un champ ; des cadavres s’y balançaient, et ces cadavres tiraient une langue qui s’allongeait de plus en plus. Et quelqu’un criait : « C’est ton œuvre, ton œuvre ! »
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Mais en lui, il ne voyait l’homme que de loin et il ne pouvait céder aux simples exigences humaines à travers les exigences qu’on lui imposait de tous côtés comme tzar. Et il n’avait pas la force de reconnaître les devoirs de l’homme plus obligatoires que ceux du tzar.
 
 
===XV===
 
XV
 
Après avoir purgé en prison sa deuxième condamnation, Prokofi, cet élégant ambitieux, sortit de là un homme complètement perdu. Autrefois sobre, il était assis sans rien faire, et son père avait beau l’injurier, il mangeait le pain et ne travaillait pas, et, de plus, guettait l’occasion de dérober quelque chose pour le porter au débit et boire. Il restait assis, toussotait et crachait. Le médecin qu’il alla consulter l’ausculta et hocha la tête.
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Et Prokofi mourut à l’hôpital.
 
 
 
===XVI===
 
Les affaires d’Eugène Mikhaïlovitch allaient de mal en pis. Le magasin était hypothéqué. Le commerce ne marchait pas : un autre magasin s’était ouvert dans la ville. Il avait les intérêts à payer, et il lui fallait emprunter de nouveau et payer de nouveau. À la fin des fins, le magasin avec toutes les marchandises allait être mis en vente. Eugène Mikhaïlovitch et sa femme frappèrent à toutes les portes afin de trouver les 400 roubles nécessaires pour les sortir de là, mais ils n’obtinrent rien. Ils avaient fondé quelque espoir sur le marchand Krasnopouzoff, dont la femme d’Eugène Mikhaïlovitch connaissait la maîtresse. Mais maintenant, toute la ville savait qu’on avait volé chez Krasnopouzoff une forte somme. On parlait d’un demi-million.
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Et quand il se rappelait cela ou en parlait avec sa femme, des larmes se montraient dans ses yeux et la joie emplissait son âme.
 
 
===XVII===
 
Dans l’''in'' ''pace'' du couvent de Sousdal quatorze ecclésiastiques étaient détenus, et presque tous pour avoir renoncé à l’orthodoxie. C’était là qu’avait été aussi envoyé Isidore. Le père Missaïl reçut Isidore, d’après l’indication des papiers, et, sans causer avec lui, ordonna de l’enfermer dans une cellule, comme criminel important. Il y avait deux semaines que le père Isidore était en prison quand le père Missaïl fit le tour des prisonniers. Il entra chez Isidore et lui demanda s’il avait besoin de quelque chose.
XVII
 
Dans l’in ''pace'' du couvent de Sousdal quatorze ecclésiastiques étaient détenus, et presque tous pour avoir renoncé à l’orthodoxie. C’était là qu’avait été aussi envoyé Isidore. Le père Missaïl reçut Isidore, d’après l’indication des papiers, et, sans causer avec lui, ordonna de l’enfermer dans une cellule, comme criminel important. Il y avait deux semaines que le père Isidore était en prison quand le père Missaïl fit le tour des prisonniers. Il entra chez Isidore et lui demanda s’il avait besoin de quelque chose.
 
– J’ai besoin de beaucoup de choses, répondit-il ; mais je ne puis te le dire devant témoins. Donne-moi l’occasion de te parler en tête-à-tête.
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Un mois après, Missaïl envoyait une requête dans laquelle il demandait qu’on libérât comme repentis, non seulement Isidore mais tous les autres, et lui-même demandait à être envoyé dans un couvent pour se reposer.
 
 
===XVIII===
 
XVIII
 
Dix ans se sont écoulés. Mitia Smokovnikoff a terminé ses études à l’école technique ; il est maintenant ingénieur, avec de gros appointements, dans des mines d’or en Sibérie. Il avait besoin d’aller visiter les mines. Le directeur lui proposa de prendre pour l’accompagner le forçat Stepan Pelaguschkine.
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Et, chose étonnante, Mitia Smokovnikoff qui, jusqu’à ce jour, n’avait vécu qu’en buvant, mangeant, jouant aux cartes, pour la première fois se mit à réfléchir sur la vie ; et ces pensées ne le quittaient plus et bouleversaient son âme de plus en plus. On lui proposa une place qui comportait de gros appointements, il la refusa et résolut d’acheter avec ce qu’il possédait une propriété, de se marier, et, dans la mesure de ses forces, de servir le peuple.
 
 
 
===XIX===
 
Ainsi fit-il. Mais auparavant, il alla chez son père, avec qui il était en mauvais termes à cause d’une nouvelle famille que son père avait installée. Il avait résolu de se rapprocher de son père, et il le fit. Celui-ci, étonné, d’abord se moqua de lui, ensuite il cessa de se moquer, se rappelant plusieurs cas où il avait été coupable envers son fils.