« La Sœur du Tasse » : différence entre les versions

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::''Dans l’ombre de mon cœur mes plus fraîches amours,''<br>
::''Mes amours de seize ans refleuriront toujours.''<br>
:::Brizeux<br>
 
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Oh ! bien avant Mercœur, la Sapho de la Loire,<br>
Le poëte a servi de pâture à la gloire,<br>
Sphinx dévorant qui veille aux portes de Paris ;<br>
Et peut-être (qui sait ?) de la chambre où j’écris<br>
Le Tasse un jour fut l’hôte, et ma table de hêtre<br>
Boiteuse sous son coude a chancelé peut-être.<br>
Assis sur l’escabeau, peut-être, où je m’assieds,<br>
Il écoutait Paris bourdonner à ses pieds,<br>
Et pensif, arrêtant chaque nue au passage,<br>
Pour son pays lointain la chargeait d’un message.<br>
Il ne l’envoyait pas à Ferrare, où pourtant<br>
Aux genoux d’une Armide il dormit un instant ;<br>
Non : sa blessure au cœur était enfin guérie ;<br>
Non, mais il soupirait : « Loïsa, sœur chérie,<br>
Mes premières amours, que faites-vous là-bas ?<br>
Quand je jette au Destin le gage des combats,<br>
Dame de ma pensée, au Christ d’un oratoire<br>
Sans doute vos soupirs demandent ma victoire.<br>
Oh ! priez : veuf de vous, mon cœur n’a point vécu ;<br>
Mais je ne reviendrai qu’après avoir vaincu.<br>
Vous sauriez bien encor, généreuse en silence,<br>
De votre pauvreté me faire une opulence ;<br>
Mais pour dot à ma sœur je n’irai plus offrir.<br>
Mon trésor de misère, et je saurai souffrir.<br>
La Poésie aidant !… pour conduire ma plume,<br>
Seul flambeau de mes nuits, quand l’œil d’un chat s’allume,<br>
Des chœurs d’esprits follets, poétiques sabbats,<br>
Viennent fleurir sous moi la paille des grabats ;<br>
Des palmiers, des drapeaux frissonnent sur ma joue :<br>
Salut, bel Orient ! adieu, Paris de boue !<br>
Chevaliers, ouvrez-moi vos rangs hospitaliers ;<br>
Pour le Christ et l’honneur, combattons chevaliers… ;<br>
Puis, vient l’Amour Protée et ses métamorphoses :<br>
Renaud, l’homme de fer, se rouille sur des roses ;<br>
Clorinde l’infidèle expire, et son amant<br>
Baptise avec ses pleurs un front pâle et charmant.<br>
Mais l’illusion fuit le jour qui l’intimide ;<br>
Il brille, et tout s’en va : les preux, Clorinde, Armide,<br>
Les armes, les drapeaux, les palmiers, tout enfin,<br>
Tout : il ne reste là qu’un poëte et la Faim !<br>
Oh ! Sorrente, Sorrente ! et, sur la plage verte,<br>
Une blanche villa que le pampre a couverte ;<br>
Un banc sous l’oranger d’où tombe la fraîcheur,<br>
Et là nos entretiens si doux que le pêcheur<br>
S’écriait, quand le son en frappait son oreille :<br>
« Longue nuit, longs amours aux époux de la veille ! »<br>
 
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La Fièvre n’osait plus s’asseoir à mon chevet ;<br>
Même avant la douleur le remède arrivait ;<br>
Vous jugiez mes travaux, querelliez ma paresse ;<br>
Et toujours sur mon front pendait une caresse.<br>
Souvent mon cœur, saisi d’un prophétique émoi,<br>
Me révélait quelqu’un debout derrière moi ;<br>
Puis, sur mes yeux tombait une main enfantine ;<br>
Puis, entre deux baisers, on me disait : Devine !<br>
Je devinais toujours : des parfums inconnus<br>
Annonçaient aux païens l’invisible Vénus.<br>
Ainsi, quand un nuage à mes yeux vous dérobe,<br>
De vos cheveux bouclés, des plis de votre robe,<br>
Je ne sais quel parfum d’une exquise douceur<br>
Se répand et m’enivre, et vous trahit, ma sœur !<br>
 
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Aussi, j’ai bien souvent frémi d’un doute étrange,<br>
Et les yeux sur vos yeux dit : « Est-ce pas un ange ? »<br>
» Pendant que je suivais là-bas un paladin<br>
» Le deuil sur la maison est-il tombé soudain ?<br>
» Derrière moi sans bruit la vieille Alix a-t-elle<br>
» Dans un linceul furtif cousu ma sœur mortelle ?<br>
» Daigna-t-il emprunter un nom sur un tombeau ? »<br>
 
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Des bienfaits prodigués par votre amour céleste,<br>
Dût cet amour s’éteindre, un souvenir me reste,<br>
Et ce long souvenir est encore un bienfait ;<br>
Oui, ce que vous faisiez, votre image le fait :<br>
Par le méchant qui règne et le sot qui prospère,<br>
Coudoyé, si je pleure et si je désespère,<br>
Elle est là : son souris me défend de pleurer ;<br>
Son œil, ardent de foi, m’ordonne d’espérer.<br>
Oh ! le siècle entendra les chants que je lui livre ;<br>
Il n’aura pas ouvert ma tombe avant mon livre ;<br>
Ce livre, proclamant votre sainte amitié,<br>
D’un avenir conquis vous promet la moitié ;<br>
Et quand, sur nos tombeaux, relu par des voix tendres,<br>
Voix de sœurs ou d’amants, il remûra nos cendres ;<br>
Nos spectres enlacés voltigeront près d’eux ;<br>
Nous ne ferons, ma sœur, qu’une gloire à nous deux ! »<br>
 
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La gloire !… en répétant ce mot vide et sonore,<br>
Il sourit de pitié ; puis, d’espérance encore ;<br>
Il s’endormit rêvant bonheur et gloire, mais<br>
L’une arriva bien tard, l’autre ne vint jamais.<br>
Quand il revit Sorrente, et, sur la plage verte,<br>
La villa tant aimée, il la trouva déserte.<br>
Au vent de ses destins, alors de cour en cour,<br>
De prison en prison il tomba ; puis, un jour,<br>
Le pauvre fou sentit, dans la ville papale,<br>
Une douche de fleurs innonder son front pâle.<br>
« Pour qui donc cette pompe et ce peuple à genou ? »<br>
Disait-il, et chacun lui répondait : « Pour vous !<br>
Pour vous Rome est en fête, et son prince en étole<br>
Avec les saintes clefs ouvre le Capitole ;<br>
Pour vous il s’illumine, et ses joyeux échos<br>
Chantent comme ils chantaient sur les pas des héros ;<br>
Car vous avez tenté des conquêtes plus rares,<br>
O poëte, et comme eux triomphé des barbares ;<br>
Car d’un laurier rival vous êtes possesseur :<br>
Voyez… » — « Hélas ! dit-il, je ne vois pas sœur ! »<br>
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