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harmonique, je veux commencer par étudier le rythme de plus près.

Le rythme est dans le temps ce que la symétrie est dans l’espace, c’est-à-dire une division en parties égales et correspondantes, qui, plus grandes d’abord, se résolvent ensuite en parties plus petites et secondaires. Dans la série des arts que j’ai établie, l’architecture et la musique forment les deux extrêmes. Aussi sont-elles les plus hétérogènes, véritables antipodes l’une de l’autre dans leur essence intime, leur puissance, l’étendue de leur sphère et leur signification ; leur opposition s’étend même jusqu’à la forme de leur manifestation. L’architecture n’existe que dans l’espace, sans aucun rapport avec le temps ; la musique n’existe que dans le temps, sans le moindre rapport avec l’espace[1]. Leur seule analogie consiste en ce que le rythme est dans la musique, comme la symétrie en architecture, le principe d’ordre et de cohésion ; nouvelle confirmation de l’adage que les extrêmes se touchent. Les éléments derniers d’un édifice sont des pierres toutes égales ; de même, ceux d’un morceau de musique sont les mesures toutes égales, subdivisées à leur tour par le levé et le frappé, ou en général par la fraction qui indique la mesure, en parties encore égales, que l’on peut comparer aux dimensions de la pierre. Plusieurs mesures forment la période musicale, répartie aussi en deux moitiés égales, l’une montante, qui aspire à s’élever jusqu'à la dominante et l’atteint presque toujours, l’autre descendante, qui apporte le calme et retombe sur le ton fondamental. Deux ou même plusieurs périodes composent une partie, d’ordinaire aussi redoublée symétriquement par le signe de reprise ; deux parties constituent un petit morceau de musique, ou seulement une phrase d’un morceau plus grand ; le concerto ou la sonate comprennent d’habitude trois phrases, la symphonie quatre et la messe cinq. Nous voyons ainsi ces divisions et subdivisions symétriques établir entre tous les membres d’un morceau de musique une subordination, une superposition, une coordination constante et en faire un tout cohérent et fermé, comme la symétrie le fait d’un édifice, sous cette réserve que ce qui dans l’un existe exclusivement dans l’espace existe chez l’autre exclusivement dans le temps. C’est du simple sentiment de cette analogie qu’est sorti ce mot hardi souvent répété dans ces trente dernières années : l’architecture est de la musique congelée

  1. Objecter que la sculpture et la peinture n’existent aussi que dans l’espace est une erreur ; car leurs œuvres ont un rapport tout au moins indirect, sinon direct avec le temps, puisqu’elles représentent la vie, le mouvement, l’action. Il serait aussi faux de dire que la poésie, en tant que langage, appartient au temps seul : l’idée ne serait encore vraie que directement pour les mots ; mais la matière de la poésie est tout ce qui existe, par suite l’espace.