« La Consolation de la philosophie » : différence entre les versions

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==LIVRE PREMIER==
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Le bonheur, qui jadis inspirait mes accents,
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A fait place aux sombres alarmes;
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C'est une Muse en deuil qui me dicte ces chants,
 
Aujourd'hui trempés de mes larmes.
 
Oui, les Muses, du moins, m'ont escorté sans peur
 
Dans la voie ou mon âme succombe ;
 
Gloire de mon printemps, d'une dernière fleur
 
Elles parfumeront ma tombe.
 
Hélas ! Avant le temps, le malheur m'a fait vieux ;
 
le chagrin, les soucis arides
 
Sur ma tête en un jour ont blanchi mes cheveux,
 
Et dans ma chair creusé des rides.
 
Bienvenue est la Mort quand, sans presser le pas,
 
Elle nous délivre à notre heure;
 
Hélas! elle est aveugle, et ne s'informe pas
 
Si sa victime rit ou pleure.
 
Au temps où tous mes vœux étaient comblés, la Mort
 
Effleura mon front sans scrupule;
 
Trahi par la Fortune, accablé par le Sort,
 
Quand je l'implore, elle recule.
 
Vous vantiez mon bonheur : vous savez à présent,
 
Mes amis, s'il était fragile !
 
Un coup de foudre éclate, et le voilà gisant
 
Ce fier colosse aux pieds d'argile.
 
Tandis que je roulais silencieusement ces pensées en moi-même, et que je consignais sur mes
tablettes cette plainte douloureuse, j'aperçus planant au-dessus de ma tête une femme d'un aspect
singulièrement vénérable. Ses yeux brillaient d'un éclat surhumain, et les vives couleurs qui animaient ses joues annonçaient une vi­gueur respectée par le ternes; et cependant elle était si pleine d'années qu'il était impossible de la croire con­temporaine de notre âge. Sa stature était un problème. Tantôt elle se rapetissait à la taille moyenne de l'homme ; tantôt elle paraissait toucher le ciel du front, et quand elle levait la tête plus haut encore, elle l'enfonçait dans le ciel même et se dérobait aux regards de ceux qui la contemplaient d'en bas.
 
Ses vêtements étaient formés d'une étoffe très-déliée, merveilleusement travaillée et d'une matière indestruc­tible ; j'appris plus tard d'elle-même qu'elle l'avait tissée de ses propres mains. Le temps, quelque peu d'incur'e aidant, en avait assombri les couleurs, comme il ternit l'éclat des vieilles peintures. Sur le bord inférieur de sa robe était brodé un II ; sur le bord supérieur un θ (theta). Entre ces deux lettres on voyait tracées, en forme de degrés, des lignes qui s'échelonnaient du premier caractère au second. Plus d'un brutal avait déchiré ce vêtement , et de ces lambeaux, chacun s'était approprié le plus qu'il avait pu. Enfin, dans sa main droite, elle tenait des livres, dans la gauche un sceptre. Elle n'eut pas plus tôt aperçu les Muses de la poésie, assises à mon chevet et. dictant des expressions à ma douleur, que sortant pour un moment de son calme habituel, et lançant des regards enflammés de colère : « Qui donc, dit-elle, a permis à ces filles de théâtre d'approcher de ce malade ? Ne sait-on pas qu'elles ne possèdent aucun baume pour endormir ses souffrances ? Qu'elles les nourriraient plutôt par leurs doucereux poisons ? Ce sont elles, en effet, qui étouffent sous les stériles épines, les passions les opulentes mois­sons de la sagesse. Elles peuvent accoutumer l'âme hu-a douleur : elles ne l'en délivrent pas. « Encore si vous débauchiez un profane, comme c'est votre habitude, je m'inquiéterais peu de votre artificieux manège ; vous ne me raviriez pas du moins le fruit de mes travaux. Mais quoi ! Celui-ci ? Un homme nourri des doctrines d'Élée et de l'Académie ? Allons 1 retirez-vous, Sirènes! Arrière vos séductions meurtrières! Ce sont mes Muses, à moi, qui soigneront et guériront ce malheureux ». Ainsi admonesté, le chœur harmonieux baissa ses re­gards humiliés et, le front rouge de honte, franchit tris­tement le seuil.
 
Pour moi, mes yeux étaient tellement obscurcis par les larmes que je ne pouvais distinguer qui était cette femme qui commandait avec tant d'empire. Frappé de stupeur, les yeux fixés à terre, dans l'attente de ce qu'elle allait faire encore, je gardais le silence. Alors elle, s'ap­prochant davantage, s'assit au pied de mon lit, et voyant mon visage abattu par le chagrin et tristement penché vers le sol, elle me reprocha dans ces vers le trouble de mon âme
 
Ift
Oh ! quelles ombres funèbres,
Quelles épaisses ténèbres
Obscurcissent votre esprit,
Quand les vapeurs de la terre
Lui dérobant la lumière,
C'est l’orgueil qui le conduit
Est-ce bien là ce génie
Dont la science hardie
Sondait les replis des cieux:' disque rose, La lune froide et morose ne pouvaient tromper srs veux.
 
:Mobile dans soli orbite la planète en vain gravite : Il avait surpris ses lois;
Il aurait pu dire encore
Comment l’,Aquilon sonore Des mers soulève le poids;
 
11
Comment le flambeau du monde,
au matin, surgit de l'onde
Pour s'y replonger le soir ;
Comment Avril se couronne
De fleurs, et comment l'Automne
Ruisselle sous le pressoir.
Des secrets de la nature
Cet interprète parjure,
Comme un esclave dompté,
Le cou ployé, l'oeil stupide,
Sur cette terre sordide
Fixe un regard hébété.
 
IV
« Mais il s'agit, dit-elle, de le guérir, non de le plaindre ». Alors me couvant en quelque sorte de ses regards : « Est-ce bien toi, dit-elle, toi qui, jadis abreuvé de mon lait, nourri de mon pain, avais puisé dans ce régime une vigueur d'âme toute virile ? Certes, je t'avais fourni des armes bien trempées ; leur solidité t'eût pro­tégé et rendu invincible, si tu ne les avais jetées à tes pieds. Me reconnais-tu ? Pourquoi ce silence ? Est-ce la honte, est-ce l'abattement qui te ferme la bouche ? Tant mieux si c'est la honte ! Mais non, ton abattement n'est que trop visible ». Et comme elle s'aperçut que, si je ne répondais pas, c'est que ma langue paralysée ne pouvait articuler une parole, elle posa légèrement sa main sur ma poitrine : « Le danger n'est pas grand, dit-elle ; c'est un cas de léthargie, la maladie ordinaire des esprits hal-
 
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lucinés. Il a pour un moment oublié ce qu'il était ; la mémoire lui reviendra facilement ; mais il faut d'abord qu'il me reconnaisse. Pour l'y aider, commençons par dessiller ses yeux qu'obscurcit le brouillard des choses humaines ». Elle dit, et d'un pli de sa robe elle essuya mes paupières inondées de larmes.
Soudain mes yeux, rendus à leur vigueur première, Se rouvrirent à la lumière.
Ainsi quand le Corus précurseur de l'éclair
Change en eau les vapeurs de l'air. Le soleil se dérobe, une nuit sans étoiles Sur la nature étend ses voiles.
l)e ses antres glacés que Borée, à son tour, S'élance et ramène le jour, Phébus brille, et répand sur la terre ravie Des torrents de flamme et de vie.
VI
Ainsi se dissipèrent les nuages de ma tristesse. Je levai précipitamment les yeux et je me recueillis pour me rappeler les traits de celle qui me prodiguait ses soins. Je ne l'eus pas plus tôt attentivement examinée, duc je reconnus ma nourrice , dont le toit m'avait
 
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