« L’Homme de lettres » : différence entre les versions
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▲|'''L’homme de lettres'''</br>''Le Gaulois'', 6 novembre 1882
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Le public considère ordinairement l’homme de lettres comme une sorte d’animal étrange, de fantaisiste, d’original, de paradoxe vivant, de poseur, sans s’expliquer bien nettement cependant en quoi cet être particulier diffère de ses semblables.
C’est qu’en lui aucun sentiment simple n’existe plus. Tout ce qu’il voit, tout ce qu’il éprouve, tout ce qu’il sent, ses
S’il souffre, il prend note de sa souffrance et la classe dans un carton ; il se dit, en revenant du cimetière, où il a laissé celui ou celle qu’il aimait le plus au monde : « C’est singulier ce que j’ai ressenti ; c’était comme une ivresse douloureuse, etc. » Et alors il se rappelle tous les détails, les attitudes des voisins, les gestes faux, les fausses douleurs, les faux visages, et mille petites choses insignifiantes, des observations artistiques, le signe de croix d’une vieille qui tenait un enfant par la main, un rayon de lumière dans une fenêtre, un chien qui traversait le convoi, l’effet de la voiture funèbre sous les grands ifs du cimetière, la tête surprenante d’un croque-mort et la contraction des traits, l’effort des quatre hommes qui descendaient la bière dans la fosse ; mille choses enfin qu’un brave homme souffrant de toute son âme, de tout son cœur, de toute sa force, n’aurait jamais remarquées.
Il a tout vu, tout retenu, tout noté, malgré lui, parce qu’il est, avant tout, malgré tout, un homme de lettres, et qu’il a
Il semble avoir deux âmes, l’une qui note, explique, commente chaque sensation de sa voisine, de l’âme naturelle, commune à tous les hommes ; et il vit condamné à être toujours, en toute occasion, un reflet de lui-même et un reflet des autres, condamné à se regarder sentir, agir, aimer, penser, souffrir, et à ne jamais souffrir, penser, aimer, sentir comme tout le monde, bonnement, franchement, simplement, sans s’analyser soi-même après chaque joie et après chaque sanglot.
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''La fenêtre était ouverte, la nuit était superbe ; on entendait les chants du coq, et un papillon de nuit voltigeait autour du flambeau. Jamais je n’oublierai tout cela, ni l’air de sa figure, ni le premier soir, à minuit, le son éloigné d’un cor de chasse qui m’est arrivé à travers les bois. Le mercredi, j’ai été me promener tout l’après-midi avec une chienne qui m’a suivi sans que je laie appelée. Cette chienne lavait pris en affection et l’accompagnait toujours quand il sortait seul ; la nuit qui a précédé sa mort, elle a hurlé horriblement sans qu’on ait pu la faire taire.''
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''De temps à autre, j’allais lever le voile qu’on lui avait mis sur le visage pour le
''Quand il a été ainsi arrangé, il ressemblait à une momie égyptienne serrée dans ses bandelettes, et j’ai éprouvé je ne puis dire quel sentiment énorme de joie et de liberté pour lui. Le brouillard était blanc ; les bois commençaient à se détacher sur le ciel ; les deux flambeaux brillaient dans cette blancheur naissante ; des oiseaux ont chanté, et je me suis dit cette phrase de son Bélial : « Il ira, joyeux oiseau, saluer dans les pins le soleil levant. »''
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''On l’a porté à bras au cimetière ; la course a duré plus d’une heure. Placé derrière, je voyais le cercueil osciller avec un mouvement de barque qui remue au roulis. L’office a été atroce de longueur. Au cimetière, la terre était grasse ; je me suis approché sur le bord et j’ai regardé une à une toutes les pelletées tomber. Il m’a semblé qu’il en tombait cent mille.''
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