« L’Esprit en France » : différence entre les versions

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|[[Auteur:Guy de Maupassant|Guy de Maupassant]]
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|[[Auteur:Guy de Maupassant|Guy de Maupassant]]<br> <small><small>([[:Catégorie:Chroniques de Maupassant|alpha]]-[[Chroniques de Maupassant|chrono]])</small></small>
|'''L’EspritLes en FranceChroniques''' <small><small>([[:Catégorie:Chroniques de Maupassant|alpha]]-[[Chroniques de Maupassant|chrono]])</small></small><br>''[[Le Gaulois]]'', 19 juin 1881
|[[L’Échelle sociale]]
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|[[Les Poètes grecs contemporains]]
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{{t3|L’ESPRIT EN FRANCE}}
 
 
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Alors on riait facilement, bonnement et simplement, d’un trait grossier, brutal, lourd, sans pointe. Le mot d’esprit était un coup de massue.
 
Chose étrange : la ''gaieté courante'' du XVII<sup>{{e</sup>}} siècle diffère peu de celle des deux siècles précédents.
 
Lisez donc les épigrammes de Racine et de Boileau. Le sel n’en est guère attique.
 
Au XVIII<sup>{{e</sup>}} siècle, par exemple, l’esprit devint acéré comme une aiguille, pénétrant, méchant, mais direct et franc, sans arrière-sens détourné.
 
Aujourd’hui, il nous faut des raffinements, des contorsions de mots, des postures d’idées inusitées, des à-peu-près drolatiques. Le mot n’est plus une aiguille, mais une sorte de tire-bouchon.
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::''Tu as tout seul, Jean-Jean, vignes et prés, '' ::''Tu as tout seul ton cœur et ta pécune, '' ::''Tu as tout seul deux logis diaprés, '' ::''Là où vivant ne prétend chose aucune, '' ::''Tu as tout seul le prix de ta fortune, '' ::''Tu as tout seul ton boire et ton repas, '' ::''Tu as tout seul toutes choses, fors une, '' ::''C’est que tout seul ta femme tu n’as pas.''
::''Tu as tout seul, Jean-Jean, vignes et prés,''
::''Tu as tout seul ton cœur et ta pécune,''
::''Tu as tout seul deux logis diaprés,''
::''Là où vivant ne prétend chose aucune,''
::''Tu as tout seul le prix de ta fortune,''
::''Tu as tout seul ton boire et ton repas,''
::''Tu as tout seul toutes choses, fors une,''
::''C’est que tout seul ta femme tu n’as pas.''
 
 
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::''Catin veut épouser Martin, '' ::''C’est fait en très fine femelle.'' ::''Martin ne veut point de Catin, '' ::''Je le trouve aussi fin comme elle.''
::''C’est fait en très fine femelle.''
::''Martin ne veut point de Catin,''
::''Je le trouve aussi fin comme elle.''
 
 
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::''Notre vicaire, un jour de fête, '' ::''Chantait un agnus gringoté, '' ::''Tant qu’il pouvait, à pleine tête, '' ::''Pensant d’Annette être écouté.'' ::''Annette, de l’autre côté, '' ::''Pleurait, attentive à son chant ;'' ::''Dont le vicaire, en s’approchant, '' ::''Lui dit : Pourquoi pleurez-vous, belle ?'' ::''— Ah ! messire Jean, ce dit-elle, '' ::''Je pleure un âne qui m’est mort, '' ::''Qui avait la voix toute telle'' ::''Que vous, quand vous criez si fort !''
::''Notre vicaire, un jour de fête,''
::''Chantait un agnus gringoté,''
::''Tant qu’il pouvait, à pleine tête,''
::''Pensant d’Annette être écouté.''
::''Annette, de l’autre côté,''
::''Pleurait, attentive à son chant ;''
::''Dont le vicaire, en s’approchant,''
::''Lui dit : Pourquoi pleurez-vous, belle ?''
::''— Ah ! messire Jean, ce dit-elle,''
::''Je pleure un âne qui m’est mort,''
::''Qui avait la voix toute telle''
::''Que vous, quand vous criez si fort !''
 
 
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::''Bien que du Moulin en son livre'' ::''Semble n’avoir rien ignoré, '' ::''Le meilleur est toujours de suivre'' ::''Le prône de notre curé.'' ::''Toutes ces doctrines nouvelles'' ::''Ne plaisent qu’aux folles cervelles.'' ::''Pour moi, comme une humble brebis, '' ::''Sous la houlette je me range :'' ::''Je n’ai jamais aimé le change'' ::''Que des femmes et des habits.''
::''Bien que du Moulin en son livre''
::''Semble n’avoir rien ignoré,''
::''Le meilleur est toujours de suivre''
::''Le prône de notre curé.''
::''Toutes ces doctrines nouvelles''
::''Ne plaisent qu’aux folles cervelles.''
::''Pour moi, comme une humble brebis,''
::''Sous la houlette je me range :''
::''Je n’ai jamais aimé le change''
::''Que des femmes et des habits.''
 
 
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::''Maynard qui fit des vers si bons'' ::''Eut du laurier pour récompense !'' ::''Ô siècle maudit ; quand j’y pense, '' ::''On en fait autant aux jambons !''
::''Eut du laurier pour récompense !''
::''Ô siècle maudit ; quand j’y pense,''
::''On en fait autant aux jambons !''
 
 
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::''Un gros serpent mordit Adèle.'' ::''Que pensez-vous qu’il arriva ?'' ::''Qu’Adèle mourut, bagatelle.'' ::''Ce fut le serpent qui creva !…''
::''Que pensez-vous qu’il arriva ?''
::''Qu’Adèle mourut, bagatelle.''
::''Ce fut le serpent qui creva !...''
 
 
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Nous le mettons à toutes les sauces, nous en jetons partout, là même où il n’aurait que faire.
 
Voici par exemple un-un— homme d’un grand et indiscutable talent : M. Alexandre Dumas fils. Son esprit intarissable arrive souvent à gâter son talent. Toutes ses pièces sont si remplies de « mots » arrivant à tout propos, à tort et à travers, que souvent on est exaspéré. Le public aujourd’hui aime ça ; il rit et applaudit sans se demander si l’art véritable, si l’œuvre en elle-même ne souffrent point de cette pluie d’allusions piquantes.
 
Si l’auteur met en scène un père et une mère au chevet d’un enfant mourant, le père et la mère feront des mots, le médecin survenant entrera sur un mot, et si l’enfant meurt, sa dernière parole contiendra un trait, un mot, quelque chose de spirituel enfin.
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Nous avons eu tout récemment un exemple de la puissance de cette espèce d’esprit sur la foule.
 
M. Edouard Pailleron vient de faire jouer au Théâtre Français, avec un succès éclatant, une très amusante comédie : ''Le Monde où l’on s’ennuie''. Cela est tout à fait charmant, tout à fait gai, agréable au possible ; mais...mais… mais il y a trop d’esprit...d’esprit… courant, et pas assez d’autre chose.
 
On rit franchement ; je l’avoue. Pourquoi rit-on ? Parce que cette œuvre est pleine d’actualité. On a vu tout le temps des allusions, voulues ou non, à des gens connus. Le public est parti là-dessus, saisissant ou croyant saisir les moindres intentions ironiques, soulignant les nuances, éclatant d’enthousiasme à chaque trait. On se disait :
 
— Vous avez reconnu M. X ...X… ? Est-ce assez ça ?
 
— Et Mme B ...B… ? Est-elle ressemblante ?
 
Et on riait, on riait à se tordre.
 
Mais quand M. X...X… sera mort, quand Mme B...B… sera morte, l’autre public, le suivant, comprendra-t-il ? Reprenez un à un tous les mots de cette pièce : chacun semble une actualité de journal, une allusion à des choses d’hier et d’aujourd’hui. Il faut être initié pour comprendre et pour rire. Que restera-t-il de cette œuvre ? Attendons-la, dans trois ans seulement, sur la scène du même théâtre !
 
Lisez à côté de cela quelque chose de Marivaux, par exemple, de Marivaux, le précieux, le maniéré ; il vous amuse encore, il vous amusera toujours, parce qu’on sent couler en lui ce vif, alerte, exquis, éternel esprit français, qui est le sang même de notre littérature.