« Souvenir (Maupassant, 1882) » : différence entre les versions
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[[Catégorie:Nouvelles parues en 1882]]
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|[[Auteur :Guy de Maupassant|Guy de Maupassant]] ▼
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|[[Pétition d’un viveur malgré lui]]|
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▲[[Catégorie:Contes et Nouvelles de Maupassant|Souvenir]]
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▲|[[Auteur:Guy de Maupassant|Guy de Maupassant]]
▲|'''Souvenir'''<br>''Gil Blas'', 16 février 1882
▲... Depuis la veille, on n’avait rien mangé. Tout le jour, nous restâmes cachés dans une grange, serrés les uns contre les autres pour avoir moins froid, les officiers mêlés aux soldats, et tous abrutis de fatigue.
Quelques sentinelles, couchées dans la neige, surveillaient les environs de la ferme abandonnée qui nous servait de refuge pour nous garder de toute surprise. On les changeait d’heure en heure, afin de ne les point laisser s’engourdir.
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Depuis trois mois, comme une mer débordée, l’invasion entrait partout. C’étaient de grands flots d’hommes qui arrivaient les uns après les autres, jetant autour d’eux une écume de maraudeurs.
Quant à nous, réduits à deux cents francs-tireurs, de huit cents que nous étions un mois auparavant, nous battions en retraite, entourés d’ennemis, cernés, perdus. Il nous fallait, avant le lendemain, gagner Blainville où nous espérions encore trouver le général
On ne pouvait marcher le jour, la campagne étant pleine de Prussiens.
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À cinq heures il faisait nuit, cette nuit blafarde des neiges. Les muets flocons blancs tombaient, tombaient, ensevelissaient tout dans ce grand drap gelé, qui s’épaississait toujours sous l’innombrable foule et l’incessante accumulation des vaporeux morceaux de cette ouate de cristal.
Quatre hommes marchaient en éclaireurs, seuls, à trois cents mètres en avant. Puis, venait un peloton de dix hommes que commandait un lieutenant, puis le reste de la troupe, en bloc, pêle-mêle, au hasard des fatigues et de la longueur des pas.
La blanche poussière descendant des nuages nous vêtait entièrement, ne fondait plus sur les képis ni sur les capotes, faisait de nous des fantômes, comme les spectres de soldats morts.
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Parfois on se reposait quelques minutes. Alors on n’entendait plus que ce glissement vague de la neige qui tombe, cette rumeur presque insaisissable que fait l’emmêlement des flocons. Quelques hommes se secouaient, d’autres ne bougeaient point. Puis un ordre circulait à voix basse. Les fusils remontaient sur les épaules, et, d’une allure exténuée, on se remettait en marche.
Soudain, les éclaireurs se replièrent. Quelque chose les inquiétait. Le mot
Au bout de quelques minutes, on amenait deux prisonniers, un vieillard et une jeune fille.
Le capitaine les interrogea, toujours à voix basse.
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— Pierre Bernard.
— Votre profession ?
— Sommelier du comte de Roufé.
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— Nous nous sauvons.
— Pourquoi ?
— Douze uhlans ont passé ce soir. Ils ont fusillé trois gardes et pendu le jardinier. Moi, j’ai eu peur pour la petite.
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— Où allez-vous ?
—
— Pourquoi ?
— Parce qu’il y a là, dit-on, une armée française.
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Et elle tomba. Elle tremblait de froid, et paraissait prête à mourir. Son père voulut la porter. Il ne put même pas la soulever.
Le capitaine tapait du pied, jurait, furieux et apitoyé.
Mais quelques hommes s’étaient éloignés ; ils revinrent avec des branches coupées. Alors, en une minute, une litière fut faite.
Le capitaine s’attendrit :
Vingt capotes furent détachées d’un coup et jetées sur la litière. En une seconde la jeune fille, enveloppée dans ces chauds vêtements de soldat, se trouva soulevée par six bras robustes qui l’emportèrent. On repartit, comme si on eût bu un coup de vin, plus gaillardement, plus joyeusement. Des plaisanteries couraient même, et cette gaieté s’éveillait que la présence d’une femme redonne toujours au sang français.
Les soldats maintenant marchaient au pas, fredonnaient des sonneries, réchauffés soudain. Et un vieux franc-tireur, qui suivait la litière, attendant son tour pour remplacer le premier camarade qui flancherait, ouvrit son
Jusqu’à trois heures du matin on avança presque sans repos ; mais, brusquement, pareil à un souffle, le commandement :
Puis, presque par instinct, tout le monde s’aplatit par terre.
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Ils étaient si près maintenant qu’on entendait le souffle des chevaux, et le son de ferraille des armes, et le craquement du cuir des selles.
Alors, la voix forte du capitaine hurla :
Et cinquante coups de fusil crevèrent le silence glacé des champs ; quatre ou cinq détonations attardées partirent encore, puis une autre toute seule, la dernière ; et quand l’aveuglement de la poudre enflammé se fut dissipé, on vit que les douze hommes, avec neuf chevaux, étaient tombés. Trois bêtes s’enfuyaient d’un galop forcené, et l’une traînait derrière elle, pendu par le pied à l’étrier, et bondissant, le cadavre de son cavalier.
Le capitaine joyeux cria :
Alors, du fond de la litière, sous l’entassement des capotes, une petite voix endormie sortit :
On marcha encore près de quatre heures.
Le ciel pâlissait ; la neige devenait claire, lumineuse, luisante ; un vent froid balayait les nuages ; et une pâle roseur, comme un faible lavage d’aquarelle, s’étendait à l’orient.
Une voix lointaine soudain cria :
On attendit longtemps. Puis on recommença d’avancer. Bientôt on aperçut une masure et devant, un poste français, l’arme au bras. Un commandant à cheval nous regardait défiler. Tout à coup il demanda :
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Douze ans se sont écoulés.
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L’autre jour au théâtre, la fine tête d’une jeune femme blonde éveilla en moi un confus souvenir, un souvenir obsédant, mais indéterminable. Je fus bientôt tellement troublé par le désir de savoir le nom de cette femme que je le demandai à tout le monde.
Quelqu’un me dit :
Et tous les détails de cette nuit de guerre se sont levés en ma mémoire, si nets que je les ai immédiatement racontés, afin qu’il les écrivît pour le public, à mon voisin de fauteuil et ami, qui signe
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