« Pétition d’un viveur malgré lui » : différence entre les versions
Contenu supprimé Contenu ajouté
m liens vers l'espace auteur |
|||
Ligne 1 :
<div class="text">{{Classement}}
[[Catégorie:1882]]
{{ChapitreNav ▼
|[[Auteur :Guy de Maupassant|Guy de Maupassant]] ▼
|[[{{PAGENAME}}]]
|[[Contes divers (Maupassant)|Contes divers]]<br />''Le Gaulois'', 2 juin 1881
|[[Épaves]]|
|[[Souvenir (Maupassant, 1882)]] }}
{{T3|PÉTITION D’UN VIVEUR MALGRÉ LUI}}
▲[[Catégorie:Contes et Nouvelles de Maupassant|Petition d’un viveur malgré lui]]
▲{{ChapitreNav
▲|[[Auteur:Guy de Maupassant|Guy de Maupassant]]
::MESSIEURS LES PRÉSIDENTS DES TRIBUNAUX, ::MESSIEURS LES MAGISTRATS, ::MESSIEURS LES JURÉS,▼
▲::MESSIEURS LES PRÉSIDENTS DES TRIBUNAUX,
Ligne 23 ⟶ 19 :
Maintenant que je suis désintéressé dans la question, vu mon âge et mes cheveux blancs, je viens protester contre vos jugements, contre la partialité révoltante de vos décisions, contre cette sorte de galanterie aveugle qui vous pousse à conclure toujours pour la femme contre l’homme, chaque fois qu’une affaire d’amour est portée devant votre tribunal.
Je suis vieux, Messieurs, j’ai beaucoup aimé, ou plutôt, souvent aimé. Mon pauvre
Et je sanglote sur la bottine, la fine bottine de satin, jaune aujourd’hui, mais qui fut blanche, et que je pris à son pied, dans le jardin, ce soir-là, pour l’empêcher de rentrer au bal.
Ligne 29 ⟶ 25 :
Je baise les gants, les cheveux blonds ou noirs, ses trois jarretières de soie et le mouchoir de dentelle maculé de sang, de ce sang qui semble une pâle tache de rouille et dont, un jour, je conterai l’histoire.
Mais ce n’est point de tout cela que je prétends vous parler. J’ai voulu seulement prouver qu’on avait eu pour moi bien
Je suis si timide que jamais, peut-être, je n’aurais
Un tout récent procès, jugé en Angleterre, m’a jeté soudain dans l’esprit un éclair de vérité.
Ligne 41 ⟶ 37 :
Écoutez-moi.
J’étais alors tout jeune officier, en garnison dans un port de mer. J’allais dans le monde, j’aimais la valse et j’étais timide, comme je vous l’ai dit. Bientôt je crus m’apercevoir qu’une femme mûre, assez belle encore, mariée, mère de famille et irréprochable, disait-on, me remarquait. Quand nous dansions son
Elle m’aima d’une passion terrible, incessante, jalouse, féroce.
Enfin j’appris que mon régiment partait. J’étais sauvé. Mais un soir, vers onze heures, je la vis entrer soudain dans ma petite chambre d’officier.
Je protestai. Mais je lui montrai la folie de son action, ses conséquences pour toute notre vie. Obstinée, elle répondait simplement :
Le lendemain j’apprenais qu’elle avait tenté de s’empoisonner. On la crut perdue pendant huit jours. Une de ses amies, sa confidente, vint me trouver ; me reprocha brutalement l’infamie de ma conduite. Je fus inflexible. Pendant un mois je n’entendis parler d’elle que vaguement. On la disait très malade. Puis soudain je fus prévenue par son amie qu’elle était perdue, condamnée. Qu’une promesse d’amour seule la pouvait sauver. Je promis tout ce qu’on voulut. Elle guérit. Je l’enlevai.
Ligne 57 ⟶ 53 :
Je ne demandais pas mieux que de la rendre, croyez-moi, Messieurs les jurés.
Je la fis venir, et je la laissai seule avec l’époux abandonné Elle refusa de le suivre.
Elle nous jeta ces mots :
Le mari prit son chapeau, me salua, prononça un :
Je la gardai encore six ans. Elle avait l’air de ma mère. Elle mourut.
Eh bien, Messieurs, cette femme auparavant n’avait jamais fait parler d’elle. On ne lui avait soupçonné jamais aucune faiblesse, et, pour tout le monde, c’est moi qui l’ai perdue, traînée dans le ruisseau, tuée. J’ai déshonoré sa famille, semé la honte autour de moi. Je suis un misérable et un gueux.
Ligne 69 ⟶ 65 :
Vous m’avez condamné à l’unanimité.
Cette histoire avait fait grand bruit. J’étais un séducteur. Toutes les femmes me contemplaient avec une curiosité émue. Je n’avais qu’à leur tendre la main pour les enlever. J’en aimai plusieurs qui me trahirent. Les autres m’opprimèrent horriblement. Enfin, cette alternative se reproduisait sans cesse pour moi.
Je termine, Messieurs.
Regardez Paris de midi à une heure. Voyez ces fillettes en cheveux, ces petites ouvrières deux par deux, errant sur les trottoirs, provocantes,
Ce sont vos clientes.
Sondez leurs
Et quand un brave garçon passe près d’elle, il reçoit en plein visage, en plein
Un mois plus tard, vous injuriez et condamniez ce gredin qui a abandonné la pauvre fille séduite.
|