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plus tragique (le ''Paysage polaire''), celui qui peint avec tant de grâce sensuelle le repos de Leïlah endormie, et avec tant de dureté sombre la veillée anxieuse de Magnus ? Mais surtout, pour ne voir dans cette poésie que « des effets de couleur, de relief et de rythme, » il faut s’arrêter de parti pris aux procédés d’art les plus extérieurs, négliger la recherche des intentions profondes ; — et pourtant, qui donc, en général, a su les mieux découvrir qu’Emile Faguet ?
plus tragique (le ''Paysage polaire''), celui qui peint avec tant de
grâce sensuelle le repos de Leïlah endormie, et avec tant de
dureté sombre la veillée anxieuse de Magnus ? Mais surtout,
pour ne voir dans cette poésie que « des effets de couleur, de
relief et de rythme, » il faut s’arrêter de parti pris aux procédés
d’art les plus extérieurs, négliger la recherche des intentions
profondes ; — et pourtant, qui donc, en général, a su les
mieux découvrir qu’Émile Faguet ?


Peut-être certaines déclarations du poète, si on les isole et
Peut-être certaines déclarations du poète, si on les isole et qu’en les isolant on les exagère, sont-elles responsables de ce malentendu. Il est très vrai que Leconte de Lisle a vanté le prix de la forme, du travail attentif et patient ; il a mis à cette prédication d’autant plus d’éloquence, voire parfois de rudesse, que ses plus célèbres prédécesseurs avaient plus fâcheusement méconnu ces principes sacrés. Mais cela suffit-il pour l’ériger en panégyriste de la perfection vide, de la pure virtuosité ? Oui, il a trouvé que la langue de ''Jocelyn'' était « molle, efféminée et incorrecte, » et que son vers manquait « de muscles, de sang et de nerfs ; » oui, il a estimé « un peu fade » le charme de certains passages d’''Eloa'' : mais est-il donc besoin, pour penser ainsi, d’être un partisan intraitable de la facture parnassienne ? A ce compte, que de gens seraient parnassiens sans le savoir ! D’ailleurs, en regard de ces jugements, on en peut mettre d’autres qui, moins connus, nous montrent en Leconte de Lisle tout autre chose qu’un virtuose. C’est ainsi que, dans un article sur Racine, il déclare n’apercevoir dans ''Phèdre'' et dans ''Athalie'' qu’une « prodigieuse puissance de forme, » et « rien de plus : » opinion singulière sans doute, peu intelligente même, si l’on veut, puisqu’elle ne tient nul compte de la psychologie de Racine, ni de son pathétique ; mais enfin ce « rien de plus » n’est pas d’un homme qui met au-dessus de tout la « puissance de forme. » De même, il reproche à André Chénier ce que la pure doctrine parnassienne devrait louer le plus en lui : il le blâme d’avoir été trop « antique. » De même encore, tout en plaçant très haut Théophile Gautier, il lui en veut d’avoir professé la théorie de l’art pour l’art. Encore une fois, il ne s’agit pas ici de discuter le bien-fondé de ces appréciations : retenons-en seulement que, lorsque Leconte de Lisle fait de la critique, s’il est choqué jusque dans sa plus profonde sensibilité d’artiste par les négligences de la poésie soi-disant
qu’en les isolant on les exagère, sont-elles responsables de ce
malentendu. Il est très vrai que Leconte de Lisle a vanté le
prix de la forme, du travail attentif et patient ; il a mis à cette
prédication d’autant plus d’éloquence, voire parfois de rudesse,
que ses plus célèbres prédécesseurs avaient plus fâcheusement
méconnu ces principes sacrés. Mais cela suffit-il pour l’ériger
en panégyriste de la perfection vide, de la pure virtuosité ?
Oui, il a trouvé que la langue de ''Jocelyn'' était « molle, efféminée
et incorrecte, » et que son vers manquait « de muscles,
de sang et de nerfs ; » oui, il a estimé « un peu fade » le
charme de certains passages d’''Éloa'' : mais est-il donc besoin,
pour penser ainsi, d’être un partisan intraitable de la facture
parnassienne ? À ce compte, que de gens seraient parnassiens
sans le savoir ! D’ailleurs, en regard de ces jugements, on en
peut mettre d’autres qui, moins connus, nous montrent en
Leconte de Lisle tout autre chose qu’un virtuose. C’est ainsi
que, dans un article sur Racine, il déclare n’apercevoir dans
''Phèdre'' et dans ''Athalie'' qu’une « prodigieuse puissance de
forme, » et « rien de plus : » opinion singulière sans doute, peu
intelligente même, si l’on veut, puisqu’elle ne tient nul compte
de la psychologie de Racine, ni de son pathétique ; mais enfin ce
« rien de plus » n’est pas d’un homme qui met au-dessus de
tout la « puissance de forme. » De même, il reproche à André
Chénier ce que la pure doctrine parnassienne devrait louer le
plus en lui : il le blâme d’avoir été trop « antique. » De même
encore, tout en plaçant très haut Théophile Gautier, il lui en
veut d’avoir professé la théorie de l’art pour l’art. Encore une
fois, il ne s’agit pas ici de discuter le bien-fondé de ces appréciations :
retenons-en seulement que, lorsque Leconte de Lisle
fait de la critique, s’il est choqué jusque dans sa plus profonde
sensibilité d’artiste par les négligences de la poésie soi-disant