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Louis XII et François I.
 
Il vaut mieux être père de la patrie en gouvernant
son royaume en paix, que d' être grand conquérant.
 
Louis XII.
 
Mon cher cousin, dites-moi des nouvelles
de la France. J'ai toujours aimé mes sujets
comme mes enfants. J'avoue que j'en suis en
peine. Vous étiez bien jeune en toute manière,
quand je vous laissai la couronne. Comment
avez-vous gouverné mon pauvre royaume ?
 
François I.
 
J'ai eu quelques malheurs ; mais si vous
voulez que je vous parle franchement, mon
règne a donné à la France bien plus d' éclat
que le vôtre.
 
Louis XII.
 
Ô mon dieu ! C'est cet éclat que j'ai toujours
craint. Je vous ai connu dès votre enfance d'un
naturel à ruiner les finances, à hasarder tout
pour la guerre, à ne rien soutenir avec
patience, à renverser le bon ordre au-dedans de
l'état, et à tout gâter pour faire parler de vous.
 
François I.
 
C'est ainsi que les vieilles gens sont toujours
préoccupés contre ceux qui doivent être leurs
successeurs. Mais voici le fait. J'ai soutenu
une horrible guerre contre Charles-Quint,
empereur, et roi d' Espagne. J'ai gagné en Italie
les fameuses batailles de Marignan contre les
suisses, et de Cerisoles contre les impériaux.
 
J'ai vu le roi d'Angleterre ligué avec
l'empereur contre la France ; et j'ai rendu leurs
efforts inutiles. J'ai cultivé les sciences. J'ai
mérité d' être immortalisé par les gens de lettres.
 
J'ai fait revivre le siècle d'Auguste au
milieu de ma cour. J'y ai mis la magnificence,
la politesse, l'érudition et la galanterie : avant
moi, tout étoit grossier, pauvre, ignorant,
gaulois. Enfin je me suis fait nommer le père
des lettres.
 
Louis XII.
 
Cela est beau, et je ne veux point en diminuer
la gloire : mais j'aimerois mieux encore
que vous eussiez été le père du peuple, que le
père des lettres. Avez-vous laissé les françois
dans la paix et dans l'abondance ?
 
François I.
 
Non ; mais mon fils, qui est jeune, soutiendra
la guerre, et ce sera à lui à soulager enfin
les peuples épuisés. Vous les ménagiez plus
que moi : mais aussi vous faisiez foiblement la
guerre.
 
Louis XII.
 
Vous l'avez donc faite sans doute avec de
grands succès. Quelles sont vos conquêtes ?
Avez-vous pris le royaume de Naples ?
 
François I.
 
Non, j'ai eu d'autres expéditions à faire.
 
Louis XII.
 
Du moins vous avez conservé le milanois !
 
François I.
 
Il m'est arrivé bien des accidents imprévus.
 
Louis XII.
 
Quoi donc ? Charles-Quint vous l'a enlevé !
Avez-vous perdu quelque bataille ? Parlez :
vous n'osez tout dire.
 
François I.
 
J'y fus pris dans une bataille à Pavie.
 
Louis XII.
 
Comment ! Pris ? Hélas ! En quel abyme s'est-il
jeté par de mauvais conseils ! C'est donc
ainsi que vous m' avez surpassé à la guerre !
Vous avez replongé la France dans les malheurs
qu' elle souffrit sous le roi Jean. Ô pauvre
France, que je te plains ! Je l'avois bien
prévu. Hé bien ! Je vous entends ; il a fallu
rendre des provinces entières, et payer des
sommes immenses. Voilà à quoi aboutirent ce
faste, cette hauteur, cette témérité, cette
ambition. Et la justice... comment va-t-elle ?
 
François I.
 
Elle m'a donné de grandes ressources. J'ai
vendu les charges de magistrature.
 
Louis XII.
 
Et les juges qui les ont achetées ne vendront-ils
pas à leur tour la justice ? Mais tant de
sommes levées sur le peuple ont-elles été bien
employées pour lever et faire subsister les
armées avec économie ?
 
François I.
 
Il en a fallu une partie pour la magnificence de ma
cour.
 
Louis XII.
 
Je parie que vos maîtresses y ont eu une
plus grande part que les meilleurs officiers
d'armée : si bien donc que le peuple est ruiné,
la guerre encore allumée, la justice vénale, la
cour livrée à toutes les folies des femmes
galantes, tout l' état en souffrance. Voilà ce règne
si brillant qui a effacé le mien. Un peu de
modération vous auroit fait bien plus d'honneur.
 
François I.
 
Mais j'ai fait plusieurs grandes choses qui
m'ont fait louer comme un héros. On m' appelle le
grand roi François.
 
Louis XII.
 
C'est-à-dire que vous avez été flatté pour
votre argent, et que vous vouliez être héros
aux dépens de l'état, dont la seule prospérité
devoit faire toute votre gloire.
 
François I.
 
Non, les louanges qu'on m'a données étoient
sincères.
 
Louis XII.
 
Hé ! Y a-t-il quelque roi si foible et si
corrompu à qui on n'ait pas donné autant de
louanges que vous en avez reçu ? Donnez-moi
le plus indigne de tous les princes, on lui
donnera tous les éloges qu' on vous a donnés.
 
Après cela achetez des louanges par tant de
sang, et par tant de sommes qui ruinent un
royaume !
 
François I.
 
Du moins j'ai eu la gloire de me soutenir
avec constance dans mes malheurs.
 
Louis XII.
 
Vous auriez mieux fait de ne vous mettre
jamais dans le besoin de faire éclater cette
constance : le peuple n'avoit que faire de cet
héroïsme. Le héros ne s'est-il point ennuyé en
prison ?
 
François I.
 
Oui, sans doute, et j' achetai la liberté bien
chèrement.
 
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