« Dialogues des morts/Dialogue 52 » : différence entre les versions

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Léger Et ébroin.
 
La vie solitaire et simple n' a point de charmes pour
un ambitieux.
 
ébroin.
 
Ma consolation dans mes malheurs est de
vous trouver dans cette solitude.
 
Léger.
 
Et moi, je suis fâché de vous y voir ; car on
y est sans fruit, quand on y est malgré soi.
 
ébroin.
 
Pourquoi désespérez-vous donc de ma conversion ?
Peut-être que vos conseils et vos exemples me
rendront meilleur que vous ne pensez. Vous qui
êtes si charitable, vous devriez bien dans
ce loisir prendre un peu soin de moi.
 
Léger.
 
On ne m' a mis ici qu' afin que je ne me mêle
de rien : je suis assez chargé d' avoir à me
corriger moi-même.
 
ébroin.
 
Quoi ! En entrant dans la solitude on renonce
à la charité ?
Léger.
 
Point du tout. Je prierai Dieu pour vous.
 
ébroin.
 
Ho ! Je le vois bien, c' est que vous m' abandonnez,
comme un homme indigne de vos instructions. Mais vous
ne me faites pas justice : j' avoue que j' ai été
fâché de venir ici ; mais maintenant je suis assez
content d' y être. Voici le plus beau désert qu' on
puisse voir. N' admirez-vous pas ces ruisseaux qui
tombent des montagnes, ces rochers escarpés et en
partie couverts de mousse, ces vieux arbres qui
paroissent aussi anciens que la terre où ils sont
plantés ? La nature a ici je ne sais quoi de brut
et d' affreux qui plaît, et qui fait rêver
agréablement.
 
Léger.
 
Toutes ces choses sont bien fades à qui a le
goût de l' ambition, et qui n' est point désabusé
des choses vaines. Il faut avoir le coeur
innocent et paisible pour être sensible à ces
beautés champêtres.
 
ébroin.
 
Mais j' étois las du monde et de ses embarras, quand
on m' a mis ici.
 
Léger.
 
Il paroît que vous en étiez fort las, puisque
vous en êtes sorti par force.
 
ébroin.
 
Je n' aurois pas eu le courage d' en sortir ;
mais j' en étois pourtant fort dégoûté.
 
Léger.
 
Dégoûté comme un homme qui y retourneroit
encore avec joie, et qui ne cherche qu' une
porte pour y rentrer. Je vous connois ;
vous avez beau dissimuler : avouez votre
inquiétude, soyez au moins de bonne foi.
 
ébroin.
 
Mais, saint prélat, si nous rentrions vous
et moi dans les affaires, nous y ferions des
biens infinis. Nous nous soutiendrions l' un
l' autre pour protéger la vertu ; nous abattrions
de concert tout ce qui s' opposeroit à nous.
 
Léger.
 
Confiez-vous à vous-même tant qu' il vous
plaira sur vos expériences passées ; cherchez
des prétextes pour flatter vos passions : pour
moi, qui suis ici depuis plus de temps que
vous, j' y ai eu le loisir d' apprendre à me
défier de moi et du monde. Il m' a trompé une
fois ce monde ingrat : il ne me trompera plus.
 
J' ai tâché de lui faire du bien, il ne m' a fait
que du mal. J' ai voulu aider une reine bien
intentionnée, on l' a décréditée et réduite à se
retirer. On m' a rendu ma liberté en croyant
me mettre en prison : trop heureux de n' avoir
plus d' autre affaire que de mourir en paix
dans ce désert.
 
ébroin.
 
Mais vous n' y songez pas ; si nous voulons
encore nous réunir, nous pouvons être les
maîtres absolus.
 
Léger.
 
Les maîtres de quoi ? De la mer, des vents,
et des flots ? Non, je ne me rembarque plus
après avoir fait naufrage. Allez chercher la
fortune, tourmentez-vous, soyez malheureux
dès cette vie, hasardez tout, périssez à la fleur
de votre âge, damnez-vous pour troubler le
monde et pour faire parler de vous ; vous le
méritez bien, puisque vous ne pouvez demeurer
en repos.
 
ébroin.
 
Mais quoi ! Est-il bien vrai que vous ne
desirez plus la fortune ? L' ambition est-elle bien
éteinte dans les derniers replis de votre coeur ?
Léger.
 
Me croiriez-vous si je vous le disois ?
ébroin.
 
En vérité j' en doute fort. J' aurois bien de
la peine : car enfin...
 
Léger.
 
Je ne vous le dirai donc pas : il est inutile
de vous parler non plus qu' aux sourds. Ni les
peines infinies de la prospérité, ni les
adversités affreuses qui l' ont suivie, n' ont pu vous
corriger. Allez, retournez à la cour, gouvernez,
faites le malheur du monde, et trouvez-y
le vôtre.
 
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