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Platon et Aristote.
 
Critique de la philosophie d' Aristote, solidité des
idées éternelles de Platon.
 
Aristote.
 
Avez-vous oublié votre ancien disciple ? Ne
me connoissez-vous plus ?
Platon.
 
Je n' ai garde de reconnoître en vous mon
disciple. Vous n' avez jamais songé qu' à paroître
le maître de tous les philosophes, et qu' à
faire tomber dans l' oubli tous ceux qui vous
ont précédé.
 
Aristote.
 
C' est que j' ai dit des choses originales, et
que je les ai expliquées fort nettement. Je n' ai
point pris le style poétique ; en cherchant le
sublime, je ne suis point tombé dans le galimatias ;
je n' ai point donné dans les idées éternelles.
 
Platon.
 
Tout ce que vous avez dit étoit tiré des livres
que vous avez tâché de déprimer. Vous
avez parlé, j' en conviens, d' une manière nette,
précise, pure, mais sèche, et incapable de faire
sentir la sublimité des vérités divines. Pour
les idées éternelles, vous vous en moquerez
tant qu' il vous plaira : mais vous ne sauriez
vous en passer, si vous voulez établir quelques
vérités certaines. Quel moyen d' assurer ou de
nier une chose d' une autre, à moins qu' il n' y
ait des idées de ces deux choses qui ne
changent point ? Qu' est-ce que la raison, sinon nos
idées ? Si nos idées changeoient, la raison
seroit aussi changeante. Aujourd' hui le tout
seroit plus grand que la partie : demain la
mode en seroit passée, et la partie seroit plus
grande que le tout. Ces idées éternelles, que
vous voulez tourner en ridicule, ne sont donc
que les premiers principes de la raison, qui
demeurent toujours les mêmes. Bien loin que
nous puissions juger de ces premières vérités,
ce sont elles qui nous jugent, et qui nous
corrigent quand nous nous trompons. Si je
dis une chose extravagante, les autres hommes
en rient d' abord, et j' en suis honteux. C' est
que ma raison et celle de mes voisins est une
règle au-dessus de moi, qui me vient redresser
malgré moi, comme une règle véritable
redresseroit une ligne tortue que j' aurois tracée.
 
Faute de remonter aux idées qui sont les premières
et les simples notions de chaque chose,
vous n' avez point eu de principes assez fermes,
et vous n' alliez qu' à tâtons.
 
Aristote.
 
Y a-t-il rien de plus clair que ma morale ?
Platon.
 
Elle est claire, elle est belle, je l' avoue ;
votre logique est subtile, méthodique, exacte,
ingénieuse : mais votre physique n' est qu' un
amas de termes abstraits et de noms vagues,
pour accoutumer les esprits à se payer de mots
et à croire entendre ce qu' ils n' entendent pas.
 
C' est en cette occasion que vous auriez eu
grand besoin d' idées claires pour éviter le
galimatias que vous reprochez aux autres. Un
ignorant sensé avoue de bonne foi qu' il ne sait
ce que c' est que la matière première. Un de
vos disciples croit dire des merveilles, en
disant qu' elle n' est ni quoi, ni quelle, ni
combien, ni aucune des choses par lesquelles l' être
est déterminé. Avec ce jargon un homme se
croit grand philosophe, et méprise le vulgaire.
 
Les épicuriens venus après vous ont raisonné
plus sensément que vous sur le mouvement
et sur les figures des petits corps qui forment
par leur assemblage tous les composés que
nous voyons. Au moins leur physique explique
plusieurs choses d' une manière vraisemblable.
 
Il est vrai qu' ils n' ont jamais remonté jusqu' à
l' idée et à la nature de ces petits corps ; ils
supposent toujours sans preuve des règles
toutes faites, et sans savoir par qui ; puis ils
en tirent comme ils peuvent la composition
de toute la nature sensible. Cette philosophie
dans son principe est une pure fiction, il est
vrai ; mais enfin elle sert à entendre beaucoup
de choses dans la nature. Votre physique
n' enseigne que des mots ; ce n' est pas une
philosophie, ce n' est qu' une langue bizarre. Tirésias
vous menace qu' un jour il viendra d' autres
philosophes qui vous dépossèderont des
écoles où vous aurez régné long-temps, et qui
feront tomber de bien haut votre réputation.
 
Aristote.
 
Je voulois cacher mes principes, c' est ce
qui m' a fait envelopper ma physique.
 
Platon.
 
Vous y avez si bien réussi que personne ne
vous entend ; ou du moins si on vous entend,
on trouve que vous ne dites rien.
 
Aristote.
 
Je ne pouvois rechercher toutes les vérités,
ni faire toutes les expériences.
 
Platon.
 
Personne ne le pouvoit aussi commodément
que vous : vous aviez l' autorité et l' argent
d' Alexandre. Si j' avois eu les mêmes avantages,
j' aurois fait de belles découvertes.
 
Aristote.
 
Que ne ménagiez-vous Denys le tyran, pour
en tirer le même parti ?
Platon.
 
C' est que je n' étois ni courtisan ni flatteur :
mais vous, qui trouvez qu' on doit ménager
les princes, n' avez-vous pas perdu les bonnes
graces de votre disciple par vos entreprises
trop ambitieuses ?
Aristote.
 
Hélas ! Il n' est que trop vrai. Ici-bas même,
si quelquefois il se rappelle le temps de sa
confiance pour moi, d' autres fois il ne daigne
plus me reconnoître, et me regarde de travers.
 
Platon.
 
C' est qu' il n' a point trouvé dans votre
conduite la pure morale de vos écrits. Dites la
vérité, vous ne ressembliez point à votre
magnanime.
 
Aristote.
 
Et vous, n' avez-vous point parlé du mépris
de toutes les choses terrestres et passagères,
pendant que vous viviez magnifiquement ?
Platon.
 
Je l' avoue ; mais j' étois considérable dans
ma patrie. J' y ai vécu avec modération et honneur.
 
Sans autorité ni ambition, je me suis fait révérer des
grecs. Le philosophe venu de Stagire, qui veut tout
brouiller dans le royaume de son disciple, est un
personnage qui en bonne philosophie doit être fort
odieux.
 
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