« Contes des fées (Aulnoy, version expurgée, 1868)/Le Prince lutin » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Phe-bot (discussion | contributions)
m Ernest-Mtl: match
Ligne 77 :
Il continua son voyage, et se rendit dans une grande ville où était une reine qui se faisait un plaisir de grossir sa cour des plus belles personnes de son royaume. Léandre en arrivant se fit faire le plus grand équipage que l'on eût jamais vu ; mais aussi il n'avait qu'à secouer sa rose, et l'argent ne manquait point. Il est aisé de juger qu'étant beau, jeune, spirituel, et surtout magnifique, la reine et toutes les princesses le reçurent avec mille témoignages d'estime et de considération.
 
Cette cour était des plus galantes ; n'y point aimer, c'était se donner un ridicule : il voulut suivre la coutume, et pensa qu'il se ferait un jeu de l'amour, et qu'en s'en allant il laisserait sa passion comme son train. Il jeta les yeux sur une des filles d'honneur de la reine, qu'on appelait la belle Blondine. C'était une personne fort accomplie, mais si froide et si sérieuse qu'il ne savait pas trop par où s'y prendre pour lui plaire.
Cette cour était des
=== no match ===
plus galantes ; n'y point aimer, c'était se donner un ridicule : il voulut suivre la coutume, et pensa qu'il se ferait un jeu de l'amour, et qu'en s'en allant il laisserait sa passion comme son train. Il jeta les yeux sur une des filles d'honneur de la reine, qu'on appelait la belle Blondine. C'était une personne fort accomplie, mais si froide et si sérieuse qu'il ne savait pas trop par où s'y prendre pour lui plaire.
 
Il lui donnait des fêtes enchantées, le bal et la comédie tous le soirs ; il lui faisait venir des raretés des quatre parties du monde, tout cela ne pouvait la toucher ; et plus elle lui paraissait indifférente, plus il s'obstinait à lui plaire : ce qui l'engageait davantage, c'est qu'il croyait qu'elle n'avait jamais rien aimé. Pour être plus certain, il lui prit envie d'éprouver sa rose ; il la mit en badinant sur la gorge de Blondine : en même temps, de fraîche et d'épanouie qu'elle était, elle devint sèche et fanée. Il n'en fallut pas davantage pour faire connaître à Léandre qu'il avait un rival aimé ; il le ressentit vivement, et, pour en être convaincu par ses yeux, il se souhaita le soir dans la chambre de Blondine. Il y vit entrer un musicien de la plus méchante mine qu'il est possible ; il lui hurla trois ou quatre couplets qu'il avait faits pour elle, dont les paroles et la musique étaient détestables ; mais elle s'en récréait comme de la plus belle chose qu'elle eût entendue de sa vie ; il faisait des grimaces de possédé, qu'elle louait, tant elle était folle de lui ; et enfin elle permit à ce crasseux de lui baiser la main pour sa peine. Lutin outré se jeta sur l'impertinent musicien, et le poussant rudement contre un balcon, il le jeta dans le jardin, où il se cassa ce qui lui restait de dents.
Ligne 85 ⟶ 83 :
Si la foudre était tombée sur Blondine, elle n'aurait pas été plus surprise ; elle crut que c'était un esprit. Lutin sortit de la chambre sans se laisser voir, et sur-le-champ il retourna chez lui, où il écrivit à Blondine tous les reproches qu'elle méritait. Sans attendre sa réponse il partit, laissant son équipage à ses écuyers et à ses gentilshommes ; il récompensa le reste de ses gens. Il prit le fidèle Gris-de-lin et monta dessus, bien résolu de ne plus aimer après un tel tour.
 
Léandre s'éloigna d'une vitesse extrême. Il fut longtemps chagrin ; mais sa raison et l'absence le guérirent. Il se rendit dans une autre ville, où il apprit en arrivant qu'il y avait ce jour-là une grande cérémonie pour une fille qu'on allait mettre parmi les vestales, quoiqu'elle n'y voulût point entrer. Le prince en fut touché ; il semblait que son petit chapeau rouge ne lui devait servir que pour réparer les torts publics et pour consoler les affligés. Il courut au temple ; la jeune enfant était couronnée de fleurs, vêtue de blanc, couverte de ses cheveux ; deux de ses frères la conduisaient par la main, et sa mère la suivait avec une grosse troupe d'hommes et de femmes ; la plus ancienne des vestales attendait à la porte du temple. En même temps Lutin cria à tue-tête : " Arrêtez, arrêtez, mauvais frères, mère inconsidérée, arrêtez, le ciel s'oppose à cette injuste cérémonie ! Si vous passez outre, vous serez écrasés comme des grenouilles. " On regardait de tous côtés sans voir d'où venaient ces terribles menaces. Les frères dirent que c'était l'amant de leur sœur qui

==__MATCH__:[[Page:Aulnoy - Contes des fées, 1868.djvu/305]]==
s'était caché au fond de quelque trou pour faire ainsi l'oracle ; mais Lutin en colère prit un long bâton et leur en donna cent coups. On voyait hausser et baisser le bâton sur leurs épaules, comme un marteau dont on aurait frappé l'enclume ; il n'y avait plus moyen de dire que les coups n'étaient pas réels. La frayeur saisit les vestales, elles s'enfuirent ; chacun en fit autant. Lutin resta avec la jeune victime. Il ôta promptement son petit chapeau, et lui demanda en quoi il pouvait la servir. Elle lui dit, avec plus de hardiesse qu'on n'en aurait attendu d'une fille de son âge, qu'il y avait un cavalier qui ne lui était pas indifférent, mais qu'il lui manquait du bien ; il leur secoua tant la rose de la fée Gentille qu'il leur laissa dix millions : ils se marièrent et vécurent très heureux.
 
La dernière aventure qu'il eut fut la plus agréable. En entrant dans une grande forêt, il entendit les cris plaintifs d'une jeune personne : il ne douta point qu'on ne lui fît quelque violence ; il regarda de tous côtés, et enfin il aperçut quatre hommes bien armés qui emmenaient une fille qui paraissait avoir treize ou quatorze ans. Il s'approcha au plus vite et leur cria : " Que vous a fait cette enfant pour la traiter comme une esclave ? - Ha ! ha ! mon petit seigneur, dit le plus apparent de la troupe, de quoi vous mêlez-vous ? - Je vous ordonne, ajouta Léandre, de la laisser tout à l'heure. - Oui, oui, nous n'y manquerons pas ", s'écrièrent-ils en riant. Le prince en colère se jette par terre et met le petit chapeau rouge, car il ne trouvait pas trop nécessaire d'attaquer lui seul quatre hommes qui étaient assez forts pour en battre douze.