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{{tiret2|pro|pice}} ; mais de son rapide passage sur le trône, la minorité libérale a conclu qu’il ''pouvait'' y avoir des empereurs libéraux et cette assurance l’a satisfaite. Quant à Guillaume {{rom-maj|ii|2}}, il a merveilleusement saisi les sentiments de la majorité de ses sujets et jusqu’ici il y a conformé sa conduite. Il s’applique à les guider, à les pousser dans la voie de la civilisation moderne : le moindre progrès matériel l’intéresse ; chaque point qui s’éclaire sur l’horizon humain, fixe aussitôt son regard et, d’autre part, autour de lui, tout marque la puissance, il s’environne d’un appareil guerrier et met l’épée à la main pour parler de la Paix. Cette épée est celle de l’Empire : elle constitue le symbole et la sauvegarde longtemps désirés par le peuple allemand ; aussi la contemple-t-il avec ferveur, n’étant pas encore blasé sur la satisfaction de la posséder.


Ainsi cohabitent en face du trône la démocratie pure appuyée sur le suffrage universel et le vieux particularisme germanique ressuscité par ceux-là même qui voulaient l’anéantir. Frédéric {{rom-maj|ii|2}} sûrement s’en fût alarmé, mais les temps ont marché et il n’y aurait rien là de trop inquiétant si le pouvoir de l’Empereur faisait contrepoids. Or, l’Empereur, d’après la Constitution, n’est pas un vrai souverain ; il est le délégué des gouvernements confédérés ; il n’a pas l’initiative des lois ; pour procéder à une exécution fédérale, pour dissoudre le Reichstag, il lui faut la sanction du Bundesrath. Seulement, il est roi de Prusse et, ce qu’il ne peut comme empereur, il le peut comme roi de Prusse par le moyen de son chancelier, lequel préside de droit le Bundesrath et de fait le ministère prussien, et, grâce à ce cumul, peut impérialiser le pouvoir royal. C’est ici le centre de toute la machine, le boulon par lequel l’Allemagne tient à la Prusse. On dirait vraiment que Bismarck, en le rivant, n’a songé qu’à assurer la durée de son propre pouvoir, à se rendre nécessaire et, qu’après avoir organisé pour son suzerain deux prisons éventuelles, le Reichstag et le Bundesrath, il s’était contenté d’en garder les clefs dans sa poche.
On ne voit pas, au premier abord, en quoi pourrait nuire aux propriétaires d’un vaste domaine, fortement constitué et gouverné, l’accroissement de biens provenant d’un héritage que nul n’aurait le droit de leur disputer ou de recueillir à leur place. Le Tyrol et la Styrie du Nord, Salzbourg, la Haute et la Basse-Autriche sont des provinces purement allemandes ; le lien qui les retenait à la monarchie des Habsbourg venant à se rompre, il est inévitable que celle des Hohenzollern agisse sur elles comme un centre d’attraction. Or, cet événement si simple et si aisé à prévoir aurait pour conséquence presque immédiate d’entraver le fonctionnement des rouages politiques dans l’Allemagne actuelle.


Les inconvénients d’une telle organisation sont à peine sensibles tant que dure la lune de miel de la victoire, prolongée, d’ailleurs, par l’habileté et l’autorité personnelle de Guillaume {{rom-maj|ii|2}}. Mais elle ne saurait durer toujours, et si même le Bundesrath et le Reichstag pouvaient continuer d’être le conseil froidement discret et l’assemblée un peu hargneuse, mais obéissante quand même, qu’ils ont été jusqu’à présent, cette situation ne saurait survivre à l’annexion des provinces autrichiennes. Sans doute, le particularisme est mort, en tant qu’obstacle à l’unité ; seulement unité allemande et prédominance prussienne ne sont pas synonymes à perpétuité ; s’ils le furent au début, les deux termes perdent déjà un peu de leur équivalence. L’accord, d’ailleurs, n’existe entre Allemands ni au point de vue religieux, ni au point de vue économique. Le jour où le Sud recevra un pareil renfort, comment les conflits qui déjà mettent aux prises catholiques et protestants, industriels et agrariens n’auraient-ils pas une répercussion directe au sein du Conseil Fédéral ? Ce jour-là, le roi de Prusse ne pourra plus gouverner l’Empire sans l’exposer à de graves désordres. Il faudra de toute nécessité modifier l’œuvre de 1867 et créer les prérogatives impériales qui n’existent pas. Cela ne se fera point sans résistances de la part de la Prusse. Si Guillaume {{rom-maj|ii|2}} n’est plus, son successeur sera-t-il à la hauteur de cette tâche intéressante et patriotique, mais infiniment délicate ?… Tout est là.
{{corr|Etablie|Établie}} en 1867 et simplement retouchée en 1870, la Constitution allemande est, en grande partie, l’œuvre de Bismarck. Elle comporte trois rouages principaux, le ''Reichstag'', le ''Bundesrath'' et ce pouvoir exécutif qui s’appela d’abord le ''Bundespraesidium'' et devint ensuite l’Empire. Le Reichstag se compose d’une Chambre unique, nombreuse, élue au suffrage universel direct et secret, très différente, par conséquent, de la Chambre prussienne, qui est issue, elle, d’un suffrage censitaire à deux degrés. La compétence impériale du Reichstag est limitée, mais elle peut être étendue au moyen d’une révision constitutionnelle pour laquelle il suffit de l’accord de deux majorités simples au Reichstag et au Bundesrath. Ce dernier corps est un conseil fédéral dans lequel siègent les délégués des quatre royaumes allemands (Prusse, Bavière, Saxe, Wurtemberg), des trois

villes libres (Hambourg, Brême, Lubeck) et des 18 grands-duchés, duchés et principautés admis dans la Confédération de 1867. Le Bundesrath a des pouvoirs considérables : son assentiment est nécessaire pour signer les traités et déclarer la guerre ; d’importants fonctionnaires lui doivent leurs postes ; il prépare les lois soumises au Reichstag et les examine de nouveau quand elles en reviennent avant que l’Empereur puisse les promulguer. Il a des attributions judiciaires de Cour suprême ; il sert d’arbitre légal entre les {{corr|Etats|États}} ; il fait des instructions administratives et exerce même, en certains cas, un pouvoir exécutif. Mais le plus étonnant de ses
Les apparences, on le voit, sont trompeuses. Au premier abord, ce qui paraît solide en Allemagne, c’est l’édiflce politique puissamment construit, cimenté de sang et de gloire, tandis que les oppositions de caractères, de religions, d’intérêts, les exagérations de l’impérialisme, les progrès des socialistes tendraient à faire croire que socialement et moralement, l’unité n’est point complète. Dans la réalité, c’est tout le contraire. Les rouages politiques sont frêles parce que le poids qu’ils étaient destinés à supporter
privilèges, c’est peut-être que ses membres aient le droit de siéger au Reichstag et de prendre part aux débats.