« Page:Coubertin - L’Avenir de l’Europe.djvu/17 » : différence entre les versions

Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{tiret2|pro|pice}} ; mais de son rapide passage sur le trône, la minorité libérale a conclu qu’il ''pouvait'' y avoir des empereurs libéraux et cette assurance l’a satisfaite. Quant à Guillaume {{rom-maj|ii|2}}, il a merveilleusement saisi les sentiments de la majorité de ses sujets et jusqu’ici il y a conformé sa conduite. Il s’applique à les guider, à les pousser dans la voie de la civilisation moderne : le moindre progrès matériel l’intéresse ; chaque point qui s’éclaire sur l’horizon humain, fixe aussitôt son regard et, d’autre part, autour de lui, tout marque la puissance, il s’environne d’un appareil guerrier et met l’épée à la main pour parler de la Paix. Cette épée est celle de l’Empire : elle constitue le symbole et la sauvegarde longtemps désirés par le peuple allemand ; aussi la contemple-t-il avec ferveur, n’étant pas encore blasé sur la satisfaction de la posséder.
devant elle avec ferveur, ils croient la servir en se l’assimilant par bribes, au hasard, en l’interprétant à leur guise ; ils croient lui obéir un peu comme les sauvages, en écoutant la voix de leurs propres passions, croyaient obéir à leurs manitous. Cette science est allemande. D’internationalisme en tout ceci, on ne voit pas trace ; l’exclusivisme, au contraire, se fait partout sentir. Pour un peu, on s’étonnerait que Jésus ne fût pas né en Allemagne. En tout cas, c’est grâce à l’Allemagne socialiste que le monde sera sauvé, comme par surcroît : s’il ne sait pas la suivre, il se perdra.


On ne voit pas, au premier abord, en quoi pourrait nuire aux propriétaires d’un vaste domaine, fortement constitué et gouverné, l’accroissement de biens provenant d’un héritage que nul n’aurait le droit de leur disputer ou de recueillir à leur place. Le Tyrol et la Styrie du Nord, Salzbourg, la Haute et la Basse-Autriche sont des provinces purement allemandes ; le lien qui les retenait à la monarchie des Habsbourg venant à se rompre, il est inévitable que celle des Hohenzollern agisse sur elles comme un centre d’attraction. Or, cet événement si simple et si aisé à prévoir aurait pour conséquence presque immédiate d’entraver le fonctionnement des rouages politiques dans l’Allemagne actuelle.
{{corr|A|À}} peine est-il besoin d’ajouter que ces états d’esprit si divers se reflètent dans l’armée. Profondément dévouée à son souverain qui la dirige en personne, soustraite pratiquement au contrôle parlementaire par l’institution du septennat, commandée par une aristocratie militaire qui se recrute elle-même (on devient officier comme on devient membre d’un club, par le vote de ses futurs collègues), l’armée croit au droit divin et admet volontiers la Raison {{corr|d’Etat|d’État}}. On dit que, d’autre part, la propagande socialiste, assez active parmi les soldats, a pénétré jusque dans les rangs des officiers ; la chose est probable. Mais entre militaires et socialistes, les points de vue ne diffèrent pas tellement et les habitudes de discipline sont les mêmes. L’absence d’antagonisme est, d’ailleurs, probante. Des cas toujours assez nombreux de désertion et le fait que les ''Kriegersvereine'', associations de vétérans protégées par le gouvernement, prononcent chaque année des exclusions pour cause de socialisme trop avéré, n’infirment pas l’importance de cette constatation que les ouvriers gardent, en général, bon souvenir de leur temps de caserne et ne témoignent d’aucune hostilité contre le principe du service militaire. Il serait profondément naïf, au moins en ce qui concerne l’Allemagne, d’associer l’idée du désarmement à l’idée du triomphe socialiste. Non seulement la démocratie socialiste, si elle arrivait à dominer dans l’empire, se garderait de briser l’outil militaire, mais elle en ferait probablement usage pour imposer sa formule autour d’elle.


{{corr|Etablie|Établie}} en 1867 et simplement retouchée en 1870, la Constitution allemande est, en grande partie, l’œuvre de Bismarck. Elle comporte trois rouages principaux, le ''Reichstag'', le ''Bundesrath'' et ce pouvoir exécutif qui s’appela d’abord le ''Bundespraesidium'' et devint ensuite l’Empire. Le Reichstag se compose d’une Chambre unique, nombreuse, élue au suffrage universel direct et secret, très différente, par conséquent, de la Chambre prussienne, qui est issue, elle, d’un suffrage censitaire à deux degrés. La compétence impériale du Reichstag est limitée, mais elle peut être étendue au moyen d’une révision constitutionnelle pour laquelle il suffit de l’accord de deux majorités simples au Reichstag et au Bundesrath. Ce dernier corps est un conseil fédéral dans lequel siègent les délégués des quatre royaumes allemands (Prusse, Bavière, Saxe, Wurtemberg), des trois
Tel est l’Empire allemand. Suite logique de l’histoire, cristallisation légitime et nécessaire du germanisme, ce grand corps est en équilibre moral de pensée et d’action. Unité des sources et des formes de la pensée, unité des mobiles et des formes de l’action, ce sont là des garanties d’avenir, car cela suffit à composer une civilisation nationale. Sans doute, on pourrait imaginer cette civilisation plus large, plus ouverte, plus apte à servir la civilisation universelle, Mais au point de vue national, elle n’en est pas moins productive de force et de cohésion. L’Empire a, en plus, cet avantage d’avoir à sa tète des chefs qui furent les artisans de sa grandeur et demeurent les représentants héréditaires de ses intérêts ; les services que lui rend de la sorte la maison de Hohenzollern sont immenses ; les trois personnalités princières qui se sont déjà succédé sur le trône, comptent parmi les plus remarquables du temps présent. Il n’est pas jusqu’à la brièveté du règne de Frédéric {{rom-maj|iii|3}} qui n’ait contribué à donner à l’institution une élasticité précieuse. Ce souverain généreux eût, sans doute, échoué dans ses entreprises libérales, parce que l’heure n’y était pas {{tiret|pro|pice}}
villes libres (Hambourg, Brême, Lubeck) et des 18 grands-duchés, duchés et principautés admis dans la Confédération de 1867. Le Bundesrath a des pouvoirs considérables : son assentiment est nécessaire pour signer les traités et déclarer la guerre ; d’importants fonctionnaires lui doivent leurs postes ; il prépare les lois soumises au Reichstag et les examine de nouveau quand elles en reviennent avant que l’Empereur puisse les promulguer. Il a des attributions judiciaires de Cour suprême ; il sert d’arbitre légal entre les {{corr|Etats|États}} ; il fait des instructions administratives et exerce même, en certains cas, un pouvoir exécutif. Mais le plus étonnant de ses
privilèges, c’est peut-être que ses membres aient le droit de siéger au Reichstag et de prendre part aux débats.