« Page:Coubertin - L’Avenir de l’Europe.djvu/8 » : différence entre les versions

Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
En-tête (noinclude) :En-tête (noinclude) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{nr||— 4 —|}}
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
préparées : ceux qui en ont pris la responsabilité les ont jugées indispensables ; il s’agissait pour l’Italie de s’émanciper, pour l’Allemagne de s’unifier, pour la Russie de reconquérir sa prépondérance en Orient. Cavour et Bismarck ne faisaient point la guerre pour le plaisir de la faire, mais pour réaliser un plan politique qu’ils ne pensaient pas pouvoir réaliser autrement. L’heure n’est plus à de si vastes ambitions ni à de pareils remaniements. L’Europe, désormais, est trop tassée et trop conservatrice pour donner carrière aux instincts d’un Bismarck ou d’un Cavour ; les armements ont pris de telles proportions qu’une grande guerre même victorieuse équivaudrait à une ruine presque certaine ; moins que jamais, les gouvernements se risqueront à la légère dans une aventure aussi aléatoire. Envisagés à la lueur de ces faits indéniables, beaucoup de problèmes perdent leur aspect inquiétant ; la série des points « inflammatoires » se restreint.
{{t3|L’AVENIR}}
{{brn|1}}
{{t2|DE L’EUROPE}}
{{brn|2}}
{{séparateur}}
{{brn|2}}
En temps de guerre, ceux qui veulent se rendre un compte exact de la marche des opérations ont coutume d’acheter des petits drapeaux de papier qu’ils piquent avec des épingles sur la carte, au fur et à mesure des événements militaires dont le journal leur apporte la nouvelle. On pourrait user du même procédé pour faire le dénombrement des problèmes qui s’imposent à l’attention de l’Europe actuelle : il suffirait de remplacer les petits drapeaux par des points d’interrogation de couleurs variées, correspondant aux divers ordres de questions : politiques, économiques, religieuses..… où n’en poserait-on point ? Depuis Dublin jusqu’à Athènes, depuis Helsingfors jusqu’à Lisbonne, la carte en serait bientôt hérissée. Mais un tel inventaire, outre qu’il ne simplifierait guère l’étude du temps présent, aurait ce grave inconvénient de placer sur un même rang des problèmes dont l’importance, au point de vue général, est fort inégale. Qui ne comprend, en effet, que la cause de l’Irlande et celle de la Pologne peuvent être équivalentes devant la Justice suprême, mais que l’indépendance de la Pologne entraînerait de bien autres conséquences politiques que l’indépendance de l’Irlande ? Et qui ne voit qu’une révolution à Budapest ou à Bruxelles aurait des résultats qu’on ne saurait en aucun cas redouter d’une révolution à Madrid ou à Christiania ?


Il en est deux pourtant qui sollicitent l’attention et qui peuvent inspirer de légitimes anxiétés. Le premier est placé au centre même de l’organisme européen. Là se meurt un empire qui aurait pu exercer une action considérable sur la civilisation et qui n’a été, en somme, qu’un vaste commissariat de police. C’est l’Autriche. Ses jours sont comptés. On ne voit pas comment, avec ses deux capitales, son triple ministère, ses six chambres, ses dix-huit diètes et ses onze nationalités, cette communauté extraordinaire pourrait reprendre racine dans la vie. Mais, d’autre part, les héritiers ne sont guère pressés d’entrer en jouissance, tant ils prévoient de dissidences et de procès ; aussi s’emploient-ils de leur mieux à prolonger l’existence du moribond. Si l’on réfléchit que l’héritage autrichien déplacera le centre de gravité de l’empire d’Allemagne, libérera une moitié de la Pologne, laissera la Bohême inorganisée et la Hongrie isolée en face de ses ennemis héréditaires, on conçoit que ni les Allemands, ni les Russes, ni les Magyars, ni même lés Tchèques n’aient le désir de le voir s’ouvrir. Il s’ouvrira néanmoins et peut-être plus tôt qu’on ne pense. Un robuste optimisme est nécessaire pour que l’on ose envisager avec sérénité l’éventualité d’un semblable événement.
Pour agitée et compliquée qu’elle soit, l’Europe d’aujourd’hui n’en a pas moins acquis une certaine stabilité et, s’il est ainsi, c’est que précisément nombre des problèmes qui l’agitent et la compliquent sont plus localisés qu’ils n’en ont l’air, en sorte que l’équilibre international peut résister à des chocs comme celui de la guerre greco-turque, par exemple. Sans doute, on doit toujours compter avec l’imprévu. Une brusque saute de vent étend parfois l’incendie dont on se croyait maître. Remarquons, toutefois, que les dernières grandes guerres européennes ont été longuement

Le second point est situé à l’Occident, hors de tout contact continental. Là viennent s’enregistrer les progrès d’un autre empire qui semble à l’apogée de la puissance et qui est, chose curieuse, aussi disséminé géographiquement que l’Autriche est compacte et aussi uni moralement qu’elle est divisée. C’est l’Empire britannique, ou, pour mieux dire — car il faut pouvoir y comprendre les {{corr|Etats-Unis|États-Unis}} — c’est le système anglo-saxon. Ses gouvernants, à Washington comme à Londres, s’approchent d’un carrefour terrible ; de la route qu’ils choisiront dépendra ce progrès moral dont le monde a besoin pour équilibrer ses progrès matériels. Les Anglo-Saxons adhèreront-ils au ''nationalisme'' ou le rejetteront-ils ? Grave alternative ! car, s’ils y adhèrent, ils consacreront son triomphe. Or, il faut bien le reconnaître, le nationalisme est, à l’heure actuelle, le plus grand obstacle au progrès moral. Sous couleur de patriotisme, il déchaîne les