« Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/À Charlotte de Corday » : différence entre les versions

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<poem>
:Quoi ! tandis que partout, ou sincères ou feintes,
:Des lâches, des pervers, les larmes et les plaintes
:Consacrent leur Marat parmi les immortels;
:Et que, prêtre orgueilleux de cette idole vile,
:Des fanges du Parnasse, un impudent reptile
:Vomit un hymne infâme au pied de ses autels;
 
:La Vérité se tait ! Dans sa bouche glacée,
:Des liens de la peur sa langue embarrassée
:Dérobe un juste hommage aux exploits glorieux !
:Vivre est-il donc si doux ? De quel prix est la vie,
:Quand sous un joug honteux la pensée asservie,
:Tremblante, au fond du cœur se cache à tous les yeux ?
 
:Non, non, je ne veux point t’honorer en silence,
:Toi qui crus par ta mort ressusciter la France,
:Et dévouas tes jours à punir des forfaits.
:Le glaive arma ton bras, fille grande et sublime,
:Pour faire honte aux Dieux, pour réparer leur crime,
:Quand d’un homme à ce monstre ils donnèrent les traits.
 
:Le noir serpent sorti de sa caverne impure,
:A donc vu rompre enfin sous ta main ferme et sûre
:Le venimeux tissu de ses jours abhorrés !
:Aux entrailles du tigre, à ses dents homicides,
:Tu vins redemander et les membres livides,
:Et le sang des humains qu’il avait dévorés !
 
:Son œil mourant t’a vue, en ta superbe joie,
:Féliciter ton bras, et contempler ta proie.
:Ton regard lui disait : « Va, tyran furieux,
:Va, cours frayer la route aux tyrans tes complices.
:Te baigner dans le sang fut tes seules délices;
:Baigne-toi dans le tien et reconnais tes Dieux. »
 
:La Grèce, ô fille illustre, admirant ton courage,
:Épuiserait Paros, pour placer ton image
:Auprès d’Harmodios, auprès de son ami;
:Et des chœurs sur ta tombe, en une sainte ivresse,
:Chanteraient Némésis, la tardive Déesse,
:Qui frappe le méchant sur son trône endormi.
 
:Mais la France à la hache abandonne ta tête,
:C’est au monstre égorgé qu’on prépare une fête,
:Parmi ses compagnons, tous dignes de son sort.
:Oh ! quel noble dédain fit sourire ta bouche,
:Quand un brigand, vengeur de ce brigand farouche,
:Crut te faire pâlir aux menaces de mort !
 
:C’est lui qui dut pâlir ; et tes juges sinistres,
:Et notre affreux sénat, et ses affreux ministres,
:Quand, à leur tribunal, sans crainte et sans appui,
:Ta douceur, ton langage et simple et magnanime,
:Leur apprit qu’en effet, tout puissant qu’est le crime,
:Qui renonce à la vie est plus puissant que lui.
 
:Longtemps, sous les dehors d’une allégresse aimable,
:Dans ses détours profonds ton âme impénétrable
:Avait tenu cachés les destins du pervers.
:Ainsi, dans le secret amassant la tempête,
:Rit un beau ciel d’azur, qui cependant s’apprête
:À foudroyer les monts, et soulever les mers.
 
:Belle, jeune, brillante, aux bourreaux amenée,
:Tu semblais t’avancer sur le char d’hyménée,
:Ton front resta paisible, et ton regard serein.
:Calme sur l’échafaud, tu méprisas la rage
:D’un peuple abject, servile, et fécond en outrage,
:Et qui se croit alors et libre et souverain.
 
:La vertu seule est libre. Honneur de notre histoire,
:Notre immortel opprobre y vit avec ta gloire,
:Seule tu fus un homme, et vengeas les humains.
:Et nous, eunuques vils, troupeau lâche et sans âme,
:Nous savons répéter quelques plaintes de femme,
:Mais le fer pèserait à nos débiles mains.
 
:Non ; tu ne pensais pas qu’aux mânes de la France
:Un seul traître immolé suffit à sa vengeance,
:Ou tirât du chaos ses débris dispersés.
:Tu voulais, enflammant les courages timides,
:Réveiller les poignards sur tous ces parricides,
:De rapine, de sang, d’infamie engraissés.
 
:Un scélérat de moins rampe dans cette fange.
:La vertu t’applaudit. De sa mâle louange
:Entends, belle héroïne, entends l’auguste voix.
:Ô vertu, le poignard, seul espoir de la terre,
:Est ton arme sacrée, alors que le tonnerre
:Laisse régner le crime, et te vend à ses lois !
</poem>
 
[[Catégorie:André Chénier|A]]