« Dialogues des morts (Lucien) » : différence entre les versions

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==__MATCH__:[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/155]]==
 
==1. Diogène et Pollux==
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'''Diogène'''
 
Pollux, je te recommande, aussitôt que tu seras retourné là-haut, car c’est à toi, je pense, à ressusciter demain, si tu aperçois quelque part Ménippe le chien, et tu le trouveras à Corinthe près du Cranium, ou bien au Lycée, riant des disputes des philosophes, de lui dire : « Ménippe, Diogène t’engage, si tu as assez ri de ce qui se passe sur la terre, à venir dessous rire encore davantage. En haut, tu n’es pas toujours certain d’avoir à rire ; car, comme on dit, qui sait au juste ce qu’il advient après la vie ? Mais en bas tu riras sans fin, ainsi que moi, quand tu verras les riches, les satrapes, les tyrans rabaissés, perdus dans l’ombre, sans autre distinction que des gémissements, arrachés à leur mollesse et à leur lâcheté par le souvenir des choses de là-haut ». Dis-lui cela ; et ajoute qu’il ait soin de venir la besace pleine de lupins, ou bien d’un souper d’Hécate trouvé dans quelque carrefour, d’un œuf lustral, ou enfin de quelque chose de pareil.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/156]]==
carrefour, d’un œuf lustral, ou enfin de quelque chose de pareil.
 
'''Pollux'''
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'''Diogène'''
 
Dis à ces gaillards beaux et solides, Mégille de Corinthe et Damoxène le lutteur, qu’il n’y a plus chez nous ni chevelure blonde, ni tendres regards d’un œil noir, ni vif incarnat des joues, ni muscles fermes, ni épaules vigoureuses : mais
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/157]]==
tout n’est ici que poussière, comme l’on dit, un amas de crânes sans beauté.
 
'''Pollux'''
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==2. Pluton, Crésus, Midas, Sardanapale et Ménippe==
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/158]]==
 
'''Crésus'''
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'''Ménippe'''
 
À la bonne heure ! Pleurez donc, pendant que je vous cornerai
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/159]]==
à la tête le fameux : Connais-loi toi-même ; c’est, en effet, ce qu’on peut chanter de mieux, pour répondre à de pareils gémissements.
 
==3. Ménippe, Amphiloque et Trophonius==
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Je ne comprends pas, Trophonius, ce que tu dis ; je vois clairement que tu es tout à fait mort.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/160]]==
 
==4. Mercure et Charon==
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'''Mercure'''
 
Cela vaut encore mieux, dût ton remboursement se faire attendre ! Cependant tu te rappelles, Charon, quels morts nous arrivaient autrefois, tous braves, couverts de sang, presque tous blessés. Maintenant, c’est un homme empoisonné
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/161]]==
par son fils ou par sa femme, un débauché qui s’est fait enter le ventre ou les jambes ; ils sont tous pâles, sans vigueur, sans ressemblance avec nos guerriers, et le plus grand nombre nous arrivent, à ce qu’il paraît, par suite de pièges qu’ils se sont tendus pour avoir leurs richesses respectives.
 
'''Charon'''
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'''Pluton'''
 
Eh bien ! qu’il dépouille sa vieillesse, et que, semblable
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/162]]==
à Iolas, il redevienne jeune, tandis que ceux-ci, déçus dans leur espoir, abandonneront une richesse qu’ils n’auront vue qu’en songe. Que ces misérables viennent ici, emportés par une mort misérable !
 
'''Mercure'''
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'''Terpsion'''
 
Mais c’est de cette décision même que je me plains. Il faudrait que les choses se fissent avec ordre ; que le plus vieux partît le premier, puis l’homme dont l’âge suit immédiatement, et qu’on ne vît pas, par un renversement étrange, vivre un vieillard tout cassé, n’ayant plus que trois dents, presque aveugle, appuyé sur quatre esclaves, la roupie au nez, l’œil tout plein de chassie, insensible à tous les plaisirs, sépulcre vivant, risée de la jeunesse, tandis que meurent de jeunes hommes florissants de vigueur et de beauté. C’est faire remonter un fleuve vers sa source.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/163]]==
Du moins faudrait-il savoir, en définitive, quand mourra chacun de ces vieillards, afin de ne pas leur faire une cour inutile. Mais c’est ici le cas d’appliquer le proverbe : La charrue traîne les bœufs.
 
'''Pluton'''
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'''Zénophante'''
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/164]]==
 
Et toi, comment es-tu mort, Callidémide ? Moi, qui étais parasite de Dinias, j’ai été étouffé pour avoir trop mangé ; tu te le rappelles, tu étais présent à ma mort.
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Tu as eu tort de prendre le chemin le plus court ; la grande route était plus sûre, quoique un peu plus longue.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/165]]==
 
==8. Cnémon et Damnipper==
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Très agréablement : on dirait que cela te paraît étrange.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/166]]==
 
'''Simylus'''
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'''Polystrate'''
 
Quoi qu’il en soit, Simylus, je me suis bien
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/167]]==
amusé de tous ces adorateurs pour lesquels j’étais comme un dieu ; souvent je les malmenais, j’en faisais mettre à la porte ; tous alors se disputaient à qui se surpasserait en égards pour moi.
 
'''Simylus'''
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'''Charon'''
 
Je vais vous le dire : il faut monter nus, et laisser
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/168]]==
tous ces fardeaux inutiles sur le rivage : à peine la barque pourra-t-elle vous recevoir en cet état. Veille donc, toi, Mercure, à n’admettre ici personne qui ne soit entièrement nu, et qui n’ait laissé, comme je l’ai dit, même son plus léger bagage. Debout auprès de l’échelle, examine-les, retiens-les, et ne laisse monter que ceux qui se seront dépouillés.
 
'''Mercure'''
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Damasias l’athlète.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/169]]==
 
'''Mercure'''
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'''Le Philosophe'''
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/170]]==
 
Je vais donc m’en défaire, puisque tu le veux.
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Il en a menti : c’est autre chose qui le chagrine.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/171]]==
 
'''Mercure'''
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'''Cratès'''
 
Connaissais-tu, Diogène, le riche Mérichus, cet opulent Corinthien, qui possédait un grand nombre de vaisseaux,
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/172]]==
et auquel son cousin Aristéas, non moins riche que lui, avait coutume de dire le mot d’Homère :
 
Ou tu m’enlèveras ou je t’enlèverai.
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'''Cratès'''
 
Je n’avais pas besoin de cela, ni toi non plus, Diogène. Ce qu’il nous fallait, nous l’avions hérité, toi d’Antisthène,
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/173]]==
et moi de toi ; héritage plus grand et plus précieux que la royauté des Perses.
 
'''Diogène'''
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La prééminence ! Celui-ci prétend avoir été meilleur général que moi ; et moi, comme chacun sait, je soutiens que je l’ai emporté en talents militaires non seulement sur lui, mais sur presque tous ceux qui m’ont précédé.
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'''Minos'''
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'''Annibal'''
 
J’ai retiré de mon séjour ici, Minos, l’avantage d’avoir appris la langue grecque, en sorte que mon rival n’aura, sur ce point, aucun avantage sur moi. Maintenant je dis que ceux-là sont par-dessus tout dignes d’éloges qui, n’étant rien dans le principe, se sont élevés par eux-mêmes au premier rang, ont conquis de la puissance et ont été revêtus de l’autorité suprême. Moi, par exemple, débarqué en Espagne avec quelques soldats, comme lieutenant de mon beau-frère, je fus bientôt jugé capable des plus grands emplois et nommé général en chef. Je réduisis alors les Celtibériens, je triomphai des Gaulois occidentaux, et, franchissant de hautes montagnes, je parcourus en vainqueur toute la contrée qu’arrose l’Eridan, renversant un grand nombre de villes, soumettant tout le pays plat de l’Italie, et arrivant jusqu’aux faubourgs de la capitale ; je tuai tant de soldats en un seul jour, que je mesurai leurs anneaux au boisseau, et que je jetai sur les fleuves des ponts de cadavres. Et j’ai fait tout cela, sans me faire appeler fils d’Ammon, sans me donner pour un dieu, sans raconter les rêves de ma mère, mais en avouant que j’étais homme, ayant affaire aux généraux les plus consommés, luttant, dans la mêlée, contre les plus braves soldats, et non pas avec des Mèdes, des Arméniens, gens qui fuient avant qu’on les poursuive, et qui cèdent la victoire à l’audace. Alexandre, il est vrai, a augmenté l’héritage qu’il avait reçu de son père ; il en a reculé les bornes, porté sur les ailes de la fortune ; mais à peine est-il vainqueur, à peine a-t-il triomphé du lâche Darius, près d’Issus et d’Arbèles, qu’il renonce aux institutions de sa patrie, se fait adorer comme un dieu, adopte les costumes des Mèdes, tue ses amis dans les festins, ou les fait condamner à mort. Moi, j’ai commandé à ma patrie avec équité et dès qu’elle m’eut rappelé contre la flotte nombreuse de nos ennemis faisant voile sur l’Afrique, j’obéis à l’instant, je redevins simple particulier, et la condamnation qui me frappa me trouva plein de calme. Voilà ce que j’ai fait, moi, barbare, qui n’étais point versé dans les sciences des Grecs, qui ne chantais pas, comme Alexandre, les vers d’Homère, qui n’avais pas été élevé par le philosophe Aristote,
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/175]]==
mais qui me laissais aller à mon bon naturel : voilà en quoi je prétends valoir mieux qu’Alexandre. S’il paraît plus beau que moi, parce que sa tête était couronnée du diadème, peut-être sera-ce un titre aux yeux des Macédoniens ; mais ce n’est pas une raison pour être mis au-dessus d’un homme brave, d’un général habile, qui doit plus à son conseil qu’à la fortune.
 
'''Minos'''
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'''Alexandre'''
 
Je devrais, Minos, ne rien dire à un homme aussi audacieux. La renommée seule suffit à t’apprendre quel monarque je fus et quel brigand il était. Voici toutefois de combien je l’emporte sur lui. Parvenu, jeune encore, au pouvoir, je relevai un trône mal affermi, je poursuivis les meurtriers de mon père, j’effrayai les Grecs par la ruine de Thèbes, et fus proclamé généralissime de la Grèce. Alors je ne me contentai plus de la Macédoine, ni des autres Etats que mon père m’avait laissés. Je formai le projet de conquérir toute la terre, ne pouvant supporter de ne pas être le souverain de l’univers. Je m’élance sur l’Asie avec quelques soldats, je suis vainqueur dans un grand combat près du Granique ; je prends la Lydie, l’Ionie et la Phrygie ; bientôt, subjuguant tout ce qui est sous mes pas, je marche vers Issus, où Darius m’attendait à la tête d’une armée innombrable. Vous savez ici, Minos, que de morts je vous ai envoyés ce jour-là ; le batelier dit que sa barque ne pouvait leur suffire, et qu’il fut obligé de construire des radeaux pour en passer un grand nombre. Et dans tous ces exploits, je faisais le premier face au danger et m’honorais de mes blessures. Ensuite, pour ne parler ni de Tyr ni d’Arbèles, j’ai pénétré jusque chez les Indiens, en faisant de l’Océan les bornes de mon empire ; j’ai pris leurs éléphants, j’ai soumis Porus, j’ai défait les Scythes, guerriers qui ne sont pas méprisables, j’ai traversé le Tanaïs, et remporté la victoire dans un grand combat de cavalerie. J’ai fait du bien à mes amis, du mal à mes ennemis. Si j’ai paru un dieu aux hommes, il faut leur pardonner une erreur qu’explique la grandeur de mes exploits. Enfin je suis mort sur le trône, tandis que celui-ci, chassé de sa patrie, est mort chez Prusias le Bithynien, comme il convenait à un homme fourbe et cruel. Car, comment a-t-il triomphé des Italiens, je ne veux pas le dire : ce n’est pas par la valeur,
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mais par la scélératesse, la perfidie et la ruse. Dans sa lutte, rien de juste, rien de franc. Il me reproche ma mollesse ; mais il a donc oublié ce qu’il faisait à Capoue, lorsqu’aux bras des courtisanes, ce bon général perdait dans les plaisirs un temps précieux pour la guerre ! Dédaignant la conquête de l’Occident, je me suis tourné contre les nations orientales. Mais qu’aurais-je fait de grand, si j’eusse soumis, sans coup férir, l’Italie, la Libye et les contrées qui s’étendent jusqu’à Gadès ? Ces pays ne me parurent pas dignes de mes armes, tout tremblants qu’ils étaient et prêts à reconnaître un maître. J’ai dit. A toi de décider, Minos. Je crois qu’il n’est pas besoin d’en ajouter davantage.
 
'''Scipion'''
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Oui, celui de Philippe. Je ne serais pas mort, si j’avais été le fils d’Ammon.
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'''Diogène'''
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'''Diogène'''
 
Et je ne rirais pas, Alexandre, quand je te vois, jusque dans les enfers, occupé de ces billevesées, espérant devenir un Anubis ou un Osiris ? Va, très divin personnage, quitte cet espoir ! Il n’y a plus de retour, quand une fois on a traversé le lac des enfers et franchi cet étroit passage. Éaque est vigilant, et il faut compter avec Cerbère. Cependant je voudrais bien savoir de toi comment tu supportes ton état actuel, lorsque tu songes à ce grand bonheur que tu as laissé sur la terre : gardes du corps, satellites, satrapes, or en abondance, peuple d’adorateurs, Babylone, Bactres, éléphants énormes, honneur, gloire, promenade triomphante sur un char, la tête ceinte d’une bandelette blanche, le corps couvert d’un manteau de pourpre. Tout cela ne te fait-il pas de peine, en te revenant à la pensée ? Pourquoi pleures-tu, insensé ?
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/178]]==
Le sage Aristote ne t’a-t-il pas appris qu’il n’y a rien de solide dans ce qui nous vient de la fortune ?
 
'''Alexandre'''
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'''Philippe'''
 
Et quels hommes as-tu vaincus avec lesquels on peut se mesurer, toi qui n’as jamais lutté qu’avec des lâches,
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/179]]==
toujours prêts à jeter leurs arcs, leurs javelots et leurs boucliers d’osier ? C’était autre chose de soumettre les Grecs, les Béotiens, les Phocéens, les Athéniens ! Culbuter l’infanterie des Arcadiens, la cavalerie thessalienne, les Eléens habiles à lancer le javelot, les fantassins de Mantinée, les Thraces, les Illyriens, les Péoniens : voilà de grands exploits. Mais les Mèdes, les Perses, les Chaldéens, race brillante d’or et efféminée ; ne sais-tu pas qu’avant toi les dix mille conduits par Cléarque les ont battus, sans qu’ils aient même attendu les traits des Grecs pour prendre la fuite ?
 
'''Alexandre'''
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'''Philippe'''
 
Non, je n’approuve pas cela, Alexandre. Ce n’est pas qu’il ne soit quelquefois glorieux à un roi d’être blessé et d’affronter le danger pour son armée ; mais ici une pareille conduite ne te rapportait rien. L’idée que tu étais un dieu, si une
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/180]]==
fois tu étais blessé et porté aux yeux de tous hors du combat, tout couvert de sang et gémissant de tes blessures, eût donné matière à rire aux spectateurs. Ammon était convaincu de charlatanisme et d’imposture, et ses prophètes d’adulation. Le moyen, en effet, de ne pas rire, en voyant le fils de Jupiter tombant en syncope et implorant le secours des médecins ? Car, aujourd’hui que tu es mort, crois-tu qu’une foule de gens ne raillent pas amèrement cette comédie, en voyant le fils d’un dieu étendu dans le cercueil, déjà livré à la pourriture et enflé comme tous les autres cadavres ? D’ailleurs, Alexandre, cette prétendue utilité de l’oracle, qui te facilitait, disais-tu, la victoire, t’a ravi en grande partie la gloire de tes exploits ; tous paraissaient moindres, venant d’un dieu.
 
'''Alexandre'''
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'''Antiloque'''
 
Quels propos, Achille, tu tenais avant-hier à Ulysse au sujet de la mort ! Qu’ils étaient bas et indignes de tes maîtres, Chiron et Phénix ! Je t’ai entendu dire que tu aimerais mieux travailler à la terre, comme un mercenaire, auprès de quelque colon indigent, que de régner sur tous les morts. Un lâche et vil Phrygien, attaché moins à la vertu qu’à la vie, pourrait tenir un semblable langage ; mais que le fils de Pelée, le plus intrépide de tous les héros, conçoive d’aussi basses pensées, c’est le comble de la honte ; c’est un démenti donné à ta
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/181]]==
vie tout entière, puisque pouvant régner sans gloire pendant de longs jours en Phthiotide, tu préféras un trépas glorieux.
 
'''Achille'''
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'''Diogène'''
 
N’est-ce pas Hercule que je vois ? Par Hercule,
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/182]]==
c’est lui-même ; voici son arc, sa massue, sa peau de lion, sa stature : c’est Hercule tout entier ! Eh quoi ! il est mort, lui, le fils de Jupiter ? Dis-moi, beau vainqueur, tu es mort ? Et moi qui, sur la terre, t’offrais des sacrifices, comme à un dieu !
 
'''Hercule'''
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'''Diogène'''
 
Je comprends à merveille. Alcmène, d’après ce que tu dis, est accouchée à la fois de deux Hercules, l’un fils
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/183]]==
d’Amphitryon, l’autre de Jupiter, et nous ne savions pas que vous étiez deux jumeaux, issus de la même mère.
 
'''Hercule'''
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C’est vainement que je me baisserais : l’eau fuit, dès qu’elle me sent approcher d’elle, et si, par hasard, j’en puise un peu dans ma main et la porte à ma bouche, je n’ai pas le temps de mouiller le bord de mes lèvres que déjà elle s’écoule, je ne sais comment, à travers mes doigts, et que ma main reste sèche.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/184]]==
 
'''Ménippe'''
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Eh ! ce sont là ces beautés tant admirées des poètes, les mêmes os que tu parais si fort dédaigner.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/185]]==
 
'''Ménippe'''
Ligne 1 190 ⟶ 1 239 :
'''Ménélas'''
 
Non pas à moi, mon cher ami, mais bien, plutôt à Paris, qui, au mépris de tous les droits de l’hospitalité, m’a enlevé
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/186]]==
ma femme et s’est enfui avec elle. Il ne mérite pas seulement d’être étranglé par toi, mais par tous les Grecs et par tous les Barbares dont il a causé la mort.
 
'''Protésilas'''
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'''Ménippe'''
 
Hélas ! Homère, comme les premiers personnages
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/187]]==
de tes rhapsodies sont couchés là, par terre, méconnaissables, sans forme, simple poussière, restes dérisoires, crânes vraiment sans consistance ! Et celui-ci, quel est-il, Éaque ?
 
'''Éaque'''
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C’est un accès d’humeur noire, Ménippe.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/188]]==
 
'''Ménippe'''
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Va-t’en, Éaque ; en voilà bien assez.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/189]]==
 
==21. Ménippe et Cerbère==
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Crie, si cela t’agrée, Charon.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/190]]==
 
'''Charon'''
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Tu ne sais pas, Charon, quel homme tu as passé là ; un homme vraiment libre, et qui n’a souci de rien ; c’est Ménippe !
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/191]]==
 
'''Charon'''
Ligne 1 582 ⟶ 1 639 :
'''Protésilas'''
 
Rappelle tes souvenirs, Pluton ; vous avez rendu à Orphée son Eurydice pour un motif semblable et vous
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/192]]==
avez laissé descendre ici Alceste, ma parente, avec Hercule, à qui vous vouliez être agréable.
 
'''Pluton'''
Ligne 1 604 ⟶ 1 663 :
''Mausole'''
 
Mais d’abord, citoyen de Sinope, à cause de ma royauté ; j’ai régné sur la Carie tout entière, commandé à bon nombre de Lydiens, soumis des îles, pénétré jusqu’à Milet, et assujetti une partie de l’Ionie. Ensuite, j’étais beau, grand, courageux dans les combats. Mais, ce qui est plus encore, j’ai dans Halicarnasse un tombeau immense, tel que jamais mort n’en a eu de plus splendide. Les chevaux et les hommes qu’on y a sculptés sont si admirablement faits et d’un si beau marbre, qu’on ne saurait aisément trouver même un temple aussi
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/193]]==
magnifique. Crois-tu maintenant que je n’ai pas raison d’être fier ?
 
'''Diogène'''
Ligne 1 639 ⟶ 1 700 :
 
Nirée et Thersite.
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/194]]==
 
'''Ménippe'''
Ligne 1 698 ⟶ 1 760 :
'''Chiron'''
 
Je vais te le dire ; car tu me parais avoir de
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/195]]==
l’intelligence : l’immortalité n’avait plus de charmes pour moi.
 
'''Ménippe'''
Ligne 1 744 ⟶ 1 808 :
'''Antisthène'''
 
Allons, Diogène : ce sera un amusantamusan
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/196]]==
t spectacle de voir les uns pleurer, les autres supplier qu’on les lâche, quelques-uns descendre à grand’peine, quoique Mercure les pousse par le cou, puis se révolter, se coucher sur le dos, toutes résistances inutiles.
 
'''Cratès'''
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'''Cratès'''
 
Rien de plus facile, Antisthène. Arsace fondait sur son ennemi avec une lance de vingt coudées : le Thrace, parant le coup avec son bouclier, de manière que là pointe de la lance passe derrière lui, met un genou en terre, et, soutenant le choc avec sa sarisse, il blesse le cheval, qui s’enferre en plein poitrail, emporté par trop d’ardeur et de fougue ; puis, du même coup, il traverse l’aine d’Arsace, et plonge son fer jusqu’aux reins. Tu vois comment cela s’est fait : c’est plutôt la faute du cheval que de l’homme. Arsace, cependant, s’indignait d’être mis
==[[Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/197]]==
au rang des autres morts, et il prétendait descendre ici tout à cheval. Orœtès, qui n’est, lui, qu’un simple particulier, avait les pieds si délicats, qu’il ne pouvait se tenir debout, loin d’être capable de marcher : presque tous les Mèdes en sont là : dès qu’ils descendent de cheval, on dirait des gens qui marchent sur des épines, ils se posent à peine sur la pointe des pieds. Aussi notre homme s’était-il couché, et il n’y avait pas moyen de le faire lever : le bon Mercure le prit sur ses épaules et le porta jusqu’à la barque, ce qui me fit beaucoup rire.
 
'''Antisthène'''
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'''Diogène'''
 
Voilà, Cratès et Antisthène, quels ont été vos compagnons de voyage : moi, je suis descendu avec l’usurier Blepsias, l’Acarnien Lampis, commandant des troupes mercenaires, et le riche Damis de Corinthe. Damis avait été empoisonné par son fils. Lampis, amoureux de la courtisane Myrtium, s’était coupé la gorge pour elle. Le malheureux Blepsias s’était laissé mourir de faim : on le voyait du reste à son excessive pâleur et à sa maigreur extrême. Je savais bien comment ils étaient morts ; cependant je leur en fis la demande ; et comme Damis accusait son fils : « Tu as bien mérité, lui dis-je, ce qu’il t’a fait : possesseur de plus de mille talents, menant joyeuse vie, malgré tes quatre-vingt-dix années, tu ne donnais que quatre oboles à un jeune homme de seize ans ; et toi, Acarnien (il gémissait et il maudissait Myrtium), pourquoi t’en prendre à l’amour et non pas à toi-même ? Jamais tu n’es tombé devant l’ennemi ; tu combattais intrépide à la tête des soldats, et je ne sais quelle courtisane, avec ses larmes feintes et ses soupirs, a vaincu ton courage ». Blepsias était le premier à s’accuser lui-même de l’excessive folie qui lui avait fait garder ses richesses pour des héritiers inconnus, s’imaginant, l’insensé, qu’il ne mourrait jamais ! Bref, je prenais un plaisir peu commun à les entendre gémir. Mais nous voici à l’entrée des enfers : il faut regarder et considérer de loin ceux qui arrivent. Bon ! quelle foule ! il y en a de toute espèce : ils pleurent tous, excepté les petits enfants et ceux qui viennent de naître : les plus âgés sont ceux qui crient
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le plus. Eh quoi ! y a-t-il donc un philtre qui leur fasse aimer la vie ? Je veux dire un mot à ce vieux décrépit. Pourquoi pleures-tu donc d’être mort à ton âge ? Pourquoi te fâches-tu, bonhomme, de venir ici, étant si vieux ? Est-ce que tu étais roi ?
 
'''Le mendiant'''
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'''Ménippe'''
 
Tirésias, es-tu bien aveugle ? Cela n’est pas chose facile à reconnaître : nous avons tous également les yeux vidés ; et il ne nous en reste que la cavité, si bien qu’on ne peut distinguer au juste qui fut autrefois Phinée
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ou Lyncée. Quant à toi, je sais, pour l’avoir lu dans les poètes, que tu étais devin, et que, seul parmi tous, tu fus tour à tour homme et femme. Dis-moi donc, je te prie, laquelle de ces deux conditions t’a paru la plus agréable : aimais-tu mieux être du sexe masculin ou du féminin ?
 
'''Tirésias'''
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'''Ménippe'''
 
Si jamais je les rencontre, je saurai ce qu’elles en
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disent. Pour toi, mon cher, quand tu étais femme, connaissais-tu toujours l’avenir comme auparavant, ou bien n’étais-tu devin que quand tu étais homme ?
 
'''Tirésias'''
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Accuse plutôt Thétis, mon cher, qui, au lieu de t’accorder, en ta qualité de parent, l’héritage de cette armure, est venue l’apporter au milieu du camp.
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'''Ajax'''
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'''Sostrate'''
 
En ce cas, gens de bien ou scélérats seulement
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en apparence, nous ne sommes donc que ses serviteurs, lorsque nous agissons.
 
'''Minos'''