« Les Frères Karamazov (trad. Henri Mongault)/IX/08 » : différence entre les versions

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{{t3|Dépositions des témoins. Le « Petiot »|VIII}}
 
L’interrogatoire des témoins commença. Mais nous ne poursuivrons pas notre récit d’une façon aussi détaillée que jusqu’à maintenant, laissant de côté la façon dont Nicolas Parthénovitch rappelait à chaque témoin qu’il devait déposer selon la vérité et sa conscience, et répéter plus tard sa déposition sous serment, etc. Nous remarquerons seulement que le point essentiel aux yeux du juge, était la question de savoir si Dmitri Fiodorovitch avait dépensé trois mille roubles ou quinze cents lors de son premier séjour à Mokroïé, un mois auparavant, ainsi que la veille. Hélas ! tous les témoignages, sans exception, furent défavorables à Mitia, quelques-uns apportèrent même des faits nouveaux, presque accablants, qui infirmaient ses déclarations. Le premier interrogé fut Tryphon Borissytch. Il se présenta sans la moindre frayeur, au contraire, rempli d’indignation contre l’inculpé, ce qui lui conféra un grand air de véracité et de dignité. Il parla peu, avec réserve, attendant les questions, auxquelles il répondait avec fermeté, en réfléchissant. Il déclara, sans ambages, qu’un mois auparavant l’accusé avait dû dépenser au moins trois mille roubles, que les paysans en témoigneraient, ils avaient entendu Dmitri Fiodorovitch le dire lui-même. » « Combien d’argent a-t-il jeté aux tziganes ! Rien qu’à elles, je crois que ça fait plus de mille roubles. »
 
« Je ne leur en ai peut-être pas donné cinq cents, rétorqua Mitia ; seulement je n’ai pas compté alors, j’étais ivre, c’est dommage. »
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On interrogea les moujiks Stépane et Sémione, le voiturier André, qui confirmèrent la déposition de Tryphon Borissytch. En outre, on nota la conversation qu’André avait eue en route avec Mitia, demandant s’il irait au ciel ou en enfer et si on lui pardonnerait dans l’autre monde. Le « psychologue » Hippolyte Kirillovitch, qui avait écouté en souriant, recommanda de joindre cette déclaration au dossier.
 
Quand ce fut son tour, Kalganov arriva à contrecœur, l’air morose, capricieux, et causa avec le procureur et Nicolas Parthénovitch comme s’il les voyait pour la première fois, alors qu’il les connaissait depuis longtemps. Il commença par dire qu’ » « il ne savait rien et ne voulait rien savoir ». Mais il avait entendu Mitia parler du sixième billet de mille et reconnut qu’il se trouvait à côté de lui. Il ignorait la somme que Mitia pouvait avoir et affirma que les Polonais avaient triché aux cartes. Après des questions réitérées, il expliqua que, les Polonais ayant été chassés, Mitia était rentré en faveur auprès d’Agraféna Alexandrovna et qu’elle avait déclaré l’aimer. Sur le compte de cette dernière, il s’exprima avec déférence, comme si elle appartenait à la meilleure société, et ne se permit pas une seule fois de l’appeler « Grouchegnka ». Malgré la répugnance visible du jeune homme à déposer, Hippolyte Kirillovitch le retint longtemps et apprit de lui seulement ce qui constituait, pour ainsi dire, le « roman » de Mitia cette nuit. Pas une fois, Mitia n’interrompit Kalganov, qui se retira sans cacher son indignation.
 
On passa aux Polonais. Ils s’étaient couchés dans leur chambrette, mais n’avaient pas fermé l’œil de la nuit ; à l’arrivée des autorités, ils s’habillèrent rapidement, comprenant qu’on allait les demander. Ils se présentèrent avec dignité, mais non sans appréhension. Le petit pan, le plus important, était fonctionnaire de douzième classe en retraite, il avait servi comme vétérinaire en Sibérie, et s’appelait Musalowicz. Pan Wrublewski était dentiste. Aux questions de Nicolas Parthénovitch, ils répondirent d’abord en s’adressant à Mikhaïl Makarovitch qui se tenait de côté ; ils le prenaient pour le personnage le plus important et l’appelaient pan pulkownik159pulkownik<ref>Monsieur le colonel.</ref> à chaque phrase. On parvint à leur faire comprendre leur erreur ; d’ailleurs ils parlaient correctement le russe, sauf la prononciation de certains mots. En parlant de ses relations avec Grouchegnka, pan Musalowicz y mit une ardeur et une fierté qui exaspérèrent Mitia ; il s’écria qu’il ne permettrait pas à un « gredin » de s’exprimer ainsi en sa présence. Pan Musalowicz releva le terme et pria de le mentionner au procès-verbal. Mitia bouillait de colère.
 
« Oui, un gredin ! Notez-le, ça ne m’empêchera pas de répéter qu’il est un gredin. »
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— Comment donc ! Bien sûr. C’est-à-dire non pas vingt mille roubles, mais sept mille, lorsque mon épouse engagea ma propriété. À vrai dire, elle ne me les montra que de loin, ça faisait une forte liasse de billets de cent roubles. Dmitri Fiodorovitch aussi avait des billets de cent roubles… »
 
On ne le retint pas longtemps. Enfin arriva le tour de Grouchegnka. Les juges craignaient l’impression que son arrivée pouvait produire sur Dmitri Fiodorovitch, et Nicolas Parthénovitch lui adressa même quelques mots d’exhortation, auxquels Mitia répondit d’un signe de tête, indiquant ainsi qu’il ne se produirait pas de désordre. Ce fut Mikhaïl Makarovitch qui amena Grouchegnka. Elle entra, le visage rigide et morne, l’air presque calme, et prit place en face de Nicolas Parthénovitch. Elle était très pâle et s’enveloppait frileusement dans son beau châle noir. Elle sentait, en effet, le frisson de la fièvre, début de la longue maladie qu’elle contracta cette nuit-là. Son air rigide, son regard franc et sérieux, le calme de ses manières, produisirent l’impression la plus favorable. Nicolas Parthénovitch fut même séduit, il raconta plus tard qu’alors seulement il avait compris combien cette femme était charmante ; auparavant, il voyait en elle « une hétaïre de sous-préfecture ». » « Elle a les manières de la meilleure société », laissa-t-il échapper une fois avec enthousiasme dans un cercle de dames. On l’écouta avec indignation et on le traita aussitôt de « polisson », ce qui le ravit. En entrant, Grouchegnka jeta sur Mitia un regard furtif ; il la considéra à son tour avec inquiétude, mais son air le tranquillisa. Après les questions d’usage, Nicolas Parthénovitch, avec quelque hésitation, mais de l’air le plus poli, lui demanda « quelles étaient ses relations avec le lieutenant en retraite Dmitri Fiodorovitch Karamazov » ?
 
« De simples relations d’amitié, et c’est en ami que je l’ai reçu tout ce mois. »
 
En réponse à d’autres questions, elle déclara franchement qu’elle n’aimait pas alors Mitia, bien qu’il lui plût « par moments » ; elle l’avait séduit par méchanceté ainsi que le bonhomme ; la jalousie de Mitia vis-à-vis de Fiodor Pavlovitch et de tous les hommes la divertissait. Jamais elle n’avait songé à aller chez Fiodor Pavlovitch, dont elle se jouait. » « Durant tout ce mois, je ne m’intéressais guère à eux ; j’en attendais un autre, coupable envers moi… Seulement j’estime que vous n’avez pas à m’interroger là-dessus et que je n’ai pas à vous répondre ; ma vie privée ne vous concerne pas. »
 
Nicolas Parthénovitch laissa immédiatement de côté les points « romanesques » et aborda la question capitale des trois mille roubles. Grouchegnka répondit que c’était bien la somme dépensée à Mokroïé un mois auparavant, d’après les dires de Dmitri, car elle-même n’avait pas compté les billets.
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— Non, jamais. »
 
Au contraire, depuis un mois Mitia lui avait déclaré à plusieurs reprises être sans argent. » « Il s’attendait toujours à en recevoir de son père », conclut Grouchegnka.
 
« N’a-t-il pas dit devant vous… incidemment ou dans un moment d’irritation, demanda tout à coup Nicolas Parthénovitch, qu’il avait l’intention d’attenter à la vie de son père ?