« Les Frères Karamazov (trad. Henri Mongault)/VIII/04 » : différence entre les versions
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{{t3|Dans les ténèbres|IV}}
Où courait-il ? On s’en doute : « Où peut-elle être, sinon chez le vieux ? Elle y est allée directement de chez Samsonov, c’est clair. Toute cette intrigue saute aux yeux… » Les idées se heurtaient dans sa tête. Il n’alla pas dans la cour de Marie Kondratievna : « Inutile de donner l’éveil, elle doit être du complot, ainsi que Smerdiakov ; tous sont achetés ! » Sa résolution était prise ; il fit un grand détour, franchit la passerelle, déboucha dans une ruelle qui donnait sur les derrières, ruelle déserte et inhabitée, bornée d’un côté par la haie du potager voisin, de l’autre, par la haute palissade qui entourait le jardin de Fiodor Pavlovitch. Il choisit pour l’escalader précisément la place par où avait grimpé, d’après la tradition, Elisabeth Smerdiachtchaïa.
Il attendit deux minutes. Son cœur battait, par moments il étouffait presque.
« Peut-être dort-elle déjà derrière les paravents. » Fiodor Pavlovitch se retira de la fenêtre.
« Grouchegnka, est-ce toi ? dit-il d’une voix tremblante. Où es-tu, ma chérie, mon ange, où es-tu ? » Très ému, il haletait.
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« Dieu m’a préservé à ce moment », devait dire plus tard Mitia ; à ce moment en effet, Grigori, souffrant, se réveilla. Avant de se coucher, il avait employé le remède dont Smerdiakov parlait à Ivan Fiodorovitch. Après s’être frotté, aidé par sa femme, avec de l’eau-de-vie mélangée à une infusion secrète très forte, il but le reste de la drogue, tandis que Marthe Ignatièvna récitait une prière. Elle en prit aussi et, n’ayant pas l’habitude, s’endormit d’un sommeil de plomb à côté de son mari. Tout à coup, celui-ci s’éveilla, réfléchit un instant et, bien qu’il ressentît une douleur aiguë dans les reins, se leva et s’habilla à la hâte. Peut-être se reprochait-il de dormir, la maison restant sans gardien « en un temps si dangereux ». Smerdiakov, épuisé par sa crise, gisait sans mouvement dans le cabinet voisin. Marthe Ignatièvna n’avait pas bougé ; « elle est lasse », pensa Grigori après l’avoir regardée, et il sortit en geignant sur le perron. Il voulait seulement jeter un coup d’œil, n’ayant pas la force d’aller plus loin, tant les reins et la jambe droite lui faisaient mal. Soudain, il se rappela qu’il n’avait pas fermé à clef la petite porte du jardin. C’était un homme méticuleux, esclave de l’ordre établi et des habitudes invétérées. En boitant et avec des contorsions de douleur, il descendit le perron et se dirigea vers le jardin. En effet, la porte était grande ouverte ; il entra machinalement ; avait-il cru apercevoir ou entendre quelque chose, mais en regardant à gauche, il remarqua la fenêtre ouverte où personne ne se tenait.
« Parricide », glapit le vieux, mais il n’en dit pas davantage et tomba foudroyé. Mitia sauta de nouveau dans le jardin et se pencha vers lui. Machinalement, il se débarrassa du pilon qui tomba à deux pas sur le sentier, bien en évidence. Grigori avait la tête en sang ; Mitia le tâta, anxieux de savoir s’il avait fracassé le crâne du vieillard ou s’il l’avait seulement étourdi avec le pilon. Le sang tiède ruisselait, inondant ses doigts tremblants. Il tira de sa poche le mouchoir immaculé qu’il avait pris pour aller chez Mme Khokhlakov, et le lui appliqua sur la tête, s’efforçant stupidement d’étancher le sang. Le mouchoir en fut bientôt imbibé.
« Où est-elle donc, Prochor ?
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