« Revue littéraire - L’Éloquence de Lamartine » : différence entre les versions
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« La France s’est oubliée à cette folie de prendre un jour pour colonel le principal musicien du régiment. » C’est ainsi que Louis Veuillot résume l’activité politique de Lamartine. Cette formule, qui renvoie le poète à sa lyre, écarte aussi tous les poètes et, en somme, nous avertit de ne pas croire que le gouvernement de la cité soit une poésie. Hélas!... Et lui, Lamartine, s’est débattu contre ce jugement. Veuillot n’était pas le seul qui le priât de ne pas se commettre avec les gens du métier politique et, en outre, qui le priât de ne pas aventurer la cité avec ses belles rêveries. Pendant bien des années, il ne put empêcher les partis de lui crier au poète, chaque fois qu’il prononçait un discours. Il avait, dans un monde si indulgent pour le passé des orateurs, un impardonnable péché, les ''Méditations''. Et Mme de Girardin, sous le nom du vicomte de Launay, le défendait avec autant d’esprit que d’amitié : « Est-ce que c’est bien spirituel d’appeler toujours un homme politique du nom de sa profession ? Si l’on en faisait autant pour vous autres, messieurs, que diriez-vous ?... Pourquoi reprochez-vous à M. de Lamartine d’être un poète et pourquoi ne voulez-vous pas qu’un poète fasse de bonne politique, puisque vous en faites bien, vous autres, de la politique, vous qui êtes des marchands de bois retirés, des bonnetiers découragés, des apothicaires désenchantés ?... » C’est vrai! et de quel droit refusez-vous au poète le talent que vous accordez à l’apothicaire, au marchand de bois, au ▼
bonnetier, le talent « de renverser les ministères et de bouleverser l’Europe ? » Mme de Girardin ne définit pas autrement la politique de ces négocians; mais elle attribue de plus nobles aptitudes au poète, qui a coutume « de sonder les cœurs, d’étudier l’histoire, d’éclairer les peuples, de juger les rois et d’interroger Dieu. » Reste à savoir si la politique la mieux désirable consiste en ceci plutôt qu’en cela.▼
Le poète répond aux bonnetiers, apothicaires et marchands de bois : « Plaisante race, que la race médiocre! elle se croit inaccessible. » Où réussissent les médiocres, le poète serait tout dépourvu ? Lamartine éconduit ce paradoxe. Et voici Lamartine, selon Sainte-Beuve. On lui parle de Bacon : mais il le sait par cœur et, depuis dix ans, vingt ans, il en fait son étude perpétuelle. L’économie politique ? Il vous dit, les jambes étendues : « Avez-vous jamais mis le nez dans ce grimoire-là ? Rien n’est plus amusant, rien n’est plus facile!... » Un jour, comme il est sur le point de partir pour la campagne, la causerie vient aux fermages et aménagemens de terres : « Comment ! Si je m’y entends, mon cher ami ? réplique-t-il; mais je m’y entends divinement ! » On observera que Sainte-Beuve est assez malveillant pour ses contemporains les plus admirables ; et, bien qu’il ait si heureusement profité, lui, d’être avec tant de continuité assidu à son œuvre, il était jaloux des poètes et de tous écrivains qui s’élançaient hors de la tâche quotidienne. Puis, il était un homme attentif et qui, cherchant l’exactitude, se méfiait des improvisateurs qui inventent la vérité. D’ailleurs, si l’on récuse le témoignage de Sainte-Beuve, il y a Lamartine lui-même : après un discours relatif aux sucres ou aux rentes, il se flatte de posséder « une immense popularité financière. » Il ajoute : « J’en ris tout bas !» Il en rit tout haut; et il s’en régale. Il ressemble à son grand émule Chateaubriand. Le roi disait : « Donnez-vous de garde d’admettre jamais un poète dans vos affaires; il perdra tout. Ces gens-là ne sont bons à rien ! » Louis XVIII, afin de ne pas avoir auprès de lui Chateaubriand, le nomma ambassadeur. Dès son arrivée à Berlin, le nouveau diplomate commence le cours de ses dépêches ; et il note : « Mon esprit se plie facilement à ce genre de travail. Pourquoi pas ? Dante, Arioste et Milton n’ont-ils pas aussi bien réussi en politique qu’en poésie ?... » Et, un autre jour, il se plaignait au comte de Marcellus, diplomate de carrière : « Parce que nous avons écrit quelques pages de poésie, les routiniers des chancelleries nous accusent d’effleurer seulement la politique ; et ils nous disent incapables d’aller au fond des questions ou même de dresser un protocole, parce que nous ne sommes ni lourds ni décolorés!... » Les ▼
▲« La France s’est oubliée à cette folie de prendre un jour pour colonel le principal musicien du régiment. » C’est ainsi que Louis Veuillot résume l’activité politique de Lamartine. Cette formule, qui renvoie le poète à sa lyre, écarte aussi tous les poètes et, en somme, nous avertit de ne pas croire que le gouvernement de la cité soit une poésie. Hélas !
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▲bonnetier, le talent « de renverser les ministères et de bouleverser l’Europe ? » Mme de Girardin ne définit pas autrement la politique de ces négocians ; mais elle attribue de plus nobles aptitudes au poète, qui a coutume « de sonder les cœurs, d’étudier l’histoire, d’éclairer les peuples, de juger les rois et d’interroger Dieu. » Reste à savoir si la politique la mieux désirable consiste en ceci plutôt qu’en cela.
▲Le poète répond aux bonnetiers, apothicaires et marchands de bois : « Plaisante race, que la race médiocre ! elle se croit inaccessible. » Où réussissent les médiocres, le poète serait tout dépourvu ? Lamartine éconduit ce paradoxe. Et voici Lamartine, selon Sainte-Beuve. On lui parle de Bacon : mais il le sait par cœur et, depuis dix ans, vingt ans, il en fait son étude perpétuelle. L’économie politique ? Il vous dit, les jambes étendues : « Avez-vous jamais mis le nez dans ce grimoire-là ? Rien n’est plus amusant, rien n’est plus facile !
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routiniers des chancelleries et la race des médiocres, c’est tout un. Les poètes romantiques ont eu confiance dans leur génie.
M. Louis Barthou n’est pas de ceux qui, dans la politique, les traitent comme des intrus. C’est que d’abord il aime les poètes. Sans doute aime-t-il également la politique et souhaite-t-il de la recommander en la montrant compatible avec la poésie. La politique d’autrefois, peut-être ? Il nous engage à ne pas nous figurer que la politique ait dégénéré sensiblement. Avec beaucoup de discrétion, sur le bas d’une page, en note, il nous prie de méditer quelques lignes de Mme de Girardin, quelques lignes du mois de mars 1837. Il y a quatre-vingts ans, la Chambre discutait la loi dite de disjonction, touchant l’affaire de Strasbourg. Mme de Girardin ne prétend pas décider s’il convient qu’on sépare en deux groupes les accusés civils et militaires ; mais elle a vu les représentans du pays, à la séance, qui « sautaient sur les bancs, comme des révoltés de collège ; » elle a vu « ces législateurs jetant leur chapeau en l’air comme les lazzaroni du troisième acte de la ''Muette'', criant bravo comme des claqueurs et s’embrassant entre eux avec folie comme des convives qui ont le vin tendre. » Elle s’écrie : « Comment se fait-il que depuis vingt ans l’éducation parlementaire n’ait pas fait plus de progrès ? » M. Louis Barthou ne le dit pas et dit seulement qu’avant de conclure à « la décadence des mœurs parlementaires, » il faut examiner les mœurs parlementaires d’autrefois. Bref, le problème de la politique et de la poésie se posait pour Lamartine à peu près comme il se poserait de nos jours, si nous avions un Lamartine, car nous avons les politiciens.
Le ''Lamartine orateur'', de M. Louis Barthou, est un ouvrage de grand mérite, auquel je crois qu’on aurait pu donner plus de vie et, pour ainsi parler, plus de gaieté, plus de fougue et, si l’on veut, plus de flamme, enfin cette alacrité qu’il y a dans tout ce qui est de Lamartine, dans sa poésie ou dans sa politique, dans sa personne même. C’était du reste plus facile que de mener à bien l’œuvre que M. Louis Barthou a préférée, l’œuvre d’un historien véritable et qui ne confond pas Clio, la muse grave de l’histoire, avec ses sœurs frivoles. Il a réuni tous les documens ; il en a découvert beaucoup de très importans et précieux : il a, sur quelques points, renouvelé le sujet. Principalement, il a interprété son personnage avec une intelligente et parfaite équité. Il excelle à exposer les affaires au milieu desquelles Lamartine avait à prendre ses résolutions : toutes sortes d’affaires, les plus vastes et les plus menues, celles qui devaient modifier l’aspect de l’univers et celles qui n’aboutissaient qu’à des séances orageuses.
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C’est merveille de voir comme il débrouille ces complications, souvent ces intrigues, et comme il éclaire joliment ces mystères augustes ou non. Guidés par lui, nous allons tout savoir. Et, s’il nous dit : « Je ne saurais, à défaut de compétence, analyser un tel discours, » — c’est à propos des fortifications de Paris, — nous devinons que Lamartine s’est lancé au-delà des limites prudentes. Lamartine commet, à l’occasion, des fautes de tactique parlementaire : M. Barthou s’en aperçoit. Lamartine, par exemple, s’amuse à recueillir des applaudissemens très variés : tantôt les amis du gouvernement lui organisent un succès contre les partis de gauche ; et tantôt, ce sont les partis de gauche qui le soutiennent à l’encontre du gouvernement. Qu’est-ce à dire ? Lamartine garde son indépendance ; il approuve à droite, à gauche, selon que la droite ou la gauche a raison. Parbleu ! Mais, non ; ce n’est pas tout naturel, et M. Barthou signale cette « hardiesse » de Lamartine, très honorable et fière, très dangereuse. En deux mots, Lamartine se fait aimer contre quelqu’un, non pour lui-même ; et cette façon d’agir, sans conséquence pratique, le rend inefficace. Lamartine, en général, suit son inspiration. Ce qui lui manque, — et M. Barthou reprend ici une remarque de Louis Blanc, — c’est, et sans plaisanterie aucune, « cette ''forme hautaine de l’obéissance'' que la situation de chef de parti exige fréquemment. » Il a toutes les qualités d’un chef, excepté l’obéissance. Or, « les assemblées parlementaires admirent parfois, mais elles suivent rarement les chefs qu’elles sentent trop seuls. » Au surplus, les maladresses de Lamartine, son historien, qui les note, ne les méprise pas. Elles lui semblent héroïques. En outre Lamartine s’est peu à peu corrigé. Ce dont il a dédaigné de se corriger n’a pas empêché ses triomphes : encore une preuve de son génie. M. Barthou le place dans la situation commune et le montre qui s’en évade. C’est ainsi qu’on peint les grands hommes : ils ont leurs attaches, et ils ont leur envolée.
Ce caractère du grand homme et du héros, M. Louis Barthou le sent et le fait sentir. Il a subi le prestige de cet imposant génie et — c’est un bon signe — il a conservé intacte sa clairvoyance : ni le prestige du héros ne l’accable ; ni l’analyse, qu’il a voulue exacte et rigoureuse, ne disperse le génie. La critique et l’histoire ont, le plus souvent, l’un ou l’autre de ces inconvéniens.
On naît orateur : c’est une opinion répandue. En outre, Lamartine parmi tous les poètes nous apparaît comme celui que ses velléités contentent le plus vite. Il ne travaille pas : il chante. Il n’a pas besoin
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de travailler ; et il ne daigne pas travailler. Les dieux l’ont dispensé de nul effort. Et lui-même n’oserait pas toucher à ce don qu’il a reçu des dieux. Il est comme une harpe éolienne, docile aux vents célestes. Voilà l’image que nous avons de lui, et qui n’est pas absolument fausse. Mais, pour devenir un orateur, au Parlement de son pays, il a beaucoup travaillé.
Son premier discours est de ses trente-huit ans. II. avait voyagé ; il arrivait de Florence et, à Saint-Point, l’automne de l’année 1828, ses compatriotes l’accueillaient avec cérémonie. « Arrivés au château, j’ai répondu par une harangue où j’ai prêché Dieu, le Roi et les honnêtes
Cette vocation d’orateur, la voici : « M. de Lamartine est grand, beau et svelte. Il a toujours l’air de s’élancer. Son pied ferme et léger à la fois se pose sans appuyer et laisse une noble empreinte. Sa main est une main d’artiste et de gentilhomme, merveilleusement faite pour tenir une plume ou une épée, pour frapper le marbre d’une tribune. Il est familier et éloquent, négligé et lyrique. Oh ne pouvait être insensible soit à l’expression de sa figure fine et distinguée, soit à la sonorité inimitable de sa voix de poitrine. Ses cheveux châtains à peine argentés surmontent son front où réside la sérénité.
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L’inspiration y bat ses rythmes. Son nez est d’un aigle, ses lèvres sont d’un orateur autant que son regard d’un
Il est vrai qu’en 1831 Lamartine écrit ''La politique rationnelle''. Et ce mot de « rationnelle » indique déjà que l’incertitude va diminuer. Le poète médite : et n’a-t-il pas trouvé ses principes ? Les principes une fois posés, la raison tire les conclusions logiques. Il y a, dans ''La politique rationnelle'', une doctrine. M. Barthou la dégage très
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justement et prouve que l’apprenti homme d’État ne l’a pas jetée sur le papier, soudain, comme un poème : il l’a sérieusement élaborée. On en trouve les premiers élémens, au jour le jour, dans la correspondance de Lamartine ; les élémens se coordonnent peu à peu. Cette doctrine, ensuite, Lamartine s’en souviendra : la vie politique de Lamartine est moins dénuée d’« unité » qu’on ne le raconte. Mais enfin, Lamartine est-il républicain, dans ''La politique rationnelle'', en 1831 ? Car il écrit : « La république, mais la république mixte, à plusieurs corps, à une seule tête, république à sa base, monarchie au
Il est élu député de Bergues, le 7 janvier 1833. Il accomplissait alors son fastueux voyage d’Orient. Il fait son entrée à la Chambre vers la fin de l’année. Le poète des ''Méditations'' : magnifique événement ! On lui demande où il siégera : c’est que ''La politique rationnelle'' n’est pas une indication suffisante. « Au plafond ! » répond-il ; et, comme la réalité ne se prête pas à tous les symboles, il s’assied sur l’un des bancs les plus élevés de la droite. Il monte à la tribune, la première fois, le 4 janvier 1834. Est-il prêt ? Son ami Dargaud lui disait : « Les inspirations ne suffisent pas, sans les convictions ; » et il répondait : « A la longue, les inspirations font les convictions. » Ce premier discours, un peu vague. Il s’agissait des Vendéens : et Lamartine réprouvait la guerre civile ; mais il réclamait l’indulgence en faveur de ces révoltés « dont le crime n’est qu’une erreur de leur fidélité. » Belle pensée ; et les mots, dignes de la pensée. L’orateur, après cela, sut qu’avec une belle pensée et les mots dignes de la pensée l’on n’est pas un orateur, « L’essai de M. de Lamartine nous semble du plus favorable augure pour la suite de sa carrière parlementaire, » dirent les ''Débats''. Lamartine se dit qu’il avait tout à recommencer.
Il se mit à la besogne avec entrain. L’on s’attendait que Lamartine fût un improvisateur. Lui-même, ne s’y attendait-il pas ? Il a redouté la tribune : il a écrit son premier discours ; il en écrit d’autres. Mais il a résolu de « s’accoutumer au feu. » Il a de l’audace et de la
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constance. Il dit à Virieu : « Je n’épargne ni courage ni peine ; j’affronte le ridicule, plus difficile à affronter que le poignard. Je vois le but et j’oublie la route. » D’avance, il comptait sur son génie : « Le génie est génie
Badinage ? Il ne badine pas du tout, quand il écrit : « Je persiste à croire, contre tout le monde, que j’étais né pour un autre rôle que celui de poète fugitif, et qu’il y avait, dans ma nature, plus de l’homme d’État et de l’orateur politique que du chantre contemplatif de mes impressions de vingt ans. » Et il ne badine pas, quand il écrit : « Je vois se réaliser ce que j’avais toujours senti, que l’éloquence était en moi plus que la
Que veut-il ? Car il travaille à cette fin. Le 9 janvier 1834, à la Chambre depuis deux semaines, il a prononcé deux discours ; et il déclare très nettement : « Je veux m’exercer, tant que je pourrai, à
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parler hardiment et souvent sur toutes choses, pour vaincre la difficulté extrême de la tribune et conquérir l’improvisation. » Trois ans après, il est satisfait. Il a conscience d’avoir atteint « son maximum en fait de parole » et d’être maintenant « prêt à répondre à qui que ce soit. » Il écrit à Virieu : « J’ai confondu d’étonnement les avocats, députés et pairs, avec qui j’ai eu à lutter. Cela m’amuse comme un écolier qui apprend une langue ; il s’aperçoit tout à coup qu’il la sait à peu près, après avoir longtemps cru que ses progrès étaient nuls. » Est-ce qu’il n’y a pas là une sorte d’ingénuité charmante ? une étrange humilité dans l’orgueil ?
Son ambition n’est assurément pas mesquine. Aucune âme plus haute n’a été plus intacte et préservée des convoitises médiocres. Lamartine ! Et l’on rougit de savoir que des pamphlétaires l’ont accusé comme un autre politicien. Il est de ceux qui ne sont pas si nombreux dans les partis et qui ont le droit d’écarter la vilenie des soupçons rudement : « Non, non ! il n’est pas vrai que la politique soit de l’ambition toujours. C’est la petite, qui est de l’ambition ; la grande est du dévouement. Je ne conçois que la grande. Celle-là est patiente, comme l’idée qui la fait agir ! » Nous savons bien que Lamartine a mérité cet hommage. Seulement, s’il faut l’avouer, nous devinons qu’il se dévoue, et nous ne voyons guère l’objet de son dévouement ; nous ne voyons guère « l’idée » qui le fait agir. Il ne la possédait pas, son idée, quand il a commencé d’être un orateur. A quel moment l’a-t-il possédée ? La possédait-il enfin, parfaitement nette et avec l’assurance de l’efficacité la meilleure, à l’époque de ses plus glorieux triomphes, quand ses discours sont une étonnante musique et sont une dialectique merveilleuse qui lui amène toutes les âmes, les plus délicates et les moins fines, le jour par exemple de son chef-d’œuvre, ce discours relatif au retour des cendres impériales, où il ne réclame pas et ne refuse pas la loi proposée, où il hésite et montre plus d’ardeur entraînante que s’il n’hésitait pas, où il accomplit ce tour de force d’être sublime avec une opinion des plus embarrassées ? Possédait-il enfin son idée parfaitement nette, à l’heure qu’il devint, pour peu de temps, mais pour un temps, l’homme de qui dépend le sort d’un pays, le maître d’une révolution, le dictateur de la sagesse contraignant la folie ? Certes, il est, au balcon de l’Hôtel de Ville, un héros sans défaillance : et il s’impose avec génie. Mais, de ce déchaînement qu’il contient, qu’avait-il prévu ? et, de cette absurdité qu’il apaise, n’a-t-il rien favorisé ? Le
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contact des événemens l’avertit, bien tard. Il est supérieur à son imprudence : il a pourtant commis son imprudence.
Au cours de toute sa carrière politique, il s’efforce d’être un improvisateur. Il n’est que trop cet improvisateur, sinon de ses discours, au moins de son activité. Il a voulu être, il a été, de l’éloquence toute prête, de l’éloquence à la disposition des événemens et des velléités que les événemens susciteront en lui. Sa politique est, pour ainsi parler, postérieure à son éloquence. En bonne logique, et naïve, c’est le contraire qu’il fallait et qu’il faudrait toujours.
Mais il avait confiance dans ses velléités, parce qu’il ne doutait, et justement, ni de sa claire intelligence, ni de la probité de sa pensée, ni de sa vertu. Bref, il était et il serait l’orateur qu’un ancien définit : l’honnête homme, habile à prononcer des discours. Le souvenir de l’antiquité, de ses républiques éloquentes, animait un Lamartine et ses plus dignes contemporains. Ils se croyaient annoncés par Tacite : ''Is est orator, qui de omni quaestione pulchre, et ornate, et ad persuadendum apte dicere, pro dignilate rerum. ad utilitatem temporum cum voluptate audientium possit'' ; « l’orateur est le citoyen qui, sur tous sujets, prend la parole à merveille et tient des propos brillans, persuasifs, égaux à la circonstance, utiles, et fait plaisir à l’auditoire. » Ils négligeaient une remarque de Tacite, et redoutable, celle-ci : ''Est magna illa et notabilis eloquentia, alumna licentiae, quam stulti libertatem vocabant, comes
Lamartine, qui est orateur avant d’être homme d’État, se fie à ses vertus, je le disais. Et il se fie, en outre, à sa poésie. Il a beau dénigrer sa poésie, c’est elle qui lui fournit et son éloquence et même, dans la mesure où ce mot lui convient, sa politique. Au temps où on le taquine du nom de poète, son impatience l’exciterait à renier les ''Méditations'', Mais entendez-le quand il sait qu’il est un orateur et
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qu’il a transformé sa poésie en éloquence : « Ils proclament la majestueuse supériorité de l’expédient sur la pensée dans la conduite de ce bas monde. Que répondre ? L’expédient et la routine ont fait leurs preuves ; la pensée, moins
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l’humanité triomphe !
La même poésie, nous la retrouvons, quelques années plus tard. sous le second Empire, et à la veille d’une guerre, chez d’autres orateurs. A la tribune de la Chambre, ces orateurs invectivent contre les hommes d’État qui omettent d’affranchir tous les peuples et qui n’ont pas honte de veiller d’abord à l’intérêt de la France. Thiers a beau répliquer : « Soyons Français ! » les poètes de la politique se réclament de la Révolution, de l’évangile humain qu’elle a répandu par le monde, et fût-ce peut-être au détriment de la France. Thiers obstinément revendique pour la France la permission de refuser le suicide.
Cette poésie à laquelle Lamartine a prêté des accens magnifiques, on n’ignore pas ce qu’elle a fait, hélas ! en dépit de ses intentions. généreuses. On n’ignore pas où elle est tombée, où elle irait tomber encore si elle pouvait se relever.
Depuis un siècle, nous avons eu, dans notre pays malheureux, les plus éloquents orateurs, souvent les plus respectables et tout échauffés de la passion du bien public. Nous avons eu les orateurs de la Révolution, Mirabeau le plus extraordinaire de tous, et Vergniaud si harmonieux que M. Barthou lui compare Lamartine ; les orateurs de la Restauration, les orateurs de Juillet, les orateurs d’une époque où l’on entendit Berryer, Guizot, Thiers et Lamartine ; les orateurs de l’Empire, Emile Ollivier, Rouher, Jules Favre et le jeune Gambetta qui prélude ; et puis les orateurs de la République. Après ce long essai de tant d’éloquence, peut-être le silence est-il à tenter ; le silence qui, de longtemps, n’a pas eu l’occasion « de faire ses preuves. » Les orateurs diront que « la France s’ennuie, » de ne pas les entendre : mais elle aura, pour s’ennuyer, trop de besogne.
ANDRE BEAUNIER.
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