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{{Titre|Notre Jeunesse|[[Charles Péguy]]|1910}}
''Une
Je lui dis non vous comprenez. Ne vous excusez pas. Glorifiez-vous au contraire. Des lettres de Béranger, des lettres de Victor Hugo, il y en a plein la chambre. Nous en avons par-dessus la tête. Il y en a plein les bibliothèques et
Mais ce que nous voulons avoir, ''ce
▲''Une'' ''famille'' ''de'' ''républicains'' ''fouriéristes''. – '''les''' '''Milliet'''. – Après tant d'heureuses rencontres, après les cahiers de Vuillaume c'est une véritable bonne fortune pour nos ''cahiers'' que de pouvoir commencer aujourd'hui la publication de ces archives d'une famille républicaine. Quand M. Paul Milliet m'en apporta les premières propositions, avec cette inguérissable modestie des gens qui apportent vraiment quelque chose il ne manqua point de commencer par s'excuser, disant : Vous verrez. Il y a là dedans des lettres de Victor Hugo, de Béranger. (Il voulait par là s'excuser d'abord sur ce qu'il y avait, dans les papiers qu'il m'apportait, des ''documents'' sur les grands hommes, provenant de grands hommes, des documents ''historiques'', sur les hommes ''historiques'', et, naturellement, des documents inédits.) Il y a des lettres de la conquête de l'Algérie, de l'expédition du Mexique, de la guerre de Crimée. (Ou peut-être plutôt de la guerre d'Italie.) (Il voulait s'excuser par là, alléguer qu'il y avait, dans ces papiers, des documents ''historiques'', sur les grands événements de ''l'histoire'', provenant, venant directement des grands événements et naturellement des documents authentiques, et naturellement des documents inédits.) Je lui répondis non.
▲Je lui dis non vous comprenez. Ne vous excusez pas. Glorifiez-vous au contraire. Des lettres de Béranger, des lettres de Victor Hugo, il y en a plein la chambre. Nous en avons par-dessus la tête. Il y en a plein les bibliothèques et c'est même de cela (et pour cela) que les bibliothèques sont faites. C'est même de cela que les bibliothécaires aussi sont faits. Et nous autres aussi les amis des bibliothécaires. Nous en avons nous en avons nous en avons. On nous en publie encore tous les jours. Et quand il n'y en aura plus on en publiera encore. Parce que, dans le besoin, nous en ferons. Que dis-je, nous en faisons, on en fait. Et la famille nous aidera à en faire. Parce que ça fera toujours des droits d'auteur à toucher.
▲Mais ce que nous voulons avoir, ''ce'' ''que'' ''nous'' ''ne'' ''pouvons'' ''pas'' ''faire'', c'est précisément les lettres de gens qui ne sont pas Victor Hugo. Quinet, Raspail, Blanqui, – Fourier –, c'est très bien. Mais ce que nous voulons savoir, c'est exactement, c'est précisément quelles troupes avaient derrière eux, quelles admirables troupes, ces penseurs et ces chefs républicains, grands fondateurs de la République.
Voilà ce que nous voulons avoir, ce que nul ne peut faire, ce que nul ne peut controuver.
Sur les grands patrons, sur les chefs
Maintenant
Comment vivaient ces hommes qui furent nos ancêtres et que nous reconnaissons pour nos maîtres. Quels ils étaient profondément, communément, dans le laborieux train de la vie ordinaire, dans le laborieux train de la pensée ordinaire, dans
Comment travaillait ce peuple, qui aimait le travail, ''universus
On y verra ce que
On y verra ce que
On y verra ce que
Enfin tout ce que nous ne voyons plus
On y verra dans le tissu même ce que
Ces familles qui justement comptent pour nous parce qu'elles sont du tissu commun.
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Nous sommes les derniers. Presque les après-derniers. Aussitôt après nous commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s'en font gloire et orgueil.
Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin. Le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n'en remontre pas, de ceux à qui on n'en fait pas accroire. Le monde de ceux à qui on n'a plus rien à apprendre. Le monde de ceux qui font le malin. Le monde de ceux qui ne sont pas des dupes, des imbéciles. Comme nous. ''C'est
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Aujourd'hui la République est une thèse, acceptée, par les jeunes gens. Acceptée, refusée ; indifféremment ; cela n'a pas d'importance ; prouvée, réfutée. Ce qui importe, ce qui est grave, ce qui signifie, ce n'est pas que ce soit appuyé ou soutenu, plus ou moins indifféremment, c'est que ce soit une thèse.
C'est-à-dire, précisément, ''qu'il
Quand un régime est une thèse, parmi d'autres, (parmi tant d'autres), il est par terre. Un régime qui est debout, qui tient, qui est vivant, n'est pas une thèse.
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Nous tournant donc vers les jeunes gens, nous tournant d'autre part, nous tournant de l'autre côté nous ne pouvons que dire et faire, nous ne pouvons que leur dire : Prenez garde. Vous nous traitez de vieilles bêtes. C'est bien. Mais prenez garde. Quand vous parlez à la légère, quand vous traitez légèrement, si légèrement la République, vous ne risquez pas seulement d'être injustes, (ce qui n'est peut-être rien, au moins vous le dites, dans votre système, mais ce qui, dans notre système, est grave, dans nos idées, considérable), vous risquez plus, dans votre système, même dans vos idées vous risquez d'être sots. Pour entrer dans votre système, dans votre langage même. Vous oubliez, vous méconnaissez qu'ils y a eu une mystique républicaine ; et de l'oublier et de la méconnaître ne fera pas qu'elle n'ait pas été. Des hommes sont morts pour la liberté comme des hommes sont morts pour la foi. Ces élections aujourd'hui vous paraissent une formalité grotesque, universellement menteuse, truquée de toutes parts. Et vous avez le droit de le dire. Mais des hommes ont vécu, des hommes sans nombre, des héros, des martyrs, et je dirai des saints, – et quand je dis ''des
Mais il y a eu une élection. C'est le grand partage du monde, la grande élection du monde moderne entre l'Ancien Régime et la Révolution. Et il y a eu un sacré ballottage, Variot, Jean Variot. Il y a eu ce petit ballottage qui commença au moulin de Valmy et qui finit à peine sur les hauteurs de Hougoumont. D'ailleurs ça a fini comme toutes les affaires politiques, par une espèce de compromis, de cote mal taillée entre les deux partis qui étaient en présence.
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Vous nous parlez de la dégradation républicaine, c'est-à-dire, proprement, de la dégradation de la mystique républicaine en politique républicaine. N'y a-t-il pas eu, n'y a-t-il pas d'autres dégradations. Tout commence en mystique et finit en politique. Tout commence par ''la'' mystique, par une mystique, par sa (propre) mystique et tout finit par ''de
L'essentiel n'est pas, l'intérêt n'est pas, la question n'est pas que telle ou telle politique triomphe, mais que dans chaque ordre, dans chaque système chaque mystique, cette mystique ne soit point dévorée par la politique issue d'elle.
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Vous nous parlez toujours de la dégradation républicaine. N'y a-t-il point eu, par le même mouvement, n'y a-t-il point une dégradation monarchiste, une dégradation royaliste parallèle, complémentaire, symétrique, plus qu'analogue. C'est-à-dire, proprement parlant, une dégradation de la mystique monarchiste, royaliste en une certaine politique, issue d'elle, correspondante, en une, en la politique monarchiste, en la politique royaliste. N'avons-nous pas vu pendant des siècles, ne voyons-nous pas tous les jours les effets de cette politique. N'avons-nous pas assisté pendant des siècles à la dévoration de la mystique royaliste par la politique royaliste. Et aujourd'hui même, bien que ce parti ne soit pas au pouvoir, dans ses deux journaux principaux nous voyons, nous lisons tous les jours les effets, les misérables résultats d'une politique ; et même, je dirai plus, pour qui sait lire, un déchirement continuel, un combat presque douloureux, même à voir, même pour nous, un débat presque touchant, vraiment touchant entre une mystique et une politique, entre leur mystique et leur politique, entre la mystique royaliste et la politique royaliste, la mystique étant naturellement à ''l'Action
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Et alors il faut être juste, tout de même. Quand on veut comparer un ordre à un autre ordre, un système à un autre système, il faut les comparer par des plans et sur des plans du même étage. Il faut comparer les mystiques entre elles ; et les politiques entre elles. Il ne faut pas comparer une mystique à une politique ; ni une politique à une mystique. Dans toutes les écoles primaires de la République, et dans quelques-unes des secondaires, et dans beaucoup des supérieures on compare inlassablement la politique royaliste à la mystique républicaine. Dans ''l'Action
On ne s'entendra jamais. Mais c'est peut-être ce que demandent les partis.
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C'est peut-être le jeu des partis.
Nos maîtres de l'école primaire nous avaient masqué la mystique de l'ancienne France, la mystique de l'ancien régime, ils nous avaient masqué dix siècles de l'ancienne France. Nos adversaires d'aujourd'hui nous veulent masquer cette mystique d'ancien régime, cette ''mystique
''Et
Car le débat n'est pas, comme on le dit, entre l'Ancien Régime et la Révolution. L'Ancien Régime était un régime de l'ancienne France. La Révolution est éminemment une opération de l'ancienne France, La date discriminante n'est pas le premier janvier 1789, entre minuit et minuit une. La date discriminante est située aux environs de 1881.
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C'est ce que l'on verra, ce qui éclate avec une évidence saisissante dans les ''papiers'' de cette ''famille
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La réalité est beaucoup moins simple, beaucoup plus complexe et peut-être même beaucoup plus compliquée. La Révolution française fonda une tradition, amorcée déjà depuis un certain nombre d'années, une conservation, elle fonda un ordre nouveau. Que cet ordre nouveau ne valût pas l'ancien, c'est ce que beaucoup de bons esprits ont été amenés aujourd'hui à penser. Mais elle fonda certainement un ordre nouveau, non pas un désordre, comme les réactionnaires le disent. Cet ordre ensuite dégénéra en désordre(s), qui sous le Directoire atteignirent leur plus grande gravité. Dès lors si nous nommons, comme on le doit, ''restaurations'' les restaurations d'ordre, quel qu'il soit, d'un certain ordre, de l'un ou de l'autre ordre, et si nous nommons ''perturbations'' les introductions de désordre(s), le 18 Brumaire fut certainement une restauration (ensemble, inséparablement républicaine et monarchiste, ce qui lui confère un intérêt tout particulier, un ton propre, un sens propre, ce qui en fait une opération réellement très singulière, comparable à nulle autre, et qu'il faudrait étudier de près, à laquelle surtout il ne faut rien comparer dans toute l'histoire du dix-neuvième siècle français, et même et autant dans toute l'histoire de France, à laquelle enfin il ne faut référer, comparer nulle autre opération française, à laquelle on ne trouverait d'analogies que dans certaines opérations peut-être d'autres pays) ; (et surtout à qui il faut bien se garder de comparer surtout le 2 Décembre) ; 1830 fut une restauration, républicaine ; ah j'oubliais, on oublie toujours Louis XVIII ; la Restauration fut une restauration, monarchiste ; 1830 fut une restauration, républicaine ; 1848 fut une restauration républicaine, et une explosion de la mystique républicaine ; les journées de juin même furent une deuxième explosion, une explosion redoublée de la mystique républicaine ; au contraire le 2 Décembre fut une perturbation, une introduction d'un désordre, la plus grande perturbation peut-être qu'il y eut dans l'histoire du dix-neuvième siècle français ; il mit au monde, il introduisit, non pas seulement à la tête, mais dans le corps même, dans la nation, dans le tissu du corps politique et social un personnel nouveau, nullement mystique, purement politique et démagogique ; il fut proprement l'introduction d'une démagogie ; le 4 septembre fut une restauration, républicaine ; le 31 octobre, le 22 janvier même fut une journée républicaine ; le 18 mars même fut une journée républicaine, une restauration républicaine en un certain sens, et non pas seulement un mouvement de température, un coup de fièvre obsidionale, mais une deuxième révolte, une deuxième explosion de la mystique républicaine et nationaliste ensemble, républicaine et ensemble, inséparablement patriot(iqu)e ; les journées de mai furent certainement une perturbation et non pas une restauration, la République fut une restauration jusque vers 1881 où l'intrusion de la tyrannie intellectuelle et de la domination primaire commença d'en faire un gouvernement de désordre.
C'est en ce sens, et en ce sens seulement, que le 2 Décembre fut ''le
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Parlons plus simplement de ces grands hommes. Et moins durement. Leur politique est devenue un manège de chevaux de bois. Ils nous disent : Monsieur, vous avez changé, vous n'êtes plus à la même place. ''La
Il faut rendre d'ailleurs cette justice à ces malheureux qu'ils sont généralement très gentils avec nous, ''excepté'' la plupart de ''ceux
Ils ont raison. Et il faut bien que nous leur fassions cette Justice. C'est une espèce de coquetterie qu'ils ont, fort louable, une dilection, (un remords), une sorte de garantie intérieure qu'ils prennent, un regret qui leur vient, comme une réponse qu'ils font à un avertissement secret. Ceux qui sont intraitables, ceux qui sont bien fermés, ce ne sont que les anciens intellectuels devenus députés, notamment les anciens professeurs, nommément les anciens normaliens Ceux-là en veulent véritablement à la culture. Ils ont contre elle une sorte de haine véritablement démoniaque.
Il faut d'ailleurs bien faire attention Quand on parle de parti intellectuel et de l'envahissement de la domination du primaire il faut prendre garde. Il ne suffit pas de dire primaire, primaire. Il faut bien voir aujourd'hui que le primaire n'est pas tout, (tout entier), dans le primaire. Il s'en faut. Il n'est point tant dans le primaire. Il s'en faut, et ce n'est même pas là qu'il est le plus. Il faut prendre garde que c'est sans aucun doute dans le supérieur aujourd'hui qu'il y a le plus de primaire, de contamination primaire, de domination primaire. Pour moi j'ai la conviction qu'il se distribue beaucoup plus de véritable culture aujourd'hui même encore, dans la plupart des écoles primaires, dans la plupart des écoles des villages de France, entre les carrés de vignes, à l'ombre des platanes et des marronniers, qu'il ne s'en distribue entre les quatre murs de la Sorbonne. Voici quelle est à peu près aujourd'hui, dans la réalité, la hiérarchie des trois enseignements : Un très grand nombre d'instituteurs encore, même radicaux et radicaux-socialistes, même francs-maçons, même libre-penseurs professionnels, pour toutes sortes de raisons de situation et de race continuent encore d'exercer, généralement à leur insu, dans les écoles des provinces et même des villes un certain ministère de la culture. Ils sont encore, souvent malgré eux, des ministres, des maîtres de la distribution de la culture. Ils exercent cet office. L'enseignement secondaire donne un admirable exemple, fait un admirable effort pour maintenir, pour (sauve)garder, pour défendre contre l'envahissement de la barbarie cette culture antique, cette culture classique dont il avait le dépôt, dont il garde envers et contre tout la tradition. C'est un spectacle admirable que (celui que) donnent tant de professeurs de l'enseignement secondaire, pauvres, petites gens, petits fonctionnaires, exposés à tout, sacrifiant tout, luttant contre tout, résistant à tout pour défendre leurs ''classes''. Luttant contre tous les pouvoirs, les autorités temporelles, les puissances constituées. Contre les familles, ces électeurs, contre l'opinion ; contre le proviseur, qui suit les familles, qui suivent l'opinion ; contre ''les
Je citerais cent cinquante professeurs de l'enseignement secondaire qui font tout ce qu'ils peuvent, et même plus, pour essayer seulement de sauvegarder un peu, dans ce vieux pays, un peu de bon goût, un peu de tenue, un peu d'ancien goût, un peu des anciennes mœurs de l'esprit, un peu de ce vieil esprit de la liberté de l'esprit.
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Les instituteurs ne font point tant partie du parti intellectuel. Ni tant qu'ils le croient. Ni tant qu'ils le voudraient bien. Ils ont tant d'autres attaches encore dans le pays réel, quoi qu'ils fassent. Ils sont beaucoup plus les agents de la culture qu'ils ne le voudraient. Les professeurs de l'enseignement secondaire n'en font pour ainsi dire aucunement partie, excepté les politiciens, les quelques-uns qui ont chauffé leur avancement, leur rapide acheminement sur Paris. Autrement, pour tout le reste, pour tous les autres, pour tout le corps, on peut dire, il faut dire que l'enseignement secondaire, tout démantelé qu'il soit, tout défait que l'on l'ait fait, est encore la citadelle, le réduit de la culture en France.
On fait quelquefois grand état, dans le supérieur, au moins dans le commencement, dois-je dire pour épater les nouveaux, les jeunes gens, de ce que les professeurs de l'enseignement secondaire font des ''classes'', tandis que messieurs les maîtres et professeurs de l'enseignement supérieur ''au
Ceux qui sont acharnés surtout, comme parti politique, comme parti intellectuel, ceux qui sont forcenés, ce sont ces jeunes gens qui passent directement de l'ancienne et de la nouvelle École Normale au Parti Socialiste Unifié. Les dernières élections viennent de nous envoyer encore tout un paquet de ces jolis garçons. Les ''enfants
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Au point de rebroussement il ne faut rien garder de la vieille analyse, de la vieille idée. De l'habitude Il faut être prêt à recommencer, il faut recommencer ''de
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Quand nos instituteurs comparent incessamment la mystique républicaine à la politique royaliste et quand tous les matins nos royalistes comparent la mystique royaliste à la politique républicaine, ils font, ils commettent le même manquement, deux manquements mutuellement complémentaires, deux manquement mutuellement contraires, mutuellement inverses, mutuellement réciproques, deux manquements contraires, le même, un manquement conjugué ; ensemble ils manquent à la justice et à la justesse ensemble.
Une première conséquence de cette distinction, une première application de ce reconnaissement, de ce discernement, de cette redistribution, c'est que les mystiques sont beaucoup moins ennemies entre elles que les politiques, et qu'elles le sont tout autrement. Il ne faut donc pas faire porter aux mystiques la peine des dissensions, des guerres, des inimitiés politiques, il ne faut pas reporter sur les mystiques la malendurance des politiques. Les mystiques sont beaucoup moins ennemies entre elles que les politiques ne le sont entre elles. Parce qu'elles n'ont point comme les politiques à se partager sans cesse une matière, temporelle, un monde temporel, une puissance temporelle incessamment limitée. Des dépouilles temporelles. Des dépouilles mortelles. Et quand elles sont ennemies, elles le sont tout autrement, à une profondeur infiniment plus essentielle, avec une noblesse infiniment plus profonde. Par exemple jamais la mystique civique, la mystique antique, la mystique de la cité et de la supplication antique ne s'est opposée, n'a pu s'opposer à la mystique du salut comme la politique païenne s'est opposée à la politique chrétienne ; aussi grossièrement, aussi bassement, aussi temporellement, aussi mortellement que les empereurs païens se sont opposés aux empereurs chrétiens, et réciproquement. Et la mystique du salut aujourd'hui ne peut pas s'opposer à la mystique de la liberté comme la politique cléricale s'oppose par exemple à la politique radicale. Il est aisé d'être ensemble bon chrétien et bon citoyen, ''tant
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Il faut donc le dire, et le dire avec solennité : ''l'affaire
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Pour moi si ayant achevé une œuvre infiniment plus grave je viens à l'âge des ''Confessions'', qui est, comme on sait, cinquante ans révolus, à neuf heures du matin, c'est ce que je me proposerai certainement d'y représenter. J'essaierai, reprenant, achevant mon ancienne ''décomposition
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Sans doute les ''apparences'' donneraient raison à Halévy, les apparents seraient pour lui. Je veux dire que si l'on (ne) considère (que) les dreyfusistes apparents, les hommes en vue, journalistes, publicistes, conférenciers, Universités Populaires, parlementaires, candidats, hommes politiques, tout ce qui parle et tout ce qui cause, tout ce qui écrit et tout ce qui publie, l'immense majorité des hommes en vue, la presque totalité des ''apparents'' s'empressèrent d'entrer dans les démagogies dreyfusistes, je veux dire dans les démagogies politiques issues de la mystique dreyfusiste. Mais ce que je conteste précisément, ce que je nie, c'est que ceux qui sont ''apparents'' pour l'histoire (et que l'histoire, en retour, saisit avec tant d'empressement) aient une grande importance dans les profondeurs de la réalité. Atteignant donc à des réalités profondes, seules importantes, je prétends que ''tous'' les dreyfusistes mystiques sont demeurés dreyfusistes, qu'ils sont demeurés mystiques, et qu'ils sont demeurés les mains pures. Qu'importe que tous les ''apparents'', tous les ''phénomènes'', tous les officiels, tous les avantageux aient abandonné, aient raillé, aient renié, aient trahi cette mystique pour la politique issue, pour toutes sortes de politiques, pour toutes les démagogies politiques. Cela, mon cher Halévy, vous l'avez dit vous-même : ''C'est
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La politique se moque de la mystique, mais c'est encore la mystique qui nourrit la politique même.
Car les politiques se rattrapent, croient se rattraper en disant qu'au moins ils sont pratiques et que nous ne le sommes pas. Ici même ils se trompent. Et ils trompent. Nous ne leur accorderons pas même cela. Ce sont les mystiques qui sont même pratiques et ce sont les politiques qui ne le sont pas. C'est nous qui sommes pratiques, ''qui
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Je le disais précisément à Isaac pendant les vacances de Pâques. Nous déjeunions ensemble, une fois par an. Je lui disais : Vous croyez, vous dites que nous sommes purs, que nous avons les mains pures Vous le croyez, vous le dites. Mais vous ne savez pas ce que vous dites. Vous ne pouvez pas mesurer ce que vous croyez. Il faut vivre à Paris, dans ce que l'on a fait de la République, pour savoir, pour mesurer ce que c'est que d'être pur.
J'ai la certitude en effet que nos amis de province nous font confiance. Mais ils ne peuvent pas savoir, ils ne peuvent pas soupçonner ''de
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Il y a une politique juive. Pourquoi le nier. Ce serait le contraire au contraire qui serait suspect. Elle est sotte, comme toutes les politiques. Elle est prétentieuse, comme toutes les politiques. Elle est envahissante, comme toutes les politiques. Elle est inféconde, comme toutes les politiques. Elle fait les affaires d'Israël comme les politiciens républicains font les affaires de la République. Elle est surtout occupée, comme toutes les politiques, à étouffer, à dévorer, à supprimer sa propre mystique, la mystique dont elle est issue. Et elle ne réussit guère qu'à cela.
Loin donc qu'il faille considérer l'affaire Dreyfus comme une combinaison, politique, un agencement, comme une opération de la politique juive, il faut ''au
Ils ont tant fui, tant et de telles fuites, qu'ils savent le prix de ne pas fuir. Campés, entrés dans les peuples modernes, ils voudraient tant s'y trouver bien. Toute la politique d'Israël est de ne pas faire de bruit, dans le monde (on en a assez fait), d'acheter la paix par un silence prudent. Sauf quelques écervelés prétentieux, que tout le monde nomme, de se faire oublier. Tant de meurtrissures lui saignent encore. Mais toute la mystique d'Israël est qu'Israël poursuive dans le monde sa retentissante et douloureuse mission. De là des déchirements incroyables, les plus douloureux antagonismes intérieurs qu'il y ait eu peut-être entre une mystique et une politique. Peuple de marchands. Le même peuple de prophètes. Les uns savent pour les autres ce que c'est que des calamités.
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Les uns savent pour les autres ce que c'est que des ruines ; toujours et toujours des ruines ; un amoncellement de ruines ; habiter, passer dans un peuple de ruines, dans une ville de ruines.
Je connais bien ce peuple. Il n'a pas sur la peau un point qui ne soit pas douloureux, où il n'y ait un ancien bleu, une ancienne contusion, une douleur sourde, la mémoire d'une douleur sourde, une cicatrice, une blessure, une meurtrissure d'Orient ou d'Occident. Ils ont les leurs, et toutes celles des autres. Par exemple on a meurtri ''comme
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Ils se méfiaient. Prévoyaient-ils ce tumulte énorme, cet énorme ébranlement. On ne prévoit jamais tout. En tout cas ils n'aiment pas soulever des tumultes.
Quand donc la famille de M. Dreyfus, pour obtenir une réparation individuelle, envisageait un chambardement total de la France, et d'Israël, et de toute la chrétienté, non seulement elle allait contre la politique française, mais elle n'allait pas moins contre la politique juive qu'elle n'allait évidemment contre la politique cléricale. Une mystique peut aller contre toutes les politiques ''à
Ils reconnaissent l'épreuve avec un instinct admirable, avec un instinct de cinquante siècles. Ils reconnaissent, ils saluent le coup. C'est encore un coup de Dieu. La ville encore sera prise, le Temple détruit, les femmes emmenées. Une captivité vient, après tant de captivités. De longs convois traîneront dans le désert. Leurs cadavres jalonneront les routes d'Asie. Très bien, ils savent ce que c'est. Ils ceignent leurs reins pour ce nouveau départ. Puisqu'il faut y passer ils y passeront encore. Dieu est dur, mais il est Dieu. Il punit, et il soutient. Il mène. Eux qui ont obéi, impunément, à tant de maîtres extérieurs, temporels, ils saluent enfin le maître de la plus rigoureuse servitude, le Prophète, le maître intérieur.
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Le prophète, en cette grande crise d'Israël et du monde, fut Bernard-Lazare. Saluons ici l'un des plus grands noms des temps modernes, et après Darmesteter l'un des plus grands parmi les prophètes d'Israël. Pour moi, si la vie m'en laisse l'espace, je considérerai comme une des plus grandes récompenses de ma vieillesse de pouvoir enfin fixer, restituer le portrait de cet homme extraordinaire.
J'avais commencé d'écrire un ''portrait
La méconnaissance des prophètes par Israël et pourtant la conduite d'Israël par les prophètes, c'est toute l'histoire d'Israël.
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Quand le prophète passe, Israël croit que c'est un publiciste. Qui sait, peut-être un sociologue.
Si on pouvait lui faire une situation en Sorbonne. Ou plutôt à l'École (''pratique'' ( ?) ( !) des Hautes Études. Quatrième section. Ou cinquième. Ou troisième. Enfin section des '''sciences''' ''religieuses''. À la Sorbonne, ''au
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Car il était mort avant d'être mort. Israël une fois de plus, Israël poursuivait ses destinées temporellement éternelles. Il est extrêmement remarquable que le seul journal où on ait jamais traité dignement notre ami, je veux dire selon sa dignité, selon sa grandeur, selon sa mesure, dans son ordre de grandeur, où on l'ait traité en ennemi sans doute, violemment, âprement, comme un ennemi, mais enfin à sa mesure, où on l'ait considéré à la mesure de sa grandeur, où on ait dit, en termes ennemis, mais enfin où on ait dit combien il aimait Israël et combien il était grand fut ''la
Les autres, les nôtres se taisaient dès avant sa mort, se sont tus depuis avec un soin honteux, avec une perfection, avec une patience, avec une réussite extraordinaire.
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C'étaient les politiciens, c'était la politique même qui avait honte de soi devant la mystique.
Combien de fois n'ai-je pas monté cette rue de Florence. Il y a pour tous les quartiers de Paris non seulement une personnalité constituée, mais cette personnalité a une histoire comme nous. Il n'y a pas bien longtemps et pourtant tout date. Déjà. Le propre de l'histoire, c'est ce changement même, cette ''génération
''Change
On demeurait alors dans ce haut de Paris où personne aujourd'hui ne demeure plus. On bâtit tant de maisons partout, boulevard Raspail. M. Salomon Reinach devait demeurer encore 36 ou ''38'' rue de Lisbonne. Ou un autre numéro. Mais enfin Bernard-Lazare y passait, y pouvait passer comme en voisin, en passant. Le quartier Saint-Lazare. La rue de Rome et la rue de Constantinople. Tout le quartier de l'Europe. Toute l'Europe. Des résonances de noms qui secrètement flattaient leur besoin de voyager, leur aisance à voyager, leur résidence européenne. Un quartier de gare qui flattait leur besoin de chemin de fer, leur goût du chemin de fer, leur aisance en chemin de fer. Tout le monde a déménagé. Quelques-uns dans la mort. Et même beaucoup. Zola demeurait rue de Bruxelles, 81 ou 81 ''bis'' ou 83 rue de Bruxelles. ''Première
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Il revenait vers nous comme par sa pente naturelle. Il était comme sacré, c'est-à-dire qu'on le comptait pour son compte, on le mesurait à sa mesure, on le prisait à sa valeur et en même temps et surtout on ne voulait plus entendre parler de lui. Tout le monde le taisait. Ceux qu'il avait sauvés le taisaient plus obstinément, plus silencieusement que tous, l'enfonçaient dans un silence plus sourd, plus obstiné. Quelques-uns, dans la criminelle pénombre de l'arrière-pensée, commençaient à laisser se penser en eux qu'il était peut-être bien heureux, qu'il mourait peut-être juste à temps pour sa gloire. Quelques-uns le pensaient peut-être, quelques-uns le pensaient sans doute. Le fait est, il faut lui rendre cette justice, qu'il mourait opportunément ; commodément pour beaucoup. Presque pour tout le monde. Quelques personnes qu'il avait fait abonner aux cahiers pendant la crise de l'affaire Dreyfus attendaient impatiemment qu'il mourût pour nous envoyer leur désabonnement, se débarrasser de cet énorme tribut de vingt francs par an qu'il leur avait imposé ''pendant
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Je vois encore sur moi son regard de myope, si intelligent et ensemble si bon, d'une si invincible, si intelligente, si éclairée, si éclairante, si lumineuse douceur, d'une si inlassable, si renseignée, si éclairée, si désabusée, si incurable bonté. Parce qu'un homme porte un binocle bien planté sur un nez gras barrant, vitrant deux bons gros yeux de myope, le moderne ne sait pas reconnaître, il ne sait pas voir le regard, le feu allumé il y a cinquante siècles. Mais moi je l'ai approché. Seul j'ai vécu dans son intimité et dans sa confidence. Il fallait écouter, il fallait voir cet homme qui naturellement se croyait un moderne. Il fallait regarder ce regard, il fallait entendre cette voix. Naturellement il était très sincèrement athée. Ce n'était pas alors la métaphysique dominante seulement, c'était la métaphysique ambiante, celle que l'on respirait, une sorte de métaphysique climatérique, atmosphérique ; qui allait de soi, comme d'être bien élevé ; et en outre il était entendu, positivement, scientifiquement, victorieusement, que ce n'était pas, qu'elle n'était pas une métaphysique ; il était positiviste, scientificiste, intellectuel, moderne, enfin tout ce qu'il faut ; surtout il ne voulait pas entendre parler de métaphysique(s). Un de ses arguments favoris, celui qu'il me servait toujours, était qu'Israël étant de tous les peuples celui qui croyait le moins en Dieu, c'était évidemment celui qu'il serait le plus facile de débarrasser des anciennes superstitions ; et ainsi ce serait celui qui montrerait la route aux autres. L'excellence des Juifs était selon lui, venait de ce qu'ils étaient comme d'avance les plus libres penseurs. même avec un trait d'union. Et là-dessous, et là-dedans un cœur qui battait à tous les échos du monde, un homme qui sautait sur un journal et qui sur les quatre pages, sur les six, huit, sur les douze pages d'un seul regard comme la foudre saisissait une ligne et dans cette ligne il y avait le mot Juif, un être qui rougissait, palissait, un vieux journaliste, un routier du journal(isme) qui blêmissait sur un écho qu'il trouvait dans ce journal, sur un morceau d'article, sur un filet, sur une dépêche, et dans cet écho, dans ce journal, dans ce morceau d'article, dans ce filet, dans cette dépêche il y avait le mot Juif ; un cœur qui saignait dans tous les ghettos du monde, et peut-être encore plus dans les ghettos rompus, dans les ghettos diffus, comme Paris, que dans les ghettos conclus, dans les ghettos forclus ; un cœur qui saignait en Roumanie et en Turquie, en Russie et en Algérie, en Amérique et en Hongrie partout où le Juif est persécuté, c'est-à-dire, en un certain sens, partout ; un cœur qui saignait en Orient et en Occident, dans l'Islam et en Chrétienté ; un cœur qui saignait en Judée même, et un homme en même temps qui plaisantait les Sionistes ; ainsi est le juif ; un tremblement de colère, et c'était pour quelque injure subie dans la vallée du Dniepr. Aussi ce que nos Puissances ne voulaient pas savoir, qu'il fût le prophète, le juif, le chef, – le dernier colporteur juif le savait, le voyait, le plus misérable juif de Roumanie. Un tremblement, une vibration perpétuelle. Tout ce qu'il faut pour mourir à quarante ans. Pas un muscle pas un nerf qui ne fût tendu pour une mission secrète, perpétuellement vibré pour la mission. Jamais homme ne se tint à ce point chef de sa race et de son peuple, responsable pour sa race et pour son peuple. Un être perpétuellement tendu. Une arrière-tension, une sous-tension inexpiable. Pas un sentiment, pas une pensée, pas l'ombre d'une passion qui ne fût tendue, qui ne fût commandée par un commandement vieux de cinquante siècles, par le commandement tombé il y a cinquante siècles ; toute une race, tout un monde sur les épaules, une race, un monde de cinquante siècles sur les épaules voûtées ; sur les épaules rondes, sur les épaules lourdes ; un cœur élevé de feu, du feu de sa race, consumé du feu de son peuple ; le feu au cœur, une tête ardente, ''et
Quand je viens en relation avec quelqu'un de nos anciens adversaires (c'est un phénomène de plus en plus fréquent, inévitable, désirable même, car il faut bien qu'un peuple se refasse, et se refasse de toutes ses forces), je commence par lui dire : Vous ne nous connaissez pas. Vous avez le droit de ne pas nous connaître. Nos politiciens ont fait une telle ''Foire
La seule différence qu'il y a, c'est qu'on ne nous lisait point ; et que l'on commence à nous lire.
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C'est pour cela que je veux bien qu'il y ait une ''apologie
Je ne redoute rien tant que ceci : qu'on me défende.
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Quand de loin en loin je viens en relation avec quelqu'un de ces anciens adversaires, je lui dis : Vous ne nous connaissez pas. Vous ne nous soupçonnez peut-être pas. Vous en avez le droit. Tant des nôtres ne nous connaissent pas. Nos politiciens ont tout fait pour nous dérober à vous, pour nous masquer à vous, pour nous désavouer, pour nous renier, pour nous trahir, notre mystique et nous. Il est tout naturel que placés en face d'eux dans la bataille vous n'ayez vu que le dessus, la politique, qui se manifestait, et que vous ne nous ayez pas vus, que vous n'ayez pas vu le dessous, les profondeurs, qui nourrissaient. Vous avez vu les manifestations et pendant que nous suivions les règles de notre honneur vous n'avez pas vu les forces. C'est la loi même du combat. Aujourd'hui vous ne pouvez pas tout lire. En arrière, en remontant. Vous ne pouvez pas tout nous connaître. On ne se rattrape pas, on ne se refait pas, on ne se remet pas de dix, douze ou quinze ans. Prenez seulement ceci. Et alors je leur donne ou je leur envoie un exemplaire du III-21, Jean Deck, ''pour
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Il faut penser que, notamment dans cette ''consultation'', qui fut littéralement son testament mystique, il ne s'opposait pas seulement au combisme, qui fut l'abus, la démagogie du système. Il s'était opposé, non moins vigoureusement, au waldeckisme, qui en était censément l'usage et la norme. Il n'était point allé seulement à l'abus, mais il était remonté à la racine même de l'usage. Il était allé, il était remonté à la racine, jusqu'à la racine. Naturellement, d'un mouvement, d'une requête, d'une réquisition naturelle, comme tout homme de pensée profonde. Il avait discerné l'effet dans la cause, l'abus dans l'usage. Il faut penser donc qu'il s'était opposé, de toutes ses forces, de tout ce qui lui restait de forces, non point au développement seulement, et aux promesses de développement mais à l'origine même, au principe de la ''politique'' dreyfusiste. Il faut relire ce dossier, cette consultation, cette adjuration éloquente à Jaurès, presque cette mise en demeure, certainement déjà cette menace.
Il faut penser que c'était un homme, j'ai dit très précisément un prophète, pour qui tout l'appareil des puissances, la raison d'État, les puissances temporelles, les puissances politiques, les autorités de tout ordre, politiques, intellectuelles, mentales même ne pesaient pas une once devant une révolte, devant un mouvement de la conscience propre. On ne peut même en avoir aucune idée. Nous autres nous ne pouvons en avoir aucune idée. Quand nous nous révoltons contre une autorité, quand nous marchons contre les autorités, au moins nous les soulevons. Enfin nous en sentons le poids. Au moins en nous. Il faut au moins que nous les soulevions. Nous savons, nous sentons que nous marchons contre elles et que nous les soulevons. Pour lui elles n'existaient pas. Moins que je ne vous dis. Je ne sais même pas comment représenter à quel point il méprisait les autorités, temporelles, comment il méprisait les puissances, comment en donner une idée. Il ne les méprisait même pas. Il les ignorait, et même plus. Il ne les voyait pas, il ne les considérait pas. Il était myope. Elles n'existaient pas pour lui. Elles n'étaient pas de son grade, de son ordre de grandeur, de sa grandeur. Elles lui étaient totalement étrangères. Elles étaient pour lui moins que rien, égales à zéro. Elles étaient comme des dames qui n'étaient point reçues dans son salon. Il avait pour l'autorité, pour le commandement, pour le gouvernement, pour la force, temporelle, pour l'État, pour la raison d'État, pour les messieurs habillés d'autorité, vêtus de raison d'État une telle haine, une telle aversion, un ressentiment constant tel que cette haine les annulait, qu'ils n'entraient point, qu'ils n'avaient point l'honneur d'entrer dans son entendement. Dans cette affaire des congrégations, de cette loi des congrégations, ou plutôt de ces lois successives et de l'application de cette loi, où il était si évident que le gouvernement de la République, sous le nom de gouvernement Combes, manquait à tous les engagements que sous le nom de gouvernement Waldeck il avait pris, dans cette affaire, cette autre affaire, cette nouvelle affaire où il était si évident que le gouvernement faussait la parole d'un gouvernement et par conséquent du gouvernement, faussait enfin la parole de l'État, s'il est permis de mettre ces deux mots ensemble, Bernard-Lazare avait jugé naturellement qu'il fallait acquitter la parole de la République. Il avait jugé qu'il fallait que la République tint sa parole. Il avait jugé qu'il fallait appliquer, interpréter la loi comme le gouvernement, les deux Chambres, l'État enfin avaient promis de la faire appliquer, s'étaient engagés à l'appliquer, à l'interpréter eux-mêmes. Avaient promis qu'on l'appliquerait. Cela était pour lui l'évidence même. La Cour de Cassation, naturellement aussi, n'hésita point à se ranger à l'avis (de ces messieurs) du gouvernement. Je veux dire du deuxième gouvernement. Un ami (comme on dit) vint lui dire, triomphant : ''Vous
Deuxièmement il avait certainement une sympathie secrète, une entente intérieure avec les autres puissances spirituelles. Sa haine de l'État, du temporel se retrouvait là tout entière. ''On
D'une manière générale il n'aimait pas, il ne pouvait pas supporter que le temporel se mêlât du spirituel. Tous ces appareils temporels, tous ces organes, tous ces appareils de levage lui paraissaient infiniment trop grossiers pour avoir le droit de mettre leur patte grossière non seulement dans les droits mais même dans les intérêts spirituels. Que des organes aussi grossiers que le gouvernement, la Chambre, l'État, le Sénat, aussi étrangers à tout ce qui est spirituel, missent les doigts de la main dans le spirituel c'était pour lui non pas seulement une profanation grossière, mais plus encore, un exercice de mauvais goût, un abus, l'exercice, l'abus d'une singulière incompétence. Il se sentait au contraire une secrète, une singulière complicité de compétence spirituelle au besoin avec le pape.
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Si on l'avait suivi, si on avait au moins suivi son enseignement et son exemple, si on avait continué dans son sens, si on avait seulement suivi le respect que l'on devait à sa mémoire, aujourd'hui la révision même du procès Dreyfus ne serait pas en danger ''comme
Aussi nous avons vu son enterrement. Je dirai quel fut son enterrement. Qui nous étions, combien peu dans ce cortège, dans ce convoi, dans cet accompagnement fidèle gris descendant et passant dans Paris. En pleines vacances. Dans ce mois d'août ou plutôt dans ce commencement de mois de septembre. Quelques-uns, les mêmes forcenés, les mêmes fanatiques, Juifs et chrétiens, quelques Juifs riches, très rares, quelques chrétiens riches, très rares, des Juifs et des chrétiens pauvres et misérables, eux-mêmes en assez petit nombre. Une petite troupe en somme, une très petite troupe. Comme une espèce de compagnie réduite qui traversait Paris. De misérables Juifs étrangers, je veux dire étrangers à la nationalité française, car il n'était pas un Juif roumain, je veux dire un Juif de Roumanie, qui ne le sût prophète, qui ne le tînt pour un véritable prophète. Il était pour tous ces misérables, pour tous ces persécutés, un éclair encore, un rallumage du flambeau qui éternellement ne s'éteindra point. Temporellement éternellement. Et comme toutes ces marques mêmes sont de famille, comme tout ce qui est d'Israël est de race, comme ces chose-là restent dans les familles, comment ne pas se rappeler, comment ne point voir cet ancien enterrement quand on voyait si peu de monde, il y a quelques semaines encore, à l'enterrement de sa mère. Relativement peu de monde. Et pourtant ils connaissaient beaucoup de monde. Je dirai sa mort, et sa longue et sa cruelle maladie, et tout le lent et si prompt acheminement de sa mort. Cette sorte de maladie féroce. Comme acharnée. Comme fanatique. Comme elle-même forcenée. Comme lui. Comme nous. Je ne sais rien de si poignant, de si saisissant, je ne connais rien d'aussi tragique que cet homme qui se roidissant de tout ce qui lui restait de force se mettait en travers de son parti victorieux. Qui dans un effort désespéré, où il se brisait lui-même, essayait, entreprenait de remonter cet élan, cette vague, ce terrible élan, l'insurmontable élan de la victoire et des abus, de l'abus de la victoire. Le seul élan qu'on ne remontera jamais. L'insurmontable élan de la victoire acquise. De la victoire faite. De l'entraînement de la victoire. L'insurmontable, le mécanique, l'automatique élan du jeu même de la victoire. Je le revois encore dans son lit. Cet athée, ce professionnellement athée, cet officiellement athée en qui retentissait, avec une force, avec une douceur incroyable, la parole éternelle ; avec une force éternelle ; avec une douceur éternelle ; que je n'ai jamais retrouvée égale nulle part ailleurs. J'ai encore sur moi, dans mes yeux, l'éternelle bonté de ce regard infiniment doux, cette bonté non pas lancée, mais posée, renseignée. Infiniment désabusée ; infiniment renseignée ; infiniment insurmontable elle-même. Je le vois encore dans son lit, cet athée ruisselant de la parole de Dieu. Dans la mort même tout le poids de son peuple lui pesait aux épaules. Il ne fallait point dire qu'il n'en était point responsable. Je n'ai jamais vu un homme ainsi chargé, aussi chargé d'une charge, d'une responsabilité éternelle. Comme nous sommes, comme nous nous sentons chargés de nos enfants, de nos propres enfants dans notre propre famille, tout autant, exactement autant, exactement ainsi il se sentait chargé de son peuple. Dans les souffrances les plus atroces il n'avait qu'un souci : que ses Juifs de Roumanie ne fussent point omis artificieusement, pour faire réussir le mouvement, dans ce mouvement de réprobation que quelques publicistes européens entreprenaient alors contre les excès des persécutions orientales. Je le vois dans son lit. On montait jusqu'à cette rue de Florence ; si rive droite, pour nous, si loin du Quartier. Les autobus ne marchaient pas encore. On montait par la rue de Rome, ou par la rue d'Amsterdam, cour de Rome ou cour d'Amsterdam, je ne sais plus laquelle des deux se nomme laquelle, jusqu'à ce carrefour montant que je vois encore. Cette maison riche, pour le temps, où il vivait pauvre. Il s'excusait de son loyer, disant : J'ai un bail énorme sur le dos. Je ne sais pas si je pourrai sous-louer comme je le voudrais. Quand j'ai pris cet appartement-là, je croyais que je ferais un grand journal et qu'on travaillerait ici. J'avais des plans. Il en était loin, de faire un grand journal. Les journaux des autres se faisaient, des autres mêmes, à condition qu'il n'y fût pas. Je revois encore cette grande 3 chambre, rue de Florence, 5, (ou ''7'') rue de Florence, la chambre du lit, la chambre de souffrance, la chambre de couchée, la chambre d'héroïsme, (la chambre de sainteté), la chambre mortuaire. La chambre du lit d'où il ne se releva point. L'ai-je donc tant oublié moi-même que ce 5, (ou ce 7), ne réponde plus mécaniquement à l'appel de ma mémoire, que ce 5 et ce 7 se battent comme des chiffonniers dans le magasin de ma mémoire, que chacun s'essaye et fasse valoir se titres. Et pourtant j'y suis allé. Et nous disions familièrement entre nous : Est-ce que tu es allé rue de Florence. Dans la grande chambre rectangulaire, je vois le grand lit rectangulaire. Une, ou deux, ou trois grandes fenêtres rectangulaires donnaient de grand jours de gauche obliques rectangulaires ; tombant descendant lentement ; lentement penchés. Le lit venait du fond, non pas du fond opposé aux fenêtres où étaient les portes, et, je pense, les corridors, mais du fond qu'on avait devant soi quand on avait le fenêtres à gauche. De ce fond le lit venait bien a milieu, bien carrément, la tête au fond, jointe le fond, les pieds vers le milieu de la chambre. Lui-même juste au milieu de son lit, sur le dos, symétrique, comme l'axe de son lit, comme un axe d'équité. Les deux bras bien à gauche et à droite. C'étaient dans les derniers temps. La maladie approchait de sa consommation. Une profonde, une vigilante affection fraternelle, la diligence d'une affection fraternelle pensait déjà à lui faire, à lui préparer une mort qui ne fût point la consommation de cette cruauté, qui fût plus douce, un peu adoucie, qui n'eût point toute la cruauté, toute la barbarie de cette maladie forcenée. Qui ne fût point le couronnement de cette cruauté. On lui avait conté des histoires sur sa maladie, des histoires et des histoires. Qu'en croyait-il ? Il faisait, comme tout le monde, semblant de les croire. Qu'en croyait-il c'est le secret des morts. ''Morientium
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Je le regardais donc ce matin-là, 7, rue de Florence. Et je l'écoutais. J'étais assis au pied de son lit à gauche comme un disciple fidèle. Tant de douceur, tant de mansuétude dans une si cruelle situation me désarmait, me dépassait. Tant de douceur pour ainsi dire inexpiable. J'écoutais dans une piété, dans un demi-silence respectueux, affectueux, ne lui fournissant que le propos pour se soutenir. Le ''Beethoven'' de Romain Rolland venait de paraître. Nos abonnés se rappellent encore quelle soudaine révélation fut ce cahier, quel émoi il souleva d'un bout à l'autre, comme il se répandit soudainement, comme une vague, comme en dessous, pour ainsi dire instantanément, comme il fut soudainement, instantanément, dans une révélation, aux yeux de tous, dans une entente soudaine, dans une commune entente, non point seulement le commencement de la fortune littéraire de Romain Rolland, et de la fortune littéraire des cahiers, mais infiniment plus qu'un commencement de fortune littéraire, une révélation morale, soudaine, un pressentiment dévoilé, révélé, la révélation, l'éclatement, la soudaine communication d'une grande fortune morale. Mais tout ce mouvement se gonflait, n'avait pas encore eu le temps de se manifester. Le cahier, je le répète, venait tout juste de paraître. Bernard-Lazare me dit : ''Ah
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On pourrait même dire que l'affaire Dreyfus fut un ''beau
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Nous y déployâmes proprement les vertus, les qualités françaises, les vertus de la race : la vaillance claire, la rapidité, la bonne humeur, la constance, la fermeté, un courage opiniâtre, mais de bon ton, de belle tenue, de bonne tenue, fanatique à la fois et mesuré, forcené ensemble et pleinement sensé ; une tristesse gaie, qui est le propre du Français ; un propos délibéré ; une résolution chaude et froide ; une aisance, un renseignement constant ; une docilité et ensemble une révolte constante à l'événement ; une impossibilité organique à consentir à l'injustice, à prendre son parti de rien. Un délié, une finesse de lame. Une acuité de pointe. Il faut dire simplement que nous fûmes des héros. Et plus précisément des héros à la française. (La preuve, c'est que nous ne nous en sommes pas relevés, que nous ne nous en sommes pas retirés). (Toute notre vie peut-être nous serons des demi-soldes). Il faut bien voir en effet comment la question se posait. La question ne se posait nullement alors, pour nous, de savoir si Dreyfus était innocent ou coupable. Mais de savoir si on n'aurait pas le courage de le déclarer, de le savoir innocent.
Quand nous écrirons cette ''histoire
C'est pour cela que nos politiciens, que nos politiques furent les derniers des criminels, qu'ils furent des criminels au deuxième degré. S'ils n'avaient fait que leur politique, pour ainsi dire professionnellement, s'ils n'avaient fait qu'exercer leur métier de politiciens, ils pouvaient n'être coupables qu'au premier degré, criminels qu'au premier degré. Mais ils voulaient en même temps conserver tous les avantages de la mystique. Et c'est cela très précisément qui constitue le deuxième degré. Ils voulaient bien en même temps trahir la mystique et en même temps non pas seulement s'en réclamer, non pas seulement s'en revêtir et s'en servir et apparaître avec, mais continuer à l'exciter. Ils voulaient, ils entendaient jouer le double jeu, ils voulaient jouer ensemble les deux jeux contraires, et le mystique, et le politique, qui exclut le mystique, ils se préparaient à jouer le double jeu, ils entendaient jouer ensemble de ''leur'' politique et de ''notre'' mystique, cumuler les avantages de leur politique et de notre mystique, s'avantager ensemble de leur politique et de notre mystique, jouer toujours ensemble le temporel et l'éternel.
Jouer le temporel avec les puissants de ce monde et en même temps faire appel à la mystique et à l'argent des pauvres gens, puiser toujours dans le cœur et dans la bourse des pauvres gens. C'est ce qui fait que la responsabilité de Jaurès dans ce crime, dans ce double crime, dans ce crime au deuxième degré est culminante. Lui entre tous, lui au chef de l'opération il était un politicien comme les autres, pire que les autres, un retors entre les retors, un fourbe entre les fourbes ; mais lui il faisait semblant de n'être pas un politicien. De là sa nocivité culminante. De là sa responsabilité culminante. Quand les nationalistes, professionnels, disaient que nous étions ''le
Ce qui fait à Jaurès dans ce double crime, dans ce crime au deuxième degré, une responsabilité culminante, c'est que lui entre tous il était un politique, un politicien comme les autres et que lui il disait qu'il était un mystique. Il me chicanerait naturellement sur ce mot, car c'est un homme de marchandage, et de plus maquignon que je connaisse. Mais il sait très bien ce que nous voulons dire.
Par son passé universitaire, intellectuel, par son commencement de carrière universitaire, intellectuelle, par ses relations, par tout son ton, par le grand nombre, par le faisceau d'amitiés ''ardentes'' qui montaient vers lui et qu'il encourageait, complaisamment, qu'il excitait constamment à monter vers lui, amitié de pauvres, de petites gens, de professeurs, de nous, et qu'il récapitulait pour ainsi dire en lui, qu'il ramassait comme un foyer ramasse un faisceau de lumière et de chaleur, Jaurès faisait figure d'une sorte de professeur délégué dans la politique, mais qui n'était pas politique, d'un intellectuel, d'un philosophe (dans ce temps-là tous les agrégés de philosophie étaient philosophes, comme aujourd'hui ils sont tous sociologues). D'un homme qui travaillait, qui savait ce que c'est que de travailler. Qui avait un métier. Il faisait essentiellement figure d'un impolitique, d'un homme qui était comme chargé de nous représenter, de nous transmettre dans la politique. Au contraire c'était un politicien qui avait fait semblant d'être un professeur qui avait fait semblant d'être un intellectuel qui avait fait semblant de travailler et de savoir travailler, d'avoir un métier, qui avait fait semblant d'être des nôtres, qui avait fait semblant de tout. Quand les politiciens, quand ceux qui font métier et profession de la politique font leur métier, exercent leur profession, quand ils jouent, quand ils fonctionnent professionnellement, officiellement, sous leur nom, ceux qui sont connus comme tels, il n'y a rien à dire. Mais quand ceux qui font métier et profession d'être impolitiques font, sous ce nom, de la politique, il y a le double crime de ce détournement perpétuel. Faire de la politique et la nommer politique, c'est bien. Faire de la politique et la nommer mystique, prendre de la mystique et en faire de la politique, c'est un détournement inexpiable. Voler les pauvres, c'est voler deux fois. Tromper les simples, c'est tromper deux fois. Voler ce qu'il y a de plus cher, la croyance. La confidence. La confiance. Et Dieu sait si nous étions des âmes simples, des pauvres gens, des petites gens. C'est bien ce qui les fait rire aujourd'hui. ''Quels
Quoi de plus poignant que ce témoignage, que cette adjuration de Bernard-Lazare condamné, de Bernard-Lazare destiné, quoi de plus redoutable que ce témoignage, redoutable, par sa mesure même. ''Quand
Voilà l'homme, voilà l'ami que nous avons perdu. Pour un tel homme nous ne ferons jamais une apologie, nous ne souffrirons jamais qu'on en fasse une.
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Comment ne pas noter aussi son exact, son parfait, son réel internationalisme, Israël excepté, l'exactitude, l'aisance, l'allant de soi de son internationalisme, qui était beaucoup plus simple, beaucoup trop naturel, nullement appris, nullement forcé, nullement livresque, beaucoup trop aisé, beaucoup trop allant de soi pour jamais être un antinationalisme. Quand il parlait des Polonais pour les Bretons, ce n'était point un amusement, un rapprochement piquant. Ce n'était point un jeu d'esprit et pour jouer un bon tour. C'était naturellement qu'il voyait sur le même plan les Bretons et les Polonais. Il voyait vraiment la Chrétienté comme l'Islam, ce que nul de nous, même ceux qui le voudraient le plus, ne peut obtenir. Parce qu'ils était bien réellement également en dehors des deux. Vue, angle du regard que nul de nous ne peut obtenir. Au moment où on faisait, même et peut-être surtout autour de lui, tout ce que l'on pouvait humainement pour évincer ses Juifs de Roumanie, par politique pour ne pas compromettre, pour ne pas charger le mouvement arménien, et qu'il y voyait très clair, dans cet assourdissement, un vieil ami de Quartier venait de le quitter. Il me dit doucement, haussant doucement les épaules, comme il faisait, me le montrant pour ainsi dire des épaules, par-dessus le haut de ses épaules : Il ''veut
Comment ne pas noter enfin comme c'est bien écrit, posé, mesuré, clair, ''noble'', ''français''. ''Il
''Apologie
Notre socialisme même, notre socialisme antécédent, à peine ai-je besoin de le dire, n'était nullement antifrançais, nullement antipatriote, nullement antinational. Il était essentiellement et rigoureusement, exactement international. Théoriquement il n'était nullement antinationaliste. Il était exactement internationaliste. Loin d'atténuer, loin d'effacer le peuple, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Loin d'affaiblir, ou d'atténuer, loin d'effacer la nation, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Notre thèse était au contraire, et elle est encore, que c'est au contraire la bourgeoisie, le bourgeoisisme, le capitalisme bourgeois, le sabotage capitaliste et bourgeois qui oblitère la nation et le peuple. Il faut bien penser qu'il n'y avait rien de commun entre le socialisme d'alors, notre socialisme, et ce que nous connaissons aujourd'hui sous ce nom. Ici encore la politique a fait son œuvre, et nulle part autant qu'ici la politique n'a ''défait'', dénaturé la mystique. La politique, je dis la politique des politiques, professionnels, des politiciens, des politiques parlementaires. Mais plus encore, sans aucun doute, par l'invention, par l'intervention, par l'intercalation du sabotage, qui est une invention politique, au même titre que le vote, ''plus
Et qu'il ne pouvait nullement, aucunement être question que ce fût rien d'autre. Disons-le ; pour philosophe, pour tout homme philosophant notre socialisme était et n'était pas moins qu'une religion du salut temporel. Et aujourd'hui encore il n'est pas moins que cela. Nous ne cherchions pas moins que salut temporel de l'humanité par l'assainissement du monde ouvrier, par l'assainissement du travail et du monde du travail, par la restauration du travail et la dignité du travail, par un assainissement, par un réfection organique, moléculaire du monde du travail et par lui de tout le monde économique, industriel. C'est ce que nous nommons le monde industrie opposé au monde intellectuel et au monde politique au monde scolaire et au monde parlementaire ; c'est ce que nous nommons ''l'économie'' ; la morale de producteurs ; la morale industrielle ; le monde des producteurs ; le monde économique ; le monde ouvrier ; la structure (organique, moléculaire) économique, industrielle ; c'est ce que nous nommons l'industrie, le régime industriel ; c'est ce que nous nommons le régime de la production industrielle. Le monde intellectuel et le monde politique au contraire, le monde scolaire et le monde parlementaire vont ensemble. Par la restauration des mœurs industrielles, par l'assainissement de l'atelier industriel nous n'espérions pas moins, nous ne cherchions pas moins que le salut temporel de l'humanité. Ceux-là seuls s'en moqueront qui ne veulent pas voir que le christianisme même, qui est la religion du salut éternel, est embourbé dans cette boue, dans la boue des mauvaises mœurs économiques, industrielles ; que lui-même il n'en sortira point, qu'il ne s'en tirera point à moins d'une révolution économique, industrielle ; qu'enfin il n'y a point de lieu de perdition mieux fait, mieux aménagé, mieux outillé pour ainsi dire, qu'il n'y a point d'outil de perdition mieux adapté que l'atelier moderne.
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On mène aujourd'hui grand bruit, je vois qu'on fait un grand état de ce que depuis la séparation le catholicisme, le christianisme n'est plus la religion officielle, la religion d(e l)'État, de ce que, ainsi, l'Église est libre. Et on a raison en un certain sens. La position de l'Église est évidemment tout autre, tout à fait autre sous le nouveau régime. Sous toutes les duretés de la liberté, d'une certaine pauvreté, l'Église est autrement elle-même sous le nouveau régime. Jamais on n'obtiendra sous le nouveau régime des évêques aussi mauvais que les évêques concordataires. Mais il ne faut point exagérer non plus. Il ne faut pas se dissimuler que si l'Eglise a cessé de faire la religion officielle de l'État, elle n'a point cessé de faire la religion officielle de la bourgeoisie de l'État. Elle a perdu, elle a laissé politiquement, mais elle n'a guère perdu, elle n'a guère laissé socialement toutes les charges de servitude qui lui venaient de son officialité. C'est pour cela qu'il ne faut pas triompher. C'est pour cela que l'atelier lui est fermé, et qu'elle est fermée à l'atelier. Elle fait, elle est la religion officielle, la religion formelle du riche. Voilà ce que le peuple, obscurément ou formellement, très assurément sent très bien. Voilà ce qu'il voit. Elle n'est donc rien, voilà pourquoi elle n'est rien. Et surtout et elle n'est rien de ce qu'elle était, et elle est, devenue, tout ce qu'il y a de plus contraire à elle-même, tout ce qu'il y a de plus contraire à son institution. Et elle ne se rouvrira point l'atelier, et elle ne se rouvrira point le peuple à moins que de faire, elle aussi, elle comme tout le monde, à moins que de ''faire
C'est pour cela que lorsqu'on leur met sous les yeux la vieille chrétienté, quand on les met en face de ce que c'était dans la réalité qu'une paroisse chrétienne, une paroisse française au commencement du quinzième siècle, du temps qu'il y avait des paroisses françaises, quand on leur montre, quand on leur fait voir ce que c'était dans la réalité que la chrétienté, du temps qu'il y avait une chrétienté, ce que c'était qu'une grande sainte, la plus grande peut-être de toutes, du temps qu'il y avait une sainteté, du temps qu'il y avait une ''charité'', du temps qu'il y avait des saintes et des saints, tout un peuple chrétien, tout un monde chrétien, tout un peuple, tout un monde de saints et de pécheurs, aussitôt quelques-uns de nos catholiques modernes, modernes à leur insu, mais profondément modernes, jusque dans les moelles, intellectuels à leur insu et qui se vantent de ne pas l'être, intellectuels tout de même, profondément intellectuels, intellectuels jusqu'aux moelles, bourgeois et fils de bourgeois, rentiers et fils de rentiers, pensionnés du gouvernement, pensionnés de l'État, fonctionnaires, pensionnés des autres, des autres citoyens, des autres électeurs, des autres contribuables, et qui fort ingénieusement ont préalablement fait inscrire sur le Grand-Livre de la Dette Publique les assurances d'ailleurs modestes de leur pain quotidien, ainsi armés quelques-uns de ces contemporains catholiques, devant une soudaine révélation de l'antique, de la vieille, de la chrétienté ancienne se hâtent de pousser quelques cris, comme de pudeur outragée. Dans un besoin ils renieraient Joinville, comme trop grossier, comme trop peuple. ''Le
''Il
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Ainsi dans ce monde moderne tout entier tendu l'argent, tout à la tension à l'argent, cette tension à l'argent contaminant le monde chrétien même lui fait sacrifier sa foi et ses mœurs au maintien de sa paix économique et sociale.
C'est là proprement ce modernisme du cœur, modernisme de la charité, ce ''modernisme
Il y a deux sortes de riches : les riches ''athées'', qui ''riches'' n'entendent rien à la religion. Ils se sont donc mis à l'histoire ''des'' religions, et ils y excellent, (et d'ailleurs il faut leur faire cette justice qu'ils ont tout fait pour n'en point faire une histoire ''de
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Cela étant, il fut serrer de plus près, d'un peu plus près, il faut serrer au plus près cette affaire Hervé. Il faut bien voir ce que cela veut dire, ce qu'il y avait dedans. Et la serrant, il faut bien dire que ceux qui ont fait et endossé Hervé, fait et endossé le hervéisme sont ceux qui ont fait une atteinte mortelle, qui ont porté un coup incalculable, un coup mortel à la ''croyance
Car il faut enfin, en quelques mots, démonter le mécanisme de cette dangereuse, de cette démagogie mortelle. Il me semble bien, si ma mémoire est bonne, si mes souvenirs sont justes, que pendant toute l'affaire Dreyfus nous nous efforcions de démontrer que Dreyfus ''n'était
Les antidreyfusistes et nous les dreyfusistes nous parlions le même langage. Nous parlions sur le même plan. Nous parlions exactement le même langage patriotique. Nous parlions sur le même plan patriotique. Nous avions les mêmes prémisses, le même postulat patriotique. Qu'en fait eux ou nous nous fussions des meilleurs patriotes, c'était précisément l'objet du débat, mais que ce fût l'objet du débat, c'est précisément ce qui prouve que les uns et les autres nous étions patriotes. Qu'en droit, en intention ce fût l'objet du débat. Nous autres, de ce côté-ci, nous ne l'étions pas seulement sincèrement, nous l'étions profondément d'abord, d'autant plus qu'on nous le contestait. Nous l'étions ensuite frénétiquement, peut-être avec une sorte de rage, parce qu'on nous le niait publiquement, et surtout peut-être parce que notre situation géographique dans la carte mentale et sentimentale, parce que les circonstances, les événements historiques nous avaient plusieurs fois donné les apparences de ne pas l'être.
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Fondés sur le même postulat, partant du même postulat nous parlions le même langage. Les antidreyfusistes disaient : La trahison militaire est un crime et Dreyfus a trahi militaire. Nous disions : La trahison militaire est un crime et Dreyfus n'a pas trahi. Il est innocent de ce crime. Tout a changé de face depuis que Hervé est venu. La même conversation eut l'air de se poursuivre. L'affaire continue. Mais elle n'était plus la même affaire, la même conversation. Elle n'était plus la même. Elle en était une tout autre, infiniment autre, parce que le langage même était autre, infiniment autre parce que le plan même du débat n'était plus le même. Hervé est un homme qui dit : Il faut trahir. Nommément il faut trahir militairement.
Les antidreyfusistes professionnels disaient : Il ne faut pas être un traître et Dreyfus est un traître. Nous les dreyfusistes professionnels nous disions : Il ne faut pas être un traître et Dreyfus n'est pas un traître. Hervé est un qui dit, et Jaurès laisse dire à Hervé, et Dreyfus même laisse Jaurès laisser dire à Hervé, et en un sens, et en ce sens au moins Dreyfus même laisse dire à Jaurès même : ''Il
Nommément il faut être un traître militaire.
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Par cet entraînement de proche en proche, par cette sorte de dérapage de proche en proche, par cette dérivation, par ce détournement, par ce déglinguement Jaurès est entré dans le crime de Hervé ; par cette réversion, par cette réversibilité des responsabilités ; et de la plus basse façon que l'on y pût entrer, non point même par une complicité active, qui a ses risques, qui a son efficience, qui peut avoir même pour ainsi dire sa grandeur, mais obliquement, mais bassement, par une complicité tacite, sournoise, par une complicité de laisser faire et de laisser passer, par une complicité les yeux baissés. La plus basse de toutes. Et Dreyfus, faute de marquer les temps, est entré, s'est laissé entrer dans le crime Jaurès.
Quelle fut la répercussion de cette double dérivation, de cette double décadence, de ce double détournement, de ce détournement à deux temps sur l'efficacité de nos démonstrations dreyfusistes, il était aisé de le prévoir. Quand on s'efforce de démontrer qu'un homme n'est point un traître pensant profondément qu'il ''ne
Voilà ce que Hervé dirait, s'il était logique et s'il était libre. Voilà ce que les événements, ce que réalité dit pour lui. On voit assez quelle est pour nous la conséquence, quelle est sur notre situation historique la répercussion de ce changement de situation géographique. Quand je dis nous, naturellement, je veux dire notre parti, nos politiciens. Car il ne s'agit pas de nous mêmes. C'est un retour en arrière, une répercussion en arrière, une répercussion remontante, reportée en arrière, réversible, reversée, reportée sur tout ce que nous avions dit, sur tout ce que nous avions fait, sur tout ce que nous avions été. Quand nous repoussions l'accusation d'être un traître repoussant profondément l'idée même d'être un traître, on pouvait nous combattre, mais au moins nous nous faisions écouter. Quand au contraire nous repoussons l'accusation d'être un traître accueillant profondément l'idée d'être un traître, comment ne pas voir que nous devenons instantanément suspects. Que nous perdons l'audience même.
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Hervé même, qui fait tant le fendant depuis que ça lui rapporte, fût-ce des mois de prison, et des années, quatre années aujourd'hui, mais c'est toujours un rapport, Hervé au contraire, qui fait profession de tout dire, lui, et de n'avoir peur de rien, Hervé était au contraire d'une sorte de prudence consommée, même cauteleuse, il ne faut pas dire bretonne pendant tout le temps de son introduction. Tout eut été si simple, si direct, s'il nous eut dit directement : Mesdames et messieurs, citoyennes et citoyens, j'arrive de Sens. Vous voyez en moi le traître. Ce que Dreyfus n'a malheureusement pas été, je le suis. Ce que Dreyfus n'a malheureusement pas fait, je le veux faire, je suis venu à Paris pour le faire. ''Je
Comme le disaient nos maîtres, nos communs maîtres, j'ai ''renouvelé
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On peut se démentir en arrière. C'est même ce qui l'on fait le plus souvent. Dans la décomposition du dreyfusisme cette rétroaction, cette rétroversion fut au moins triple, elle fut peut-être quadruple. Par son endossement, par son invention, par son imposition du combisme Jaurès créa ''en
Nous fûmes des héros. Il faut le dire très simplement, car je crois bien qu'on ne le dira pas pour nous Voici très exactement en quoi et pourquoi nous fûmes des héros. Dans tout le monde où nous circulions dans tout le monde où nous achevions alors les année de notre apprentissage, dans tout le milieu où nous circulions, où nous opérions, où nous croissions encore et où nous achevions de nous former, la question qui se posait, pendant ces deux ou trois années de cette courbe montante, n'était nullement de savoir si ''en
Non plus seulement à la paix de la cité, à la paix du foyer. À la paix de la famille, à la paix du ménage. Mais à la paix du cœur.
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Les théoriciens de ''l'Action
Sur cette question historique particulière de l'origine de l'affaire Dreyfus quand je lis dans ''l'Action
Il obéit ainsi, il obéit ici à la plus grande illusion intellectuelle peut-être, je veux dire et à celle qui est la plus grande en nombre, en quotité, la plus nombreuse, à celle qui s'exerce le plus fréquemment, et à celle qui est la plus grande en quantité, dont l'effet est le plus grand, et plus grave ; non pas seulement à cette illusion intellectuelle pour ainsi dire générale, de substituer partout, dans tout l'événement historique, la formation organique ; mais très particulièrement à cette illusion d'optique historique intellectuelle qui consiste à reporter incessamment le présent sur le passé, l'ultérieur incessamment sur l'antérieur, tout l'ultérieur incessamment sur tout l'antérieur ; illusion pour ainsi dire technique ; et organique elle-même, je veux dire organique de l'intellectuel ; illusion de perspective, ou plutôt substitution totale, essai de substitution totale de la perspective à l'épaisseur, à la profondeur, essai de substitution totale du regard de perspective à la connaissance réelle, au regard en profondeur, au regard de profondeur ; essai de substitution totale du regard de perspective, à deux dimensions, à la connaissance réelle à trois dimensions d'un réel, d'une réalité à trois dimensions ; illusion d'optique, illusion de regard, illusion de recherche et de connaissance que j'essaie d'approfondir lui-même, entre toutes les illusions, (car elle est capitale, et d'une importance capitale), dans la thèse ''de
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Ils commettent une erreur du même ordre, plus qu'une erreur analogue, une erreur inverse et parallèle quand ils nous nomment ''le
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Il est certain qu'il y a eu une trahison au moins dans l'affaire Dreyfus, et c'est la trahison du dreyfusisme même. Mais c'est commettre une erreur totale que de s'imaginer que cette trahison a été montée, délibérément commise, délibérément exercée par des Juifs sur des chrétiens. Dans l'État-Major de cette trahison il y avait Jaurès, qui n'est pas juif, il y eut, il vint Hervé, qui n'est pas juif. Jaurès est toulousain, Hervé est breton. Dans ''le
Ce que nos adversaires par contre ne peuvent pas savoir, ce que sincèrement ils ne peuvent pas imaginer, ce qu'ils ne peuvent pas compter, ce qu'ils ne connaissent pas, ce qu'ils ne peuvent pas se représenter, ce qu'ils ne soupçonnent pas, ce qu'ils ne peuvent pas même supposer, c'est combien de Juifs ont été irrévocablement développés dans le désastre de l'affaire Dreyfus, combien de Juifs ont été les victimes, les réelles victimes, et sont demeurés les victimes de l'affaire Dreyfus, de cette trahison, de cette livraison de l'affaire Dreyfus. Combien de carrières, combien de vies juives ont été irréparablement ruinées, brisées, cela, nous le savons, combien de misères juives, nous le savons, nous qui étions de ce côté-ci de la bataille e pour le savoir il fallait être de ce côté-ci de la bataille, combien en sont restés marqués de misère pour leur vie entière ; sans recompter celui qui est mort, sans compter ceux qui sont morts, comme des nôtres. Car enfin c'est une prétention qui fait sourire, que cette prétention des antisémites, que tous les Juifs sont riches. Je ne sais pas où ils le prennent, comment ils font leur compte. Ou plutôt je le sais trop, quand ils sont sincères. Mettons que je le sais bien. L'explication est bien simple. C'est que dans le monde moderne, comme je l'ai indiqué si souvent dans ces cahiers mêmes, nul pouvoir n'existe, n'est, ne compte auprès du pouvoir de l'argent, nulle distinction n'existe, n'est, ne compte auprès de l'abîme qu'il y a entre les riches et les pauvres, et ces deux classes, malgré les apparences, et malgré tout le jargon politique et les grands mots de solidarité, s'ignorent comme à beaucoup près elles ne se sont jamais ignorées. Infiniment autrement, infiniment plus elles s'ignorent et se méconnaissent. Sous les apparences du jargon politique parlementaire il y a un abîme entre elles, un abîme d'ignorance et de méconnaissance, de l'une à l'autre, un abîme de non communication. Le dernier des serfs était de la même chrétienté que le roi. Aujourd'hui il n'y a plus aucune cité. Le monde riche et le monde pauvre vivent ou enfin font semblant comme deux masses, comme deux couches horizontales séparées par un vide, par un abîme d'incommunication. Les antisémites bourgeois ne connaissent donc que les Juifs bourgeois, les antisémites mondains ne connaissent et haïssent que les Juifs mondains, les antisémites qui font des affaires ne connaissent et ne haïssent que les Juifs qui font des affaires. Nous qui sommes pauvres, comme par hasard nous connaissons un très grand nombre de Juifs pauvres, et même misérables. Dans cette région des Juifs pauvres l'affaire Dreyfus, la trahison politique et politicienne, la trahison parlementaire, la banqueroute frauduleuse de l'affaire Dreyfus et du dreyfusisme a causé des ravages effroyables et qui ne seront jamais réparés. Ravages d'argent, de travail, de situations, de carrière, – de santé, – mais aussi ravages de cœur, désabusement qui est venu se joindre à l'éternel désabusement de la race.
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Voici exactement ce que je veux dire de Bernard-Lazare. Dans ''le
Le même ''Temps'', – du mercredi 15 juin 1910 : ''Les
Dans ''le
''Le
Dans ''le
''Un
Et ''dans
''Ici'', ''cependant'', ''l'agitation
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Nul n'en profite et tout le monde en souffre. Tout le monde en est atteint. Les modernes mêmes en souffrent. Ceux qui s'en vantent, qui s'en glorifient, qui s'en réjouissent, en souffrent. Ceux qui l'aiment le mieux, aiment leur mal. Ceux mêmes que l'on croit qui n'en souffrent pas en souffrent. Ceux qui font les heureux sont aussi malheureux, plus malheureux que les autres, plus malheureux que nous. ''Dans
''Les
Il a ajouté l'inquiétude universelle à l'inquiétude propre.
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Les antisémites parlent des Juifs. Je préviens que je vais dire une énormité : '''Les
Il ne sera pas dit qu'un chrétien n'aura pas porté témoignage pour eux. Il ne sera pas dit que je n'aurai pas témoigné pour eux. Comme il ne sera pas dit qu'un chrétien ne témoignera pas pour Bernard-Lazare.
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Des riches il y aurait beaucoup à dire. Je les connais beaucoup moins. Ce que je puis dire, c'est que depuis vingt ans j'ai passé par beaucoup de mains. Le seul de mes créanciers qui se soit conduit avec moi non pas seulement comme un usurier, mais ce qui est un peu plus, comme un créancier, comme un usurier de Balzac, le seul de mes créanciers qui m'ait traité avec une dureté balzacienne, avec la dureté, la cruauté d'un usurier de Balzac n'était point un Juif. C'était un Français, j'ai honte à le dire, on a honte à le dire, c'était hélas un « chrétien », trente fois millionnaire. ''Que
Jusqu'à quel point leurs riches les aident-ils ? Je soupçonne qu'ils les aident un peu plus que les nôtres ne nous aident. Mais enfin il ne faudrait peut-être pas le leur reprocher. C'est ce que je disais à un jeune antisémite, joyeux mais qui m'écoute ; sous une forme que je me permets de trouver saisissante. Je lui disais : ''Mais
''C'est
Ainsi vous les poursuivez, vous les accablez sans cesse de reproches contradictoires. Vous dites : ''Leur
Est-ce qu'il y a une ''finance'' qui est française.
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''Que
Pour mesurer toute la valeur, toute la grandeur, toute l'amplitude, tout l'angle de cette illusion, pour corriger cet angle d'erreur, pour faire la correction, les corrections nécessaires, pour nous redonner, pour retrouver la ligne, la direction, pour nous redonner, pour retrouver la justice et la justesse, il est un exercice salubre, excellent pour la justice, pour la justesse, pour la bonne santé intellectuelle et morale, excellent pour l'hygiène intellectuelle et mentale, un exercice salutaire, une sorte de gymnastique suédoise de l'esprit, un ''Müller'' mental. Il consiste à faire la meilleure des preuves, qui est la preuve par le contraire. Est-ce Pesloüan, est-ce moi qui l'avons inventé. Les questions d'origine se perdent toujours dans la nuit des temps. C'est plutôt nous deux. Ce que je sais c'est que nous le pratiquons souvent ensemble, dans nos pourparlers d'expérience. Les résultats sont toujours merveilleux. Il consiste à faire le contraire. C'est un exercice d'assouplissement, de rectification merveilleux. Il consiste à retenir certains faits, nombreux, à mesure qu'ils passent, et à dire, à se demander, de l'auteur, ce que nous venons par exemple de nous demander une fois : ''Qu'est
Sans nous livrer délibérément ici à cet exercice, n'est-il pas frappant déjà, au premier abord, que nos grandes hontes, nos hontes nationales, Jaurès, Hervé, Thalamas, ne sont point juives, ne sont point des Juifs. Il est même très remarquable au contraire, une fois que l'on compte ainsi, combien peu de nos hontes sont juives, il est remarquable que parmi les protagonistes de nos hontes nationales il n'y a aucun Juif. ''Qu'est
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Dans l'affaire Dreyfus même, sans y revenir, ou plutôt sans y entrer, dans l'État-Major même du dreyfusisme et de l'affaire Dreyfus il est fort notable que ce sont les Juifs, les grands Juifs qui ont encore le moins faibli. L'exemple de M. Joseph Reinach est caractéristique. On peut dire que dans l'affaire Dreyfus, dans l'État-Major de l'affaire Dreyfus et du parti dreyfusiste il représentait en un certain sens, et même pour ainsi dire officiellement, ce que l'on a nommé le parti juif. Dans le parti politique dreyfusiste il représentait pour ainsi dire le parti politique juif. Seul en outre il était d'un volume politique et social, d'un ordre de grandeur au moins égal à celui d'un Jaurès. Or que voyons-nous. Il faut toujours dire ce que l'on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit. Nous voyons que de tout notre État-Major il est le seul qui n'ait point faibli devant les démagogies dreyfusistes, devant les démagogies politiques issues de notre mystique dreyfusiste. Il est le seul notamment qui n'ait pas faibli, qui n'ait pas plié devant la démagogie combiste, devant la démagogie de la tyrannie combiste. Il est le seul nommément, et ceci est d'autant plus remarquable qu'il est par toute sa carrière un homme politique, il est le seul qui un des premiers se soit résolument opposé à la ''délation'' aux ''Droits
De Dreyfus même, pour aller au cœur du débat, à l'objet, à la personne même, de Dreyfus il est évident que je n'ai rien voulu dire, que je n'ai rien dit ni rien pu dire qui atteignît l'homme privé. Je me rends bien compte de tout ce qu'il y a de tragique, de fatal dans la vie de cet homme. Mais ce qu'il y a de plus tragique, de plus fatal c'est précisément qu'il n'a pas le droit d'être un homme privé. C'est que nous avons incessamment le droit de lui demander des comptes, le droit, ''et
Autrement je saurais bien tout ce qu'il y a de tragique, de fatal dans la vie privée de cet homme. Ce que je sais de plus touchant de lui est certainement cet attachement profond, presque paternel, qu'il a inspiré à notre vieux maître M. Gabriel Monod. M. Monod me le disait encore aux cahiers il n'y a que quelques semaines. À peine. Dreyfus venait encore d'avoir un deuil, très proche, très douloureux, très ''fatal'', dans sa famille. M. Monod nous le rapportait, nous le contait avec des larmes dans la voix. Il nous disait en même temps, ou plutôt il ne nous le disait pas, mais il nous disait beaucoup plus éloquemment que s'il nous l'eût dit, combien il l'aimait, nous assistions un peu surpris, un peu imprévus, un peu dépassés, parce qu'on ne le croit pas, on ne s'y attend pas, à cette affection profonde, à cette affection sentimentale, à cette affection ''privée'', à cette affection quasi paternelle, paternelle même qu'il a pour Dreyfus. Nous en étions presque un peu gênés, comme d'une découverte toujours nouvelle, et comme si on nous ouvrait des horizons nouveaux, comme si on nous avait fait entrer dans une famille sans bien nous demander notre avis, un peu inconsidérément, un peu indiscrètement, tant nous avons pris l'habitude de ne vouloir connaître en Dreyfus que l'homme public, de ne vouloir le traiter qu'en homme public, durement comme un homme public. Laissant de côté, non seulement devant une réalité, mais devant une aussi saisissante, aussi tragique, aussi poignante réalité laissant de côté tout l'appareil des méthodes prétendues scientifiques, censément historiques, laissant de côté tout l'appareil des métaphysiques métahistoriques notre vieux maître assis, disait, avec des larmes intérieures : ''On
La plus grande fatalité, c'est précisément que cet homme ait été cette affaire, qu'il ait été jeté irrévocablement dans l'action publique, et même la plus publique Il avait peut-être toutes les vertus privées. Il aurait fait sans doute un si bon homme d'affaires. Qu'est-ce qu'il est allé faire capitaine. Qu'est-ce qu'il est allé faire dans les bureaux de l'État-Major. Là est la fatalité. Qu'est-ce qu'il est allé faire dans une réputation, dans une célébrité, dans une gloire mondiale. Victime malgré lui, héros malgré lui, martyr malgré lui. Glorieux malgré lui il a trahi sa gloire. Là est la fatalité. ''Invitus
Celui qui est désigné doit marcher. Celui qui est appelé doit répondre. C'est la loi, c'est la règle, c'est le niveau des vies héroïques, c'est le niveau des vies de sainteté. Investi victime malgré lui, investi héros malgré lui, investi victime malgré lui, investi martyr malgré lui il fut indigne de cette triple investiture. Historiquement, réellement indigne. Insuffisant ; au-dessous ; incapable. Impéritie et incurie. Incapacité profonde. Indigne de ce triple sacre, de cette triple magistrature. Et ce qu'il y a de pire, ce qu'il y a de fatal, ce qu'il y a de plus tragique, c'est qu'à moins d'entrer dans son crime et sous peine de participer de son indignité, de cette indignité même nous ne pouvons pas ne pas lui en demander compte. Quiconque a eu le monde en main, est responsable du monde. Nous ne pouvons pas entrer dans son jeu. Nous n'avons pas le droit d'entrer dans ses raisons, fussent-elles légitimes ; privément légitimes. Et c'est surtout si elles sont légitimes qu'il faut nous en défier. Car elles nous tenteraient. Nous devons tout oublier, le bien que nous savons de lui, l'affection que nous aurions pour lui, que nous serions tentés d'avoir pour lui, la touchante, la paternelle affection de ce vieil homme pour lui ; de ce vieil homme que lui-même nous respectons tant, que nous aimons tant. Nous ''devons'' tout oublier et nous ne pouvons que lui demander compte. Compte de cette immense bataille qu'ils a perdue. Il s'est trouvé engagé sans le vouloir général en chef, plus que cela, drapeau d'une immense armée dans une immense bataille contre une immense armée. Et il a perdu cette immense bataille. Et nous ne pouvons lui parler que de cela. Nous n'avons le droit que de lui parler de cela. Nous n'avons le droit d'engager, d'accepter de lui, avec lui nulle autre conversation, aucun autre entretien. Nul autre propos.
Nous devons taire, nous devons faire taire tous nos autres sentiments. Il a été constitué un homme public. Il a été constitué un homme de gloire, d'un retentissement universel. Nous ne pouvons que lui demander compte de son action publique, de ses sentiments publics, de ce désastre public. Celui qui perd une bataille, en est responsable. Et il a perdu cette immense bataille. Nous ne pouvons que lui demander compte de tout ce qui était engagé dans cette bataille, dans cette action publique. Nous ne pouvons que lui demander compte des mœurs publiques, de la France ''d'Israël
Singulière destinée. Il fut investi, institué malgré lui homme public. Tant d'autres ont voulu devenir hommes publics, et y ont mis le prix, et en ont été implacablement refoulés par l'événement. Il fut investi, institué malgré lui homme de gloire. Tant d'autres ont voulu la gloire, et y ont mis le prix, et en ont été implacablement refoulés par l'événement. Et lui il a eu tout cela. Il a eu tout malgré lui. Il a eu tout ce qu'il ne voulait pas. Mais il faut que celui qui est investi marche.
Tant d'hommes, des milliers et des milliers d'hommes, soldats, poètes, écrivains, artistes hommes d'action, (victimes), héros, martyrs, tant d'hommes, des milliers et des milliers d'hommes ont voulu entrer dans l'action publique, devenir, se faire des hommes publics ; et ils y ont mis le prix. Tant d'hommes ont brigué la gloire, temporelle, des milliers et des milliers d'hommes, et d'être immortel temporellement immortels dans la mémoire des hommes. Et ils y ont mis le prix. Ils y ont mis le génie, l'héroïsme, des efforts sans nombre, des effort effrayants ; des souffrances effrayantes ; des vies entières, et quelles vies, de véritables martyres. Et rien, jamais rien. Et lui, sans rien faire, malgré lui en quelques semaines il est devenu l'homme dont l'humanité entière a le plus retenti, son nom est devenu le nom, il est devenu l'homme dont tout le monde a le plus répété, a le plus célébré le nom depuis la mort de ''notre
Cette situation tragique me rappelle un mot de Bernard-Lazare. Il faut toujours en revenir, on en revient toujours à un mot de Bernard-Lazare. Ce mot-ci sera le mot décisif de l'affaire. Puisqu'il vient, puisqu'il porte de son plus grand prophète sur la victime même. Il est donc culminant par son point d'origine et par son point d'arrivée. ''Bernard
Non seulement nous fûmes des héros, mais l'affairé Dreyfus au fond ne peut s'expliquer que par ce besoin d'héroïsme qui saisit périodiquement ce peuple, cette race, par un besoin d'héroïsme qui alors nous saisi nous toute une génération. Il en est de ces grands mouvements, de ces grandes épreuves de tout un peuple comme de ces autres grandes épreuves les guerres. Ou plutôt il n'y a pour les peuples qu'une sorte de grandes épreuves temporelles, qui sont les guerres, et ces grandes épreuves-ci sont elles-mêmes des guerres. Dans toutes ces grandes épreuves, dans toutes ces grandes histoires c'est beaucoup plutôt la force intérieure, la violence d'éruption qui fait la matière, historique, que ce n'est la matière qui fait et qui impose l'épreuve. Quand une grande guerre éclate, une grande révolution, cette sorte de guerre, c'est qu'un grand peuple, une grande race a besoin de sortir ; qu'elle en a assez ; notamment qu'elle en a assez de la paix. C'est toujours qu'une grande masse éprouve un violent besoin, un grand, un profond besoin, un besoin mystérieux d'un grand mouvement. Si le peuple, si la race, si la masse française eût eu envie d'une grande guerre il y a quarante ans, cette misérable, cette malheureuse guerre elle-même de 1870, si mal commencée, si mal engagée qu'elle fût, fût devenue une grande guerre, comme les autres, et en mars 1871 elle n'eut fait que commencer. Une grande histoire, je dis une grande histoire militaire comme ces guerres de la Révolution et de l'Empire ne s'explique aucunement que par ceci : un saisissement de besoin, un très profond besoin de gloire, de guerre, d'histoire qui à un moment donné saisit tout un peuple, toute une race, et lui fait faire une explosion, une éruption. Un mystérieux besoin d'une inscription. Historique. Un mystérieux besoin d'une sorte de fécondité historique. Un mystérieux besoin d'inscrire une grande histoire dans l'histoire éternelle Toute autre explication est vaine, raisonnable, rationnelle, inféconde, irréelle. De même notre affaire Dreyfus ne peut s'expliquer que par un besoin, le même, par un besoin d'héroïsme qui saisit toute une génération, la nôtre, par un besoin de guerre, de guerre ''militaire'', et de gloire militaire, par un besoin de sacrifice et jusque de martyre, peut-être, (sans doute), par un besoin de sainteté. Ce que nos adversaires n'ont pu voir que en face, de l'autre côté, de face, ce qu'ils n'ont pu recevoir que en creux, ce que nos chefs mêmes ont toujours ignoré, c'est à quel point nous marchâmes comme une armée, militaire. Comment tant d'espérance, tant d'entreprise a été brisée sans obtenir, sans : effectuer une inscription historique, c'est précisément ce que j'ai essayé non pas seulement d'expliquer, mais de représenter ''à
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''Voilà'', ''cher
Un ordre mortel pour la fécondité, pour les intérêt profonds, pour les intérêts durables de la race et du peuple, de la patrie.
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En réalité la véritable situation des gens que nous avions devant nous était pendant longtemps non pas de dire et de croire Dreyfus coupable, mais de croire et dire qu'innocent ou coupable on ne troublait pas, on ne bouleversait pas, on ne ''compromettait'' pas, on ne risquait pas pour un homme, pour un seul homme, la vie et le salut d'un peuple, l'énorme salut de tout un peuple. On sous-entendait : le salut ''temporel''. Et précisément notre mystique chrétienne culminait si parfaitement, si exactement avec notre mystique française, avec notre mystique patriotique dans notre mystique dreyfusiste que ce qu'il faut bien voir, et ce que je dirai, ce que je mettrai dans mes confessions, ''c'est
Qu'est-ce à dire, à moins de ne pas savoir un mot de français, sinon que nos adversaires parlaient le langage de la raison d'État, qui n'est pas seulement le langage de la raison politique et parlementaire, du méprisable intérêt politique et parlementaire, mais beaucoup plus exactement, beaucoup plus haut qui est le langage, le très respectable langage de la continuité, de la continuation temporelle du peuple et de la race, ''du
''28''. – « ''Et
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Voilà, mon cher Variot, quelques-uns des propos que j'eusse tenus aux cahiers le jeudi, si on y parlait moins haut, et si on m'y laissait quelquefois la parole. Dans ces cahiers de M. Milliet vous trouverez ce que c'était que cette mystique républicaine. Et vous monsieur qui me demandez qu'il faudrait bien définir un peu par voie de raison démonstrative, par voie de raisonnement de raison ratiocinante ce que c'est que mystique, et ce que c'est que politique, ''quid
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La seule valeur, la seule force du royalisme, mon cher Variot, la seule force d'une monarchie traditionnelle, c'est que le roi est plus ou moins aimé. La seule force de la République, c'est que la République est plus ou moins aimée. La seule force, la seule valeur, la seule dignité de tout, c'est d'être aimé. Que tant d'hommes aient tant vécu et tant souffert pour la République, qu'ils aient tant cru en elle, qu'ils soient tant morts pour elle, que pour elle ils aient supporté tant d, épreuves, souvent extrêmes, voilà ce qui compte, voilà ce qui m'intéresse, voilà ce qui existe. Voilà ce qui fonde, voilà ce qui fait la légitimité d'un régime. Quand je trouve dans ''l'Action
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