« Grands névropathes (Cabanès)/Tome 3/2 » : différence entre les versions

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Quant à lui, il passait insensiblement d’une sensation à une autre d’un ordre tout différent, quand il ne lui arrivait pas de les confondre, sans parvenir à fixer une ligne précise de démarcation. Cette unique citation — et de pareilles pourraient être multipliées — suffit comme attestation d’un état aussi exceptionnel : Kreisler (c’est lui qu’il désigne sous ce nom) se propose d’acheter « un habit dont la couleur est en ''ut dièze mineur'' : ce [pour] quoi,
 
 
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afin de tranquilliser ceux qui le verraient, il y avait fait ajouter un collet de couleur ''mi majeur'' ».
 
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Pour en revenir au cas particulier d’Hoffmann, il est hors de doute qu’il a présenté avec une sensibilité excessive une émotivité morbide. Cette émotivité allait, suivant les jours, du mysticisme le plus poétique à l’hypocondrie la plus noire. Il en était arrivé à avoir peur de tout : on reconnaît là l’état décrit par Morel et Legrand du Saulle, sous le nom de ''panophobie'' et auquel Magnan proposa plus tard de substituer le terme, peut-être plus concert, d’''anxiomanie'' ; cet état où, selon l’expression de Th. Ribot, « l’on a peur de tout et de rien ; où l’anxiété flotte comme dans un rêve et ne se fixe que pour un instant, au hasard des circonstances, passant sans cesse d’un objet à l’autre ». Hoffmann n’éprouvait pas une sensation agréable qui ne s’accompagnât de l’appréhension des conséquences funestes ou dangereuses qu’elle pouvait entraîner à sa suite.
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« Quel mauvais génie, s’écriait-il dans une heure de désespérance, a donc jeté dans mon âme cette horrible défiance, qui me fait soupçonner ruine et malheur dans une parole, dans un regard, voire dans la plus futile circonstance indépendante de toute volonté humaine ! »
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Il avait aussi des impulsions subites, des accès de colère, motivés par les plus minces prétextes. Un de ses auditeurs restait-il impassible devant ses plaisanteries, il s’emportait contre lui, et n’avait de cesse qu’il ne l’eût obligé à quitter la place. Un jour, il lui arriva de lancer un verre d’eau à la tête d’un de ses amis qui avait eu le tort d’impressionner désagréablement ses oreilles, en chantant faux une ariette de Mozart !
 
« La poésie d’Hoffmann était maladive » a déclaré Heine ; c’est qu’en effet, si l’on a pu souvent constater que la personnalité de l’écrivain se retrouve dans ses productions, pour Hoffmann non seulement
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on l’y devine mais elle y déborde, pourrait-on dire.
 
Les héros de ses contes sentent, entendent, voient d’une manière anormale. « Il en est des déséquilibrés des contes d’Hoffmann comme des hallucinés des cliniques et des asiles ; chez eux l’illusion précède l’hallucination et l’annonce. » (Demerliac.)
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De l’obsession à l’impulsion, la distance est courte ; les personnages d’Hoffmann l’on vite franchie : dans ''Les Élixirs du diable'', comme dans ''Mademoiselle de Scudéry'', apparaissent des types de criminels impulsifs, qu’un psychiatre n’hésiterait pas à réclamer pour ses justiciables.
 
D’autres phénomènes psycho-pathologiques peuvent encore être recueillis dans l’œuvre si touffue d’Hoffmann. Ainsi que nous le faisait judicieusement remarquer notre très érudit ami, le D{{e|r}} Hahn, bibliothécaire en chef de la Faculté, les mystères de l’occulte ont toujours eu un grand charme pour
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Hoffmann ; il les a scrutés avec une parfaite clairvoyance et il a discuté avec une rare pénétration la plupart des problèmes qui préoccupent actuellement le monde scientifique. L’idée particulière qu’il se faisait du monde des esprits est nettement définie dans le passage suivant :
 
« On ne saurait nier l’existence du monde surnaturel qui nous environne, et qui se révèle souvent à nous par des accords singuliers et des visions étranges. La crainte, l’horreur que nous éprouvons alors tient à la partie terrestre de notre organisation : c’est la douleur de l’esprit, incarcéré dans le corps qui se fait sentir… Peut-être est-ce la punition que nous réserve la nature, dont nous tendons sans cesse à nous éloigner, comme des enfants ingrats. Je pense que, dans l’âge d’or, lorsque notre race vivait dans une bienheureuse harmonie avec toute la nature, nulle crainte, nul effroi ne venait nous saisir, parce que, dans cette paix profonde, dans cet accord parfait de tous les êtres, il n’y avait pas d’ennemi dont la présence pût nous nuire. »
 
Hoffmann justifie, une fois de plus, le titre de « voyants » donné aux poètes ; que de sensations n’a-t-il pas ressenties, dont on cherche aujourd’hui une explication scientifique et dont, demain peut-être, la cause profonde sera découverte ! Ainsi a-t-il souvent éprouvé la sensation du « déjà
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vu<ref> V. sur ce curieux phénomène la thèse de Thibault, ''Essai psychologique et clinique sur la sensation du déjà vu''. Bordeaux, 1899.</ref> », qu’il a décrite, certainement d’après lui-même, dans les ''Aventures de la Nuit de Saint-Sylvestre'' et la ''Princesse Brambilla''. Dans cette dernière nouvelle, surtout, il semble avoir pris plaisir à accumuler les troubles de la personnalité, « au point de donner le vertige au lecteur le plus calme ».
 
À maintes reprises, notamment dans le ''Chien Berganza'', Hoffmann donne une analyse très exacte du dédoublement de la personnalité dont il offrait, on le sait, un des plus curieux exemples. Mais c’est surtout dans ''Les Élixirs du Diable'' que, suivant l’expression d’un commentateur allemand<ref> Klinke, ''Hoffmanns Leben und Werke'' (Braunschweig und Leipzig, 1902).</ref>, l’aliéniste peut trouver assez de matériaux pour en composer un gros volume de clinique et d’études mentales.
 
Les types de fous et de malades y abondent : délirants érotiques, maniaques, déments précoces, mélancoliques y sont étudiés et dépeints magistralement ; et l’on est saisi d’étonnement en présence de ce « clinicien ès lettres » qui, par la seule force de son génie, s’est assimilé non seulement les connaissances médicales de son temps, mais a devancé celui-ci sur nombre de points.
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Ce qu’il y a de particulièrement intéressant à relever chez Hoffmann, c’est que ses troubles organiques même ont servi son génie, et qu’il a puisé peut-être le meilleur de son inspiration dans son déséquilibre fonctionnel.
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Quelle fut la nature de cette maladie qui lui fit souffrir « mort et passion », comme disent les bonnes gens, et à laquelle il ne succomba qu’après une agonie prolongée ? Longtemps on a cru, sur la foi de tels passages de ses ''Contes'', qu’Hoffmann fut un tabétique. On a voulu retrouver le tableau de son propre état dans ces lignes extraites de ''La Fenêtre d’angle du Cousin'' :
 
« Mon pauvre cousin a eu le même sort que le fameux Scarron. Une maladie opiniâtre lui a ôté aussi l’usage
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de ses jambes. Il en est réduit à rouler de son lit à son fauteuil et de son fauteuil à son lit, avec l’aide du bras vigoureux d’un invalide maussade, qui lui sert de garde-malade. Mon cousin a une autre ressemblance avec Scarron : il est aussi auteur… Cette passion d’écrire a joué un vilain tour au pauvre cousin : il a beau être très malade, la roue de l’imagination tourne toujours au galop dans sa tête ; il invente, invente, malgré toutes les souffrances ; mais quand il s’agit de faire prendre aux idées le chemin du papier, le méchant démon de la maladie a barré le passage ; non seulement la main refuse le service, mais les idées s’envolent, ce qui jette le cousin dans la plus noire mélancolie. »
 
Dans ''Le Petit Zacharie'', Hoffmann fait cadeau au méchant gnome Cinabre, pour le punir de ses forfaits, du mal qu’il juge le plus horrible, de celui qui le torture lui-même ; mais dans les symptômes qu’il décrit, on ne reconnaît que des lectures, mal digérées, d’ouvrages médicaux, et nullement, comme d’aucuns l’ont un peu témérairement avancé, les
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signes du ''tabes dorsalis''<ref> Comme Champfleury, dans une étude, d’ailleurs très attachante, publiée par l’''Athenœum français'' (15 septembre 1855).</ref>. Les lésions de l’ataxie locomotrice, ainsi que l’a très judicieusement objecté l’auteur<ref> D{{e|r}} Kuenemann, ''Les Génies morbides : Hoffmann (1776-1822)'', in ''Répertoire de médecine internationale'', 1912.</ref> d’une remarquable étude sur notre conteur, se constituent beaucoup plus lentement : ne pas oublier que l’évolution de la maladie a été, dans le cas d’Hoffmann, relativement rapide.
 
En octobre 1821, Hoffmann était en excellente santé et de la meilleure humeur ; quelques semaines plus tard, il était repris de ses crises de foie dont il avait eu souvent à se plaindre<ref> Les premiers symptômes s’étaient manifestés à Posen : il avait eu alors, outre des épistaxis, des douleurs dans l’hypocondre droit et des vomissements bilieux ; les crises hépatiques étaient, depuis lors, revenues à plusieurs reprises, de plus en plus fréquentes, de plus en plus douloureuses.</ref>.
 
Au mois de janvier de l’année suivante, Hoffmann ne pouvait plus bouger de son fauteuil : ses jambes n’étaient encore qu’à demi paralysées ; bientôt elles le furent tout à fait et les membres supérieurs se prirent à leur tour : son bras droit lui refusant tout service, il dut prendre un secrétaire et lui dicter les contes qu’il était devenu incapable d’écrire de sa propre main. Cette rapidité d’évolution rappelle évidemment beaucoup plus ce qu’on observe dans la ''polynévrite alcoolique'' que dans l’ataxie, à marche incomparablement plus lente.
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Elle est, en outre, parfaitement conforme aux antécédents de l’écrivain, qui avait pris l’habitude de l’alcool dès 1804, et cultiva la dive bouteille pendant près de vingt années.
 
Sans doute son intelligence est demeurée jusqu’au bout intacte ; mais il a présenté des troubles de la mémoire, des idées obsédantes, du délire, en particulier du délire onirique, des hallucinations, qui portent le cachet indéniable de l’éthylisme.
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| [[Grands névropathes (Cabanès)/Tome 3/1|AVERTISSEMENT]]
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| [[Grands névropathes (Cabanès)/Tome 3/3|HENRI HEINE]]
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