« Vingt années de Paris » : différence entre les versions

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==__MATCH__:[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/11]]==
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/11]]==
 
PRÉFACE
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_Quelle rumeur dans ces quatre mots, quelle houle remuante et grondante
d'hommes, de livres, d'aventures et d'idées, que d'amis perdus, de joies
sombrées, d'engloutissements sans nom, effacés par le temps qui monte;
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/12]]==
sans nom, effacés par le temps qui monte;
et comme il faut qu'il ait la vie dure le souvenir qui tient debout sur
ce cimetière d'épaves!_
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hirsute, velu, chevelu, botté comme un tzigane, coiffé comme un
tyrolien, logeant entre Clamart et Meudon, à la porte du bois. Nous
vivions là quatre ou cinq dans des_ payotes, _Charles Bataille, Jean
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/13]]==
ou cinq dans des_ payotes, _Charles Bataille, Jean
Duboys, Paul Arène, qui encore? On s'était réunis pour travailler, et
l'on travaillait surtout à courir les routes forestières, cherchant des
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chantant des airs de Provence, dans le noir des mauvais chemins. On
faisait tous les cafés de poètes; et le pèlerinage finissait
régulièrement au petit estaminet de Bobino, lequel était alors l'arche
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/14]]==
était alors l'arche
d'alliance de tout ce qui rimait, peignait, cabotinait au quartier
Latin. C'est à Bobino que j'ai fait la connaissance d'André Gill._
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dans un journal et qu'il avait apprise. On est sensible à ces choses
quand on débute, et de cette soirée on fut amis. D'abord de très près,
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/15]]==
puis avec des intermittences de rencontres, de grands espaces de
silence, mais non d'oubli._
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instances et le plaisir qu'on avait à le voir. En face d'une femme
distinguée, je le sentais mal à l'aise, gêné par la pensée de sa vie et
de ses habitudes; on avait beau l'encourager, sa verve ne dégelait pas,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/16]]==
ne dégelait pas,
il restait timide, trop poli, ne savait ni entrer ni s'en aller,
mangeait loin de la table, et souffrait d'ignorer, car il y avait en lui
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«âmes de poche» comme il y en a dans Tourgueneff et dont les loques
résignées fumaient silencieusement autour du poële. Tout en causant,
Gill travaillait, ébauchait des toiles énormes pour des cadres géants
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/17]]==
des cadres géants
que son rêve dépassait encore. Blasé sur ses succès de dessin et las de
l'éternelle grimace des caricatures, il avait l'ambition d'être un grand
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ligne restait fermé à la couleur. En tout cas, ceux qui ouvriront son
livre plein de pages exquises, chaudes de vérité et de bonté,
s'assureront que le caricaturiste, tendre comme tous les grands
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/18]]==
tendre comme tous les grands
railleurs, était un poète et un écrivain._
 
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Charles Bataille, Jean Duboys morts aux aliénés, presque sous mes yeux.
Le courage me manqua pour aller voir celui-là. Je me raisonnais, je
m'enchaînais par des rendez-vous, que je manquai tous, obsédé par
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/19]]==
tous, obsédé par
l'idée fixe du mal qui frappait autour de moi._
 
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place où l'on s'était connu. Il ne m'en voulait pas de n'être pas allé
le voir._
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/20]]==
 
_«Bah!... pour les visites qu'on me faisait!... J'étais une curiosité,
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sans pupille, m'inquiéta. Passant ensuite au motif qui l'amenait chez
moi, il me demanda un titre et une préface pour un volume de souvenirs
qu'il
qu'il allait publier. Je lui donnai son titre,_--Vingt ans de
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/21]]==
allait publier. Je lui donnai son titre,_--Vingt ans de
Paris,--_et lui promis les quelques lignes d'en-tête dont il croyait
avoir besoin. Là-dessus nous nous séparions, sans phrases, sur une
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mains._
 
_Gill, mon ami, êtes-vous là? M'entendez-vous? Est-ce bien loin où vous
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/22]]==
êtes-vous là? M'entendez-vous? Est-ce bien loin où vous
êtes?... Je vous jure que j'aurais voulu vous offrir quelque chose
d'éloquent, une page bonne comme vous, généreuse, artiste, lumineuse,
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==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/23]]==
 
VINGT
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Une outre de jus, un boulet de lumière! un vrai chef-d'œuvre de l'été
qui, près
qui, près de là, dans sa chaleur exagérée et suprême, commençait de
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/24]]==
de là, dans sa chaleur exagérée et suprême, commençait de
rouiller les feuillages du Luxembourg!
 
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faut-il aux melons, comme à certains musiciens, plusieurs «auditions»
pour être compris. Alors, ce fut l'audition décisive; car, après
quelques instants de contemplation, mon meilleur ami pénétra dans la
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/25]]==
dans la
boutique, y déposa, sur le comptoir, quelque menue monnaie, saisit
l'objet de sa convoitise, et s'en fut radieux, par les rues, avec sa
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Mon ami se promena donc tranquillement, humant la brise tiède, flânant
aux enseignes, regardant les passants; il se croisa peut-être avec M.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/26]]==
avec M.
Littré, qui a le bon goût de demeurer par là, peut-être avec Michelet,
son voisin, lequel vivait encore; avec Sainte-Beuve, lancé au trot
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fumée des batailles ou la gueulée des faubourgs. On allait de l'un chez
l'autre; on avait de grands rires, des espoirs fous; le soir, à la
fenêtre, au ciel pâlissant, on regardait devant soi, à l'angle de la
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/27]]==
regardait devant soi, à l'angle de la
maison Lahure, un grand mur de lierre où venaient se coucher les
oiseaux. C'était le bon temps...--Passons.
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En fin de compte, on tomba d'accord qu'il fallait publier son portrait.
 
Le portrait du melon? Oui.--Dans le journal? Parfaitement. Puisque la
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/28]]==
journal? Parfaitement. Puisque la
censure interdisait tout, puisqu'on ne pouvait plus rien risquer
d'expressif, il fallait dessiner le melon. Cela ne voudrait rien dire.
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m'échappe,--grand dommage! La nouvelle de cette poursuite fit scandale.
 
Il se trouva, juste, dans toute la presse, un seul être, depuis
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/29]]==
seul être, depuis
âme-damnée de Villemessant, pour ne pas nous défendre.
 
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M. Francisque Sarcey fit un bon article indigné et gaulois dont je le
remercie encore. Et la poursuite fut abandonnée.aba
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/30]]==
ndonnée.
 
Voici comment:
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poussiéreux, raccorni, se tenait prêt à écrire. Le juge dont j'oublie le
nom, l'homme de loi, le roi de pique, celui qu'on appelle David chez les
tireuses de cartes, une tête pointue, l'œil louche, figure biseautée,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/31]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/32]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/33]]==
louche, figure biseautée,
m'observait de coin: il m'interrogea tout à coup:
 
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L'instruction était abandonnée; Thémis, désarmée!
 
Comprenez-vous? Moi, j'ai longtemps cherché.--Accusation
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/34]]==
Accusation
d'obscénité?--A force de m'exercer à voir de l'œil du jurisconsulte de
cette époque, à entrer, comme on dit, «dans la peau du bonhomme», j'ai
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==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/35]]==
 
LE MUSÉE DU LUXEMBOURG
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chacun d'eux.
 
Le Sénat, dont l'existence ne repose guère que sur un pilotis de bâtons
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/36]]==
que sur un pilotis de bâtons
dans les roues de la République, voudra bien, pour cette fois,
j'imagine, serrer ses augustes coudes et laisser vivre le Conservatoire
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carreaux rouges, d'une casquette à gland, et me traînant à travers les
galeries, où son goût quelque peu suranné l'arrêtait en extase devant
les tartines beurrées et confiturées des sous-élèves de David, les
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/37]]==
des sous-élèves de David, les
Lancrenon, les Mauzaisse, les Delorme; _Alphée et Aréthuse, le fleuve
Scamandre, Hector reprochant à Pâris sa lâcheté_, puis encore devant les
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Qu'on m'excuse de parler tendrement de mon enfance. Il me paraît que ce
bambin de huit ans, amoureux d'art, qu'une grande bête de gardien
épouvante et fait reculer sur le seuil d'un musée public, est un
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/38]]==
le seuil d'un musée public, est un
tableau qui pourrait tenter la plume ou le crayon.
 
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* * * * *
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/39]]==
 
O cher temps envolé!--Quand, la grille fermée,
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paisible, débarrassé de la foule, c'était l'immunité de fonctions qui
ont failli me coûter cher. Un groupe d'artistes, fidèles à Paris malgré
le danger, soucieux de ses trésors artistiques, m'avait confié le soin
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/40]]==
confié le soin
de reconstituer le musée du Luxembourg, et de le garder.
 
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déménagée depuis longtemps; vide absolu. Les araignées filaient à
l'aise.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/41]]==
 
Au rez-de-chaussée, dans l'aile de bâtiment qui contient aujourd'hui la
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On m'avait revêtu des «pouvoirs les plus complets» pour me substituer au
conservateur officiel, M. de Tournemine. Je devais le remplacer partout,
dans sa charge et dans ses appartements. Quand je lui rendis visite, etr
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/42]]==
endis visite, et
m'expliquai, il pâlit dans son fauteuil. Moi, j'étais debout, et je lui
dis:
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greniers du Louvre et du palais de l'Industrie, rapportant de nos
investigations les marbres, les toiles qui pouvaient enrichir
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/43]]==
visiblement la collection publique. C'est ainsi qu'un merveilleux
paysage de Courbet: _Sous Bois_, est entré au Luxembourg. Il est vrai
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sous les arceaux du rez-de-chaussée. Il y est encore.
 
Les journées de Mai arrivèrent avec la fin de nos travaux. Je me
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/44]]==
de nos travaux. Je me
rappelle mon dernier jour de présence.
 
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Il faut que je l'avoue: un diable est en moi qui me pousse à cambrer la
taille dans
taille dans les situations tendues. Nombre de timides, à ma façon, que
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/45]]==
les situations tendues. Nombre de timides, à ma façon, que
je connais, ont au corps un diable pareil, et mourant d'effroi de
paraître gauches, développent, aux instants délicats, les attitudes
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Tournemine, me serrant très cordialement la main, m'affirma «qu'il
garderait, quoiqu'il arrivât, le souvenir d'avoir vécu quelque temps en
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/46]]==
compagnie d'un parfait gentilhomme.»--Je cite le texte.
 
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On a proposé de le transporter sur l'autre rive; jamais! Il me paraît
aussi nécessaire au début, au développement des esprits, que les Écoles
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/47]]==
les Écoles
de droit ou de médecine, étant lui-même un foyer d'étude et d'espérance,
une oasis pour le rêve aux jours de lutte ou de sombre hiver. Et si les
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encombrés du fouillis des roses, où le printemps, chaque année, ramenait
les fronts studieux à l'ombre des lilas nouveaux? Héritage embaumé et
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/48]]==
charmant, sacré par l'étude et l'amour des aînés, qu'es-tu devenu?
 
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==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/49]]==
 
JULES VALLÈS
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La vérité avant tout: Vallès a le caractère le plus jeune, le plus gai,
le plus émerveillé que je connaisse. Ajoutez à cela une santé
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/50]]==
que je connaisse. Ajoutez à cela une santé
inébranlable. Il se battrait, peut-être encore, avec acharnement, pour
le sourire en coulisse d'une danseuse de corde; et, pour ma part, je
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durs, qui semble avoir été martelé par quelque tailleur de fer, en son
pays d'Auvergne; avec, surtout, sa voix de cuivre, amoureuse de tempête,
et le roulis farouche de son allure, il s'est fait, autrefois, une
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/51]]==
autrefois, une
renommée de casse-cou, d'exalté violent, dur à cuir.
 
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--J'ai un cou d'athlète, un cou d'Auvergnat, répétait-il souvent; les
gens qui ont, comme moi, un cou de taureau...
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/52]]==
 
Je regardai, un jour, ce cou fameux, et, saisi de franchise:
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compagnie de Daniel Lévy, son associé d'une heure: secouant une canne
énorme, il arpentait le boulevard Montmartre; les pans d'une redingote,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/53]]==
allongée démesurément sur commande, flottaient derrière lui; un chapeau
vertigineux, élancé de sa tête, menaçait le ciel...
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Ces miettes d'un, art sans précédent jusqu'alors ont été recueillies et
publiées sous ce titre: _la Rue_, en un volume devenu introuvable, et
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/54]]==
et
dont je regrette fort qu'on n'ait point fait de nouvelles éditions.
 
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Impressions lointaines qui me sont restées fidèles. Ces deux artistes,
ces deux hommes, si différents, sont demeurés pour moi l'objet d'une
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/55]]==
si différents, sont demeurés pour moi l'objet d'une
égale et tendre admiration.
 
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chez Cadart d'abord, dans les salles d'exposition; plus tard, rue
Drouot, dans le fond d'une arrière-boutique abandonnée.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/56]]==
 
C'était une vaste table en bois blanc, où traînaient, pêle-mêle,
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[image]
 
Maroteau et Magnard, Francis Enne, Albert Brun, Puissant,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/57]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/58]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/59]]==
Brun, Puissant,
Pipe-en-bois, Bellanger et d'autres.
 
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Puis _la Rue_ offusqua l'Empire; elle fut étranglée. Et, vers le même
temps, Vallès alla percher plus bas dans Paris, rue de Tournon, un étage
au-dessous de cet aventureux et charmant illuminé, le capitaine
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/60]]==
et charmant illuminé, le capitaine
Lambert, qui, certainement, aurait franchi le pôle, comme il l'avait
promis, si la destinée, brusquement, ne l'eût couché, criblé de balles,
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* * * * *
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/61]]==
 
A présent, je le perds de vue presque complètement jusqu'au siège, où je
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Que de fois encore, là, du coin de la cheminée maussade, il nous
emporte, oublieux, sur l'aile de sa parole ardente, imagée, au delà des
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/62]]==
delà des
remparts, de l'ennemi, de la saison, de l'angoisse, en des lointains
verdoyants, fleuris de ses souvenirs!
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sais qu'il a été condamné, surtout pour une phrase qu'il n'a ni
conseillée ni écrite; puis encore, une farce au ministère de
l'instruction publique, où il décréta, pour rire:
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/63]]==
publique, où il décréta, pour rire:
 
_Art._ 1er.--_L'orthographe est abolie._
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* * * * *
 
Vallès est, depuis neuf ans, sur la terre d'exil. Sa tête est blanche.l
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/64]]==
a terre d'exil. Sa tête est blanche.
Toujours vigoureux et vert, son robuste talent inscrit, parfois, dans
nos journaux, sa marque léonine. Faut-il révéler le secret de
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* * * * *
 
Quant aux capacités politiques de Vallès, je les ignore. Elle ne
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/65]]==
je les ignore. Elle ne
sauraient prévaloir, à mes yeux, sur sa gloire littéraire. Je le
voudrais ici, tout simplement, faisant ce qu'il peut faire, étant ce
Ligne 789 ⟶ 888 :
journées de Mai, n'a pas craint de proclamer en pleine chaire de
littérature: «Un des maîtres de la langue française!»
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/66]]==
 
[image]
Ligne 796 ⟶ 896 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/67]]==
 
FEU LE BŒUF-GRAS
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symboliserait mieux la situation. C'est égal: on peut regretter le
bœuf-gras. Il était un prétexte à la joie, une tradition gauloise, un
divertissement de «haulte graisse», éclatant et sonore, chassant
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/68]]==
et sonore, chassant
l'ennui devant ses paillons et ses fanfares, un exutoire à la
glaudissante furie populaire; et, n'en déplaise aux Spartiates modernes,
Ligne 826 ⟶ 929 :
 
En dehors du lustre, au moins momentané, requis des prétendants,
l'honneur
l'honneur d'être bœuf-gras ne vous arrive pas tout décerné dans le
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/69]]==
d'être bœuf-gras ne vous arrive pas tout décerné dans le
gilet. C'est comme la croix d'honneur, cela se demande; et François
Polo, fondateur de _la Lune_, l'avait demandé pour son journal qui, je
Ligne 840 ⟶ 945 :
quand Daubray lui lançait des pointes, il se contentait de grogner,
moitié figue, moitié raisin, avec un rire entrelardé:
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/70]]==
 
--L'empereur, c'est mon ami; eh! là-bas, petit, faut pas le débiner!...
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viandes. Autour de son chapeau léger où flottait une plume, et de sa
mante aux reflets mordorés, se découpaient les gigantesques moitiés de
bœufs e
bœufs entremêlant à la pourpre de leur chair de larges bandes de gras
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/71]]==
ntremêlant à la pourpre de leur chair de larges bandes de gras
jaune. Ce qu'il aurait fallu, pour peindre cela, de tubes de blanc
d'argent, de laque, de garance et de cadmium, est réjouissant à
Ligne 873 ⟶ 981 :
à _rouflaquettes_, à barbiche, à moustaches, faisait ses efforts pour
copier le masque impérial; je dois à là vérité de dire qu'il était
mieux: l'œil plus vif, le teint plus clair.p
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/72]]==
lus clair.
 
Il me reçut avec de vigoureuses démonstrations de belle humeur, et me
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chaleur!...
 
En effet, c'était le plus beau bœuf des cinq; il venait premier dans leb
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/73]]==
eau bœuf des cinq; il venait premier dans le
défilé, et ce fut lui qui s'appela: _la Lune_.
 
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elle retrouverait facilement ceux-ci: mâsure peinte jusqu'à mi-bâtisse,
en rouge foncé, _Hôtel du Luxembourg_, à deux culbutes du Sénat. Je n'ai
jamais connu
jamais connu rien de plus gai. La porte était implacablement fermée à
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/74]]==
rien de plus gai. La porte était implacablement fermée à
onze heures du soir; mais j'avais, aux fenêtres, des camarades qui me
descendaient la clef par une ficelle.--Chut!
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j'étais très jeune. Au fait, cela m'est plus doux à dire que le
contraire; et, en ce moment même où je censure le grand garçon échevelé
que j'étais alors, je me fais un peu l'effet du bon parrain qui daube,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/75]]==
un peu l'effet du bon parrain qui daube,
en public, son filleul, mais qui, au fond de soi, ne peut s'empêcher de
sourire, et songe, en le regardant: si j'avais encore son estomac et son
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n'avoir pas demandé d'argent, la veille, à la caisse. Aujourd'hui,
dimanche, impossible: bureau fermé. D'ailleurs, quoi? la belle affaire!
douze heures de retard... N'y avait-il pas là-haut de quoi couvrir
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/76]]==
couvrir
douze fois la somme? et patati, et patata.--Rien!
 
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apoplectique et rayonnant, se disant sans doute en son cœur:--Dans toute
la boucherie parisienne, non!..... je mets au défi! il n'y en a pas de
comme moi...
comme moi... Des bouchers comme Achille? ah! chaleur! pfwitt!»
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/77]]==
Des bouchers comme Achille? ah! chaleur! pfwitt!»
 
Et la bête bonne à manger, mugissante, immense et blanche, à son tour
Ligne 968 ⟶ 1 088 :
où je suis bœuf-gras!--Regardez!
 
Et j'attendis ses excuses, fier et calme, figé dans un mouvement de
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/78]]==
figé dans un mouvement de
pitié souveraine; à part moi, je pensais: Mélingue voudrait bien être à
ma place.
Ligne 988 ⟶ 1 110 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/79]]==
 
ACTES EN VERS
Ligne 1 001 ⟶ 1 124 :
Il appelle à lui les aspirants à la gloire, ce qui est généreux,
ausculte attentivement leurs essais, ce qui est courageux; et quand un
manuscrit, dans le tas, lui paraît suffisamment conforme au bon sens,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/80]]==
conforme au bon sens,
le met en scène et le joue, ce qui est héroïque.
 
Ligne 1 018 ⟶ 1 143 :
première fois, à charpenter les solives d'un drame de haute
architecture; mais aussi, l'acte en vers, dont le principe est de faire
miroiter une idée grosse comme une tête d'aiguille, l'acte en vers où
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/81]]==
d'aiguille, l'acte en vers où
il est indifférent d'avoir grand'chose à dire, suffisamment entraîné
qu'on est vers la quantité par l'enfilade des rimes, le petit acte en
Ligne 1 033 ⟶ 1 160 :
petites sœurs.
 
C'est la faute du _Passant_._Pas
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/82]]==
sant_.
 
Oui, le _Passant_, bijou exquis, diamant taillé dans le rêve, serti dans
Ligne 1 050 ⟶ 1 179 :
 
On l'avait annoncée, prônée, escomptée au café de _Bobino_, voisin des
arbres du
arbres du Luxembourg, où se réunissaient les _Parnassiens_, où passait
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/83]]==
Luxembourg, où se réunissaient les _Parnassiens_, où passait
Rochefort, où venait de débarquer, avec _Pierrot Héritier_, Paul Arène
au bras d'Alphonse Daudet, célèbre déjà par les _Lettres de mon moulin_.
Ligne 1 067 ⟶ 1 198 :
Comble de l'émotion! J'en appelle à ceux de mon âge: le lustre de
l'Odéon, ce soir-là, nous sembla rayonner notre aurore.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/84]]==
 
Dans la salle, il y avait le Tout-Paris de l'Empire: un bruit d'éperons,
Ligne 1 084 ⟶ 1 216 :
 
Ce rien enguirlandé de fleurs, enbaumé de jeunesse, le naïf et chaste
amour de Zanetto s'offrant, au clair de lune, à la Sylvia, la
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/85]]==
la
courtisane charnue et réveuse après boire, un idéal de l'Empire, fut
tout de suite accueilli, acclamé, adoré. La pièce déroula son collier de
Ligne 1 102 ⟶ 1 236 :
Et nous donc! la phalange de Bobino. Du délire!...
 
Après avoir touché la main du vainqueur chancelant d'émotion, courant
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/86]]==
chancelant d'émotion, courant
affolé par les couloirs, embrassé, fêté à la volée, serré de bras en
bras, on s'en fut par les rues endormies, chacun de son côté échafaudant
Ligne 1 121 ⟶ 1 257 :
 
La calotte de cuivre du pompier, perdu près de moi dans la coulisse,
avait, pour
avait, pour ma prunelle effarée, les flamboiements d'un casque
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/87]]==
ma prunelle effarée, les flamboiements d'un casque
d'Athénée.
 
Ligne 1 140 ⟶ 1 278 :
corde où mon orgueil d'auteur est resté pendu.
 
Est-ce à dire que l'acte en vers, m'ayant été dur, sera condamné? Non,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/88]]==
été dur, sera condamné? Non,
certes, et tant d'autres en ont tiré, sauront en tirer meilleur parti
que je ne l'ai su faire moi-même, parbleu! Seulement, j'ai peine à voir
Ligne 1 156 ⟶ 1 296 :
m'est apparu, bien que nous n'ayons encore, ni l'un ni l'autre, que je
sache, doublé le cap de la quarantaine, il m'est apparu, dis-je, dans la
brume de l'imagination, pâle, un peu cassé, pareil à un vieux petit
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/89]]==
pâle, un peu cassé, pareil à un vieux petit
employé, l'employé à l'acte en vers.
 
Ligne 1 190 ⟶ 1 332 :
 
La République venait d'être proclamée; l'Empire était à bas. J'avais
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/90]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/91]]==
l'âge admirable où, selon l'expression populaire, «on marche sur ses
vingt-huit ans». Depuis la veille, le sang m'affluait au cœur à le
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/92]]==
sang m'affluait au cœur à le
rompre... Enfin, c'était fait: Liberté! Égalité! Fraternité! Vive la
République! J'avais entendu et soutenu, d'une voix retentissante, le cri
Ligne 1 205 ⟶ 1 352 :
 
Enfin, je pris un fiacre; la voiture découverte était alors une des
manifestations de ma bonne humeur. C'est du haut d'un de ces chars
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/93]]==
chars
banals que, tantôt dressé, répondant aux passants avec des gestes de
bas-reliefs de Rude, et tantôt rassemblé, assis dans la majesté sereine
Ligne 1 220 ⟶ 1 369 :
 
Une chose que je ne remarquai pas d'abord, que je vis sans en chercher
la raison, c'est qu'à partir du Châtelet, les groupes arrivaient
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/94]]==
arrivaient
infailliblement en sens inverse de ma course, et que je remontais le
courant populaire.
Ligne 1 237 ⟶ 1 388 :
habitants, eût remarqué sans doute un homme très jeune encore,
pitoyablement vêtu d'un képi, d'une capote de soldat et d'un pantalon
gris à bande
gris à bande rouge. En poussant plus loin ses investigations, il eût pu
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/95]]==
rouge. En poussant plus loin ses investigations, il eût pu
même se convaincre que, par un système illusoire et compliqué
d'épingles, le jeune homme en question, probablement célibataire, avait
Ligne 1 252 ⟶ 1 405 :
qu'on aurait peine à les passer sous silence... Mais les jeunes estomacs
sont insatiables; je souhaitais plus encore; et comme, entre les sorties
de Trochu, il y avait du temps de reste, je rêvais d'employer ce temps
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/96]]==
temps de reste, je rêvais d'employer ce temps
à quelque besogne en rapport avec mes facultés, et qu'on m'aurait pu
accorder.
Ligne 1 267 ⟶ 1 422 :
 
C'étaient ceux qui, le 4 Septembre, n'avaient point négligé de se rendre
à l'Hôtel de Ville. Je ne parlerai pas non plus des inspecteurs deno
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/97]]==
n plus des inspecteurs de
musées «de province» qui, bloqués dans Paris, continuèrent à émarger
autre chose que trente sous, je vous jure! Je constate mélancoliquement,
Ligne 1 284 ⟶ 1 441 :
immobile dans le creux de sa main, couché sur le dos, faisant le mort,
comme un soldat de Champigny.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/98]]==
 
J'aime Rochefort et ne cache point ma sympathie, n'en déplaise à ses
Ligne 1 319 ⟶ 1 477 :
 
--Oui. Vous savez qu'il n'y a plus de censure.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/99]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/100]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/101]]==
 
--Je suis payé, au moins, pour savoir qu'il y en avait une.
Ligne 1 325 ⟶ 1 488 :
l'Empire.
 
--Oui, continuait toujours le délégué impassible, eh bien! il n'y en a
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/102]]==
eh bien! il n'y en a
plus. Mais nous avons toujours les censeurs.
 
Ligne 1 351 ⟶ 1 516 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/103]]==
 
L'INFLEXIBLE PIÉTRI
Ligne 1 364 ⟶ 1 530 :
* * * * *
 
L'_Inflexible_!--Se souvient-on de cette publication qui vulgarisait
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/104]]==
publication qui vulgarisait
l'idéal de l'immonde? ou la collection honteuse de ses quelques numéros
pourrit-elle, oubliée, dans le fumier de l'Empire? Le malheureux qui ne
Ligne 1 378 ⟶ 1 546 :
incarcéré trois fois, tant par la justice militaire que civile; mais,
par exemple, toujours pour vol: manque de variété dans le motif.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/105]]==
 
Il avait, l'aimable drôle, pour collaborateur anonyme en cette affaire,
Ligne 1 393 ⟶ 1 562 :
entrevu: je m'occupai du jeune. Et, le jour même de l'apparition du
placard, je me mis en quête d'en rencontrer le signataire que je
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/106]]==
connaissais davantage; autre part je dirai comment.
 
Ligne 1 410 ⟶ 1 581 :
et le soir, désespéré, je courus chercher deux témoins, espérant qu'ils
seraient plus avisés ou moins éventés.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/107]]==
 
Or, ces deux témoins, François Polo, rédacteur en chef de l'_Éclipse_,
Ligne 1 429 ⟶ 1 601 :
 
Je m'enfermais, je n'osais plus sortir; ce soir-là je n'ai vu que Victor
Noir, le gra
Noir, le grand enfant, qui vint se jeter dans mes bras les yeux pleins
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/108]]==
nd enfant, qui vint se jeter dans mes bras les yeux pleins
de larmes, ému et frémissant, tout mouillé, comme un bon et brave chien
de Terre-Neuve qu'il aurait dû naître. Mais cela ne suffisait point.
Ligne 1 445 ⟶ 1 619 :
A onze heures du matin, un samedi peut-être, en fin de compte, le jour
où l'_Éclipse_, sous presse, attendait mon arrivée pour imprimer, je
m'en fus à la Préfecture, dans un fiacre aux stores baissés. Je vous
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/109]]==
fiacre aux stores baissés. Je vous
dis qu'avant d'avoir lavé l'injure, je me serais laissé mourir de faim
plutôt que de montrer le bout de mon nez aux Parisiens!
Ligne 1 460 ⟶ 1 636 :
claire, riaient en agitant des ombrelles. Sur le quai des
Vieux-Augustins, en face, on apercevait les étalages de bouquins, les
devantures de marchands d'estampes, et, à droite encore, la boutique du
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/110]]==
d'estampes, et, à droite encore, la boutique du
restaurant Lapérouse où la table est si gaie, où, devant la fenêtre
ouverte, avec un doigt de cognac sous le nez, tout en voyant passer les
Ligne 1 476 ⟶ 1 654 :
accueillie ma demande d'audience.
 
--Par ici, entrez donc... Le garçon d'antichambre était plié en deux
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/111]]==
était plié en deux
sur mon passage, et je pénétrai dans l'antre du souverain de la Police.
 
Ligne 1 491 ⟶ 1 671 :
de fièvre échauffe toujours le débit, je ne craignis pas d'ajouter: un
journal qu'on prétend même émané de votre administration.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/112]]==
 
Le Piétri, impassible, ne sourcilla pas. Je continuai:
Ligne 1 511 ⟶ 1 692 :
 
--Mon congé?... ah! ma foi, je l'ai égaré.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/113]]==
 
--J'en aurais besoin. Procurez-vous en un double.
Ligne 1 530 ⟶ 1 712 :
 
J'entre dans des bureaux, je force des consignes. Des aides de camp du
chef, des
chef, des employés subalternes m'affirment avec douceur que leur maître
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/114]]==
employés subalternes m'affirment avec douceur que leur maître
est tout disposé en ma faveur, qu'il ferait l'impossible pour m'être
utile; mais... il est parti. Reviendra-t-il demain?... ce soir?
Ligne 1 549 ⟶ 1 733 :
des antécédents judiciaires de chacun. Le mien n'a qu'un mot: NÉANT.
 
Je l'emporte, enthousiasmé, je l'imprime: mes lecteurs de cette époque
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/115]]==
mes lecteurs de cette époque
l'ont vu dans le nº 4 de la première année de l'_Éclipse_, à la date du
5 juillet 1868.
Ligne 1 577 ⟶ 1 763 :
 
--Tu ne travailles donc pas, mon petit ami?
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/116]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/117]]==
 
--Non, m'sieu.
Ligne 1 585 ⟶ 1 774 :
 
Eh! bien, ce mot qu'on ne peut entendre sans sourire, il me fait choir
en mélancolie, quand je songe à quantité de grands garçons qui ont
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/118]]==
quand je songe à quantité de grands garçons qui ont
vingt-cinq ans à cette heure et qui, continuant la tradition du moutard
de l'asile, bien portants, mais sceptiques, sans foi, sans feu, sans
Ligne 1 601 ⟶ 1 792 :
plus jeunes.--C'est près de quelque grand aîné que je me réfugie.
 
Difficilement, en effet, trouverais-je autre part, en été, un géant de
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/119]]==
part, en été, un géant de
belle humeur qui, comme l'illustre professeur Pajot, m'entraînât, toute
une après-midi, sur les flots jaseurs et ombragés de la Marne, à force
Ligne 1 616 ⟶ 1 809 :
l'espoir, de tous les anciens que j'ai connus.
 
Les jeunes ont des vapeurs, des névroses, de l'ennui latent, des
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/120]]==
de l'ennui latent, des
ironies clichées pour tout ce qui fut admirable, un vilain dégoût de
l'effort, un rire de crécelle à tout idéal, une avide recherche du
Ligne 1 634 ⟶ 1 829 :
 
De même, je ne saurais oublier que les _Nana_, dont, tantôt, l'histoire
nous
nous fut contée, ont triomphalement, aux applaudissements du dernier
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/121]]==
fut contée, ont triomphalement, aux applaudissements du dernier
règne, inventé, vulgarisé, multiplié quantité de pratiques peu
ravigotantes pour la descendance de leurs adorateurs.
Ligne 1 647 ⟶ 1 844 :
regretté, Glatigny, qui, certes, n'était point robuste, a néanmoins
brûlé jusqu'au bout d'une belle flamme; et, si nous n'étions en proie à
une école de découragement systématique, on pourrait peut-être encore
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/122]]==
être encore
se tirer d'affaire, avec de violents dépuratifs.
 
Ligne 1 664 ⟶ 1 863 :
 
L'habitude en est venue, la mode: l'usage en a passé dans l'art et dans
la science. Va pour la science dont les analyses décevantes sont
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/123]]==
pour la science dont les analyses décevantes sont
compensées par le bien-être des découvertes; mais pour l'Art. L'Art, qui
doit être comme un baume appliqué proportionnellement sur les blessures
Ligne 1 680 ⟶ 1 881 :
mieux porter l'écarlate pourpoint de Gautier que le gilet de flanelle
des éreintés de mon temps!
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/124]]==
 
Ah! nous sommes loin du Corrège et de son cri d'enthousiasme: «_Anch'io
Ligne 1 694 ⟶ 1 896 :
récent anniversaire de Victor Hugo: un cri d'admiration poussé loin
d'ici, voilà longtemps. La scène est à deux personnages; l'un est le
Maître lui-même; l'autre, un mien vieil ami que j'ai nommé tout à
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/125]]==
un mien vieil ami que j'ai nommé tout à
l'heure.
 
Ligne 1 713 ⟶ 1 917 :
 
Hugo--c'était lui--s'arrêta, s'inclina; mais le cheval effrayé du cri,
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/126]]==
violemment refréné, se cabra si rudement, qu'il envoya son cavalier sur
le sol, et s'enfuit.
Ligne 1 732 ⟶ 1 938 :
 
Ce fut pour mon homme un désappointement si amer, qu'il demanda, toute
la journée,
la journée, des consolations au vin d'Espagne, et le soir, n'ayant
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/127]]==
des consolations au vin d'Espagne, et le soir, n'ayant
obtenu qu'une recrudescence de mélancolie, s'alla glisser dans un
torrent qui cascadait par là.
Ligne 1 748 ⟶ 1 956 :
 
C'est égal: cela sent bon, l'enthousiasme et l'amour du beau! Tout excès
dévotieux est, à mon goût, préférable au dénigrement en face d'un
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/128]]==
en face d'un
génie, unique depuis les prophètes, et pour l'éclosion duquel il a fallu
l'effort de dix-huit cents ans!...
Ligne 1 768 ⟶ 1 978 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/129]]==
 
CLÉMENT THOMAS
Ligne 1 782 ⟶ 1 993 :
 
--Bon! depuis quand?
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/130]]==
 
--Depuis tout à l'heure, à Montmartre; il faut voir ça!
Ligne 1 800 ⟶ 2 012 :
L'exercice violent lui est indispensable; et jamais la gravure en
taille-douce à laquelle il était destiné, qu'il exerça par intervalles,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/131]]==
non sans talent, n'a pu apaiser le tourment de ses muscles. Avec cela,
une sorte de curiosité invincible des métiers populaires. Je l'ai connu,
Ligne 1 816 ⟶ 2 029 :
Mocquart, il partit battre la plaine avec sa compagnie, puis tomba
malade: il avait rencontré la petite vérole noire qui courut le
guilledou en ce temps. Sa face énergique était belle, de ligne
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/132]]==
de ligne
régulière et pure; elle est, depuis lors, couturée, labourée. Tant bien
que mal, s'accrochant aux arbres, rampant le long des buissons, se
Ligne 1 830 ⟶ 2 045 :
la fit venir, l'épousa, comptant mourir et lui laisser du pain...
 
Pour «peuple» que soit mon homme, on voit qu'il s'en peut rencontrer de
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/133]]==
voit qu'il s'en peut rencontrer de
plus vulgaires.
 
Ligne 1 847 ⟶ 2 064 :
liberté.
 
Je voudrais dire, au surplus, ce qu'il m'a semblé démêler
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/134]]==
qu'il m'a semblé démêler
d'enfantillage en cette affaire.
 
Ligne 1 863 ⟶ 2 082 :
réprime.
 
Le châtiment formidable et solennel exagère la physionomie des
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/135]]==
la physionomie des
réprouvés, et d'ombres dans la vie fait des statues dans la mort. Je
parle des meneurs comme des menés, du troupeau comme des chefs:
Ligne 1 879 ⟶ 2 100 :
une croûte roulée au ruisseau.
 
En dépit de ses fautes, le peuple de la Commune gardera cet aspect pour
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/136]]==
gardera cet aspect pour
la pitié humaine:
 
Ligne 1 896 ⟶ 2 119 :
 
Il pouvait être environ trois heures et demie ou quatre heures du soir.
Près du troisième arbre, au bord du trottoir, sur le terre-plein qui
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/137]]==
terre-plein qui
règne au milieu de la chaussée, je les vois encore; ils étaient debout:
un sergent de fédérés, petit, physionomie chafouine; un homme quelconque
Ligne 1 912 ⟶ 2 137 :
 
Un passant qui vint s'ajouter à nous murmura:
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/138]]==
 
--Tiens! c'est Clément Thomas.
Ligne 1 929 ⟶ 2 155 :
retraite oblique avaient allumé la défiance du groupe qui s'était formé
autour de nous, groupe qui devenait foule.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/139]]==
 
Une voix cria: il faut l'arrêter! La retraite lui fut barrée; on
Ligne 1 949 ⟶ 2 176 :
promenade, je pris mon compagnon par le bras, et le ramenai dans Paris.
 
Ce n'est que vers huit heures du soir que la rumeur nous apprit la
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/140]]==
la rumeur nous apprit la
double exécution de Lecomte et de Clément Thomas.
 
Ligne 1 968 ⟶ 2 197 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/141]]==
 
LE MODÈLE
Ligne 1 983 ⟶ 2 213 :
 
Mes enfants ont été photographiés chez Nadar.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/142]]==
 
Ma femme a préféré poser chez Carjat, parce qu'en dehors de son métier,
Ligne 1 998 ⟶ 2 229 :
consistance, ni valeur sérieuse; elle passe, on l'égare; en résumé, ce
n'est que du papier; la sculpture est triste, pâle, encombrante et
lou
lourde en diable; on ne sait où la fourrer; si on prend le parti de la
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/143]]==
rde en diable; on ne sait où la fourrer; si on prend le parti de la
mettre au jardin--encore faut-il avoir ce jardin--elle est exposée aux
caprices de la température. Le dessin au crayon, même aux deux crayons,
Ligne 2 013 ⟶ 2 246 :
l'Histoire.
 
Ces considérations m'avaient décidé. Une seule chose me retenait
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/144]]==
seule chose me retenait
encore; le prix qu'on à coutume de payer ces sortes de produits. J'avais
interrogé, près du Louvre, un gardien du Musée:
Ligne 2 033 ⟶ 2 268 :
 
--Bigre! il faut convenir que ces messieurs gagnent l'argent bien
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/145]]==
facilement.
 
Ligne 2 050 ⟶ 2 287 :
Heureusement nous avons dans le quartier un artiste plus abordable.
 
Au moins, s'il a de ces prétentions scandaleuses, n'a-t-il pas réussi
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/146]]==
n'a-t-il pas réussi
encore à les imposer, car on a saisi ses meubles avant-hier. Je le tiens
de mon huissier qui venait d'instrumenter en personne.
Ligne 2 068 ⟶ 2 307 :
 
Je voulais une pose qui fût digne de moi, p'fft!... Je dis à l'artiste:
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/147]]==
 
--Faites-moi à mi-corps. A mi-corps... avec la pose favorite de M.
Ligne 2 086 ⟶ 2 326 :
tardèrent pas à me faire mal au cœur. J'avais envie de fermer les yeux.
Je dis à l'artiste:
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/148]]==
 
--Avez-vous besoin du regard?
Ligne 2 110 ⟶ 2 351 :
 
Je me demandais: _Fais voir_... quoi? Savez-vous ce qu'elle fait
voir?--p'fft!--elle ôte sa jupe, sa camisole, elle ôte tout, et se met
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/149]]==
se met
nue, complètement nue, p'fft! p'fft! p'fft!
 
Ligne 2 131 ⟶ 2 374 :
indignation se calmait. La pensée me vint d'attendre cette enfant. Il me
semblait qu'il y avait là une bonne action à faire, qu'on pouvait encore
ramener au bien cette âme égarée...
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/150]]==
égarée...
 
Au bout de cinq minutes, elle sortit. Je ne pus, en la revoyant, me
Ligne 2 152 ⟶ 2 397 :
ma situation,--p'fft!
 
--Jurez-moi, lui dis-je, que c'est la dernière fois, et que vous serez
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/151]]==
fois, et que vous serez
sage désormais.
 
Ligne 2 163 ⟶ 2 410 :
Après un bel inventaire de fin d'année, je ne sais rien de meilleur dans
la vie.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/152]]==
 
[image]
Ligne 2 170 ⟶ 2 418 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/153]]==
 
A L'ÉCOLE DES BEAUX-ARTS
Ligne 2 179 ⟶ 2 428 :
soixantaine--je connais cela--réunis, aux premières lueurs de l'aube,
dans la troisième cour, à gauche, de l'École des Beaux-Arts, armés d'une
boîte à couleurs, d'un chevalet portatif, d'une toile «de 6», et munis
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/154]]==
d'un chevalet portatif, d'une toile «de 6», et munis
d'un petit pain d'un sou.
 
Ligne 2 194 ⟶ 2 445 :
n'ont apporté aucun document, croquis ou calque de maître. Un à un, ils
graviront le petit escalier raide qui mène au lieu du concours,
déboucheront dans un long couloir, orné, en son milieu, de poêles en
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/155]]==
milieu, de poêles en
fonte espacés, percé, à droite et à gauche, d'étroites logettes.
 
Ligne 2 208 ⟶ 2 461 :
La gaieté, d'ailleurs, est rarement affinée, chez les jeunes gens,
peintres ou sculpteurs. Dès l'enfance, marqués au front de la folie
spéciale qui prendra leur vie, rarement ils font leurs études,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/156]]==
font leurs études,
observent autrement que par les yeux, soumettent leur esprit au crible
de la fréquentation.
Ligne 2 224 ⟶ 2 479 :
 
J'y ajouterai deux traits que je tiens d'un vieux, d'un ancien, du temps
où l'on payait encore un sou pour passer le pont des Arts, et où le
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/157]]==
et où le
pont Neuf était, à droite et à gauche, flanqué de niches en pierre où de
petits marchands débitaient leurs produits.
Ligne 2 239 ⟶ 2 496 :
 
Mais alors, un des grands de la bande, l'homme à barbe du tas,
l'arrêtait d'un air protecteur, disant: «Laissez donc! ce sont des
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/158]]==
des
enfants; je vais payer.» Et tandis que le malheureux invalide, à demi
rasséréné, guignait, du coin de l'œil, le tourbillon disparaissant, lui
Ligne 2 254 ⟶ 2 513 :
sortit de la poêle, à l'instant même où arrivaient les cent drôles.
Alors on lui demanda: «Sont-ils bien chauds?»
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/159]]==
 
--Oh! oui, messieurs.--Bien chauds! brûlants!
Ligne 2 269 ⟶ 2 529 :
 
C'est généralement une belle parole de l'histoire sainte ou païenne. Il
s'agit d'exprimer, avec des tons, des contours et des plis d'étoffe,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/160]]==
d'étoffe,
l'éloquence d'un Gracque ou d'un Machabée!
 
Ligne 2 283 ⟶ 2 545 :
vont incertains, inquiets, moins brillants que le matin. L'impassible
gardien met sous clé soixante toiles de 6, à jamais barbouillées.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/161]]==
 
Deux jours après, le jugement sera rendu: vingt élèves, sur cette
Ligne 2 297 ⟶ 2 560 :
grandes filles en pain d'épice du Transtévère, égrenant ses belles
années dans la poussière et l'ennui des choses mortes.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/162]]==
 
Puis, si vraiment il est marqué du signe auquel on reconnaît les
Ligne 2 312 ⟶ 2 576 :
de jeunesse, au fumet vertigineux de l'Espérance...
 
Et soyez émus devant vos professeurs, comme je le fus, autrefois,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/163]]==
comme je le fus, autrefois,
devant Horace Vernet:
 
Ligne 2 329 ⟶ 2 595 :
je laissai choir ma cigarette, la ramassai, de plus en plus confus;
puis, prenant le cigare qui me parut éteint, songeant peut-être, dans
mon délire, à le raviver, je l'approchai de mes lèvres, avec un troubleave
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/164]]==
c un trouble
tel que je mis dans ma bouche le côté du feu.
 
Ligne 2 346 ⟶ 2 614 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/165]]==
 
LE TABLEAU DE MARCEL
Ligne 2 357 ⟶ 2 626 :
commissionnaires, emporter, vers le palais à coiffe de verre des
Champs-Élysées, la moisson d'art annuelle.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/166]]==
 
Il y a eu, comme toujours, grande presse au dernier moment, sur le
Ligne 2 372 ⟶ 2 642 :
On a hurlé des «bans» pour Carolus, espéré vainement Sarah Bernardt.
Enfin les gardiens du Palais ont repoussé la foule au dehors. A cinq
heures, les portes se sont fermées. Silence. Il faut attendre
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/167]]==
fermées. Silence. Il faut attendre
maintenant les décisions du jury. Que faire jusqu'au premier mai,
jusqu'à l'ouverture de l'Exposition?
Ligne 2 386 ⟶ 2 658 :
sa vie en cette toile; à l'heure de la séparation, non seulement c'est
un vide à l'atelier, c'est véritablement un trou dans le cœur. Chez les
isolés surtout, les célibataires. Pour eux, c'est absolument l'ami qui
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/168]]==
Pour eux, c'est absolument l'ami qui
s'en va, le consolateur, le confident des causeries muettes pendant les
longs crépuscules d'hiver, aux reflets mourants du poêle, alors que,
Ligne 2 404 ⟶ 2 678 :
 
Il a fallu songer aux modèles.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/169]]==
 
Trouver l'ouvrier, la femme du peuple, rien de plus facile. Depuis
Ligne 2 422 ⟶ 2 697 :
 
Orphelin de bonne heure, jeté au vent du hasard, en dédaignant les
aubaines, retenu en même temps que poussé hors des étroites conventions
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/170]]==
conventions
de la société moyenne, par ces deux fatalités natives:--pauvreté,
imagination,--il a grandi dans l'indépendance d'allure et d'esprit qui
Ligne 2 441 ⟶ 2 718 :
théâtre.
 
Là, dans la fumée des pipes, le chant des ouvriers, la joyeuse odeur du
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/171]]==
ouvriers, la joyeuse odeur du
vernis, sous le regard troué des têtes de cotillon, la trompe en
baudruche des éléphants de féerie; dans le vaste pandémonium, encombré
Ligne 2 459 ⟶ 2 738 :
manières», dit-elle humblement.
 
L'enfant est venu, un garçon; elle l'a élevé tant bien que mal.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/172]]==
tant bien que mal.
Maintenant il est soldat.
 
Ligne 2 481 ⟶ 2 762 :
virer, s'assouplir, vivre le poupon dans ces vieilles mains maternelles.
 
Une épingle ici, une épingle là; en un clin d'œil ce fut fini; puis,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/173]]==
clin d'œil ce fut fini; puis,
soulevant le poupon dans ses bras, et le contemplant d'un œil enchanté:
 
Ligne 2 499 ⟶ 2 782 :
regard errant aux solives du plafond, où les araignées, silencieusement,
tissent leurs fils pareils à des cheveux gris.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/174]]==
 
[image]
Ligne 2 504 ⟶ 2 788 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/175]]==
 
LE CHAUFFEUR
Ligne 2 521 ⟶ 2 806 :
locomotive, ce chauffeur qui, d'un bout du monde à l'autre, mène, à son
sort divers, l'humanité, cet humble ouvrier de vertige et de précision,
il a, aujourd'hui, charge d'âme et de chair souveraines: il conduit un
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/176]]==
et de chair souveraines: il conduit un
prince, un cousin d'empereur, au plaisir.
 
Ligne 2 538 ⟶ 2 825 :
 
Le chauffeur, grave, est monté à son poste, sur le monstrueux cheval de
fer qui
fer qui dévore la braise et la flamme. Il allume sa pipe, le chauffeur,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/177]]==
dévore la braise et la flamme. Il allume sa pipe, le chauffeur,
et sourit... Que voulez-vous? la vie est faite ainsi pour lui; à
d'autres la joie, aux princes! L'effrayant coursier mugit, siffle,
Ligne 2 553 ⟶ 2 842 :
voûte aux parois humides; hue! par la route rayée d'acier, longée de
fils de télégraphe qui montent et descendent, comme une portée de
musique notée d'oiseaux. Hurrah! nous n'avons pas le temps de saluer
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/178]]==
nous n'avons pas le temps de saluer
les clochers; hurrah! plus vite! et déroule, plus épaisse et plus folle
encore, ta tresse échevelée de vapeur noire: le prince est pressé.
Ligne 2 568 ⟶ 2 859 :
malgré la pluie qui te glace, la vapeur qui te brûle, en avant!... Le
chemin va... va! va!...
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/179]]==
 
Oh! horreur!...
Ligne 2 584 ⟶ 2 876 :
craque, le train sursaute, se cabre; la locomotive est effondrée,
éventrée; la cheminée s'abat; de toutes parts, des quartiers de roc,
lancés de
lancés de la charrette broyée, volent en éclats, en poussière; les deux
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/180]]==
la charrette broyée, volent en éclats, en poussière; les deux
ouvriers gisent sur le chemin, le mécanicien tué, le chauffeur, les
jambes fracassées; mais le train franchit l'obstacle, passe... Le prince
Ligne 2 599 ⟶ 2 893 :
qui l'a commise?... Oh! ce chauffeur, ce gueux! Qu'on ne le laisse pas
s'échapper!--Ne craignez rien, Altesse, il n'a plus de jambes!--Ah! très
bien. Qu'on
bien. Qu'on le juge! On le juge.--Qu'on le condamne! On le condamne.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/181]]==
le juge! On le juge.--Qu'on le condamne! On le condamne.
 
Te voilà condamné, chauffeur! Tu n'as plus tes quatre-vingt-dix francs,
Ligne 2 613 ⟶ 2 909 :
années. Écoute, je le dis pour consoler ta cendre: il est plus gras que
jamais, le prince; il a perdu le goût des voyages; il rêve une situation
assise, un trône, par exemple, d'où son cœur généreux, comme il a fait
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/182]]==
exemple, d'où son cœur généreux, comme il a fait
pour toi, se pencherait sur des millions de travailleurs, tes pareils,
sur l'innombrable troupeau de tes frères, sur le peuple de France.
Ligne 2 624 ⟶ 2 922 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/183]]==
 
GUSTAVE COURBET
Ligne 2 643 ⟶ 2 942 :
souvenir, l'autre jour, en visitant les salles d'exposition de
l'_Impressionnisme_, une école dont chaque adepte, tour à tour, aussitôt
qu'il parvient à forcer la porte du Salon officiel, se hâte
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/184]]==
Salon officiel, se hâte
d'abandonner les résolutions intransigeantes.
 
Ligne 2 658 ⟶ 2 959 :
retroussis narquois de sa lèvre. Honnête homme, d'ailleurs, très
honnête, et ce doit être le remords de M. Dumas fils de l'avoir insulté.
Tout au plus fallait-il en rire, après avoir admiré l'inconscient génie
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/185]]==
il en rire, après avoir admiré l'inconscient génie
du peintre.
 
Ligne 2 675 ⟶ 2 978 :
allongés, profonds, doux et bleus. J'ai songé bien des fois, en les
regardant, à leur puissance inouïe de vision; je les imaginais
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/186]]==
s'ouvrant sur tel ou tel coin de nature, l'absorbant, pour ainsi dire,
et en emprisonnant à jamais le reflet, sous les paupières.
Ligne 2 690 ⟶ 2 994 :
instinct.
 
Le _Maître d'Ornans_ était peintre et paysan. Proudhon, Champfleury,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/187]]==
et paysan. Proudhon, Champfleury,
Castagnary l'ont gratifié d'une philosophie. Sa vanité flattée s'efforça
d'en revêtir l'étoffe et s'y carra jusqu'au ridicule. Faiblesse et
Ligne 2 707 ⟶ 3 013 :
 
Ajoutons que cette grosse vanité dont on lui a fait un crime, et qui
l'entraîna
l'entraîna vers les plus sots dangers, lui fut bien utile, au début, en
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/188]]==
vers les plus sots dangers, lui fut bien utile, au début, en
se doublant d'opiniâtreté.
 
Ligne 2 728 ⟶ 3 036 :
_couchais_? Toujours à dormir, donc?
 
--Bon! qu'est-ce que vous me _fichais_? Faut donc point dormir pour
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/189]]==
Faut donc point dormir pour
_travaillais_? Et la mère?
 
Ligne 2 747 ⟶ 3 057 :
 
Étourdi, aveuglé par l'éclat des dorures, le vieux villageois tourne,
glisse et se torticolise en la splendeur des salles, sans riento
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/190]]==
rticolise en la splendeur des salles, sans rien
comprendre.
 
Ligne 2 769 ⟶ 3 081 :
Étayé sur ce dévouement, Courbet put s'obstiner, s'imposer, parvint.
 
Il a été incontestablement une des grandes figures, un des initiateurs
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/191]]==
des grandes figures, un des initiateurs
de la peinture contemporaine.
 
Ligne 2 787 ⟶ 3 101 :
 
* * * * *
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/192]]==
 
J'ignore s'il eut en sa jeunesse des heures de fougue, d'emportement. Je
Ligne 2 803 ⟶ 3 118 :
crue et triste, arrêtée au milieu de la pièce, ébauchant confusément,
dans le fond, les toiles délaissées, les châssis brisés, les cadres hors
d'usage abandonnés pêle-mêle avec quelques vieux meubles sans valeur
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/193]]==
meubles sans valeur
envahis par la poussière.
 
Ligne 2 821 ⟶ 3 138 :
camarades, les Toussenel, les Charton, les Dupré, les Vallès, les André
Lemoyne, etc...
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/194]]==
 
C'est alors qu'il fallait voir, les manches retroussées, son bras blanc
Ligne 2 841 ⟶ 3 159 :
 
Il m'en voulut longtemps de mon irrévérence.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/195]]==
 
Un autre soir, il courut haletant vers Montmartre, arriva en sueur au
Ligne 2 861 ⟶ 3 180 :
J'arrive à la colonne.
 
L'idée du déboulonnement (mon _idaie_, prononçait-il), qui lui avait
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/196]]==
(mon _idaie_, prononçait-il), qui lui avait
poussé en septembre 1870 et qui n'avait alors excité aucune réprobation
du gouvernement de la Défense, ardent à répudier tout souvenir des
Ligne 2 894 ⟶ 3 215 :
Où est donc passé l'_Enterrement d'Ornans_, que, pendant la Commune,
j'avais fait apporter au Luxembourg?
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/197]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/198]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/199]]==
 
Courbet, cette masse engourdie et fruste, avec une vision saine et un
Ligne 2 901 ⟶ 3 227 :
Il a su garder l'indépendance, la liberté de ses sensations; tel il
était, tel il s'est rué tout entier dans son effort, et c'est pourquoi
peut-être il aura quelque jour en son pays une statue que ne
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/200]]==
une statue que ne
déboulonnera pas la postérité.
 
Ligne 2 914 ⟶ 3 242 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/201]]==
 
LE VOL
Ligne 2 925 ⟶ 3 254 :
Il ne lit pas. Ses yeux ardents et fixes poursuivent, dans l'espace, une
des mille illusions de son âge. Il est devant la vie ouverte à peine,
incertain, enthousiaste de tout, vigoureux, plein de désirs non encore
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/202]]==
tout, vigoureux, plein de désirs non encore
formulés.
 
Ligne 2 942 ⟶ 3 273 :
 
Comme il fait triste en ce réduit! Par la fenêtre, on ne voit que le
pavé de la cour où l'herbe pousse, et un pan de mur gris, plein de
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/203]]==
l'herbe pousse, et un pan de mur gris, plein de
moisissure, où s'adosse une pompe en fer.
 
Ligne 2 959 ⟶ 3 292 :
blanches!...
 
Il rêve: avoir des éperons, des bottes de buffle comme d'Artagnan, le
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/204]]==
des bottes de buffle comme d'Artagnan, le
fer qui sonne à la hanche de Hernani, le rayon qui dore la chevelure de
Raphaël, la chaîne aux pieds, comme Christophe Colomb,... épouvanter,
Ligne 2 977 ⟶ 3 312 :
flétri...
 
Dans un coin de la chambre, il y a deux commodes, l'une sur l'autre; la
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/205]]==
commodes, l'une sur l'autre; la
tante, à l'étroit dans son refuge, a empilé les meubles; elle n'a rien
voulu aliéner de l'humble héritage. Il ouvre les tiroirs, les fouille...
Ligne 2 991 ⟶ 3 328 :
 
Le voilà dehors, envolé, libre!... L'air est vif, les passants vont et
viennent; il lui semble qu'on le regarde. Que va-t-il faire?... il n'a
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/206]]==
semble qu'on le regarde. Que va-t-il faire?... il n'a
ni faim, ni soif; il est ivre, ivre de son vol. Cette pièce d'or, au
fond de sa poche, lui brûle le creux de la main; l'atmosphère à ses
Ligne 3 004 ⟶ 3 343 :
ouvriers, curieux de frotter leur cuir à cette peau délicate, l'emmènent
boire, lui font changer sa pièce: on ne le quitte plus, il a de quoi
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/207]]==
payer.
 
Ligne 3 022 ⟶ 3 363 :
 
Le matin lentement blanchit les toits. Combien de temps a-t-il marché
ainsi sans voir le chemin?... Maintenant, il est dans son quartier:
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/208]]==
il est dans son quartier:
l'instinct l'a ramené: voilà sa rue. Les boutiques s'ouvrent; on le
regarde passer honteux, défait, les vêtements en désordre; on le
Ligne 3 040 ⟶ 3 383 :
--Ah! vous voilà.
 
Alors lui, le misérable enfant, il succombe, ses jarrets fléchissent:
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/209]]==
ses jarrets fléchissent:
il s'abat sur les genoux.
 
Ligne 3 062 ⟶ 3 407 :
Oui, mon cher ami, il est de moi, ce croquis que vous avez trouvé un
soir chez l'Auvergnat de la rue Serpente, au milieu de la ferraille et
des verr
des verres cassés; quant au profil qu'il représente, je ne l'ai pas
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/210]]==
es
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/211]]==
cassés; quant au profil qu'il représente, je ne l'ai pas
connu vivant.
 
Ligne 3 068 ⟶ 3 417 :
de ces dessins lugubres, _Portraits après décès_; c'était, je crois, une
spécialité dans le quartier pauvre que j'habitais alors, et l'on en
retrouverait quelques-uns par-ci, par-là, dans les mansardes ouvrières.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/212]]==
ouvrières.
Du reste, je ne regrette pas que le besoin de gagner ma vie m'ait placé
souvent en face de ces têtes de trépassés: le doigt de la mort, en les
Ligne 3 085 ⟶ 3 436 :
 
L'artiste était au bain froid. Une fois au moins, chaque jour, entre
deux brassées, j'entendais le baigneur crier mon nom. Eh! houp! J'étais
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/213]]==
houp! J'étais
hors de l'eau, ruisselant comme un caniche. Courir à ma cabine,
m'essuyer dans mes hardes, c'était l'affaire d'un moment, et j'étais au
Ligne 3 099 ⟶ 3 452 :
J'entrai timide et furtif, conduit par un voisin; il me reçut gravement
et avec embarras, parlant bas, me regardant avec des yeux qui
remerciaient déjà.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/214]]==
déjà.
 
C'était une grande misère. Il y avait une chaise préparée en face du
Ligne 3 117 ⟶ 3 472 :
table, une commode en bois blanc, quelques ustensiles de cuisine
abandonnés, aux angles desquels la lumière vacillante mettait des tons
rougeâtres.
rougeâtres. Et dans le coin, au fond, les deux yeux du veuf qui était
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/215]]==
Et dans le coin, au fond, les deux yeux du veuf qui était
au pied du lit.
 
Ligne 3 134 ⟶ 3 491 :
étrange et particulière aux cholériques qu'on ne peut baisser leurs
paupières.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/216]]==
 
Il y avait une odeur âcre qui m'épouvantait; je ne sais si l'homme s'en
Ligne 3 154 ⟶ 3 512 :
--Oui..., oui..., fit-il, et il fut presque heureux, une seconde. Puis,
comme j'avais pris mon chapeau et mon carton:
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/217]]==
 
--Pardonnez-moi, monsieur, fit-il, en me reconduisant sur le carré, je
Ligne 3 171 ⟶ 3 530 :
je les vois grimacer parfois sous le crayon, dans la bouffissure des
heureux, des puissants du jour, de ceux que je dessine à cette heure.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/218]]==
 
Et c'est peut-être la cause de cette mélancolie que vous avez su lire à
Ligne 3 184 ⟶ 3 544 :
CHARENTON
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/219]]==
 
Puissé-je, en appelant l'attention publique sur un fait personnel de peu
Ligne 3 192 ⟶ 3 553 :
allais fréquemment. J'aime ce pays de lumière blanche, de claire
verdure, où le peuple est nul, sans ambition, sans guerre, sans
enthousiasme, sans talent, sans esprit et sans caractère. Je m'y sens
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/220]]==
m'y sens
vivre et penser plus clairement qu'autre part. Puis, tout autour sont
les Flandres, pays de religion artistique, où la mémoire des maîtres se
Ligne 3 206 ⟶ 3 569 :
Une voiture me conduisit jusqu'à Malines; là, le cocher manifesta le
désir de ne pas aller plus loin. Je le quittai, je cherchai à le
remplacer, je n'y pus parvenir; Malines est un bourg mort. Je pris donc
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/221]]==
un bourg mort. Je pris donc
le parti de franchir à pied la distance qui me restait à parcourir, et
je me mis en route. Cette distance est de trois lieues à peine; il me
Ligne 3 221 ⟶ 3 586 :
Le vent me jeta tout à coup sur un arbre donc le choc m'étourdit et me
fit ricocher dans une mare; en me relevant j'aperçus deux yeux
flamboyants fixés sur moi. C'était un loup.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/222]]==
loup.
 
Je crois l'avoir tué d'un coup de canne.
Ligne 3 239 ⟶ 3 606 :
exigea le prix de sa course, refusa de venir le chercher à deux pas de
là, chez un ami, et me fit conduire au poste, où d'ignobles employés
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/223]]==
qui, je l'espère, ont été depuis jetés à la porte, me firent passer la
nuit au violon.
Ligne 3 257 ⟶ 3 625 :
et la camisole de force.
 
Puis Vallès vint me chercher, un matin, avec une voiture. Le soir, à
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/224]]==
avec une voiture. Le soir, à
huit heures, j'étais à Paris; je couchai chez moi.
 
Ligne 3 272 ⟶ 3 642 :
Saint-Maurice, par euphémisme sans doute.
 
Cette bâtisse, divisée en cinq ou six ailes et surmontée d'une chapelle
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/225]]==
et surmontée d'une chapelle
à fronton, regarde l'espace du haut des collines.
 
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poisson, à travers les mailles d'un filet.
 
L'établissement de Charenton se compose de dix-huit divisions, dix pour
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/226]]==
de dix-huit divisions, dix pour
les femmes, huit pour les hommes. Toutes sont établies sur le même
modèle: une rangée de cellules enveloppant une cour entourée d'arcades.
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étaient sa maigreur, son étisie, sa faiblesse, qu'à peine se pouvait-il
tenir sur les jambes. Deux garçons l'étayaient de chaque côté pour
l'aider à marcher et pour le faire manger. Entre chaque bouchée, le
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/227]]==
chaque bouchée, le
misérable était pris de hoquets et d'horribles vomissements de sang.
 
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d'infanterie; Cossonel, qui a peut-être un grain, car il se prétend
investi d'un pouvoir occulte et forcé de rester pour accomplir sa
mission jusqu'au bout; Richemont, le plus distingué des musiciens
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/228]]==
le plus distingué des musiciens
gentilshommes.
 
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un vieux embouche un clairon et y souffle un simulacre de diane. Les
portes s'ouvrent avec un grand fracas de clés. Chaque détenu ramasse ses
hardes, jetées dans le couloir la veille, et s'habille.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/229]]==
, et s'habille.
 
Presque aussitôt, café au lait; à huit heures et demie, la visite du
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--Vous ne dessinez pas?
 
--Non, docteur, j'ai le malheur de ne savoir travailler avec fruit
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/230]]==
savoir travailler avec fruit
qu'en liberté.
 
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Tous ceux qui ont quelque chose l'ont trop pour ceux qui ne l'ont pas du
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/231]]==
tout.
 
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Sans doute, la maison est considérée comme infaillible et la moindre
question relative à ses œuvres serait considérée comme déplacée.d
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/232]]==
éplacée.
 
Messieurs nos gouvernants ont probablement d'autres chiens à fouetter.
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==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/233]]==
 
EUGENE VERMESCH
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vingt ans, blondasse, râpé, nez en quête, chapeau sur l'oreille, qui
semblait un composé de Gringoire et de Panurge.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/234]]==
 
Le carabin qu'il venait voir nous le présenta:
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ritournelle ressassée en l'honneur de la grisette idéale, ce mythe
évanoui.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/235]]==
 
La guitare d'Eugène en valait une autre du même genre, pas plus.
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Ce qu'un autre, plus expérimenté dès lors, aurait pu lui reprocher,
c'était un manque de personnalité, une assimilation trop flagrante; ses
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/236]]==
flagrante; ses
vers, pas mal faits d'ailleurs, sonnaient trop clairement l'écho des
Béranger, des Musset, des Mürger. Pas de notes individuelles. Par là, il
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c'est-à-dire neuf années environ.
 
Partout, sur les meubles détraqués, sur le vieux divan, sur le carreau,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/237]]==
divan, sur le carreau,
des montagnes, des écroulements de livres et de brochures qu'il empilait
sans cesse. La demeure en était encombrée; ce que Vermesch a lu de
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Entre temps, il flânait à gauche ou à droite, sous l'Odéon ou sur les
quais, bouquinant, poussant des reconnaissances dans les bureaux de
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/238]]==
les bureaux de
rédaction du _Hanneton_ ou d'autres feuilles de cette valeur, et y
laissant gratis le «fruit de sa veine».
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est certain, c'est que Victor Azam ne rendit à son ami et collaborateur
que les _coquilles_... des typographes de son imprimerie.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/239]]==
 
Alors ce fut la misère.
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neuf, de saisissant, et, avec beaucoup d'érudition et conscience,
perdant son encre.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/240]]==
 
Il ne faudrait point cependant dénier à Vermesch tout mérite littéraire.
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Qu'on le porte chez Rachel, fille
Qui reste seule, sans famille
Et loge près du Châtelet.Ch
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/241]]==
âtelet.
 
Elle est jolie et mal famée,
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débarrassé des chaînes qui rivaient son effort à l'admiration servile du
passé. Tout l'ont ignoré, dédaigné. L'amertume est venue: la destinée,
obstinément, lui refusait place. Il a fallu, pour qu'on l'aperçût,--et
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/242]]==
fallu, pour qu'on l'aperçût,--et
à quelle lueur!--qu'il écrivît: le _Père Duchêne_!
 
Ligne 3 568 ⟶ 3 969 :
 
Est-ce à dire que je veuille l'absoudre? Non! Mais j'interviens centre
les traditions exagérées qui transforment en épouvantes éternelles des
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/243]]==
éternelles des
aventures niaises, et du premier jobard mal inspiré font un spectre
terrifiant et gigantesque.
Ligne 3 585 ⟶ 3 988 :
 
Aux premiers jours de juin, comme les massacres de la répression
duraient encore, il était réfugié, rue du Four-Saint-Germain, dans une
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/244]]==
dans une
de ces admirables familles dont rien ne désempare la charité.
 
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c'est ce que je fis.
 
Il ne sortit pas du reste; on le fit évader; il alla s'engloutir dans
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/245]]==
il alla s'engloutir dans
le brouillard de Londres.
 
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beau temps, les journaux l'ont dit. Pour un jour, le ciel de Londres
était bleu. Il faisait du soleil comme en France.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/246]]==
 
[image]
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==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/247]]==
 
LE NAIN
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Je l'ai peint d'ailleurs, autrefois, grattant sa mandoline, assis au
milieu des fleurs, et j'ai conservé la toile; il est là devant moi,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/248]]==
tandis que je noircis ce papier; il me regarde écrire.
 
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Barbu, bourru, couvert d'un manteau loqueteux, frappant le trottoir d'un
bâton court, proportionné à sa taille, l'être, au moment même où l'on
allait marcher sur lui, poussait un sourd grognement. Le passant,
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/249]]==
sourd grognement. Le passant,
effaré, sautait de côté, et, dans l'espace resté libre, le nain passait
avec un ton fanfaron.
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indiscrets qui le venaient flairer, gagnait le boulevard Michel et se
haussait aux vitres des cafés.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/250]]==
 
Quand il réussissait à atteindre le bouton de la porte, il entrait.
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J'appris qu'il était propriétaire, à la Butte-aux-Cailles, d'une masure
qui lui rapportait cinquante sous par semaine.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/251]]==
 
Je voulus le diminuer, le réduire au prix habituel des modèles.
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J'allai le chercher; il était mort; je vis sa veuve, car il avait femme
et enfants. La femme était aveugle.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/252]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/253]]==
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/254]]==
 
[image]
Ligne 3 703 ⟶ 4 122 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/255]]==
 
LA CHARGE DE M. THIERS
Ligne 3 714 ⟶ 4 134 :
de la plupart des Parisiens qui, peu soucieux de leurs monuments,
laissent volontiers s'écouler la vie sans s'inquiéter de savoir si
l'obélisque
l'obélisque a une porte et sans gargariser d'ascensions exténuées la
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/256]]==
a une porte et sans gargariser d'ascensions exténuées la
colonne.
 
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Thiers n'était pas absolument laid, mais petit, grincheux et bourgeois.
 
C'est la bourgeoisie qui lui doit des statues; le peuple ne lui doit
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/257]]==
statues; le peuple ne lui doit
rien; au reste, il a eu soin de donner la mesure de sa tendresse pour le
peuple à Transnonain et en mai 71.
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dépailleter sa robe de prophète et montrer l'étincelle méchante qui
crépitait au fond de ses lunettes. Le faux-col de Prudhomme se hausse de
lui-même aux oreilles et à la mâchoire de ce partisan du pape, de cet
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/258]]==
de ce partisan du pape, de cet
ennemi de Proudhon et des chemins de fer. Le pli de sa lèvre serrée a le
tranchant du sabre.
Ligne 3 760 ⟶ 4 186 :
 
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/259]]==
 
LETTRE DE POPULOT
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Tu vas voir qu'y a pas besoin de grands mots ni de grandes phrases, ni
de se f... des torticolis, ni d'avaler tant de verres d'eau sucrée pour
dire une bonne fois ce qui tombe sous le bon sens du premier venu.
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/260]]==
tombe sous le bon sens du premier venu.
 
Quand t'es venu au monde, est-ce que t'as demandé à faire partie de la
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forcé d'aller te faire casser la gueule à vingt ans, sans savoir
pourquoi, que tu seras forcé de payer des impôts à jet continu jusqu'au
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/261]]==
trou.
 
Ligne 3 806 ⟶ 4 237 :
Car il y a ça d'esbrouffant, qu'on te fait avaler comme un miel, depuis
le commencement des commencements, que les morts, avant de crever, ont
le droit de disposer à tort et à travers de l'argent qui devrait être
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/262]]==
tort et à travers de l'argent qui devrait être
uniquement aux vivants, pour faciliter leurs transactions et leurs
relations; en sorte que le capital, qui devrait être mobilisé
Ligne 3 820 ⟶ 4 253 :
sous prétexte qu'on a un faible pour ceux qui vous sortent de la
cuisse,--ce qui n'est jamais bien sûr. Qu'on jouisse en sa vie de ce
qu'on a su acquérir, rien de plus juste; mais encore après sa mort,ri
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/263]]==
en de plus juste; mais encore après sa mort,
c'est monstrueux.
 
Ligne 3 840 ⟶ 4 275 :
 
Puis une balle de fusil dans quelque champ de bataille ou le cabanon des
 
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/264]]==
maudits.
 
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==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/265]]==
 
L'OUVRIER BOULANGER
Ligne 3 867 ⟶ 4 305 :
studieux ou d'une ouvrière qui veille, avez-vous entendu quelquefois,
dans la nuit, jaillir du sol comme un râle puissant et rhythmique?
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/266]]==
 
Alors, sans doute, le cœur serré d'angoisse, ignorant la nature de ce
Ligne 3 882 ⟶ 4 321 :
l'autre enfourne et pèse. Ils commencent ensemble, à sept heures du
soir, et finissent à trois heures du matin. Ensemble aussi, la farine en
poussière
poussière les étouffe; la nécessité d'être debout incessamment les
==[[Page:Gill - Vingt années de Paris, 1883.djvu/267]]==
les étouffe; la nécessité d'être debout incessamment les
afflige de varices. Il n'est point rare de voir les jambes du geindre
trouées de crevasses. En général, il meurt jeune et poussif.