« Règles pour la direction de l’esprit » : différence entre les versions

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Pour nous servir aussi du secours de l’imagi­nation, il faut remarquer que toutes les fois que nous déduisons une chose inconnue d’une chose qui nous étoit connue auparavant, nous ne trouvons pas pour cela un être nouveau, mais seule­ment la connoissance que nous possédions s’étend au point de nous faire comprendre que la chose cherchée participe d’une façon ou d’une autre à la nature des choses que contiennent les données. Ainsi il ne faut pas espérer pouvoir jamais donner à un aveugle de naissance des idées vraies sur les couleurs, telles que nous les avons reçues des sens. Mais soit un homme qui ait vu quelquefois les couleurs fondamentales, et jamais les cou­leurs intermédiaires et mixtes ; il se peut faire que par une sorte de déduction il se représente celles qu’il n’a pas vues, par leur ressemblance avec les autres. De même si l’aimant contient une espèce d’être auquel notre intelligence n’ait jusqu’à ce jour perçu rien de semblable, il ne faut pas espérer que le raisonnement nous la fera connoître ; il nous faudrait ou de nouveaux sens ou une âme divine. Mais tout ce que l’esprit humain peut faire en ce cas, nous croirons l’avoir atteint quand nous aurons perçu distinctement le mélange d’êtres ou de matières déjà connues, qui produisent les mêmes effets que l’aimant déve­loppe.
 
Or, tous les êtres déjà connus, tels que l’éten­due, la figure, le mouvement, et tant d’autres, que ce n’est pas ici le lienlieu d’énumérer, sont, dans les divers sujets, connus par une seule et même idée ; et qu’une couronne soit d’or ou d’argent, cela ne change rien à l’idée que nous avons de sa figure. Cette idée générale passe d’un sujet à un autre par une simple comparaison, par laquelle nous affir­mons que l’objet cherché est sous tel ou tel rap­port semblable, identique, ou égal à une chose donnée ; tellement que, dans tout raisonnement, nous ne connoissons précisément la vérité que par comparaison. Ainsi, dans ce raisonnement, tout A est B, tout B est C, donc tout A est C, on compare ensemble la chose cherchée et la chose donnée A et C, sous ce rapport, savoir que A et C sont B. Mais comme, ainsi que nous l’avons souvent ré­pété, les formes et syllogismes ne servent de rien pour découvrir la vérité des choses, le lecteur pro­fitera, si, les rejetant complètement, il se persuade que toute connoissance qui ne sort pas de l’intui­tion pure et simple d’un objet individuel dérive de la comparaison de deux ou de plusieurs entre eux ; et même presque toute l’industrie de la raison humaine consiste à préparer cette opération : quand en effet la comparaison est simple et claire, il n’est besoin d’aucun secours de l’art, mais de la seule lu­mière de la nature, pour percevoir la vérité qu’elle nous découvre. Or, il faut noter que les comparaisons sont dites simples et claires, seulement quand la chose cherchée et la chose donnée participent également d’une certaine nature ; que les autres comparaisons n’ont besoin de préparation que parceque cette nature commune ne se trouve pas éga­lement dans l’une et dans l’autre, mais selon des rapports ou des proportions dans lesquelles elle est enveloppée ; et qu’enfin la plus grande partie de l’industrie humaine ne consiste qu’à réduire ces proportions à un point tel que l’égalité entre ce qui est cherché et quelque chose qui soit connu apparoisse clairement.
 
Il faut noter ensuite que rien ne peut être ra­mené à cette égalité que ce qui comporte le plus ou le moins, et que tout cela est compris sous le nom de grandeur ; de telle sorte que quand, d’après la règle précédente, les termes de la difficulté sont abstraits de tout sujet, nous comprenons que toute la question ne roule plus que sur des grandeurs en général.