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compte à régler ? Les navires arabes tombèrent en foule dans les filets de la frégate française. On se contentait d’en extraire les objets d’une certaine valeur, puis on les relâchait avec leurs équipages. Dans les premiers jours de septembre une corvette de la compagnie, le ''Grappler'', capitaine Ramsay, fut enlevée par la ''Piémontaise'' en quelques minutes de combat. Au ''Grappler'' succéda le vaisseau de la marine indienne le ''Famé'', capitaine Jameson, qui se rendait de Bombay en Chine. Le ''Famé'' était percé pour recevoir quarante canons : il n’en portait en réalité que vingt-quatre. Néanmoins, grâce à ses caronades à bragues fixes, système tout nouveau, le ''Famé'' opposa une assez vigoureuse résistance. L’enseigne de vaisseau Baudin en eut le commandement. On fit évacuer sur la frégate l’équipage anglais, à l’exception du chirurgien major et du maître de manœuvre, puis on remplaça les matelots débarqués par dix prisonniers arabes et dix marins français. Conduire dans ces conditions un vaisseau à demi désemparé à l’Ile-de-France, éloignée de mille deux cents lieues, le conduire à rencontre des courans et de la mousson, n’était pas une mission d’un accomplissement facile. En temps de guerre, les difficultés par la nécessité de n’en pas tenir compte, s’aplanissent.
compte à régler ? Les navires arabes tombèrent en foule dans les filets de la frégate française. On se contentait d’en extraire les objets d’une certaine valeur, puis on les relâchait avec leurs équipages. Dans les premiers jours de septembre une corvette de la compagnie, le ''Grappler'', capitaine Ramsay, fut enlevée par la ''Piémontaise'' en quelques minutes de combat. Au ''Grappler'' succéda le vaisseau de la marine indienne le ''Famé'', capitaine Jameson, qui se rendait de Bombay en Chine. Le ''Famé'' était percé pour recevoir quarante canons : il n’en portait en réalité que vingt-quatre. Néanmoins, grâce à ses caronades à bragues fixes, système tout nouveau, le ''Famé'' opposa une assez vigoureuse résistance. L’enseigne de vaisseau Baudin en eut le commandement. On fit évacuer sur la frégate l’équipage anglais, à l’exception du chirurgien major et du maître de manœuvre, puis on remplaça les matelots débarqués par dix prisonniers arabes et dix marins français. Conduire dans ces conditions un vaisseau à demi désemparé à l’Ile-de-France, éloignée de mille deux cents lieues, le conduire à l’encontre des courans et de la mousson, n’était pas une mission d’un accomplissement facile. En temps de guerre, les difficultés par la nécessité de n’en pas tenir compte, s’aplanissent.


« J’avais vingt-deux ans, nous dit le jeune capitaine de prise : Pour la première fois j’allais avoir à diriger un grand navire à travers l’océan, sans pouvoir prendre conseil que de moi-même Le plaisir d’exercer un commandement me faisait tout voir en beau. Le voyage dura trente jours. Nous eûmes des temps horribles en passant entre les Maldives et les Laquedives. La fatigue, l’insomnie, me firent enfler l’œil droit au point que je craignis, pendant plusieurs jours, de le perdre. Heureusement le chirurgien anglais que j’avais conservé à bord était un jeune homme plein d’instruction et de cœur. Écossais de naissance, il se nommait Henry Marshall. D’un caractère doux et bienveillant, il ne tarda pas à s’attacher à moi. Je savais alors à peine quelques mots d’anglais : nous faisions la conversation en latin. Cette réminiscence de nos études classiques plaisait fort à l’excellent docteur : instruit et habile, il parvint à me sauver l’œil, et guérit également d’un énorme abcès à la joue mon petit mousse Caussade, qui faisait sa seconde campagne avec moi ; il eut, en un mot, grand soin de tout le monde, pendant la traversée, sans distinction d’Arabes ou de Français. Le maître d’équipage anglais, appelé George Pendrey, était, comme le docteur Marshall, un fort brave homme, honnête et intelligent, connaissant bien son métier. Il avait été deux fois prisonnier en France et parlait avec reconnaissance des bons traitemens dont il fut l’objet pendant sa captivité à Valenciennes.
« J’avais vingt-deux ans, nous dit le jeune capitaine de prise : Pour la première fois j’allais avoir à diriger un grand navire à travers l’océan, sans pouvoir prendre conseil que de moi-même Le plaisir d’exercer un commandement me faisait tout voir en beau. Le voyage dura trente jours. Nous eûmes des temps horribles en passant entre les Maldives et les Laquedives. La fatigue, l’insomnie, me firent enfler l’œil droit au point que je craignis, pendant plusieurs jours, de le perdre. Heureusement le chirurgien anglais que j’avais conservé à bord était un jeune homme plein d’instruction et de cœur. Écossais de naissance, il se nommait Henry Marshall. D’un caractère doux et bienveillant, il ne tarda pas à s’attacher à moi. Je savais alors à peine quelques mots d’anglais : nous faisions la conversation en latin. Cette réminiscence de nos études classiques plaisait fort à l’excellent docteur : instruit et habile, il parvint à me sauver l’œil, et guérit également d’un énorme abcès à la joue mon petit mousse Caussade, qui faisait sa seconde campagne avec moi ; il eut, en un mot, grand soin de tout le monde, pendant la traversée, sans distinction d’Arabes ou de Français. Le maître d’équipage anglais, appelé George Pendrey, était, comme le docteur Marshall, un fort brave homme, honnête et intelligent, connaissant bien son métier. Il avait été deux fois prisonnier en France et parlait avec reconnaissance des bons traitemens dont il fut l’objet pendant sa captivité à Valenciennes.