« L’Œuvre d’Andréa Mantegna » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
mAucun résumé des modifications
m + match
Ligne 2 :
{{Journal|L’Œuvre d’Andréa Mantegna|[[Auteur:Théodore de Wyzewa|T. de Wyzewa]]|[[Revue des Deux Mondes]], mars 1902}}
 
==__[[MATCH:Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/459]]__==
 
Je dois ajouter que le texte du livre me paraît loin d'avoir une égale valeur. Non que l'auteur n'y ait mis, lui aussi, toute la conscience qu'on pouvait désirer. Il y a mis en outre une érudition si abondante et si variée qu'il nous fournit, par exemple, toute sorte de renseignemens des plus instructifs sur l'humanisme vénitien, sur les origines et le développement de l'Université de Padoue, sur la politique des Gonzague dans la seconde moitié du XVe siècle. Mais M. Kristeller, qui est Allemand, et qui a écrit son texte en allemand avant de le faire traduire en anglais, semble avoir pris à tâche d'exagérer quelques-uns des défauts ordinaires de la critique d'art de son pays. Le fait est que ces défauts, communs aujourd'hui à toute une grande école, se laissent voir chez lui avec d'autant plus de relief qu'ils s'allient à une science plus honnête et plus sûre. Et je ne saurais trouver une meilleure occasion de les signaler.
Andrea Mantegna, par Paul Kristeller, 1 vol. in-4°, illustré, Londres, 1901.
 
La librairie Longmans, de Londres, vient de publier sur Mantegna un gros livre d'un intérêt artistique tout à fait hors de pair : car non seulement il est illustré avec un goût parfait, mais, - avantage plus précieux encore et plus rare, - il reproduit sous nos yeux l'œuvre absolument complète du vieux peintre padouan. De tout ce que les siècles nous ont conservé de cette oeuvre aux quatre coins de l'Europe, il n'y a pas une fresque ni un tableau, pas un dessin ni une gravure dont nous ne trouvions là une ou plusieurs images, toujours accompagnées des indications les plus précises sur le format et la provenance des originaux : de telle sorte que l'illustration du livre suffirait, en l'absence même du texte, pour nous permettre de saisir et d'apprécier la nouveauté, la puissance, l'harmonieuse richesse du génie de Mantegna.
 
Je dois ajouter que le texte du livre me paraît loin d'avoir une égale valeur. Non que l'auteur n'y ait mis, lui aussi, toute la conscience qu'on pouvait désirer. Il y a mis en outre une érudition si abondante et si variée qu'il nous fournit, par exemple, toute sorte de renseignemens des plus instructifs sur l'humanisme vénitien, sur les origines et le développement de l'Université de Padoue, sur la politique des Gonzague dans la seconde moitié du XVe siècle. Mais M. Kristeller, qui est Allemand, et qui a écrit son texte en allemand avant de le faire traduire en anglais, semble avoir pris à tâche d'exagérer quelques-uns des défauts ordinaires de la critique d'art de son pays. Le fait est que ces défauts, communs aujourd'hui à toute une grande école, se laissent voir chez lui avec d'autant plus de relief qu'ils s'allient à une science plus honnête et plus sûre. Et je ne saurais trouver une meilleure occasion de les signaler.
 
Un des traits les plus caractéristiques de la critique d'art allemande d'à présent est une espèce d'hostilité foncière contre les opinions établies. Non seulement cette critique se plaît à exalter les humbles et à déprécier les puissants, non seulement elle retire aux maîtres anciens leurs oeuvres les plus fameuses pour leur en décerner d'autres, en échange, que personne n'avait jamais songé à leur attribuer : elle tient même pour non avenus, aussi souvent qu'elle le peut sans trop d'invraisemblance, les témoignages des contemporains, et il n'y a point de traditions si respectables qu'elle ne soit toujours prête à les mettre en doute. C'est dire que, lorsqu'elle traite de l'histoire de l'art italien, son premier soin est d'écarter dédaigneusement toutes les affirmations de Giorgio Vasari. Les Vies des plus excellens peintres, sculpteurs, et architectes ont désormais, aux yeux des critiques d'art allemands, à peu près la même autorité que les « fables » de la Légende Dorée aux yeux des théologiens de l'école libérale. Et maintes fois on a l'impression, en lisant les savants travaux de M. Bode ou de ses confrères, que ces messieurs considèrent comme un devoir essentiel de marquer, avant tout, leur progrès à l'égard de leur prédécesseur Vasari en prenant exactement le contre-pied de tous ses récits.