« Le Pape » : différence entre les versions

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{{TitrePoeme|[[Victor Hugo]]||'''Le Pape'''<br><small>1878</small>}}
 
 
== '''Scène première - Sommeil''' ==
<poem>
''Le Vatican. La chambre du Pape. La nuit.''
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LE PAPE, '' dans son lit.''
 
Ah ! je m'endorsm’endors ! - Enfin !
 
''Il s'endorts’endort.''</poem>
 
 
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Oubli ! trêve ! ô méchants, reposez-vous. Assez !
Vous devez être las puisque vous haïssez.
Voici l'heurel’heure de paix que la terre réclame.
Le cœur divin envoie au cœur humain sa flamme.
La pensée a grandi car le rêve est venu.
Homme, ne te crois pas plongé dans l'inconnul’inconnu ;
Tu connais tout, sachant que tu dois être juste ;
Le sort est l'antrel’antre noir, l'âmel’âme est la lampe auguste ;
Dieu par la conscience inextinguible unit
L'innocenceL’innocence de l'hommel’homme aux blancheurs du zénith.
Va, ta tête est au ciel par un rayon liée.
La vie est une page obscurément pliée
Que l'hommel’homme en mourant lit et déchiffre en dormant.
Le sommeil est un sombre épanouissement.
Il est des voix, il est des pas, il est des ondes;
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Tout marche au but divin sous les éternels yeux.
Responsabilité, pèse, voici ton heure,
Du haut des deux, et rends l'âmel’âme humaine-meilleure.
Les noirs vivants ont tous au pied le même anneau.
Sens, ô berger, le poids énorme de l'agneaul’agneau.
Frêles puissants, tâchez que l'ombrel’ombre vous tolère ;
Le gouffre est irrité d'uned’une bonne colère;
Le gouffre est menaçant, mais c'estc’est contre le fort
L'atomeL’atome avec raison compte, lorsqu'illorsqu’il s'endorts’endort,
Sur la protection terrible des abîmes.
Dormez, Vertus, dormez, souffrances, dormez, crimes,
Sous la sérénité du firmament vermeil.
 
Heureux l'hommel’homme qui sent à travers son sommeil
Que les étoiles sont sur la terre levées
Pour protéger le faible et l'humblel’humble et leurs couvées,
Qui tâche de comprendre .en dormant, et qui sent
Qu'unQu’un immense conseil mystérieux descend !
Laissez passer sur vous les astres vénérables,
Et dormez. O vivants, princes, grands, misérables,
A cette heure au fantôme en son linceul pareils,
Ayez le tremblement du rêve en vos sommeils.
Que l'âmel’âme veille en vous !</poem>
 
 
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LES ROIS
 
Tu sais qu'ilqu’il est sur terre des sommets.
 
 
LE PAPE
 
De la hauteur de Dieu je ne vois qu'unequ’une plaine.
 
 
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LE PAPE
 
Tout est l'ombrel’ombre humaine.
 
 
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LE PAPE
 
L'hommeL’homme à l'hommel’homme est égal.
 
 
LES ROIS
 
Nous sommes ce que sont l'Horebl’Horeb et le Galgal,
Ce qu'estqu’est le Sinaï par dessus les campagnes ;
Nous sommes une chaîne auguste de montagnes ;
Nous sommes l'horizonl’horizon par Dieu même construit.
 
 
LE PAPE
 
Les monts ont au front l'aubel’aube et les rois ont la nuit.
Dieu n'an’a pas fait les rois.
 
 
LES ROIS
 
N'esN’es-tu pas roi toi-même ?
 
 
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LES ROIS
 
Alors, qu'estqu’est-ce que tu fais ?
 
 
LE PAPE
 
J'aimeJ’aime.</poem>
 
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<poem>
Je parle à la Cité, je parle à l'Universl’Univers.
 
Écoutez, ô vivants de tant d'ombred’ombre couverts,
Qu'égaraQu’égara si longtemps l'imposturel’imposture servile,
Le sceptre est vain, le trône est noir, la pourpre est vile.
Qui que vous soyez, fils du Père, écoutez tous.
Il n'estn’est sous le grand ciel impénétrable et doux
Qu'uneQu’une pourpre, l'amourl’amour ; qu'unqu’un trône, l'innocencel’innocence.
L'aubeL’aube et l'obscurel’obscure nuit sont dans l'hommel’homme en présence
Comme deux combattants prêts à s'entres’entre-tuer ;
Le prêtre est un pilote ; il doit s'habituers’habituer
A la lumière afin que son âme soit blanche ;
Tout veut croître au grand jour, l'hommel’homme, la fleur, la branche,
La pensée ; il est temps que l'aurorel’aurore ait raison ;
Et Dieu ne nous a pas confié sa maison,
La justice, pour vivre en dehors d'elled’elle, et faire
Grandir l'ombrel’ombre et tourner à contre-sens la sphère.
Je suis comme vous tous, aveugle, ô mes amis !
J'ignoreJ’ignore l'hommel’homme, Dieu, le monde ; et l'onl’on m'am’a mis
Trois couronnes au front, autant que d'ignorancesd’ignorances.
Celui qu'onqu’on nomme un pape est vêtu d'apparencesd’apparences ;
Mes frères les vivants me semblent mes valets;
Je ne sais pas pourquoi j'habitej’habite ce palais ;
Je ne sais pas pourquoi je porte un diadème ;
On m'appellem’appelle Seigneur des Seigneurs, Chef suprême,
Pontife souverain, Roi par le ciel choisi;
O peuples, écoutez, j'aij’ai.découvert ceci.
Je suis un pauvre. Aussi je m'enm’en vais. J'abandonneJ’abandonne
Ce palais, espérant que cet or me pardonne,
Et que cette richesse et que tous ces trésors
Et que l'effrayantl’effrayant luxe usurpé dont je sors
Ne me maudiront pas d'avoird’avoir, vécu, fantôme,
Dans cette pourpre, moi qui suis fait pour le chaume !
La conscience humaine est ma sœur, et je vais
Lui parler ; j'aij’ai pour loi de haïr le mauvais
Sans haïr le méchant ; je ne suis plus qu'unqu’un moine
Comme Basile, comme Honorât, comme Antoine ;
Je ne chausserai plus la sandale où la croix
S'étonneS’étonne du baiser parfois sanglant des rois.
Peuples, jadis Noé sortit rêveur de l'archel’arche ;
Je sors aussi. Je pars. Et je me mets en marche
Sur la terre, au hasard, sous le haut firmament,
Dans l'aubel’aube ou dans l'oragel’orage, ayant pour vêtement,
Si cela plaît au ciel, la pluie et la tempête,
Sans savoir où le soir je poserai ma tête,
N'ayantN’ayant rien que l'instantl’instant, et les instants sont courts ;
Je sais que l'hommel’homme souffre, et j'arrivej’arrive au secours
De tout esprit qui flotte et de tout cœur qui sombre ;
Je vais dans les déserts, dans les hameaux, dans l'ombrel’ombre,
Dans les ronces, parmi les cailloux du ravin,
Errer comme Jésus, le va-nu-pieds divin.
Pour celui qui n'an’a rien, c'estc’est s'emparers’emparer du monde,
Que de marcher parmi l'humanitél’humanité profonde,
Que de créer des cœurs, que d'accroîtred’accroître la foi,
Et d'allerd’aller, en semant des âmes, devant soi !
Je prends la terre aux rois, je rends aux Romains Rome,
Et je rentre chez Dieu, c'estc’est-à-dire chez l'Hommel’Homme.
Laisse-moi passer, peuple. Adieu, Rome.</poem>
 
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===LE SYNODE D'ORIENTD’ORIENT===
 
LE PATRIARCHE D'ORIENTD’ORIENT, ''tiare au front, en habits pontificaux ; les évêques l'entourentl’entourent ; mitres et chapes d'ord’or.''
 
<poem>
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Allégresse et louange ! ô tribus, ô cités,
Chantez dans le vallon, chantez sur la montagne.
Sabaoth est l'épouxl’époux, l'Églisel’Église est sa compagne,
Peuple, je suis l'apôtrel’apôtre, et je bénis les cieux.
 
''Entre un homme vêtu de bure noire, une croix de bois à la main.''
 
L’HOMME
L'HOMME
 
Bénir le ciel est bien, bénir l'enferl’enfer est mieux.
 
 
LE PATRIARCHE
 
L’enfer !
L'enfer !
 
L’HOMME
L'HOMME
 
Oui, c'estc’est-à-dire, ô prêtre, les misères.
Bénis cela. Bénis les pleurs, les cœurs sincères ;
Mais flétris, où le bien contre le mal combat ;
Bénis le dénûment, le haillon, lé grabat,
Le bagne, dont la chaîne épouvantable passe ;
Bénis l'humblel’humble esprit sombré et la pauvre âme lasse ;
Bénis tous ceux pour gui jamais tu ne prias ;
Bénis les réprouvés, bénis les parias,
Et ce total des maux qui sur terre est la sommé
Des salaires. Bénis l'enferl’enfer.
 
 
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Quel est cet homme?
 
L’HOMME
L'HOMME
 
Évêque d'Orientd’Orient, l'évêquel’évêque d'Occidentd’Occident
Te salue, et je suis ton frère. Sois prudent
Et sois pensif; car Dieu, sache-le, prêtre, existe.
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LE PATRIARCHE
 
C'estC’est vous, Père ! vêtu d'und’un linceul !
 
 
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''Il fait un pas et regarde fixement le Patriarche.''
 
Prêtre, on souffre ! et le luxe odieux t'environnet’environne !
Commence par jeter par terre ta couronne.
La couronne est gênante à l'auréolel’auréole. Il faut
Choisir de l'orl’or d'end’en bas ou du rayon d'end’en haut.
Sache, ô pasteur joyeux, que les peuples frissonnent ;
Sache que le ciel pâle est plein d'heuresd’heures qui sonnent
Le tocsin des berceaux, le glas des nouveau-nés.
Prends garde aux innocents dont tu fais des damnés.
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Avec tes vanités, avec tes convoitises.
Frère, ne soyons pas des prêtres désastreux.
N'imitonsN’imitons pas les rois qui se volent entr'euxentr’eux
Les Alsaces, les Metz, les Strasbourg, les Hanovres.
Prêtre, à qui donc as-tu pris ta richesse? Aux pauvres.
Quand l'orl’or s'enfles’enfle en ton sac, Dieu dans ton cœur décroît.
Apprends qu'onqu’on est sans pain et sache qu'onqu’on a froid ;
Les jeunes filles vont rôdant le soir dans l'ombrel’ombre.
Tes rochets, ta chasuble aux topazes sans nombre,
Ta robe où l'Orientl’Orient doré s'épanouits’épanouit,
Sont des spectres qui sont noirs et vivants la nuit,
Et qui prennent Jésus dans sa crèche, et le tuent.
Sache qu'auqu’au lit public les femmes s'habituents’habituent
Parce qu'ilqu’il faut céder, se rendre, et vivre enfin,
Le riche ayant le vice et le pauvre la faim.
Que te sert d'empilerd’empiler sur des planches d'armoired’armoire
Du velours, du damas, du satin, de la moire,
D'avoirD’avoir des bonnets d'ord’or et d'emplird’emplir des tiroirs
De chapes qu'onqu’on dirait couvertes de miroirs ?
O pauvres que j'entendsj’entends râler, forçats augustes,
Tous ces trésors, chez vous sacrés, chez nous injustes,
Ce diamant qui met à la mitre un éclair,
Cette émeraude où semble errer toute la mer,
Ce resplendissement sombre des pierreries,
C'estC’est votre sang, le lait des mamelles taries,
C'estC’est le grelottement des petits enfants nus !
C'estC’est votre chute au fond des gouffres inconnus !
Le faste de ce prêtre, ô pauvres, représente
Ce que vous n'avezn’avez plus, votre vie innocente,
Le loyer du logis, le tison du foyer,
La dignité du cœur qui ne veut pas ployer,
Le travail qui s'accroîts’accroît par l'épargnel’épargne qui monte,
Votre joie, et l'honneurl’honneur des femmes, et ta honte,
Prêtre ! - Rends ces trésors aux pauvres ! Rends-les tous !
Escarboucles chez eux, immondices chez nous !
Quoi ! tandis que là-haut l'immensel’immense Éternel pense ;
Tandis que sans fatigue et sans fin il dépense
La lumière, et maintient les soleils au complet,
Pour que tout marche et vive, et pour prouver qu'ilqu’il est ;
Tandis que dans cette ombre où court le météore,
Il nous regarde avec ses prunelles d'aurored’aurore ;
Tandis qu'ilqu’il met au monde énorme un tel ciment
Que rien ne s'ests’est défait dans le bleu firmament
Le jour où dans le ciel que d'autresd’autres cieux pondèrent,
Les formidables vents démuselés grondèrent;
Tandis qu'ilqu’il fait rôder plus d'astresd’astres dans les cieux,
Plus d'éclairsd’éclairs, plus de voix, plus de bruits, plus de feux,
Plus de prodiges, noirs ou sereins, sur les grèves,
Sur les monts, dans les bois, que l'hommel’homme n'an’a de rêves ;
Tandis qu'ilqu’il est. cet être inconcevable-là.
Nous prêtres, nous vieillards, drapés d'und’un falbala,
Plus chargés de bijoux que des filles publiques,
Tournant vers les faux biens nos extases obliques,
Tandis que lui, celui qui ne prend ni ne vend,
Lui le sombre Seigneur de la foudre, est vivant,
Nous, sous quelque portail d'églised’église ou d'abbayed’abbaye,
Nous offrons et montrons à la foule ébahie,
Sous la pourpre d'und’un dais et les plis d'und’un camail,
Un petit bon Dieu rose avec des yeux d'émaild’émail !
Un Jésus de carton ! un Éternel de cire !
On le promène, on chante, on prêche, on le fait luire,
En marchant doucement.de crainte qu'unqu’un cahot,
En secouant l'autell’autel, ne casse le Très-Haut !
Chaque temple a son saint qu'ilqu’il rente et divinise.
Tandis que le monceau des hommes agonise
Et que la haine couve en d'âpresd’âpres, cœurs grondants,
Tandis que la famine aux effroyables dents
Dévore l'atelierl’atelier, le grenier, la chaumière,
Nous étalons, avec des effets de lumière,
Des bonshommes de bois au fond d'und’un corridor,
Brodés d'ord’or, cousus d'ord’or, chaussés d'ord’or, coiffes d'ord’or ;
Nous avons des saints-Jeans et des saintes-Maries
Que nous emmaillotons dans des verroteries !
Nous dépensons Golconde à vêtir le néant.
Et, pendant ce temps-là, le vice est un géant.
Et le lupanar s'ouvres’ouvre, affreux bagne des vierges !
Et je vous le répète, allumez tous vos cierges,
Faites le tour du temple en file, deux à deux,
Vous n'empêcherezn’empêcherez pas que cela soit hideux !
 
Oui, pendant ce temps-là, parce qu'ilqu’il faut qu'onqu’on mange,
Parce que votre luxe a pris son pain, un ange,
Une âme, une innocence entrera dans la nuit !
Pour vêtir de brocard l'idolel’idole qui reluit,
Les colombes. du ciel deviendront des orfraies !
Oui, des femmes de chair et d'osd’os, des femmes vraies,
Honnêtes, fleurs d'amourd’amour et lys de chasteté,
Paîront de leur pudeur et de leur nudité,
De toutes leurs vertus mortes et dissipées,
Votre imbécillité d'habillerd’habiller des poupées !
Entendez-vous cela ! Comprenez-vous cela !
Trouvez-vous que je parle assez haut ! Dieu parla
Jadis de cette sorte aux songeurs sur les cimes ;
Et nous quand sur l'autell’autel, pensifs, nous nous assîmes,
Prêtres, ce n'étaitn’était pas pour être des démons.
O mes frères, aimons, aimons, aimons, aimons !
 
Prêtres, la croix de bois et la robe de bure,
Le front haut chez les rois, et pas d'autred’autre courbure
Que le fléchissement des âmes devant Dieu !
Quoi ! les rois sont la roue et vous êtes l'essieul’essieu !
Le peuple est sous vos pieds, parce qu'ilqu’il est la base,
Et vous faites rouler sur lui ce qui l'écrasel’écrase !
 
Sachez que vos grandeurs sont des chutes ! Sachez
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O noirs vendeurs du temple, emplit votre opulence
Et que Jésus, ayant au flanc le coup de lance,
S'estS’est enfui, se voilant la face, n'ayantn’ayant pu
Voir le peuple affamé sous le prêtre repu !
Ne pouvant voir cela, Christ a dû disparaître !
Il s'ens’en va. Car pour lui les diamants du prêtre
Ont la même lueur que les yeux du chacal.
O froc de bure, ô saint haillon pontifical,
Sois ma splendeur. Je sens rentrer sous cette robe
L'âmeL’âme que le manteau de pourpre nous dérobe ;
Je revis. Du linceul le prêtre est bien vêtu.
Il devient sous la bure exemple, honneur, vertu,
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Prêtres, votre richesse est un crime flagrant !
Vos cœurs sont-ils méchants ? Non, vos têtes sont dures.
Frères, j'avaisj’avais aussi sur moi ce tas d'orduresd’ordures,
Des perles, des onyx, des saphirs, des rubis.
Oui, j'enj’en avais sur moi, partout, sur mes habits,
Sur mon âme ; mais j'aij’ai vidé cela bien vite
Chez les pauvres.
 
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Seigneur et docteur, grand lévite,
Pape sublime, évêque illustre et souverain,
Les tables de la loi sont un livre d'airaind’airain ;
Nul n'yn’y peut rien changer, pas même toi, mon père.
 
 
UN ÉVÊQUE
 
Il faut que l'hommel’homme souffre afin que Dieu prospère ;
L'orL’or du temple éblouit le pauvre utilement.
Il faut la perle au dogme et l'astrel’astre au firmament;
Il faut que les vivants, foules, essaims; mêlées,
Volent à la lueur des mitres constellées ;
Cette clarté leur est nécessaire en leur nuit.
Le temple opulent sert et l'autell’autel pauvre nuit.
Il sied que le pasteur comme un soleil se lève.
 
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La foule est faite
Pour le maître, qu'ilqu’il soit soldat, juge ou prophète ;
Le prêtre est le premier des maîtres ; le second
C'estC’est le roi.
 
 
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Le soc dur fait le sillon fécond ;
Oui, déchirons! Ainsi l'onl’on sème, ainsi l'onl’on fonde ;
Et l'épil’épi sera beau si la plaie est profonde.
 
 
AUTRE ÉVÊQUE
 
Frère, Dieu n'an’a jamais voulu qu'onqu’on le comprît.
 
 
AUTRE ÉVÊQUE
 
Le royaume des cieux est aux pauvres d'espritd’esprit;
Donc peu d'écolesd’écoles, point de science, un seul livre.
 
 
AUTRE ÉVÊQUE
 
Les peuples ont pour loi d'êtred’être en bas et de suivre;
Et leur ascension est faite quand vers nous.
Ils montent les degrés dès temples à genoux,
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AUTRE ÉVÊQUE
 
La pensée en dehors du dogme est de l'ivraiel’ivraie.
C'estC’est la justice juste et la vérité vraie
Que j'affirmej’affirme. Anathème à l'hommel’homme révolté !
 
 
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Nous avons dans nos mains la terrible clarté.
Il faut que la lumière éclaire, ou qu'ellequ’elle brûle.
Le prêtre est infidèle à son Dieu s'ils’il recule
Et si, devant l'impiel’impie, il hésite à pencher
Le flambeau jusqu'aujusqu’au tas de paille du bûcher.
 
 
LE PATRIARCHE
 
Ce qu'onqu’on nomme aujourd'huiaujourd’hui liberté, c'estc’est l'abîmel’abîme.
Et c'estc’est là que dit l'effrayantl’effrayant Kéroubime
Debout sur le mur noir de l'infinil’infini. Croyez.
Soyez des cœurs tremblants, soyez des fronts ployés,
Obéissez. Le prince est un prêtre ; le prêtre
Est un prince. Vouloir comprendre, vouloir être,
Vouloir penser, c'estc’est faire obstacle à Dieu. Vivants
Qui sous l'énormitél’énormité redoutable des vents
Résistez, vous avez des âmes insensées.
Dieu maudit vos efforts, vos travaux, vos pensées,
Et votre raison, sœur de l'antiquel’antique péché,
Et votre vain progrès, sinistrement léché
Par la langue de feu qui sort du lac de soufre.
Voilà les vérités qui jaillirent du gouffre
Le jour où sur l'Horebl’Horeb le tonnerre a brillé.
 
 
LE PAPE
 
Frères, figurez-vous, - je me suis réveillé !
 
 
LES ÉVÊQUES
 
Qu'entendezQu’entendez-vous par là ?
 
 
LE PATRIARCHE
 
Qu'estQu’est-ce que tu médites ?
 
 
Ligne 571 :
LE PATRIARCHE
 
Quoi ! vous seriez l'horriblel’horrible et vivant démenti
De vos prédécesseurs glorieux ?
 
Ligne 577 :
LE PAPE
 
J'aiJ’ai senti
Un mécontentement inquiétant dans l'ombrel’ombre.
 
 
LE PATRIARCHE
 
Le pilote aveuglé, c'estc’est le vaisseau qui sombre.
Ne changez pas de route! O Père, n'allezn’allez pas
Du côté de la nuit, du côté du trépas !
 
Ligne 610 :
LE PAPE
 
J'yJ’y monte.
 
 
Ligne 621 :
 
Je vous dis que je vois.
J'étaisJ’étais sur un sommet doré, sur un pavois,
Dans l'encensl’encens, dans les chants et les épithalames.
J'aiJ’ai senti tout à coup l'immensel’immense poids des âmes;
Et je suis descendu, sachant que je montais.
Le dogme n'an’a d'appuisd’appuis, l'Églisel’Église n'an’a d'étaisd’étais
Que nos fragilités ; tâchons qu'ellesqu’elles soient pures.
Oui, j'aij’ai vu les douleurs, oui, j'aij’ai vu les souillures,
J'aiJ’ai vu le bien gisant, j'aij’ai vu le mal debout,
Et j'aij’ai songé. Ciel noir ! les crimes sont partout,
Mais il n'estn’est qu'unqu’un coupable, et c'estc’est le responsable.
J'aiJ’ai vu les maux nombreux plus que les grains de sable,
Les forfaits plus épais que les branches des bois,
L'infâmeL’infâme orgie en rut, l'innocencel’innocence aux abois,
Et j'aij’ai dit en moi-même, en voyant les deux mondes
Pleins de brocanteurs vils et de. vendeurs immondes :
Ce prêtre sur l'argentl’argent hideusement penché,
Ce juge qui chuchote à voix basse un marché,
Cette fille à l'oeill’œil fou, cette bohémienne,
Qu'estQu’est-ce qu'ilsqu’ils vendent là ? Leur âme ? Non, la mienne !
Alors j'aij’ai pris la fuite, épouvanté, voulant
Être bon, m'arracherm’arracher tous ces crimes du flanc,
Guider, sauver, guérir, supprimer les Sodomes,
Bénir, et rendre enfin Dieu respirable aux hommes !
Ligne 675 :
La chaire changée en trône est impudique.
Pauvre et nu, Jésus règne ; et, roi, le prêtre abdique.
Prêtre, j'aij’ai le roseau de Jésus à la main ;
Roi, je n'ain’ai plus qu'unqu’un sceptre ; et pour le genre humain
Je ne suis plus qu'unqu’un prince obéissant aux princes,
Concédant, consentant, tremblant pour mes provinces,
Courtisan du plus fort, à céder toujours prêt ;
Jamais la royauté du prêtre n'apparaîtn’apparaît
Sans une transparence affreuse d'esclavaged’esclavage.
Je ne fais point partie, ô prêtres, du ravage,
Du supplice et du meurtre, et ne veux point m'asseoirm’asseoir
Parmi ces rois sur qui tombe l'éternell’éternel soir.
J'aimeJ’aime ! je sens en moi la grande clarté vivre.
 
 
Ligne 695 :
LE PAPE
 
Jamais. Je suis sorti, plein d'horreurd’horreur et d'effroid’effroi,
De toute votre nuit ! Quoi ! l'onl’on eût dit de moi :
Terre, cet homme avait la garde d'uned’une idée,
La plus haute que l'ombrel’ombre ait jamais possédée,
Clarté sainte au-dessus du gouffre obscur des cœurs ;
En dépit des vents noirs rapidement vainqueurs
Ligne 705 :
Que se doivent les cieux et les âmes, rapport
Et lien entre un mât frissonnant et le port,
Échange de lueur entre l'abîmel’abîme et l'hommel’homme.
Quoi ! parce que de vains simulacres qu'onqu’on nomme
Princes, maîtres, seigneurs, chefs, souverains, césars,
Parce que de faux dieux, composés de hasards,
Ou du hasard de vaincre ou du hasard de naître,
Parce que des puissants que le néant pénètre
Sont venus le trouver, lui le veilleur qui n'an’a
Ici-bas d'autred’autre droit que de dire Hosanna
Et de montrer du doigt là-haut l'âmel’âme éternelle,
Lui qui doit, fils de l'aubel’aube, ému, vivant en elle,
Toujours songer, pleurant sur le mal châtié,
Au moyen de changer la lumière en pitié ;
Ligne 724 :
Offrait dans son bazar aux acheteurs funèbres,
O terreur ! le rayon qui blanchissait le ciel !
Lui l'éclaireurl’éclaireur suprême et providentiel,
IL bénissait l'affreusel’affreuse éruption des laves !
Cet homme s'étaits’était fait marchand de ces esclaves,
La vérité, l'honneurl’honneur, la justice et la loi,
Prenait le droit au peuple et le donnait au roi ;
Priait pour ce qui tue et contre ce qui tombe !
Cet homme a fait lancer la foudre à la colombe!
Il a fait de Jésus le valet d'Attilad’Attila!
Quoi! l'onl’on eût dit de moi : Regardez; le voilà!
Il avait en dépôt notre âme, il l'al’a perdue!
L'auroreL’aurore se levait, cet homme l'al’a vendue !
Il a prostitué l'étoilel’étoile du matin !:
Non! non!
 
Ligne 748 :
Prêtre hautain,
Sois humble! Autel doré, dédore-toi, rayonne !
Plaie au flanc du Christ, bouche auguste qu'onqu’on bâillonne
Ouvre tes lèvres, parle, et dis la vérité !
Rentre en ton patrimoine, homme déshérité.
Ligne 757 :
Plus le pontife est doux, plus le temple est sublime.
 
''Tout s'évanouits’évanouit et s'effaces’efface autour du pape.''
Quoi ! plus de prêtres ! Quoi ! plus de temple ! - L'abîmeL’abîme.
Tout disparaît. Jadis Babel ainsi croula.
Me voilà seul ! Plus rien que l'ombrel’ombre.
 
 
UNE VOIX AU FOND DE L'INFINIL’INFINI
 
Je suis là.</poem>
Ligne 775 :
<poem>
 
''L'hiverL’hiver. Un grabat.''
''UN PAUVRE. Sa famille près de lui.''
 
Ligne 801 :
 
 
''Il donne à l'enfantl’enfant le reste de son pain.''
 
 
L'ENFANTL’ENFANT, ''mangeant.''
 
C'estC’est bon.
 
 
LE PAPE, ''au pauvre.''
 
L'enfantL’enfant, c'estc’est l'angel’ange.
Laisse-moi le bénir.
 
Ligne 822 :
LE PAPE, ''vidant une bourse sur le grabat.''
 
Tiens, voici de l'argentl’argent pour t'achetert’acheter des draps.
 
 
Ligne 832 :
LE PAPE
 
Et de quoi vêtir l'enfantl’enfant, la mère,
Et toi, mon frère. Hélas ! cette vie est amère.
Je te procurerai du travail. Ces grands froids
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LE PAUVRE
 
J'yJ’y crois.</poem>
 
 
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<poem>
 
A travers la douleur, l'angoissel’angoisse, les alarmes,
Du fond des nuits, du fond des maux, du fond des larmes,
Venez à moi vous tous qui tremblez, qui souffrez,
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Les damnés, les vaincus, les gueux, les incurables,
Venez, venez, venez, venez, ô misérables !
Je suis à vous, je suis l'unl’un de vous, et je sens
Dans mes os votre fièvre immense, agonisants!
Venez, déguenillés, réprouvés, multitude !
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Le riche a beau bien faire, être sage, être juste ;
Quiconque a les pieds nus marche plus près de Dieu.
Le ciel noir montre plus d'astresd’astres que le ciel bleu.
 
Je vous aime, et n'ain’ai pas d'autred’autre raison pour être,
Fils, le prêtre du-juge et le juge du prêtre.
Je ne suis qu'unqu’un pauvre homme appartenant à tous.
O souffrants, aidez-moi. Je tâche d'êtred’être doux.
Venez, partageons tout,' le froid, la faim, les jeûnes.
Je suis vieux chez les vieux et jeune avec les jeunes ;
Je suis l'aïeull’aïeul du père et l'enfantl’enfant des petits ;
J'aiJ’ai tous les âges ; fils, j'aij’ai tous les appétits,
Toutes les volontés, toutes les convoitises ;
Je suis, comme l'agneaul’agneau qu'attirentqu’attirent les cytises,
Attiré par les deuils, les dénûments, les pleurs ;
Je veux avoir ma part de toutes les douleurs ;
J'aiJ’ai droit à tous les maux qu'onqu’on souffre sur la terre ;
Je suis l'universell’universel étant le solitaire ;
O pauvres, donnez-moi tout ce que vous avez,
Vos jours sans pain, vos toits sans feu, vos durs pavés,
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Et le ciel étoile, plafond de vos masures.
 
O vous qui n'avezn’avez rien, donnez-moi tout. Venez,
Tous les malheureux ! nus, sanglants, blessés, traînés
Par tous les désespoirs et sur toutes les claies ;
Apportez-moi vos fiels, apportez-moi vos plaies,
Afin qu'àqu’à votre nuit je mêle un peu de jour,
Et que je fasse avec vos haines de l'amourl’amour.
Venez, haillons, sanglots, plaintes, colères, âmes !
 
Fils, le malheur et moi, partout où nous passâmes
Nous avons tous les deux, chacun à sa façon,
Prouvé, lui qu'ilqu’il a tort, et moi qu'ilqu’il a raison.
Il a tort, car on pleure, et raison, car on aime.
Le malheur a cela de tendre et de suprême
Qu'onQu’on aime d'autantd’autant plus que l'onl’on a plus souffert ;
Le malheur c'estc’est le ciel obscurément offert.
Vous avez les douleurs et moi j'aij’ai les dictâmes.
Je suis l'ambitieuxl’ambitieux qui veut prendre les âmes ;
N'avoirN’avoir rien secouru, c'estc’est là la pauvreté ;
On aura des besoins devant l'éternitél’éternité ;
Il serait imprudent, à l'heurel’heure où le soir tombe,
De s'offrirs’offrir à celui qu'onqu’on trouve dans la tombe
Sans avoir fait d'épargned’épargne et rien mis de côté.
Souffrants, apportez-moi votre calamité.
Je suis l'aidel’aide, l'amil’ami, l'appuil’appui. Venez, misères,
Lèpres, infirmités, indigences, ulcères,
Quiconque est hors l'espoirl’espoir, quiconque est hors la loi.
La douleur m'appartientm’appartient. J'appelleJ’appelle autour de moi
L'espritL’esprit troublé, le cœur saignant, l'âmel’âme qui sombre ;
Et je veux, entouré des détresses sans nombre,
Qui naissent sur la terre à toute heure, en tout lieu,
Arriver avec tous les pauvres devant Dieu !
Venez, vous qu'onqu’on maudit ! Venez, vous qu'onqu’on méprise !
 
''Tous les misérables viennent autour de lui de tous côtés.''
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UN PASSANT
 
Qu'estQu’est-ce que tu fais là, vieillard ?
 
 
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===L'INFAILLIBILITÉL’INFAILLIBILITÉ===
<poem>
 
Ah ! je suis l'Infailliblel’Infaillible !
 
Ah ! c'estc’est moi qui vois clair !
 
Et Dieu ?
 
Dieu ne sait pas ce que savait Kepler,
Ce que trouva Newton, ce qu'aqu’a vu Galilée ;
Il est dépaysé sous la voûte étoilée;
Il a tous les défauts possibles ; dur, cassant,
Jaloux, inexorable, irascible; il consent
A l'arrestationl’arrestation du soleil par un homme ;
Il damne l'universl’univers pour le vol d'uned’une pomme ;
Il foudroie au hasard, il châtie à côté;
Il tue en bloc ; il met le diable en liberté ;
Molière le ferait sermonner par Alceste ;
Il extermine un bouge, il épargne l'incestel’inceste,
Détruit Sodome, et donne à Loth un exeat ;
Il double d'und’un enfer son paradis béat ;
Il ne sait ce qu'ilqu’il fait, tant il est susceptible,
Et tâche de brûler notre âme incombustible
Dans un monstrueux lac de bitume et de poix.
Ah ! vous avez voulu lui mettre un contre-poids !
Oui, vous avez voulu corriger, j'imaginej’imagine,
Ce Dieu qui du chaos tire son origine,
Qui maudit, sans savoir pourquoi, le genre humain,
Et qui marche en tâtant du bâton le chemin;
Il a, certes, besoin d'und’un guide en sa nuit noire,
Et, grâce au compagnon qui l'aidel’aide, on aime à croire,
Malgré Pascal doutant et Voltaire niant,
Que Dieu peut-être aura moins d'inconvénientd’inconvénient.
Donc son chien est le pape, et je comprends qu'enqu’en somme,
L'aveugleL’aveugle étant le dieu, le clairvoyant soit l'hommel’homme.
 
Dérision lugubre ! Insulte au firmament !
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Donc le pape jamais ne chancelle et ne ment ;
Donc jamais une erreur ne tombe de sa bouche ;
L'infaillibilitéL’infaillibilité formidable et farouche
Luit dans son œil suprême...
 
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Le passant inquiet de la terre tremblante,
Une agitation qui frissonne et qui fuit,
Un peu d'ombred’ombre essayant de faire un peu de bruit,
Être cela ! sentir derrière soi l'abîmel’abîme
Et devant soi le gouffre, et se croire la cime !
Avoir l'affreuxl’affreux squelette en ce vil corps charnel,
Et dire à Dieu : Je suis ton égal. Éternel !
Je suis l'autoritél’autorité, je suis la certitude,
Et mon isolement, Dieu, vaut ta solitude ;
Le pape est avec toi le seul être debout
Sur cet immense Rien que l'hommel’homme appelle Tout ;
Tout n'estn’est rien devant moi comme devant toi, Maître.
Je sais la fin, je sais le but, je connais l'Êtrel’Être ;
Je te tiens, ma clef t'ouvret’ouvre, et je suis ton sondeur,
Dieu sombre, et jusqu'aujusqu’au fond je vois ta profondeur.
Dans l'obscurl’obscur univers je suis le seul lucide ;
Je ne puis me tromper ; et ce que je décide
T'obligeT’oblige ; et quand j'aij’ai dit : Voici la vérité !
Tout est dit. Quand je veux que tu sois irrité,
Quand j'aij’ai dit la loi, l'ordrel’ordre, et le point où commence
Ta colère, et l'endroitl’endroit où finit ta clémence,
Tu dois courber ton front énorme dans les cieux !
Le grand char étoile tourne sur deux essieux,
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Que dis-tu de ce tas de sinistres docteurs,
Ciel terrible, imposant leur néant au mystère,
Et tâchant d'ajouterd’ajouter à Dieu le ver de terre !</poem>
 
 
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Sous le givre et la pluie, allez, allez, allez !
Où donc est votre laine, ô pauvres accablés,
Vous qui nourrissez tout, hélas! et qu'onqu’on affame?
Peuple, où donc sont tes droits? Homme, où donc est ton âme?
O laboureur, où donc est ta gerbe ? O maçon,
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Où donc sont les esprits mis sous votre tutelle,
Docteurs ? Et ta pudeur, ô femme, où donc est-elle ?
Hélas ! j'entendsj’entends sonner les clairons triomphants ;
Vierge, où sont tes amours ? mère, où sont tes enfants ?
Grelottez, ô bétail, dépouillé, pauvres êtres !
Votre laine n'estn’est pas à vous, elle est aux maîtres,
Elle est à ceux pour qui'qui’ le chien aboie, à ceux
Qui sont les rois, les forts, les grands, les paresseux !
A ceux qui pour servante ont votre destinée !
 
C'estC’est à vous cependant que Dieu l'avaitl’avait donnée,
Cette laine sacrée, et dans la profondeur
Dieu maudit les ciseaux lugubres du tondeur !
Ah ! malheureux en proie aux heureux ! Honte aux maîtres !
Où donc sont ces bergers qu'onqu’on appelle les prêtres ?
Nul ne te défend, peuple, ô troupeau qui m'esm’es cher,
Et l'onl’on te prend ta laine en attendant ta chair.
 
''La nuit vient.''
 
Ils courent par moments; les coups inexorables
Pleuvent, et l'onl’on croit voir, avec ces misérables,
La vérité, le droit, la raison, l'équitél’équité, ,
Tout ce qu'onqu’on a de juste au fond du cœur, fouetté !
Où donc la conduit-on, cette foule hagarde,
Tremblante sous le soir terrible ? qui la garde?
Comme ils sont harcelés, effrayés, éperdus !
Où vont ces sombres pas par derrière mordus?
Ils courent... - on dirait le passage d'und’un songe.
 
La bise souffle et semble un serpent qui s'allonges’allonge.
Est-ce que le mystère est lui-même contre eux ?
Pourquoi tant d'aquilonsd’aquilons sur tant de malheureux ?
S'ilS’il est des anges noirs volant dans ces ténèbres,
Je les implore ! ô vents, grâce ! ô plafonds funèbres,
Ayez pitié ! l'onl’on souffre. Ah ! que d'infortunésd’infortunés !
Qui donc s'acharnes’acharne ainsi sur les pauvres? Donnez
D'autresD’autres ordres, esprits de l'ombrel’ombre, à la tempête !
Dans l'échevèlementl’échevèlement sauvage du prophète
Le vent peut se jouer, car le prophète est fort ;
Mais soufflant sur le faible en pleurs, le ciel a tort.
Oui, je te donne tort, ciel profond qui m'écoutesm’écoutes ;
C'estC’est trop d'ombred’ombre. Oh ! pitié ! Des deux côtés des routes
Tout est brume, erreur, doute ; et le brouillard trompeur
Les glace et les aveugle ; ils ont froid, ils ont peur.
 
''L'obscuritéL’obscurité redouble.''
 
De qui ce vent farouche est-il donc le ministre ?
Allez, disparaissez à l'horizonl’horizon sinistre.
Passe, ô blême troupeau dans la brume décru.
Que deviennent-ils donc quand ils ont disparu ?
Que deviennent-ils donc quand ils sont invisibles ?
Ils tombent dans ce gouffre obscur : tous les possibles !
Ils s'ens’en vont, ils s'ens’en vont, ils s'ens’en vont, nus, épars
Sur des pentes sans but croulant de toutes parts.
O pâle foule en fuite ! ô noirs troupeaux en marche !
Perdus dans l'immensel’immense ombre où jadis flottait l'archel’arche !
Nul deuil n'estn’est comparable à l'affreuxl’affreux sort de ceux
Qui s'ens’en vont ne laissant que du rêve après eux.
Le destin, composé d'énigmesd’énigmes nécessaires,
Hélas ! met au delà de toutes les misères,
De tout ce qui gémit, saigne et s'évanouits’évanouit,
Le morne effacement des errants dans la nuit !</poem>
 
Ligne 1 103 :
Tout ce qui pense, vit, marche, respire, passe,
Va, vient, palpite, naît et meurt, demande grâce.
Il n'estn’est pas sur la terre un homme qui n'aitn’ait fait
Une faute ; et le sort des neveux de Japhet
C'estC’est de souffrir ; chacun verse une larme amère,
La mère sur l'enfantl’enfant et l'enfantl’enfant sur la mère.
Pourquoi tant de détresse et de calamité ?
Pourquoi le grondement du gouffre illimité ?
Pourquoi le côté noir du dogme et de la bible ?
Parce que nous péchons. De là l'ombrel’ombre terrible,
Et les religions toutes pleines d'enfersd’enfers.
Tous les abîmes sont à notre marche offerts.
Terreur ! dit Eleusis. Damnation ! dit Rome.
De la bête de proie à la bête de somme,
Du soldat au forçat, du serf à l'empereurl’empereur,.
Tout est vengeance, effroi, haine, morsure, horreur.
L'êtreL’être créé n'an’a droit qu'àqu’à des destins funèbres ;
La menace lui tend le poing dans les ténèbres.
Avance, c'estc’est la nuit. Recule, c'estc’est l'enferl’enfer.
Homme, il est Prométhée; ange, il est Lucifer.</poem>
 
Ligne 1 129 :
<poem>
 
L’ARCHEVÊQUE
L'ARCHEVÊQUE
 
Hommes qui bâtissez une église, il importe
D'enD’en faire magnifique et superbe la porte
Pour que la foule y puisse entrer facilement ;
Employez-y le bronze et l'orl’or, le diamant,
L'onyxL’onyx, le saphir ; rien n'estn’est trop beau pour l'églisel’église ;
Que la façade soit auguste, et qu'onqu’on y lise
Ce nom, Jéhovah, comme à travers des éclairs ;
Que le clocher répande un hymne dans les airs
Ligne 1 142 :
Et que le peuple sente, enfants, vieillards et femmes,
En regardant ce temple avec un saint frisson,
Qu'onQu’on a sur le seigneur mesuré la maison
Et la grandeur du lieu sur la grandeur de l'hôtel’hôte ;
Que la crypte soit vaste et que la nef soit haute ;
Que l'hommel’homme entende là passer confusément
La faute et le pardon, divin chuchotement ;
Que le saint-livre ouvert soit sur la sainte-table ;
Que l'évêquel’évêque ait son trône et Jésus son étable ;
Que les, prêtres, par qui vos torts sont expiés,
Aient une natte épaisse et tiède sous leurs pieds ;
Que l'âmel’âme croie, en l'ombrel’ombre où flottent les saints-voiles,
Entrevoir une obscure éclosion d'étoilesd’étoiles
Comme au fond des forêts dans la vapeur des soirs ;
Qu'onQu’on y sente osciller les vagues encensoirs ;
Que l'autell’autel, entouré d'und’un solennel murmure,
Ait la splendeur sinistre et sombre d'uned’une armure,
Car le céleste esprit combat l'espritl’esprit charnel; .
Et nul ne doit sans crainte approcher l'Éternell’Éternel ;
Pas d'ornementd’ornement grossier, pas de matières viles ;
Quand Salomon disait aux bâtisseurs de villes :
- Bâtissez sur la roche et non sur le limon -
Hiram, maçon du temple, écoutait Salomon ;
Donc obéissez-moi. Faites un fier mélange
Du Raphaël pudique et du grand Michel-Ange ;
Peignez sur la muraille Adam qu'Èvequ’Ève tenta,
Moïse au Sinaï, Jésus au Golgotha,
Les Géants terrassés malgré leur haute taille,
Job, et l'effarementl’effarement des chevaux de bataille ;
Tout ce qui foudroya, tout ce qui rayonna,
Festin de Balthasar et noces de Cana,
Doit faire flamboyer et resplendir les fresques ;
Mariez l'arcl’arc lombard aux ogives moresques ;
Que la statue alterne avec les noirs tableaux ;
Une église doit être un large espace, enclos
De bons murs, préservé des vents et des tempêtes ;
Prêtres, emplissez-la de fleurs les jours de fêtes ;
Tout ce qui vient du ciel, l'églisel’église le contient ;
Un roi qui la voudrait orner comme il convient,
Épuiserait Golconde et n'yn’y pourrait suffire ;
Prodiguez-y l'airainl’airain, le jaspe et le porphyre
Que n'atteintn’atteint pas la rouille et né mord pas le ver.
 
 
LE PAPE
 
Et mettez-y des lits pour les pauvres l'hiverl’hiver.</poem>
 
 
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<poem>
Mère, je te bénis. La nourrice est sacrée.
Après l'éternitél’éternité la maternité crée ;
Eve s'ajoutes’ajoute à Dieu pour compléter Japhet ;
Et l'hommel’homme, composé d'âmed’âme et de chair, est fait
Du rayon de l'abîmel’abîme et du lait de la femme.
L'ineffableL’ineffable empyrée est une vaste trame
De souffles, de beauté, de splendeur et d'amourd’amour.
Qu'estQu’est-ce que la nature ? Un gouffre, un carrefour,
Une rencontre ; et tout vient pêle-mêle éclore.
Ce que la femme donne à l'enfantl’enfant, c'estc’est l'aurorel’aurore ;
Il coule autant de jour d'und’un sein que d'und’un soleil ;
D'uneD’une sombre mamelle au fond du ciel vermeil
Les étoiles sont l'unel’une après l'autrel’autre tombées ;
Les Pléiades en haut, en bas les Machabées,
Sont des groupes pareils ; toute clarté descend
Et devient notre esprit et devient notre sang.
Et dans tous les berceaux l'infinil’infini recommence ;
Et l'Éternell’Éternel emploie à la même œuvre l'immensel’immense,
En ce monde où l'enfantl’enfant sans l'astrel’astre est incomplet,
La goutte de lumière et la goutte de lait.
O bénédiction, sois à jamais sur l'hommel’homme !
 
''Rêveur.''
Ligne 1 222 :
A tous les attentats faits par toutes vos lois,
Je frissonne. Dracon est pire que Tibère.
L'aréopageL’aréopage est l'antrel’antre où Satan délibère.
Vous avez eu raison d'aveuglerd’aveugler la Thémis
Par qui tant de forfaits stupides sont commis,
Car souvent, en voyant le mal, la violence
L'emporterL’emporter, elle aurait horreur de sa balance.
Il arrive parfois que les lois d'icid’ici-bas,
Lois qui frappent Jésus et sauvent Barabbas,
Lois dont l'étrangel’étrange glaive au hasard tranche et tombe,
Du cri d'und’un nouveau-né font l'appell’appel de la tombe.
Oui, l'épouvantel’épouvante en est venue à ce degré.
Un jour, je m'enm’en souviens, — quand j'étaisj’étais égaré
Jusqu'àJusqu’à me croire roi, moi qui suis ton esclave,
O devoir ! - sous les murs d'und’un cachot, froide cave,
J'aiJ’ai vu, c'étaitc’était à Rome, une femme attendant.
On l'avaitl’avait condamnée au gibet, et pendant
Qu'onQu’on dressait la potence et qu'onqu’on creusait là fosse,
Cette femme avait dit au juge : Je suis grosse.
Et le juge avait dit : Soit. Alors, attendons.
- Oh ! si je ne sentais le ciel plein de pardons,
Comme je frémirais pour l'hommel’homme et pour son âme ! -
Qu'estQu’est-ce qu'onqu’on attendait ? ceci : que cette femme
Donnât la vie, afin de lui donner la mort.
Ainsi les hommes font dans l'énigmel’énigme du sort
Pénétrer leurs décrets sans que leur raison tremble !
La mort, la vie, étaient sur cette femme ensemble.
Leur lueur éclairait le cachot étouffant ;
Horreur ! à chaque pas de l'unel’une vers l'enfantl’enfant
L'autreL’autre faisait un pas vers la mère, et, dans l'ombrel’ombre,
Vers elle, l'unl’un riant et charmant, l'autrel’autre sombre,
Et chacun apportant la clef de la prison,
Deux fantômes venaient du fond de l'horizonl’horizon.
Être en proie à la loi ! Quel deuil ! - Mon cœur se serre.
Ainsi le code humain peut finir, ô misère !
Par avoir la figure obscure d'und’un bandit !
Et l'enfantl’enfant, si le ciel l'eûtl’eût fait parler, eût dit :
Tu commences, ô loi, par me tuer ma mère.
O triste loi sans yeux, dans cette angoisse *amère,
La malheureuse a beau trembler, frémir, prier,
Tu charges son enfant d'êtred’être son meurtrier ;
Son sang tient mon berceau, déjà sombre, encor vide,
Et de moi, l'innocentl’innocent, tu fais un parricide.
Tu me fais faire un crime à moi qui ne suis pas.
Je nais, je tue. - Hélas ! - La loi prend un compas,
Pèse l'urnel’urne du mal, la trouve peu remplie,
Mesure un crime, ajoute un meurtre, multiplie
Un attentat par l'autrel’autre, un forfait par un deuil,
Dans un affreux berceau fait éclore un cercueil,
Attend qu'unqu’un enfant naisse, ordonne qu'onqu’on bâtisse
Un tombeau sur sa tête, et dit : C'estC’est la justice !
Elle veut, au milieu de ce saint univers,
Quand les cieux versent l'aubel’aube et sont tout grands ouverts,
Devant le jour sans fin, devant l'azurl’azur sans voiles,
Dans le fourmillement des fleurs et des étoiles,
Qu'uneQu’une mère éperdue ait horreur du moment
Où son enfant naîtra sous le bleu firmament ! -
J'aiJ’ai vu cela. Si bien que cette misérable
Était là, regardait fuir l'heurel’heure inexorable,
Écoutait dans la nuit le glas dire : Il le faut !
Et sentait dans son sein remuer l'échafaudl’échafaud.</poem>
 
 
Ligne 1 291 :
LE PAPE
 
J'aiJ’ai peur. Je sens ici comme une âme terrible.
L'hommeL’homme est la flèche, ô cieux profonds, l'hommel’homme est la cible !
Mais quel est donc le bras qui tend cet arc affreux ?
Pourquoi ces hommes-ci s'égorgents’égorgent-ils entr'euxentr’eux ?
Quoi ! peuple contre peuple ! ô nations trompées !
 
''(S'avançantS’avançant entre les deux armées.)''
 
De quel droit avez-vous les mains pleines d'épéesd’épées ?
Que faites-vous ici ? Qu'estQu’est-ce que ces pavois ?
Que veulent ces canons ? Hommes que j'entrevoisj’entrevois,
Dans l'assourdissementl’assourdissement des trompettes farouches,
Plus forts que des lions et plus vains que des mouches,
Pour le plaisir de qui vous exterminez-vous ?
Tous n'avezn’avez qu'unqu’un seul droit, c'estc’est de vous aimer tous.
Dieu vous ordonne d'êtred’être ensemble sur la terre.
Dieu, sous sa douce loi, cache un devoir austère ;
Comme à l'érablel’érable, au chêne, à l'ormel’orme, au peuplier,
Il vous a dit de croître et de multiplier.
Aimez-vous. Les palais doivent la paix aux chaumes.
Ligne 1 317 :
La gloire ; et moi je vois dés deux côtés des mères.
Je vois des deux côtés des cœurs désespérés.
Je vois l'écrasementl’écrasement des sillons et des prés,
La lumière à des yeux pleins d'aurored’aurore ravie,
Le deuil, l'ombrel’ombre, et la fuite affreuse de la vie.
Je vois les nations que la mort joue aux dés.
Mais qui donc êtes-vous, hommes qui m'entendezm’entendez?
Quoi ! vous êtes le nombre et vous êtes la force !
Vous êtes la racine et la tige et l'écorcel’écorce,
Le feuillage et le fruit de l'arbrel’arbre universel;
Le désert et le sable, et la mer et le sel
Sont à vous ; vous avez toutes les étendues ;
Si vous voulez planer, vos ailes éperdues,
Hommes, ont l'infinil’infini pour s'ys’y précipiter;
Vous pouvez rayonner, adorer, enfanter ;
Les astres et les vents vous donnent des exemples,
Les vents pour vos essors, les astres pour vos temples ;
Vous êtes l'ouvrierl’ouvrier qui tient tout dans sa main ;
Vous êtes le géant de Dieu, le genre humain ;
Et vous aboutissez à de vils chocs d'arméesd’armées !
Et le titan se fait le forçat des pygmées !
Vous êtes cela, peuple, et vous faites ceci !
Mais alors l'impossiblel’impossible existe ! Oui, c'estc’est ainsi !
C'estC’est parce que deux rois, deux spectres, deux vampires,
Parce que deux néants s'arrachents’arrachent deux empires,
Parce que l'unl’un, ce jeune, et l'autrel’autre, ce vieillard,
Semblent grands à travers on ne sait ruel .brouillard,
Étant, le jeune, un fou, le vieux, un imbécile,
C'estC’est parce qu'unqu’un vain sceptre entre leurs mains oscille
A tous les tremblements du vice et de l'erreurl’erreur,
C'estC’est parce que ces deux atomes en fureur
S'insultentS’insultent, qu'onqu’on entend, ô triste foule humaine,
O peuples, sans savoir pourquoi, dans cette plaine
Votre stupidité formidable rugir !
Vous êtes des pantins que des fils font agir;
On vous met dans la main une lame pointue,
Vous ne connaissez pas celui pour qui l'onl’on tue,
Vous ne connaissez pas celui que vous tuerez.
Est-ce vous qui tuerez ? est-ce vous qui mourrez?
Vous l'ignorezl’ignorez. Demain, la mort ouvrant son aile,
Vous entrerez dans l'ombrel’ombre en foule, pêle-mêle,
Sans que vous puissiez dire au sépulcre pourquoi.
Oui, du moment que c'estc’est décrété par un roi,
Par un czar, un porteur quelconque de couronne,
Sans rien comprendre au bruit menteur qui l'environnel’environne,
A tâtons, sans Savoir si l'onl’on est un bandit,
On n'écouten’écoute plus rien ; battez, tambours, c'estc’est dit ;
Vite, il faut qu'onqu’on se heurte, il faut qu'onqu’on se rencontre,
Qu'unQu’un aveugle soit pour parce qu'unqu’un sourd est contre !
Vous mourez pour vos rois. Eux, ils ne sont pas là.
Et vous avez quitté vos femmes pour cela !
Vous jeunes, vous nombreux et forts, malgré leurs larmes,
Vous vous êtes laissés pousser par des gendarmes
Aux casernes ainsi qu'unqu’un troupeau par des chiens !
En guerre ! allez, Prussiens ! allez, Autrichiens !
Ici la schlague, et là le knout. Lauriers, victoire.
Ligne 1 377 :
Et vos maîtres, pendant vos exécrables luttes,
Boivent, mangent, sont gais et hautains ; et, contents,
Repus, ont autour d'euxd’eux leurs crimes bien portants ;
Vous allez être un tas de cadavres dans l'herbel’herbe,
Laissant derrière vous, sous le soleil superbe
Et sous l'étonnementl’étonnement des cieux, de vieux parents,
Et dans des berceaux, plaints par les nids murmurants,
O douleur, des petits aux regards de colombe ! -
Eh bien non ! je me mets entre vous et la tombe.
Je ne veux pas ! Tremblez, c'estc’est moi. Je vous défends
De vous assassiner, monstres ! - ô mes enfants ! -
Jetez-vous dans les bras les uns des autres, frères !
Quoi ! l'onl’on verrait en vous, dans ces champs funéraires,
Léviathan revivre et renaître Python !
Hommes, Humanité ! se représente-t-on
Ligne 1 393 :
Qui, soudain furieux, eux si calmes naguère,
Deviendraient des dragons mêlant leurs bras hideux,
Faisant tourbillonner la tempête autour d'euxd’eux.
Et jetant et broyant les fleurs, les plumes blanches,
Les nids, dans la bataille effroyable des branches !
Eh bien, sous l'affreuxl’affreux vent soufflant on ne sait d'oùd’où,
Vous êtes ce chaos prodigieux et fou !
Ah ! vous vous enivrez d'uned’une vanité noire !
Vous êtes des vaincus, ô rêveurs de victoire,
Vous êtes les vaincus des rois, et sur le dos
Vous portez leur grandeur, leur néant, ces fardeaux ;
L'ombreL’ombre des rois vous suit, vous tient, vous accompagne ;
Vous êtes des traîneurs de boulet comme au bagne ;
L'orgueilL’orgueil, leur garde-chiourme, est à votre côté ;
Vous avez cette honte au pied, leur majesté !
Débarrassez-vous-en, brisez-moi cette chaîne !
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Ignorance, colère, orgueil, mensonge, à bas !
Hommes, entendez-vous. Vivez. Plus de combats.
Non, la terre d'horreurd’horreur ne sera pas noyée.
Vous êtes l'innocencel’innocence imbécile employée
Aux forfaits, et les bras utiles devenus
Scélérats, et je suis celui qui vient pieds nus
Vous supplier, lions, tigres, d'êtred’être des hommes.
Il est temps de laisser cette terre ou nous sommes
Tranquille, et de permettre aux fleurs, aux blés épais,
Aux vignes, aux vergers bénis, de croître en paix ;
Il est temps que l'azurl’azur brille sur autre chose
Que de la haine, et l'aubel’aube est souriante et rose
Pour que nous soyons doux comme elle. Obéissons
A la vie, à l'aurorel’aurore, aux berceaux, aux moissons.
Ne sacrifions pas le monde à quelques hommes.
Soyez de votre sang vénérable économes.
Non, il ne se peut pas qu'unqu’un choc tumultueux
D'hommesD’hommes ivres, pour plaire aux princes monstrueux,
Epouvante ces champs où Dieu met sa lumière.
Quoi ! des mères seront en deuil dans leur chaumière,
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Et sous la transparence effrayante des fleuves ;
Quoi ! toutes les douleurs, les orphelins, les veuves,
'Les’Les vieillards, mêleront leurs lamentations... —
Ah! prenez garde à_vous, rois! car vos actions
D'oùD’où sort on ne sait quelle ombre extraordinaire
Font écouter à Dieu les conseils du tonnerre !</poem>
 
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LE PAPE, ''apparaissant entre les combattants.''
 
Commencez par moi. - Quoi ! pauvres, déshérités,
Votre sort vous accable, et vous le complétez
Par de la haine, ayant trop peu de la souffrance !
Vous vous entr'égorgezentr’égorgez, fils de la même France !
J'entendsJ’entends autour de vous cette mère crier.
Toi, paysan, tu veux tuer cet ouvrier!
Pourquoi ? De quelque nom que ton travail se nomme,
Il le fait aussi, lui ! vous êtes le même homme ;
Vous semez, sur la terre où l'humanitél’humanité croît,
Le grand germe sacré, toi l'épil’épi, lui le droit ;
Il travaille, et de plus il veut aimer son frère.
Nul rie doit à la tâche auguste se soustraire ;
L'unL’un est le moissonneur et l'autrel’autre l'émondeurl’émondeur.
Dieu, la clarté qui pense, est dans la profondeur ;
Il est l'immensel’immense point lumineux de l'abîmel’abîme ;
Hommes, il resplendit, féconde, inspire, anime,
Et cette vénérable et sereine lueur
Veut faire sur vos fronts briller de la sueur ;
Car le travail est saint, et c'estc’est la loi sublime.
Quoi ! ce n'estn’est pas la bêche, ou l'équerrel’équerre, ou la lime,
Que vous avez aux poings, c'estc’est le glaive ! Pourquoi ?
Parce que l'ouvrierl’ouvrier marche en avant de toi,
Paysan. Il se hâte et l'avenirl’avenir l'invitel’invite.
L'unL’un va trop lentement et l'autrel’autre va trop vite.
Peut-être. Dieu le sait. Mais est-ce une raison,
O peuple, pour emplir de spectres l'horizonl’horizon,
Pour plonger dans l'horreurl’horreur vos mains désormais viles,
Et faire sangloter le tocsin dans les villes ?
Tout est la vie ; et Dieu n'an’a pas construit de mur.
Ah ! s'ils’il est au-dessus de nous, dans cet azur
Où les réalités sont les axes des mondes,
S'ilS’il est des buts certains, s'ils’il est des lois profondes,
Si l'aubel’aube en se levant dit vrai, si l'astrel’astre est pur,
Et si le ciel est pour la terre un ami sûr,
Si la vie est un fruit et non pas une proie,
L'hommeL’homme a pour droit, devoir et fonction la joie,
Le travail et l'amourl’amour ; et, quel que soit l'éclairl’éclair
Qui pour un instant jette un orage dans l'airl’air,
Il n'estn’est pas de colère âpre, inhumaine, athée,
Terrible, qui ne doive être déconcertée
Par une mère ayant au sein son nourrisson.
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Quoi ! troubler le soleil glorieux, les rosées,
Les parfums, les clartés, le mois de mai si beau,
Les fleurs, par l'ouverturel’ouverture affreuse du tombeau !
Ah ! fussiez-vous vainqueurs, qu'estqu’est-ce que la victoire ?
Vous aurez le cœur froid, vous aurez l'âmel’âme noire.
A la fraternité rien ne peut suppléer.
Ah ! réfléchissez. Dieu vous créa pour créer,
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Tout fuit.
Mais l'apôtrel’apôtre se sait écouté par la nuit ;
Et n'estn’est-ce pas qu'ilqu’il doit parler aux solitudes,
O Dieu, les profondeurs étant des multitudes ?
 
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===IL PARLE DEVANT LUI DANS L'OMBREL’OMBRE===
<poem>
Vivez, marchez, pensez, espérez, aimez-vous.
Nul n'estn’est seul ici-bas. Tout a besoin de tous.
Riche, épargne le pauvre, et toi, pauvre, pardonne
Au riche, car le sort prête et jamais né donne,
Et l'équilibrel’équilibre obscur se refait tôt ou tard.
Tout bien qui naît du mal des autres, est bâtard ;
Et les prospérités ne sont jamais qu'obliquesqu’obliques
Et menteuses, sortant des misères publiques ;
L'arbreL’arbre est malsain ayant un cadavre à son pied.
Rois, ayez peur du trône où votre orgueil s'assieds’assied,
Votre âme y devient spectre, et, maîtres des royaumes,
Hélas ! sans le savoir vous êtes des fantômes;
S'appelerS’appeler Romanoff, Habsbourg, Brunswick, Bourbon,
Empereur, majesté, roi, césar, à quoi bon ?
Les Pharaons ont fait bâtir les Pyramides ;
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Fouettant leur peuple aux fers, durs comme les destins,
Ils eurent achevé ces monuments hautains,
Qu'ontQu’ont-ils mis dans ces blocs prodigieux ? leur cendre.
O rois, cela ne sert à rien d'êtred’être Alexandre,
Sésostris, ou Cyrus à qui le sort sourit,
Il vaut mieux être un pauvre appelé Jésus-Christ.
Le mal que nous faisons trop souvent nous encense ;
Hélas, qui que tu sois, puissant, crains ta puissance,
Qui, de l'autrel’autre côté du tombeau, fait pitié.
On est flatté par où l'onl’on sera châtié.
Vous qui faites trembler, tremblez. - Que tout s'apaises’apaise !
Quant à toi, travailleur sur qui le fardeau pèse,
Toi qui te sens lion et qu'onqu’on traite en fourmi,
Ne perds pas patience et sache attendre, ami ! -
En venir aux mains ? Non. Certes, ton droit suprême,
C'estC’est de vivre, d'avoird’avoir du pain, d'exigerd’exiger même
Plus de salaire et moins de peine, j'enj’en conviens ;
L'immensitéL’immensité te doit ta part des vastes biens,
Vie, harmonie, amour, joie, hyménée, aurore.
L'avenirL’avenir n'estn’est pas noir ; c'estc’est le matin qui dore
Et remplit de clarté rose les petits doigts
Du nouveau-né riant dans sa crèche, et tu dois
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Protéger ton foyer, et faire face aux lois
Si leur sagesse fausse à tes droits est contraire,
Et nourrir ton enfant, - mais sans tuer ton frère !
Sans blesser la patrie et meurtrir la cité !
L'idéalL’idéal ne veut point mêler à sa clarté
Les Saint-Barthélemys et les Vendémiaires ;
Les principes sereins sont de hautes lumières ;
Dans la Terre Promise on ne met pas la mort ;
L'espéranceL’espérance n'estn’est pas faite pour le remord ;
Peuple, sur le cloaque informe du carnage,
Quel que soit le tueur, sais-tu ce qui surnage ?
C'estC’est sa honte. - L'opprobreL’opprobre éternel du vainqueur,
La pâle liberté morte et l'épéel’épée au cœur,
Pour soi l'abjectionl’abjection, pour d'autresd’autres le martyre.
C'estC’est là toute la gloire, ô peuples, qu'onqu’on retire
Des fauves actions faites aveuglément.
Hélas ! sous le regard fixe du firmament,
Pas de tueurs ; laissons les bourreaux dans leurs bouges.
Je hais une victoire ayant les ongles rouges ;
Je n'aimen’aime pas qu'unqu’un droit ait des mains de boucher,
Et, quand il a vaincu, soit forcé de cacher
Les fentes des pavés des villes sous du sable.
Le paradis de Dieu deviendrait haïssable
S'ilS’il fallait qu'àqu’à travers un meurtre on l'espérâtl’espérât.
Quoi ! le droit malfaiteur ! le progrès scélérat !
Homme, crains la balance où tout destin s'achèves’achève.
Le mal qu'onqu’on fait est lourd plus que le bien qu'onqu’on rêve.
L'auroreL’aurore est hors de l'ombrel’ombre et les nuits vont finir ;
Crains de mettre une tache au front de l'avenirl’avenir ;
La liberté n'an’a pas l'assassinl’assassin pour ministre ;
L'astreL’astre dont la sortie ouvre un gouffre est sinistre ;
Le progrès n'an’a plus rien de providentiel
S'ilS’il ne peut, sans creuser l'enferl’enfer, monter au ciel ;
Nul soleil n'an’a l'ampleurl’ampleur horrible de l'abîmel’abîme ;
Si grand que soit un droit, il est moins grand qu'unqu’un crime ;
Jamais, non, même ayant la justice pour soi,
On ne peut la servir par le deuil et l'effroil’effroi ;
La vérité qui tue, affreuse vengeresse,
A des yeux de démon sous un front de déesse ;
Une étoile n'an’a pas droit de verser du sang ;
L'aubeL’aube est blanche ; et le bien n'estn’est le bien - qu'innocentqu’innocent.</poem>
 
 
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Les malédictions sont sur les multitudes,
Les tonnerres profonds hantent les solitudes,
Rien n'estn’est laissé tranquille en ce sombre univers.
Les prêtres sont pareils à des gouffres ouverts ;
Qui regarde dedans voit des choses affreuses.
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O morne angoisse !
 
Hélas ! l'anxiétél’anxiété partout.
Que de rêves tombés ! Que de spectres debout !
L'hommeL’homme, en proie à la nuit dont le prêtre est complice,
Peut-être a devant lui l'échellel’échelle d'und’un supplice
Quand, sentant des degrés dans l'ombrel’ombre, il dit : Montons.
Le genre humain ignore, erre, marche à tâtons,
Souffre, et ne voit, s'ils’il cherche une lueur propice,
Qu'unQu’un flamboiement farouche au fond d'und’un précipice.
Tout est-il donc fatal ? Rien n'estn’est-il donc clément ?
La vie est une dette et la mort un paiement.
Satan règne ; le mal fait loi ; l'enferl’enfer, c'estc’est l'ordrel’ordre.
 
Et j'entendaisj’entendais gémir et je voyais se tordre,
Dans la brume que nul n'exploren’explore et ne connaît,
Les tristes nations sur qui tout s'acharnaits’acharnait,
Prêtres, juges, bourreaux, scribes, princes, ministres ;
Les innombrables flots ne sont pas plus sinistres ;
Le tragique Océan n'estn’est pas plus torturé
Par les souffles confus du vent démesuré.
L'hommeL’homme, en ces profonds cieux qu'ilqu’il nomme noirs royaumes,
Regarde un effrayant penchement de fantômes,
Et tremblé. L'inconnuL’inconnu lui jette des clameurs.
Le matin lui dit : Pleure ! et le soir lui dit : Meurs !
Dans l'Indel’Inde, tous les dieux taillés dans tous les marbres,
Les blêmes hommes nus vivants au creux des arbres,
En Grèce Bacchus ivre et traîné par des lynx,
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Joyeux, superposés aux supplices des hommes ;
Les courtisans dorés sont les vils astronomes
Qui contemplent d'end’en bas les rois, ces faux soleils ;
Et les rois sont contents de vivre; et leurs sommeils,
Leurs réveils, et leurs lits de pourpre, et leurs carrosses,
Leurs trônes, leurs palais, leurs festins, sont féroces.
La guerre en sort. Le prêtre est reptile au tyran.
Le Talmud n'estn’est pas moins lâche que le Koran.
César vainqueur se fait du ciel une province.
Loyola, dur au peuple, est complaisant au prince.
Le fakir est atroce et le bonze est hideux ;
Le crucifix est glaive au poing de Jules Deux ;
Caïphe, âme où l'enferl’enfer profond se réverbère,
Interprète Moïse au profit de Tibère.
O deuil ! Accablement du morne genre humain !
Pleurs et cris ! Sang des pieds aux cailloux du chemin !
Noirceur du ciel empli par l'immensel’immense anathème !
 
La faute est dans Je hais ! La faute est dans Je t'aimet’aime !
Tout est la chute. Hélas ! que faire ? Hommes damnés !
Responsables de vivre et punis d'êtred’être nés !
Je médite éperdu dans la nuit formidable.
 
Quel labeur que jeter la sonde à l'insondablel’insondable !
Quel gouffre que l'azurl’azur qui devient de la nuit !
Terreur ! tout apparaît et tout s'évanouits’évanouit.
Le deuil reste.
 
Oh ! disais-je, où donc est l'espérancel’espérance ?
 
Soudain il me sembla, comme, dans leur souffrance,
Pensif, je regardais les peuples douloureux,
Voir l'ombrel’ombre d'uned’une main bénissante sur eux ;
Il me sembla sentir quelqu'unquelqu’un de secourable.
Et je vis un rayon sur l'hommel’homme misérable.
Et je levai mes yeux au ciel, et j'aperçusj’aperçus,
Là-haut, le grand passant mystérieux, Jésus.</poem>
 
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Il est le regard vierge, il est la bouche rose ;
On ne sait avec quel ange invisible il cause.
N'avoirN’avoir pas fait de mal, ô mystère profond !
Tout ce que les meilleurs font sur terre, ou défont,
Ne vaut pas le sourire ignorant et suprême
De l'enfantl’enfant qui regarde et s'étonnes’étonne et nous aime.
 
N'avoirN’avoir pas une tache efface nos splendeurs.
Nous nous croyons le droit d'êtred’être altiers, durs, grondeurs,
Et lui qui ne se sait aucun droit sur la terre,
Les a tous. Sa fraîcheur pure nous désaltère ;
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Des gouffres bleus, du fond des divins empyrées ;
Ses beaux yeux sont noyés de lueurs azurées ;
S'ilS’il parlait, des soleils il nous dirait les noms.
Dès qu'unqu’un enfant est là, nous nous examinons.
Pensifs, nous comparons nos âmes à la sienne;
Le plus juste est rêveur de quelque faute ancienne ;
Il suffit, pour qu'onqu’on ait besoin d'êtred’être à genoux
Et pour que nous sentions de la noirceur en nous,
Que ce doux petit être inexprimable vive ;
Et la création entière est attentive
Aux, reproches que fait, même à ce qui reluit,
Même au ciel, puisqu'ilpuisqu’il est par instants plein de nuit,
Même à la sainteté, triste quand on l'encensel’encense,
Cette blancheur sans ombre et sans fond, l'innocencel’innocence.
De quel droit sommes-nous autour d'elled’elle méchants ?
Que nous a-t-elle fait ? Nos cris couvrent ses chants.
Son aube à nos vents noirs mêle son pur zéphyre.
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Pour nous rendre cléments et pour dompter nos cœurs ?
Non, nous restons ingrats, amers, hautains, moqueurs,
Pleins d'oragesd’orages, devant cette candeur sacrée.
L'âgeL’âge d'ord’or, l'heureuxl’heureux temps de Saturne et de Rhée,
Existe, c'estc’est l'enfancel’enfance ; il est sur terre encor ;
Et nos siècles de fer sur ce tendre âge d'ord’or
N'enN’en font pas moins leur bruit de glaives et de haines,
Et l'onl’on entend partout le traînement des chaînes.
 
Vous êtes de la joie errante parmi nous,
Enfants ! riez, jouez, croissez. Vos fronts sont doux,
Et la faiblesse y met sa tremblante couronne ;
L'épanouissementL’épanouissement d'avrild’avril vous environne;
Sans vous le jour est morne et le matin se tait ;
Chantez. Quand le destin, comme s'ils’il regrettait
De vous avoir dans l'ombrel’ombre amenés, vous remmène,
Quand vous vous eh allez avant l'épreuvel’épreuve humaine,
Votre âme monte aux cieux dans le parfum des fleurs.
O chers petits enfants, quand, fuyant nos douleurs,
Vous faites dans l'azurl’azur serein votre rentrée,
Quand un nouveau-né meurt, on dirait que, navrée,
La terre prend le deuil des jours qui vous sont dus ;
Et l'aurorel’aurore est en pleurs quand vous êtes rendus
Par les roses vos sœurs à vos frères les anges.
Il est dans les linceuls une aile, et, dans les langes,
Il en est une aussi; c'estc’est la même. Ouvrez-la,
Doux amis, sans pourtant nous quitter, pour cela.
Restez, notre prison par vous devient un temple.
Rayonnez, innocents, et donnez-nous l'exemplel’exemple.
Croyez, priez, aimez, chantez. Soyez sans fiel.
Qu'estQu’est-ce que l'âmel’âme humaine, ô profond Dieu du ciel,
A fait de la candeur dont elle était vêtue ?</poem>
 
Ligne 1 770 :
''LE BOURREAU, la hache à la main. Au fond la foule.''
 
LE PAPE, ''regardant l'échafaudl’échafaud.''
Je ne comprends pas.
 
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LE JUGE
 
C'estC’est pourquoi
On le prend, on lui fait son procès, et la loi
Le tue. Est-ce clair ?
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LE PAPE
 
L'abîmeL’abîme.
 
 
Ligne 1 814 :
Juge, respect à Dieu.
Cet univers visible est un immense aveu
D'ignoranceD’ignorance devant l'universl’univers invisible.
 
 
VOIX DANS LA FOULE
 
- Qu'ilQu’il meure ! - Il a tué ! - Le talion ! - La Bible !
- Le code ! - Allons, bourreau, frappe. Va, compagnon !
 
 
LE PAPE, ''à l'assassinl’assassin condamné.''
Toi qui donnas la mort, sais-tu ce que c'estc’est ?
 
 
L’ASSASSIN
L'ASSASSIN
 
Non.
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LE BOURREAU
 
Je l'ignorel’ignore.
 
 
LE PAPE, ''au juge.''
 
Et toi, sais-tu, devant ce ciel qu'emplitqu’emplit l'aurorel’aurore,
Ce que c'estc’est que la mort, juge ?
 
 
Ligne 1 858 :
 
LE JUGE
Qu'importeQu’importe !
 
 
Ligne 1 867 :
Ainsi vous maniez la mort sans la connaître !
Vous êtes des méchants et des infortunés.
Dieu s'ests’est réservé l'hommel’homme et vous le lui prenez.
Vous n'avezn’avez pas construit et vous osez détruire !
O vivants ! vous n'avezn’avez d'autred’autre droit que de dire
A cet homme qui seul sait ce qu'aqu’a fait son bras :
Es-tu coupable? vis, sachant que tu mourras.
O vivants, le ciel sent on ne sait quelle honte
Quand, vous regardant faire en votre ombre, il confronte
Le crime et l'échafaudl’échafaud, l'unl’un de l'autrel’autre indignés.
Vous saignez du côté du crime, et vous saignez
Du côté de la loi, croyant faire équilibre
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Donnant pour contrepoids au bandit le bourreau.
Vous tirez, vous aussi, le trépas du fourreau !
Vous allez et venez dans l'obscurl’obscur phénomène !
Dieu fait la mort divine et vous la mort humaine !
Sombre usurpation dont frémit le penseur.
Dieu vit ; de l'infinil’infini vous percez l'épaisseurl’épaisseur,
Peuple, et vous lui changez son coupable en victime.
Un homme monstre est là ; vous l'imitezl’imitez. Un crime
Est-il une raison d'und’un autre crime, hélas ?
Faut-il, tristes vivants qui devez être las,
L'hommeL’homme ayant fait le mal, que la loi continue ?
De quel droit mettez-vous une âme toute nue,
Et faites-vous subir à cette nudité
L'effrayantL’effrayant face-à-face avec l'éternitél’éternité ?
Ce dépouillement brusque est interdit au juge.
De quel droit changez-vous en écueil le refuge ?
L'hommeL’homme est aveugle et Dieu par la main le conduit ;
Dieu nous a mis à tous sur la face la nuit ;
Il ne nous a point faits transparents ; il nous couvre
D'unD’un suaire de chair et d'ombred’ombre qui s'entr'ouvres’entr’ouvre
Quand il veut, au moment indiqué par lui seul ;
Vivants, c'estc’est à la mort que tombe le linceul ;
Nous sommes jusque-là des inconnus ; Dieu laisse
Aux âmes un instant pour rêver, la vieillesse,
Le droit à la fatigue et le droit au remords ;
Malheur si nous faisons soudainement des morts !
Que l'obscurl’obscur Dieu, toujours clément, toujours propice,
Étant le fond du gouffre, ouvre le précipice,
Il le peut, c'estc’est en lui qu'onqu’on tombe, et, quel que soit
Le rejeté, c'estc’est Dieu pensif qui le reçoit ;
Mais, vivants, votre loi, qu'estqu’est-elle et que peut-elle ?
Sur nous la forme humaine, en nous l'âmel’âme immortelle ;
Nous sommes des noirceurs sous le ciel étoile.
Je m'ignorem’ignore, je suis pour moi-même voilé,
Dieu seul sait qui je suis et comment je me nomme.
L'arrachementL’arrachement du masque est-il permis à l'hommel’homme ?
De quel droit faites-vous cette surprise à Dieu ?
Quoi ! vous mettez la fin de la vie au milieu !
Vous ouvrez et fermez la fatale fenêtre !
A tâtons ! Apprenez ceci : mourir c'estc’est naître
Ailleurs. Quel noir travail, ô pâles travailleurs !
Comprenez-vous ce mot épouvantable, ailleurs ?
Frémissez. Savez-vous le possible d'uned’une âme ?
 
''(Montrant le condamné.)''
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Cet homme a fait le mal pour nourrir une femme
Et des enfants sans pain ; mais vous, avez-vous faim ?
Vous le tuez. Pourquoi? Trouvez-vous bon qu'enfinqu’enfin
Le crime et la justice aient la même figure ?
O mort, sauvage oiseau, qui sait ton envergure ?
Tes ailes couvriraient l'horizonl’horizon de la mer.
La blanche touche au ciel et la noire à l'enferl’enfer.
Que savons-nous ? Hélas ! le prêtre craint la bible.
Notre âme glisse au bord sinistre du possible.
La conscience humaine habite un cabanon.
Ce que vous faites là, le comprenez-vous ? Non.
Avez-vous jamais vu quelqu'unquelqu’un tomber dans l'ombrel’ombre ?
Vous représentez-vous l'immensel’immense chute sombre,
Le gouffre, l'infinil’infini plein d'und’un vague courroux,
Ce damné tombant là ? Vous représentez-vous
L'ouvertureL’ouverture des mains terribles dans l'abîmel’abîme ?
Horreur ! l'hommel’homme interrompt le silence sublime,
Lui que Dieu mit sur terre afin qu'ilqu’il attendît.
La justice d'end’en bas prend la parole et dit :
O justice d'end’en haut, c'estc’est moi qui suis la vraie !
Fils, croyez un vieillard, nous sommes tous l'ivraiel’ivraie.
A peine aperçoit-on la faulx ; quant à la main,
Cachée en ce lieu noir qu'onqu’on appelle Demain,
Nous ne la voyons pas. Elle frappe à son heure.
Tuer cet homme ! ô ciel ! il me fait peur. Je pleure.
Est-ce qu'ilqu’il est à moi ? Qu'estQu’est-il ? Dieu seul le sait.
Tuer, sans pouvoir dire au juste ce que c'estc’est,
L'hommeL’homme au-dessus duquel le ciel profond diffère.
Avez-vous bien pesé ce que vous allez faire ?
Vous figurez-vous, juge, et toi, peuple inclément,
L'aileL’aile étrange que peut déployer brusquement
L'êtreL’être subit, sorti du viol de la tombe ?
Vautour peut-être, hélas ! mais peut-être colombe.
Vous dites-vous ceci : S'ilS’il était innocent ?
Peut-être il monte alors qu'onqu’on pense qu'ilqu’il descend.
Que devient votre arrêt devant Dieu? Les ténèbres
Peuvent faire à nos lois des réponses funèbres.
Soyons prudents devant ce que nous ignorons.
La terre est un point sombre avec des environs
Illimités de brume et d'espaced’espace farouche.
Tout l'infinil’infini frémit d'und’un atome qu'onqu’on touche.
N'estN’est-il pas monstrueux de penser que la loi
Et l'hommel’homme, en cette lutte où l'onl’on sent de l'effroil’effroi,
Mêlent des quantités inégales de crime?
Vous êtes regardés par dessus l'âprel’âpre cime ;
Ne faites pas pleurer les invisibles yeux.
Vous avez des témoins attentifs dans les cieux ;
Ne les indignez pas, ne leur faites pas dire :
L'hommeL’homme tue au hasard. L'hommeL’homme, en proie au délire,
A dans de l'inconnul’inconnu jeté de l'ignorél’ignoré.
Ah ! c'estc’est un attentat triste et démesuré
De jeter quelque chose à la noirceur muette,
Sans savoir où l'onl’on jette et savoir ce'ce’ qu'onqu’on jette,
D'accroîtreD’accroître la stupeur du gouffre avec ce bruit,
La hache, et d'envoyerd’envoyer de l'ombrel’ombre à de la nuit !</poem>
 
 
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La prière contemple et la science observe.
Quand, dans le cloître noir de la sainte Minerve,
Galilée abjurait, vaincu, qu'abjuraitqu’abjurait-il ?
Dieu. C'estC’est Dieu qu'entrevoitqu’entrevoit de loin l'hommel’homme en exil.
Des épaisseurs de nuit profonde nous entourent.
Les mondes par des feux échangés se secourent ;
Car, ciel sombre, on ne sait quels gouffres sont ouverts.
L'astreL’astre fait des envois de rayons, à travers
L'espaceL’espace et l'étenduel’étendue immense, à d'autresd’autres astres.
L'azurL’azur a ses combats ; le ciel a ses désastres ;
Parfois le mage, au fond des firmaments vermeils,
Distingue d'effrayantsd’effrayants naufrages de soleils ;
A voir l'effarementl’effarement des pâles météores
On devine une étrange extinction d'auroresd’aurores,
Quelque part, dans l'horreurl’horreur du zénith ignoré.
Dieu seul sait l'étiagel’étiage et connaît le degré
Jusqu'oùJusqu’où doit croître ou fuir la marée inconnue.
L'universL’univers n'estn’est pas moins remué que la nue
Par un souffle ; et ce souffle a lui-même sa loi.
Le savant dit : Comment ? le penseur dit : Pourquoi ?
La réponse d'end’en haut se perd dans les vertiges.
L'ombreL’ombre est une descente obscure de prodiges.
Sans cesse l'inconnul’inconnu passe devant nos yeux.
 
Mais, ombre, qu'estqu’est-il donc de stable sous les cieux ?
La justice, dit l'ombrel’ombre. Aucun vent ne l'emportel’emporte.
C'estC’est pourquoi, nous pasteurs, nous devons faire en sorte
Que l'hommel’homme reste bon et sincère au milieu
De tous les changements d'équilibred’équilibre de Dieu.</poem>
 
 
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===ENTRANT À JÉRUSALEM===
<poem>
Peuple, j'aij’ai dit au Monde et j'aij’ai dit à la Ville :
Plus de guerre étrangère et de guerre civile.
Plus d'échafaudd’échafaud. Devant le ciel bleu Liberté,
Égalité devant la mort, Fraternité
Devant le Père. Aimons. Force, aide la faiblesse.
Éclairez qui vous nuit ; guérissez qui vous blesse.
Paix et pardon. Soyez cléments aux criminels.
Le droit des bons c'estc’est d'êtred’être au méchant fraternels ;
Le juste qui n'an’a pas d'amourd’amour sort du précepte ;
Et le soleil n'estn’est plus le soleil s'ils’il excepte
Les tigres et les loups de son rayonnement.
J'aiJ’ai montré dans le ciel le grand désarmement,
L'équilibreL’équilibre, la loi, l'azurl’azur, l'astrel’astre, l'aurorel’aurore.
J'aiJ’ai dit : Pitié ! laissez le repentir éclore.
Juges, pensez ; bourreaux, reculez ; vis, Caïn.
A qui n'an’a plus hier ne prenez pas demain ;
Laissez à tous le temps de racheter les fautes.
Soyez d'humblesd’humbles songeurs, soyez des âmes hautes.
Riches, c'estc’est en donnant qu'onqu’on s'enrichits’enrichit ; semez.
Pauvres, la pauvreté n'estn’est point la haine ; aimez.
Toute bonne pensée est une délivrance.
Si noir que soit le deuil, conservez l'espérancel’espérance ;
Car rien n'estn’est plein, de nuit sans être plein de ciel.
La haine est un vent sombre et pestilentiel;
Aimez, aimez, aimez, aimez, - soyez des frères.
Et maintenant, ayant fait face aux téméraires,
Ayant lavé le fond du vase baptismal,
Ayant diminué sur la terre le mal,
Vieillard pensif qui n'ain’ai d'autred’autre force que d'êtred’être
Chez les peuples un pauvre et chez les rois un prêtre,
Compagnon des douleurs, des exils, des grabats,
Je viens près de celui qui fit voir ici-bas
Toute la quantité de Dieu qui tient dans l'hommel’homme ;
Je prends Jérusalem et je vous laisse Rome,
Jérusalem étant le véritable lieu.
Hommes, je viens me mettre en prière chez Dieu.
Je ne me sens réel que sur ce mont sévère ;
L'ombreL’ombre est au Capitole et l'âmel’âme est au Calvaire ;
Là-haut l'angel’ange et le saint trouvent que j'aij’ai raison,
Quittant César pour Christ, de changer de maison,
Et je monte, appuyé sur l'aiglel’aigle et la colombe,
De ce bas-fond, le trône, à ce sommet, la tombe.
Je me fais serviteur du sépulcre, sentant
Près de moi le grand cœur de Jésus palpitant.
O rois, je hais la pourpre et j'aimej’aime le suaire ;
Et j'habitej’habite la vie, ô rois ! vous l'ossuairel’ossuaire.
Car la toute-puissance est un squelette noir.
L'hommeL’homme tend une main au mal, l'autrel’autre à l'espoirl’espoir ;
Tantôt il court, tantôt il trébuche, et je mène
Et j'éclairej’éclaire quiconque aide la marche humaine.
Allons en avant. L'ombreL’ombre est morte ; et déjà tous
Nous sentons la chaleur d'und’un avenir plus doux.
Nous nous sommes trouvés ; longtemps nous nous cherchâmes.
J'aiJ’ai marché dans la vaste obscurité des âmes ;
Je vous ai dit : Je suis le jour. Pour vous je nais.
Et vous êtes venus, voyant que je venais.
O vivants, ouvriers de l'œuvrel’œuvre universelle,
Travaillez ; que l'enclumel’enclume éternelle étincelle ;
Soyez purs, soyez doux, soyez frais, soyez bons.
Tous sur le grand travail sacré nous nous courbons.
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Peuple, aimez. On devient lumineux en aimant.
Ce serait être injuste envers le firmament
Que de répondre aux feux d'end’en haut par nos ténèbres.
Que, l'azurl’azur étant pur, les âmes soient funèbres,
C'estC’est mal ; et l'Éternell’Éternel a fait les vérités,
Les devoirs, les vertus, afin que leurs clartés
Illuminent le sombre intérieur des hommes ;
Et pour que, dans le monde insondable où nous sommes,
Et devant l'infinil’infini plein d'invisiblesd’invisibles yeux,
Les cœurs ne soient pas moins étoiles que les cieux.
Peuples, aimez-vous. Paix à tous.
 
 
LES HOMMES
 
Sois béni, père.
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== '''Scène deuxième - Réveil''' ==
<poem>
''Le Vatican. - La chambre du pape. - Le matin.''
 
 
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Quel rêve affreux je viens de faire !</poem>
 
 
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